La jeune fille bien élevée
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Boylesve René. La jeune fille bien élevée
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Отрывок из книги
Ils vinrent nous faire visite dès le premier jour. Grand'mère ne se montra pas, sous le prétexte que c'était pour sa fille, leur propriétaire, qu'ils accomplissaient cette démarche de politesse et non pour elle. Ils me parurent, à moi, gamine, comme tous les gens que je voyais pour la première fois, admirables. C'étaient des Parisiens, c'étaient des musiciens, c'étaient des gens qui avaient le moyen de louer la maison que nous n'avions plus, nous, le moyen d'habiter… Ils me comblèrent de gentillesses et me dirent que je serais toujours chez moi quand je serais chez eux, qu'ils ne voulaient point que je fusse privée de la belle terrasse, ni du Clos certainement plein d'attraits pour les enfants. Ils me parlèrent tout de suite d'un certain M. Topfer, un violoncelliste remarquable, de leurs amis, qui habitait Angers, qui viendrait dès la fin de juillet, et qui m'aimerait beaucoup. Pourquoi un M. Topfer, violoncelliste, m'aimerait-il beaucoup? Comment le savaient-ils d'avance?.. Cela me parut extraordinaire. En attendant, rien ne fit meilleure impression, à la maison, que ce simple fait: les Vaufrenard connaissaient intimement quelqu'un habitant Angers, c'est-à-dire une ville pas trop éloignée de chez nous, une ville où aucun de nous, d'ailleurs, n'avait jamais mis le pied, mais qui était de notre région, de notre pays. Grand'mère, surtout, en fut fort satisfaite; les Vaufrenard n'étaient plus tout à fait, pour son instinct de vieille provinciale, les "étrangers" tombés de la lune: ils avaient des accointances dans la contrée! Et, comme les Vaufrenard s'étaient aimablement informés d'elle, elle se décida à aller avec nous leur faire visite.
C'était un beau fouillis dans toute notre ancienne maison! On déballait, sur le parterre, un piano à queue, un harmonium; on éventrait des caisses; la paille, le foin, les planchettes hérissées de longs clous aux bords, couvraient tous les compartiments du buis; les robes de Mme Vaufrenard pendaient aux fenêtres. Nous surprîmes nos nouveaux locataires, lui, en bras de chemise, et sur la tête un grand chapeau de pêcheur à la ligne, elle revêtue d'un sarrau de toile bise, pareil à un sac de blé. Ils se confondirent en excuses, ils dirent qu'ils étaient en plein travail; mais la vérité était qu'ils ne faisaient rien que de contempler, toujours stupéfaits, le panorama qui était à eux pour trois, six ou neuf ans.
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Il se passa alors en moi une chose assez curieuse, c'est que je me trouvais tout à coup plus âgée que ces gamins fous, avec qui je faisais d'ordinaire toutes les sottises sans arrière-pensée. J'étais encore tout émue de ma séance de musique, et ce que faisaient là mon frère et mes petites amies, m'apparaissait inepte et barbare. J'essayai de leur en inspirer de la honte et j'allai avertir Tondu, qui, lui, sourit, bénévolement: quand il travaillait, il travaillait, et n'avait pas souci de ce qui se passait par derrière!.. De sorte que ce fut moi qui fus houspillée; on me poursuivit à coups de mottes de terre; on m'enferma dans un des celliers où j'avais cherché refuge. Il fallut, pour me délivrer, l'arrivée des parents qui, après la musique, venaient faire le tour traditionnel du Clos. J'espérais au moins que Paul serait fortement grondé; maman et grand-père mis au courant de ma mésaventure, se disposaient à le sermonner; mais grand'mère prononça que ce qui m'arrivait m'était bien dû et que cela m'apprendrait à me séparer de mes jeunes camarades pour me cacher au salon derrière les grandes personnes. Elle avait peut-être raison, en somme, car ce que j'avais appris, dans ce salon, prématurément, c'était à ne plus être une enfant, et il eût mieux valu, pour moi, jeter des pierres par-dessus le dos de Tondu.
J'avais dix ans, je devais entrer au couvent au mois d'octobre prochain. J'étais comme une de ces poupées que de mon temps on nommait "folies," emmanchées au bout d'un petit bâton et ornées d'une pèlerine à longues dents pointues dont chacune portait un grelot: j'avais bien l'aspect d'une petite écervelée, mais je venais de perdre mes grelots. Est-ce que je ne me payai pas, à ces vacances-là, le luxe de "rêvasser," comme disait grand'mère? oui de rêvasser à mes balcons en regardant la citerne du père Sablonneau, au lieu de m'amuser à cracher dedans!.. Et, en regardant, maintenant, dans la citerne du père Sablonneau, il y avait deux choses qui, tour à tour, ou confusément, tournoyaient dans mon esprit: c'était l'air de la romance Chagrin d'amour, avec les beaux sons du violoncelle de M. Topfer, et la voix, si désolée et si ardente de M. Vaufrenard; et c'était la pensée que mon pauvre papa, que l'on ne voyait presque plus, devait être très malheureux.
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