Les confessions

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Jean-Jacques Rousseau. Les confessions

Jean-Jacques Rousseau. LES CONFESSIONS

Première partie

Voici le seul…

Livre I

Livre II

Livre III

Livre IV

Livre V

Livre VI

Deuxième partie

Livre VII

Livre VIII

Livre IX

Livre X

Livre XI

Livre XII

Отрывок из книги

Voici le seul portrait d’homme, peint exactement d’après nature et dans toute sa vérité, qui existe et qui probablement existera jamais. Qui que vous soyez, que ma destinée ou ma confiance ont fait l’arbitre du sort de ce cahier, je vous conjure par mes malheurs, par vos entrailles, et au nom de toute l’espèce humaine, de ne pas anéantir un ouvrage unique et utile, lequel peut servir de première pièce de comparaison pour l’étude des hommes, qui certainement est encore à commencer, et de ne pas ôter à l’honneur de ma mémoire le seul monument sûr de mon caractère qui n’ait pas été défiguré par mes ennemis. Enfin, fussiez-vous, vous-même, un de ces ennemis implacables, cessez de l’être envers ma cendre, et ne portez pas votre cruelle injustice jusqu’au temps où ni vous ni moi ne vivrons plus, afin que vous puissiez vous rendre au moins une fois le noble témoignage d’avoir été généreux et bon quand vous pouviez être malfaisant et vindicatif: si tant est que le mal qui s’adresse à un homme qui n’en a jamais fait ou voulu faire, puisse porter le nom de vengeance.

J.-J. Rousseau.

.....

Pour revenir au flûteur Égisthe, ce qu’il y avait de singulier était qu’en devenant plus insupportable, le traître semblait devenir plus complaisant. Dès le premier jour que sa dame m’avait pris en affection, elle avait songé à me rendre utile dans le magasin. Je savais passablement l’arithmétique; elle lui avait proposé de m’apprendre à tenir les livres; mais mon bourru reçut très mal la proposition, craignant peut-être d’être supplanté. Ainsi tout mon travail après mon burin était de transcrire quelques comptes et mémoires, de mettre au net quelques livres, et de traduire quelques lettres de commerce d’italien en français. Tout d’un coup mon homme s’avisa de revenir à la proposition faite et rejetée, et dit qu’il m’apprendrait les comptes à parties doubles, et qu’il voulait me mettre en état d’offrir mes services à M. Basile quand il serait de retour. Il y avait dans son ton, dans son air, je ne sais quoi de faux, de malin, d’ironique, qui ne me donnait pas de la confiance. Mme Basile, sans attendre ma réponse, lui dit sèchement que je lui étais obligé de ses offres, qu’elle espérait que la fortune favoriserait enfin mon mérite, et que ce serait grand dommage qu’avec tant d’esprit je ne fusse qu’un commis.

Elle m’avait dit plusieurs fois qu’elle voulait me faire faire une connaissance qui pourrait m’être utile. Elle pensait assez sagement pour sentir qu’il était temps de me détacher d’elle. Nos muettes déclarations s’étaient faites le jeudi. Le dimanche elle donna un dîner, où je me trouvai et où se trouva aussi un jacobin de bonne mine auquel elle me présenta. Le moine me traita très affectueusement, me félicita sur ma conversion, et me dit plusieurs choses sur mon histoire qui m’apprirent qu’elle la lui avait détaillée; puis, me donnant deux petits coups d’un revers de main sur la joue, il me dit d’être sage, d’avoir bon courage, et de l’aller voir, que nous causerions plus à loisir ensemble. Je jugeai, par les égards que tout le monde avait pour lui, que c’était un homme de considération, et par le ton paternel qu’il prenait avec Mme Basile, qu’il était son confesseur. Je me rappelle bien aussi que sa décente familiarité était mêlée de marques d’estime et même de respect pour sa pénitente, qui me firent alors moins d’impression qu’elles ne m’en font aujourd’hui. Si j’avais eu plus d’intelligence, combien j’eusse été touché d’avoir pu rendre sensible une jeune femme respectée par son confesseur!

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