Le Chevalier des Touches

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Barbey d'Aurevilly Jules. Le Chevalier des Touches

A MON PÈRE

I. TROIS SIÈCLES DANS UN PETIT COIN

II. HÉLÈNE ET PARIS

III. UNE JEUNE VIEILLE AU MILIEU DE VÉRITABLES VIEILLARDS

IV. HISTOIRE DES DOUZE

V. LA PREMIÈRE EXPÉDITION

VI. UNE HALTE ENTRE LES DEUX EXPÉDITIONS

VII. LA SECONDE EXPÉDITION

VIII. LE MOULIN BLEU

IX. HISTOIRE D'UNE ROUGEUR

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C'était vers les dernières années de la Restauration. La demie de huit heures, comme on dit dans l'Ouest, venait de sonner au clocher, pointu comme une aiguille et vitré comme une lanterne, de l'aristocratique petite ville de Valognes.

Le bruit de deux sabots traînants, que la terreur ou le mauvais temps semblaient hâter dans leur marche mal assurée, troublait seul le silence de la place des Capucins, déserte et morne alors comme la lande du Gibet elle-même. Tous ceux qui connaissent le pays, n'ignorent pas que la lande du Gibet, ainsi appelée parce qu'on y pendait autrefois, est un terrain qui fut longtemps abandonné, à droite de la route qui va de Valognes à Saint-Sauveur-le-Vicomte, et qu'une superstition traditionnelle le faisait éviter au voyageur… Quoique en aucun pays, du reste, huit heures et demie ne soient une heure indue et tardive, la pluie, qui était tombée, ce jour-là, sans interruption, la nuit, – on était en décembre, – et aussi les mœurs de cette petite ville, aisée, indolente et bien close, expliquaient la solitude de la place des Capucins et pouvaient justifier l'étonnement du bourgeois rentré, qui peut-être, accoté sous ses contrevents strictement fermés, entendait de loin ces deux sabots, grinçants et haletants sur le pavé humide, et au son desquels un autre bruit vint impétueusement se mêler.

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En les créant presque identiques, la vieille radoteuse avait rabâché. C'étaient deux Ménechmes femelles, qui auraient pu faire dire aux moqueurs: «Il y en a au moins une de trop!» Elles ne le trouvaient point, car elles s'aimaient; et elles se voulaient en tout si semblables, que mademoiselle Sainte avait refusé un beau mariage parce qu'il ne se présentait pas de mari pour mademoiselle Ursule, sa sœur. Ce soir-là, comme à l'ordinaire, ces routinières de l'amitié avaient dans leur salon une de leurs amies, noble comme elles, qui travaillait à la plus extravagante tapisserie avec une telle action qu'elle semblait se ruer à ce travail, suspendu tout à coup par l'arrivée de son frère, l'abbé. Fée plus mâle, aux traits plus hardis, à la voix plus forte, celle-ci tranchait par la brusquerie hommasse de toute sa personne sur la délicatesse et l'inertie de ces douces Contemplatives, de ces deux vieilles chattes blanches de la rêverie sans idées, qui n'avaient jamais été des Chattes Merveilleuses. Ces pauvres vierges de Touffedelys avaient eu le suave éclat de leur nom dans leur jeunesse; mais elles avaient vu fondre leur beauté au feu des souffrances, comme le cierge voit fondre sa cire sur le pied d'argent du chandelier.

A la lettre, elles étaient fondues… tandis que leur amie, robustement et rébarbativement laide, avait résisté. Solide de laideur, elle avait reçu le soufflet, l'alipan du Temps, comme elle disait, sur un bronze que rien ne pouvait entamer. Même la mise inouïe dans laquelle elle encadrait sa laideur bizarre n'en augmentait pas de beaucoup l'effet, tant l'effet en était frappant! Coiffée habituellement d'une espèce de baril de soie orange et violette, qui aurait défié par sa forme la plus audacieuse fantaisie et qu'elle fabriquait de ses propres mains, cette contemporaine de mesdemoiselles de Touffedelys ressemblait, avec son nez recourbé comme un sabre oriental dans son fourreau grenu de maroquin rouge, à la reine de Saba, interprétée par un Callot chinois, surexcité par l'opium. Elle avait réussi à diminuer la laideur de son frère, et à faire passer le visage de l'abbé pour un visage comme un autre, quoique, certes! il ne le fut pas. Cette femme avait un grotesque si supérieur qu'on l'eût remarquée même en Angleterre, ce pays des grotesques, où le spleen, l'excentricité, la richesse et le gin travaillent perpétuellement à faire un carnaval de figures auprès desquelles les masques du carnaval de Venise ne seraient que du carton vulgairement badigeonné.

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