Si le Grain ne Meurt
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Андре Жид. Si le Grain ne Meurt
Si le Grain ne Meurt
Table of Contents
PREMIÈRE PARTIE
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
DEUXIÈME PARTIE
I
II
APPENDICE
Отрывок из книги
André Gide
e-artnow, 2022
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Je suis déjà couché, mais une singulière rumeur, un frémissement du haut en bas de la maison, joints à des vagues harmonieuses, écartent de moi le sommeil. Sans doute ai-je remarqué, dans la journée, des préparatifs. Sans doute l'on m'a dit qu'il y aurait un bal ce soir-là. Mais un bal, sais-je ce que c'est ? Je n'y avais pas attaché d'importance et m'étais couché comme les autres soirs. Mais cette rumeur à présent... J'écoute ; je tâche de surprendre quelque bruit plus distinct, de comprendre ce qui se passe. Je tends l'oreille. A la fin, n'y tenant plus, je me lève, je sors de la chambre à tâtons dans le couloir sombre et, pieds nus, gagne l'escalier plein de lumière. Ma chambre est au troisième étage. Les vagues de sons montent du premier ; il faut aller voir ; et, à mesure que de marche en marche je me rapproche, je distingue des bruits de voix, des frémissements d'étoffes, des chuchotements et des rires. Rien n'a l'air coutumier ; il me semble que je vais être initié tout à coup à une autre vie, mystérieuse, différemment réelle, plus brillante et plus pathétique, et qui commence seulement lorsque les petits enfants sont couchés. Les couloirs du second tout emplis de nuit sont déserts ; la fête est au-dessous. Avancerai-je encore ? On va me voir. On va me punir de ne pas dormir, d'avoir vu. Je passe ma tête à travers les fers de la rampe. Précisément les invités arrivent, un militaire en uniforme, une dame toute en rubans, toute en soie ; elle tient un éventail à la main ; le domestique, mon ami Victor, que je ne reconnais pas d'abord à cause de ses culottes et de ses bas blancs, se tient devant la porte ouverte du premier salon et introduit. Tout à coup quelqu'un bondit vers moi ; c'est Marie, ma bonne, qui comme moi tâchait de voir, dissimulée un peu plus bas au premier angle de l'escalier. Elle me saisit dans ses bras ; je crois d'abord qu'elle va me reconduire dans ma chambre, m'y enfermer ; mais non, elle veut bien me descendre, au contraire, jusqu'à l'endroit où elle était, d'où le regard cueille un petit brin de la fête. A présent j'entends parfaitement bien la musique. Au son des instruments que je ne puis voir, des messieurs tourbillonnent avec des dames parées qui toutes sont beaucoup plus belles que celles du milieu du jour. La musique cesse ; les danseurs s'arrêtent ; et le bruit des voix remplace celui des instruments. Ma bonne va me remmener ; mais à ce moment une des belles dames qui se tenait debout, appuyée près de la porte et s'éventait, m'aperçoit ; elle court à moi, m'embrasse et rit parce que je ne la reconnais pas. C'est évidemment cette amie de ma mère que j'ai vue précisément ce matin ; mais tout de même je ne suis pas bien sûr que ce soit tout à fait elle, elle réellement. Et quand je me retrouve dans mon lit, j'ai les idées toutes brouillées et je pense, avant de sombrer dans le sommeil, confusément : il y a la réalité et il y a les rêves ; et puis il y a une seconde réalité.
La croyance indistincte, indéfinissable, à je ne sais quoi d'autre, à côté du réel, du quotidien, de l'avoué, m'habita durant nombre d'années ; et je ne suis pas sûr de n'en pas retrouver en moi, encore aujourd'hui, quelques restes. Rien de commun avec les contes de fées, de goules ou de sorcières ; ni même avec ceux d'Hoffmann ou d'Andersen que, du reste, je ne connaissais pas encore. Non, je crois bien qu'il y avait plutôt là un maladroit besoin d'épaissir la vie – besoin que la religion, plus tard, serait habile à contenter ; et une certaine propension, aussi, à supposer le clandestin. C'est ainsi qu'après la mort de mon père, si grand garçon que je fusse déjà, n'allais-je pas m'imaginer qu'il n'était pas mort pour de vrai ! ou du moins – comment exprimer cette sorte d'appréhension ? – qu'il n'était mort qu'à notre vie ouverte et diurne, mais que, de nuit, secrètement, alors que je dormais, il venait retrouver ma mère. Durant le jour mes soupçons se maintenaient incertains, mais je les sentais se préciser et s'affirmer, le soir, immédiatement avant de m'endormir. Je ne cherchais pas à percer le mystère ; je sentais que j'eusse empêché tout net ce que j'eusse essayé de surprendre ; assurément j'étais trop jeune encore, et ma mère me répétait trop souvent, et à propos de trop de choses : « Tu comprendras plus tard » – mais certains soirs, en m'abandonnant au sommeil, il me semblait vraiment que je cédais la place...
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