Anicet; ou, le panorama
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Aragon. Anicet; ou, le panorama
Anicet; ou, le panorama
Table des matières
CHAPITRE PREMIER. ARTHUR
CHAPITRE DEUXIÈME. RÉCIT D'ANICET
CHAPITRE TROISIÈME. AVENTURE DE LA CHAMBRE
CHAPITRE QUATRIÈME. ANICET CHEZ L'HOMME PAUVRE
CHAPITRE CINQUIÈME. LA CARTE DU MONDE
CHAPITRE SIXIÈME. MOUVEMENTS
CHAPITRE SEPTIÈME. MIRABELLE OU LE DIALOGUE INTERROMPU
CHAPITRE HUITIÈME. LES SEUILS DU CŒUR
CHAPITRE NEUVIÈME. DÉCÈS
CHAPITRE DIXIÈME. LA SOIRÉE CHEZ MIRABELLE
CHAPITRE ONZIÈME. PRÉLUDE, CHORAL ET FUGUE
CHAPITRE DOUZIÈME. LE TOUR DES CHOSES
CHAPITRE TREIZIÈME. LE CORPS EN CAGE
CHAPITRE QUATORZIÈME. DUEL
CHAPITRE QUINZIÈME. LE CAFÉ DU COMMERCE A COMMERCY
Отрывок из книги
Aragon
Publié par Good Press, 2022
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Quelques discussions avec L*** qui dégénérèrent en querelles, un voyage pendant lequel je pensai mourir, la certitude trouvée au cours de ma liaison dernière que l'art n'est pas la fin de cette vie, un scandale qui se fit vers la même époque autour de mon nom, la publicité qu'on lui donna et la calomnie qui s'en empara, enfin mille causes plus offensantes les unes que les autres m'engagèrent à changer d'existence. Je résolus de donner un but différent à mes jours et de tourner mon activité vers le commerce et l'acquisition des richesses. Après avoir liquidé ce qui restait de mon passé, je me munis d'un lot de verroteries et je partis en Afrique orientale, dans l'intention de pratiquer la traite des nègres.
L'aisance que j'apportais à m'adapter à n'importe quelle manière de concevoir, l'absence de tous les liens qui enchaînent les Européens en exil, me mirent rapidement en lumière aux yeux des indigènes, peu accoutumés de voir un blanc se soucier d'eux avec autant de clairvoyance, et à ceux des colons qui durent bientôt en passer par moi pour toute tractation avec les gens du pays. Il n'y eut plus un échange, une affaire que je n'y fusse intéressé ou que je n'y intervinsse. Je m'enrichis impudemment aux dépens de tout le monde, et tout le monde en retour m'en exprima sa gratitude. Je devenais une sorte de potentat économique, aussi indispensable à la vie que le soleil aux cultures. Je me grisais de ces succès rapides, mes seules préoccupations désormais. Toute la poésie pour moi se bornait aux colonnes de chiffres sous les rubriques DOIT et AVOIR de mes registres. Je m'enivrais de nombres, je me saoulais de mesures. Tout ce qui concernait les évaluations de la durée, de l'espace, des quantités, me paraissait subitement la plus merveilleuse création humaine. L'assurance qu'aucune réalité ne les légitimait me poussait à l'admiration de ces unités que l'homme a méticuleusement choisies de façon arbitraire pour servir de point d'appui à ses emprises sur la nature. Rien de plus pur, de plus exempt d'éléments étrangers que les idées mathématiques. Ce sont des vues de l'esprit, qui n'existent que si quelqu'un les imagine et qui n'ont ni fondement ni existence en dehors de celui qui les conçoit. Les plus beaux poèmes furent éclipsés à mes yeux par les épures, par les machines. La pendule, étonnante réalisation d'hypothèse, qui continue, quand son propriétaire n'est plus là, à calculer une quantité qui n'a de réalité qu'en présence de lui, me bouleversait plus qu elle ne faisait les peuplades auxquelles j'en montrais une pour la première fois. J'étudiais les sciences exactes comme j'eusse cherché à pénétrer les secrets du lyrisme. Un grand orgueil me naissait, que seul peut-être j'en sentisse la beauté. J'essayais parfois de la divulguer parmi quelques-uns de ces sorciers de tribus, hommes éminents et sages, mieux ouverts à la spéculation que ces Messieurs de Paris. Ils ne parvenaient point à me comprendre, hochaient la tête, et l'un d'eux disait: «Voici une datte, une deuxième datte, une troisième datte. Il y en a trois. Je les vois, donc le nombre trois n'est pas seulement une vue de l'esprit mais aussi des yeux.» Ainsi raisonnent faussement les plus experts des hommes, sans saisir que les dattes existent mais non le rapport qu'eux seuls établissent entre elles. Les rares relations épistolaires que je conservais avec l'Europe m'apprirent qu'on y déplorait ma disparition et mon silence, que la gloire m'y attendait pour peu que je consentisse à y revenir. Cette nouvelle ne m'émut pas; je préférais à ces lauriers vulgaires la situation de despote et de sage que je m'étais faite dans ces pays africains. Tout le monde reconnaissait ma supériorité intellectuelle, matériellement je n'avais plus rien à désirer. Quelques prodigalités me sacrèrent dieu, j'eus un nom dans les dialectes de la région, je devins légendaire. Je fus de tous les débats religieux; la casuistique dépendit de moi; je traitai des dogmes solaires, du culte des idoles; on me mit à contribution pour expliquer les phénomènes naturels, les cataclysmes, les signes célestes.
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