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PRÉAMBULE

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S'il est vrai qu'au point de vue historique, les renseignements pris sur les lieux sont précieux à recueillir, et qu'un écrivain peut demander d'utiles secours au peuple qui fait le sujet de ses études, il faut reconnaître que c'est principalement en recherchant les origines de ce peuple qu'il sera tenu de le consulter.

Une nation venue de loin s'empare d'une contrée nouvelle; elle s'y établit, et combat pendant plusieurs siècles ses nouveaux voisins. Les chroniques de ces derniers vous donneront peut-être sur les guerres qui auront été faites des éclaircissements suffisants. Mais qui pourra dire d'où est sortie cette nation inconnue, qui vous apprendra son origine, si ce n'est la nation elle-même? Elle n'a pas encore d'annalistes. Mais attendez qu'elle se fixe, qu'elle forme un état stable: aussitôt de patients écrivains vont se mettre à l'œuvre, et rapporteront, sans même retrancher de leurs récits les suppositions fabuleuses, les traditions qui se sont encore conservées. De là l'importance, pour chaque peuple, des historiens nationaux.

Les données de ces chroniqueurs ne seront pas vos seules ressources. Il vous restera encore à voir cette nation elle-même, à observer sa physionomie, ses mœurs, à étudier sa langue, à la connaître enfin. Les renseignements que vous puiserez ainsi seront plus sûrs que les hypothèses des peuples voisins qui ont vu camper tout à coup au milieu d'eux une nation étrangère.

Ce n'est pas dans le but de rechercher les origines des Hongrois que j'ai primitivement visité la Hongrie. Mais il est impossible de faire un long séjour dans le pays sans étudier cette question historique, l'une de celles qui intéressent au plus haut point le voyageur. J'étais arrivé avec des idées toutes faites. Je publie celles que j'ai rapportées. Peut-être obtiendront-elles la confiance du lecteur, puisque ce ne sont pas les miennes, mais qu'elles appartiennent aux Hongrois eux-mêmes.

La question de l'origine des Hongrois a été diversement résolue. Jornandès fait descendre les Huns des femmes que Filimer, roi des Goths, chassa de son armée, parce qu'elles entretenaient un commerce avec les démons. Cette origine diabolique, qui s'est étendue aux Hongrois, a eu plus de défenseurs qu'on ne serait tenté de le croire, et bien après Jornandès un écrivain ne trouvait pas d'autre moyen d'expliquer le mot magyar qu'en le faisant dériver de magus, magicien1. Les uns disent que les Hongrois sont des Lapons2; les autres écrivent qu'ils sont Kalmoucks3, et pensent donner plus de force à leur opinion en invoquant une ressemblance de physionomie imaginaire. Les Hongrois sont d'origine turque, dit-on encore; leur langue le prouve: les empereurs de Constantinople les nommaient Τουρκοι, et encore aujourd'hui les Turcs les appellent de «mauvais frères», parce qu'ils leur ont fermé l'entrée de l'Europe. Un autre les confond avec les Huns, et les fait venir du Caucase sous le nom de Zawar4. D'autres enfin les appellent Philistéens ou Parthes, et leur donnent la Juhrie ou Géorgie pour patrie. Les quinze ou vingt noms différents que dans diverses langues les chroniqueurs ont donnés aux Hongrois augmentent encore les difficultés qui entourent nécessairement une question de ce genre, quand on veut rechercher leurs traces dans l'histoire.

C'est surtout en Allemagne qu'on s'est occupé de l'origine des Hongrois. En France on paraît s'en être rapporté à nos savants voisins, qui, placés plus près de la Hongrie et pouvant puiser à des sources plus certaines, semblaient appelés à résoudre le problème. Or en Allemagne on a adopté l'opinion émise par Schlœzer, illustre professeur de Gottingue, qui n'hésite pas à donner aux Hongrois une origine finnoise; d'où il suit que nous sommes portés à croire qu'ils sont effectivement Finnois d'origine.

Je n'ai certes pas la prétention de décider une question semblable: mon seul but est de rappeler ce que les Hongrois ont pensé et écrit à ce sujet, et dont, il faut l'avouer, on n'a guère tenu compte. Il a été dit que les Magyars ont parfaitement admis l'origine qu'on leur suppose, et qu'ils se donnent eux-mêmes pour Finnois. Cela est inexact. Un petit nombre d'entre eux, séduits par l'attrait d'une idée nouvelle, ont écrit, il est vrai, dans ce sens à la fin du siècle dernier. Mais ce sont surtout les Slaves de la Hongrie, qu'il faut bien se garder de confondre avec les Hongrois, qui ont adopté l'opinion de Schlœzer: ils méritent la même confiance que les autres écrivains étrangers, ni plus ni moins. Pour les Magyars, ils ont assez protesté contre l'espèce d'arrêt qu'on avait rendu sans les entendre; et ils ont protesté, dans ces derniers temps, en vue d'une idée sérieuse. En effet, l'opinion des savants a une conséquence positive, qui, si elle devait échapper à des hommes d'étude, frappe vivement tous les Hongrois, et aujourd'hui plus que jamais: c'est-à-dire que, la Hongrie étant habitée par cinq millions de Finnois d'une part, et de l'autre par six millions de Slaves, les empereurs de Russie, dans un avenir qui peut-être n'est pas bien éloigné, pourraient élever des prétentions sur ce royaume, ou au moins le comprendre entre les pays sur lesquels, comme chefs de la grande famille slave et de la grande famille finnoise, ils ont l'ambition d'exercer leur influence.

Ces prétentions, au reste, ne seraient pas nouvelles. Pierre le Grand dit ouvertement au prince Rákótzi, en Pologne, que les Hongrois étaient des sujets fugitifs de son empire, partis de la Juhrie5; et il est constaté que, si Rákótzi ne tira pas alors des Russes les secours qu'il pouvait en attendre, ce fut parce qu'il se défia de la pensée intime du tzar6. Il est également hors de doute que les dissertations historiques tendant à prouver que les Magyars sont les frères des Finnois-Russes furent toujours extrêmement goûtées à Saint-Pétersbourg. Schlœzer reçut une croix russe après avoir mis en avant l'idée de l'origine finnoise. Samuel Gyarmathi dédia à Paul Ier l'ouvrage dans lequel il s'efforçait de démontrer l'affinité des langues finnoise et magyare7, et l'empereur ne manqua pas de témoigner à l'écrivain toute sa satisfaction. Enfin, dans l'année 1826, l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, de sa propre inspiration ou non, prenait encore la peine de rechercher l'origine des Hongrois, quoiqu'il y ait au cœur de l'empire russe des populations dont l'origine eût été bien plus intéressante à trouver.

Telle est l'importance politique, c'est là le mot, que l'on peut donner à une question en apparence purement spéculative.

1

Le nom de Hongrois vient du latin Hungari, qui lui-même dérive de l'allemand Ungarn. Dans leur langue, les Hongrois se nomment Magyar (prononcez Mâdiâr).

2

Jos. Hager, Wien, 1793.

3

Spittler, Berlin, 1794.

4

Dankovski, Pressburg, 1823.

5

Mathias Bel.

6

V. les Mémoires du prince François Rákótzi.

7

Affinitas linguæ hungaricæ cum linguis fennicæ originis grammatice demonstrata. Gottingæ, 1799.

Essai historique sur l'origine des Hongrois

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