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LIVRE CINQUIÈME
EMPIRE
1806
ОглавлениеMunich, le 6 janvier 18061.
Au sénat conservateur
Sénateurs,
«La paix a été conclue à Presbourg et ratifiée à Vienne entre moi et l'empereur d'Autriche. Je voulais, dans une séance solennelle, vous en faire connaître moi-même les conditions; mais ayant depuis long-temps arrêté, avec le roi de Bavière, le mariage de mon fils le prince Eugène, avec la princesse Augusta, sa fille, et me trouvant à Munich au moment où la célébration du mariage devait avoir lieu, je n'ai pu résister au plaisir d'unir moi-même les jeunes époux qui sont tous deux le modèle de leur sexe. Je suis, d'ailleurs, bien aise de donner à la maison royale de Bavière, et à ce brave peuple bavarois, qui, dans cette circonstance, m'a rendu tant de services et montré tant d'amitié, et dont tes ancêtres furent constamment unis de politique et de coeurs à la France, cette preuve de ma considération et de mon estime particulière.
Le mariage aura lieu le 15 janvier. Mon arrivée au milieu de mon peuple sera donc retardée de quelques jours; ces jours paraîtront longs à mon coeur; mais après avoir été sans cesse livré aux devoirs d'un soldat, j'éprouve un tendre délassement à m'occuper des détails et des devoirs d'un père de famille. Mais ne voulant point retarder davantage la publication du traité de paix, j'ai ordonné, en conséquence de nos statuts constitutionnels, qu'il vous fût communiqué sans délai, pour être ensuite publié comme loi de l'empire.
NAPOLÉON.
Munich, le 12 janvier 1806.
Au sénat conservateur
Sénateurs,
«Le sénatus-consulte organique du 18 floréal an 12 a pourvu à tout ce qui était relatif à l'hérédité de la couronne impériale en France.
«Le premier statut constitutionnel de notre royaume d'Italie, en date du 19 mars 1805, a fixé l'hérédité de cette couronne dans notre descendance directe et légitime, soit naturelle, soit adoptive2.
«Les dangers que nous avons courus au milieu de la guerre, et qui se sont encore exagérés chez nos peuples d'Italie, ceux que nous pouvons courir en combattant les ennemis qui restent encore à la France, leur font concevoir de vives inquiétudes: ils ne jouissent pas de la sécurité que leur offre la modération et la libéralité de nos lois, parce que leur avenir est encore incertain.
«Nous avons considéré comme un de nos premiers devoirs de faire cesser ces inquiétudes.
«Nous nous sommes en conséquence déterminé à adopter comme notre fils le prince Eugène, archi-chancelier d'état de notre empire, et vice-roi de notre royaume d'Italie. Nous l'avons appelé, après nous et nos enfans naturels et légitimes, au trône d'Italie, et nous avons statué qu'à défaut, soit de notre descendance directe, légitime et naturelle, soit de la descendance du prince Eugène, notre fils, il appartiendra au parent le plus proche de celui des princes de notre sang, qui, le cas arrivant, se trouvera alors régner en France.
«Nous avons jugé de notre dignité que le prince Eugène jouisse de tous les honneurs attachés à notre adoption, quoiqu'elle ne lui donne des droits que sur la couronne d'Italie; entendant que dans aucun cas, ni dans aucune circonstance, notre adoption ne puisse autoriser ni lui, ni ses descendans, à élever des prétentions sur la couronne de France, dont la succession est irrévocablement réglée par les constitutions de l'empire.
«L'histoire de tous les siècles nous apprend que l'uniformité des lois nuit essentiellement à la force et à la bonne organisation des empires, lorsqu'elle s'étend au-delà de ce que permettent, soit les moeurs des nations, soit les considérations géographiques.
«Nous nous réservons, d'ailleurs, de faire connaître par des dispositions ultérieures les liaisons que nous entendons qu'il existe après nous, entre tous les états fédératifs de l'empire français. Les différentes parties indépendantes entre elles, ayant un intérêt commun, doivent avoir un lien commun.
«Nos peuples d'Italie accueilleront avec des transports de joie les nouveaux témoignages de notre sollicitude; ils verront un garant de la félicité dont ils jouissent, dans la permanence du gouvernement de ce jeune prince, qui, dans des circonstances si orageuses, et surtout dans ces premiers momens si difficiles pour les hommes même expérimentés, a su gouverner par l'amour, et faire chérir nos lois.
«Il nous a offert un spectacle dont tous les instans nous ont vivement intéressés. Nous l'avons vu mettre en pratique, dans des circonstances nouvelles, les principes que nous nous étions étudié à inculquer dans son esprit et dans son coeur, pendant tout le temps où il a été sous nos yeux. Lorsqu'il s'agira de défendre nos peuples d'Italie, il se montrera également digne d'imiter et de renouveler ce que nous pouvons avoir fait de bien dans l'art si difficile des batailles.
«Au même moment où nous avons ordonné que notre quatrième statut constitutionnel fût communiqué aux trois collèges d'Italie, il nous a paru indispensable de ne pas différer un instant à vous instruire des dispositions qui assoient la prospérité et la durée de l'empire sur l'amour et l'intérêt de toutes les nations qui le composent. Nous avons aussi été persuadés que tout ce qui est pour nous un sujet de bonheur et de joie, ne saurait être indifférent ni à vous, ni à mon peuple.»
NAPOLÉON.
Paris, le 2 mars 1806.
Discours prononcé par l'empereur à l'ouverture du corps législatif
«Messieurs les députés des départemens au corps législatif, messieurs les tribuns et les membres de mon conseil d'état, depuis votre dernière session, la plus grande partie de l'Europe s'est coalisée avec l'Angleterre. Mes armées n'ont cessé de vaincre que lorsque je leur ai ordonné de ne plus combattre. J'ai vengé les droits des états faibles, opprimés par les forts. Mes alliés ont augmenté en puissance et en considération; mes ennemis ont été humiliés et confondus; la maison de Naples a perdu sa couronne sans retour; la presqu'île de l'Italie toute entière fait partie du grand empire. J'ai garanti, comme chef suprême, les souverains et les constitutions qui en gouvernent les différentes parties.
«La Russie ne doit le retour des débris de son armée, qu'au bienfait de la capitulation que je lui ai accordée. Maître de renverser le trône impérial d'Autriche, je l'ai raffermi. La conduite du cabinet de Vienne sera telle, que la postérité ne me reprochera pas d'avoir manqué de prévoyance. J'ai ajouté une entière confiance aux protestations qui m'ont été faites par son souverain. D'ailleurs, les hautes destinées de ma couronne ne dépendent pas des sentimens et des dispositions des cours étrangères. Mon peuple maintiendra toujours ce trône à l'abri des efforts de la haine et de la jalousie; aucun sacrifice ne lui sera pénible pour assurer ce premier intérêt de la patrie.
«Nourri dans les camps, et dans des camps toujours triomphans, je dois dire cependant que, dans ces dernières circonstances, mes soldats ont surpassé mon attente; mais il m'est doux de déclarer aussi que mon peuple a rempli tous ses devoirs. Au fond de la Moravie, je n'ai pas cessé un instant d'éprouver les effets de son amour et de son enthousiasme. Jamais il ne m'en a donné des marques qui aient pénétré mon coeur de plus douces émotions. Français! je n'ai pas été trompé dans mon espérance. Votre amour, plus que l'étendue et la richesse de votre territoire, fait ma gloire. Magistrats, prêtres, citoyens, tous se sont montrés dignes des hautes destinées de cette belle France, qui, depuis deux siècles, est l'objet des ligues et de la jalousie de ses voisins.
«Mon ministre de l'intérieur vous fera connaître les événemens qui se sont passés dans le cours de l'année. Mon conseil-d'état vous présentera des projets de lois pour améliorer les différentes branches de l'administration. Mes ministres des finances et du trésor public vous communiqueront les comptes qu'ils m'ont rendus, vous y verrez l'état prospère de nos finances. Depuis mon retour, je me suis occupé sans relâche de rendre à l'administration ce ressort et cette activité qui portent la vie jusqu'aux extrémités de ce vaste empire. Mon peuple ne supportera pas de nouvelles charges, mais il vous sera proposé de nouveaux développemens au système des finances, dont les bases ont été posées l'année dernière. J'ai l'intention de diminuer les impositions directes qui pèsent uniquement sur le territoire, en remplaçant une partie de ces charges par des perceptions indirectes.
Les tempêtes nous ont fait perdre quelques vaisseaux après un combat imprudemment engagé. Je ne saurais trop me louer de la grandeur d'âme et de l'attachement que le roi d'Espagne a montrés dans ces circonstances pour la cause commune. Je désire la paix avec l'Angleterre. De mon côté, je n'en retarderai jamais le moment. Je serai toujours prêt à la conclure, en prenant pour base les stipulations du traité d'Amiens. Messieurs les députés du corps législatif, l'attachement que vous m'avez montré, la manière dont vous m'avez secondé dans les dernières sessions ne me laissent point de doute sur votre assistance. Rien ne vous sera proposé qui ne soit nécessaire pour garantir la gloire et la sûreté de mes peuples.»
NAPOLÉON.
Au palais des Tuileries, le 15 mars 1806.
Acte impérial
Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des Français et roi d'Italie, à tous ceux gui les présentes verront salut:
LL. MM. les rois de Prusse et de Bavière nous ayant cédé respectivement les duchés de Clèves et de Berg dans toute leur souveraineté, généralement avec tous droits, titres et prérogatives qui ont été de tous temps attachés à la possession de ces deux duchés, ainsi qu'ils ont été possédés par eux, pour en disposer en faveur d'un prince à notre choix, nous avons transmis lesdits duchés, droits, titres, prérogatives, avec la pleine souveraineté, ainsi qu'ils nous ont été cédés, et les transmettons par la présente au prince Joachim, notre très-cher beau-frère, pour qu'il les possède pleinement et dans toute leur étendue, en qualité de duc de Clèves et de Berg, et les transmette héréditairement à ses descendans mâles naturels et légitimes, d'après l'ordre de primogéniture, avec exclusion perpétuelle du sexe féminin et de sa descendance.
Mais si, ce que Dieu veuille prévenir, il n'existait plus de descendant mâle, naturel et légitime dudit prince Joachim, notre beau-frère, les duchés de Clèves et de Berg passeront avec tous droits, titres et prérogatives, à nos descendans mâles, naturels et légitimes, et s'il n'en existe plus, aux descendans de notre frère le prince Joseph, et à défaut d'eux, aux descendans de notre frère le prince Louis, sans que dans aucun cas lesdits duchés de Clèves et de Berg puissent être réunis à notre couronne impériale.
Comme nous avons été particulièrement déterminés au choix que nous avons fait de la personne du prince Joachim, notre beau-frère, parce que nous connaissons ses qualités distinguées, et que nous étions assuré des avantages qui doivent en résulter pour les habitans des duchés de Berg et de Clèves, nous avons la ferme confiance qu'ils se montreront dignes de la grâce de leur nouveau prince, en continuant de jouir de la bonne réputation acquise sous leur ancien prince, par leur fidélité et attachement, et qu'ils mériteront par là notre grâce et notre protection impériale.
NAPOLÉON.
Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.
Message au sénat conservateur
Sénateurs,
«Nous avons chargé notre cousin, l'archi-chancelier de l'empire, de vous donner connaissance, pour être transcrits sur vos registres: 1°. Des statuts qu'en vertu de l'article 14 de l'acte des constitutions de l'empire, en date du 28 floréal an 12, nous avons jugé convenable d'adopter: ils forment la loi de notre famille impériale. 2°. De la disposition que nous avons faite du royaume de Naples et de Sicile, des duchés de Berg et de Clèves, du duché de Guastalla et de la principauté de Neufchâtel, que différentes transactions politiques ont mis entre nos mains. 3°. De l'accroissement de territoire que nous avons trouvé à propos de donner, tant à notre royaume d'Italie, en y incorporant tous les états vénitiens, qu'à la principauté de Lucques.
«Nous avons jugé, dans ces circonstances, devoir imposer plusieurs obligations, et faire supporter plusieurs charges à notre couronne d'Italie, au roi de Naples et au prince de Lucques. Nous avons ainsi trouvé moyen de concilier les intérêts et la dignité de notre trône, et le sentiment de notre reconnaissance pour les services qui nous ont été rendus dans la carrière civile et dans la carrière militaire. Quelle que soit la puissance à laquelle la divine Providence et l'amour de nos peuples nous aient élevé, elle est insuffisante pour récompenser tant de braves, et pour reconnaître les nombreux témoignages de fidélité et d'amour qu'ils ont donnés à notre personne. Vous remarquerez dans plusieurs des dispositions qui vous seront communiquées, que nous ne nous sommes pas uniquement abandonné aux sentimens affectueux dont nous étions pénétré, et au bonheur de faire du bien à ceux qui nous ont si bien servi: nous avons été principalement guidé par la grande pensée de consolider l'ordre social et notre trône qui en est le fondement et la base, et de donner des centres de correspondance et d'appui à ce grand empire; elle se rattache à nos pensées les plus chères, à celle à laquelle nous avons dévoué notre vie entière, la grandeur et la prospérité de nos peuples.»
NAPOLÉON.
Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.
Préambule de l'acte constitutif de la famille impériale
Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions de l'état, empereur des Français et roi d'Italie, à tous présens et à venir, salut:
L'article 14 de l'acte des constitutions du 28 floréal an 12, porte que nous établirons par des statuts auxquels nos successeurs seront tenus de se conformer, les devoirs des individus de tout sexe, membres de la maison impériale, envers l'empereur. Pour nous acquitter de cette importante obligation, nous avons considéré dans son objet et dans ses conséquences la disposition dont il s'agit, et nous avons pesé les principes sur lesquels doit reposer le statut constitutionnel qui formera la loi de notre famille. L'état des princes appelés à régner sur ce vaste empire et à le fortifier par des alliances, ne saurait être absolument le même que celui des autres Français. Leur naissance, leur mariage, leur décès, les adoptions qu'ils pourraient faire, intéressent la nation toute entière, et influent plus ou moins sur ses destinées; comme tout ce qui concerne l'existence sociale de ces principes appartient plus au droit politique qu'au droit civil, les dispositions de celui-ci ne peuvent leur être appliquées qu'avec les modifications déterminées par la raison d'état; et si cette raison d'état leur impose des obligations dont les simples citoyens sont affranchis, ils doivent les considérer comme une conséquence nécessaire de cette haute dignité à laquelle ils sont élevés, et qui les dévoue sans réserve aux grands intérêts de la patrie et à la gloire de notre maison. Des actes aussi importans que ceux qui constatent l'état civil de la maison impériale, doivent être reçus dans les formes les plus solennelles; la dignité du trône l'exige, et il faut d'ailleurs rendre toute surprise impossible.
En conséquence, nous avons jugé convenable de confier à notre cousin l'archi-chancelier de l'empire, le droit de remplir exclusivement, par rapport à nous et aux princes et princesses de notre maison, les fonctions attribuées par les lois aux officiers de l'état civil. Nous avons aussi commis à l'archi-chancelier le soin de recevoir le testament de l'empereur et le statut qui fixera le douaire de l'impératrice. Ces actes, ainsi que ceux de l'état civil, tiennent de si près à la maison impériale et à l'ordre politique, qu'il est impossible de leur appliquer exclusivement les formes ordinairement employées pour les contrats et pour les dispositions de dernière volonté.
Après avoir réglé l'état des princes et princesses de notre sang, notre sollicitude devait se porter sur l'éducation de leurs enfans; rien de plus important que d'écarter d'eux, de bonne heure, les flatteurs qui tenteraient de les corrompre; les ambitieux qui, par des complaisances coupables, pourraient capter leur confiance, et préparer à la nation des souverains faibles, sous le nom desquels ils se promettraient un jour de régner. Le choix des personnes chargées de l'éducation des enfans des princes et princesses de la maison impériale doit donc être réservé à l'empereur. Nous avons ensuite considéré les princes et princesses dans les actions communes de la vie. Trop souvent la conduite des princes a troublé le repos des peuples, et produit des déchiremens dans l'état. Nous devons armer les empereurs qui régneront après nous, de tout le pouvoir nécessaire pour prévenir ces malheurs dans leur cause éloignée, pour les arrêter dans leurs progrès, pour les étouffer lorsqu'ils éclatent. Nous avons aussi pensé que les princes de l'empire, titulaires des grandes dignités, étant appelés par leurs éminentes prérogatives à servir d'exemple au reste de nos sujets, leur conduite devait, à plusieurs égards, être l'objet de notre particulière sollicitude. Tant de précautions seraient sans doute inutiles, si les souverains qui sont destinés à s'asseoir un jour sur le trône impérial, avaient, comme nous, l'avantage de ne voir autour d'eux que des parens dévoués à leur service et au bonheur des peuples, que des grands, distingués par un attachement inviolable à leur personne; mais notre prévoyance doit se porter sur d'autres temps, et notre amour pour la patrie nous presse d'assurer, s'il se peut, aux Français, pour une longue suite de siècles, l'état de gloire et de prospérité où, avec l'aide de Dieu, nous sommes parvenu à les placer.
A ces causes, nous avons décrété et décrétons le présent statut, auquel, en exécution de l'article 14 de l'acte des constitutions de l'empire, du 28 floréal an 12, nos successeurs seront tenus de se conformer.
NAPOLÉON.
Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.
Acte impérial
Les intérêts de notre peuple, l'honneur de notre couronne, et la tranquillité du continent de l'Europe, voulant que nous assurions d'une manière stable et définitive le sort des peuples de Naples et de Sicile tombés en notre pouvoir par le droit de conquête, et faisant d'ailleurs partie du grand empire, nous avons déclaré et déclarons par les présentes, reconnaître pour roi de Naples et de Sicile, notre frère bien aimé Joseph Napoléon, grand-électeur de France. Cette couronne sera héréditaire par ordre de primogéniture dans sa descendance masculine, légitime et naturelle. Venant à s'éteindre, ce que Dieu ne veuille, sa dite descendance, nous prétendons y appeler nos enfans mâles, légitimes et naturels, par ordre de primogéniture, et à défaut de nos enfans mâles, légitimes et naturels, ceux de notre frère Louis et de sa descendance masculine, légitime et naturelle, par ordre de primogéniture; nous réservant, si notre frère Joseph Napoléon venait à mourir de notre vivant, sans laisser d'enfans mâles, légitimes et naturels, le droit de désigner, pour succéder à ladite couronne, un prince de notre maison, ou même d'y appeler un enfant adoptif, selon que nous le jugerons convenable pour l'intérêt de nos peuples et pour l'avantage du grand système que la divine Providence nous a destiné à fonder.
Nous instituons dans ledit royaume de Naples et de Sicile six grands fiefs de l'empire, avec le titre de duché et les mêmes avantages et prérogatives que ceux qui sont institués dans les provinces vénitiennes réunies à notre couronne d'Italie, pour être, lesdits duchés, grands fiefs de l'empire, à perpétuité, et le cas échéant, à notre nomination et à celle de nos successeurs. Tous les détails de la formation desdits fiefs sont remis aux soins de notre dit frère Joseph Napoléon.
Nous nous réservons sur ledit royaume de Naples et de Sicile, la disposition d'un million de rentes pour être distribué aux généraux, officiers et soldats de notre armée qui ont rendu le plus de services à la patrie et au trône, et que nous désignerons à cet effet, sous la condition expresse de ne pouvoir, lesdits généraux, officiers ou soldats, avant l'expiration de dix années, vendre ou aliéner lesdites rentes qu'avec notre autorisation.
Le roi de Naples sera à perpétuité grand dignitaire de l'empire, sous le titre de grand-électeur; nous réservant toutefois, lorsque nous le jugerons convenable, de créer la dignité de prince vice-grand-électeur.
Nous entendons que la couronne de Naples et de Sicile, que nous plaçons sur la tête de notre frère Joseph Napoléon et de ses descendans, ne porte atteinte en aucune manière que ce soit à leurs droits de succession au trône de France. Mais il est également dans notre volonté que les couronnes, soit de France, soit d'Italie, soit de Naples et de Sicile, ne puissent jamais être réunies sur la même tête.
NAPOLÉON.
Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.
Acte impérial
Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, empereur des Français et roi d'Italie, à tous présens et à venir, salut:
La principauté de Guastalla étant à notre disposition, nous en avons disposé, comme nous en disposons par les présentes, en faveur de la princesse Pauline, notre bien-aimée soeur, pour en jouir, en toute propriété et souveraineté, sous le titre de princesse et duchesse de Guastalla.
Nous entendons que le prince Borghèse, son époux, porte le titre de prince et duc de Guastalla; que cette principauté soit transmise, par ordre de primogéniture, à la descendance masculine, légitime et naturelle de notre soeur Pauline; et, à défaut de ladite descendance masculine, légitime et naturelle, nous nous réservons de disposer de la principauté de Guastalla, à notre choix, et ainsi que nous le jugerons convenable pour le bien de nos peuples, et pour l'intérêt de notre couronne.
Nous entendons toutefois que le cas arrivant où ledit prince Borghèse survivrait à son épouse, notre soeur, la princesse Pauline, il ne cesse pas de jouir personnellement et sa vie durant, de ladite principauté.
NAPOLÉON.
Au palais des Tuileries, le 30 mars 1806.
Acte impérial
Voulant donner à notre cousin le maréchal Berthier, notre grand-veneur et notre ministre de la guerre, un témoignage de notre bienveillance pour l'attachement qu'il nous a montré, et la fidélité et le talent avec lesquels il nous a constamment servi, nous avons résolu de lui transférer, comme en effet, nous lui transférons par les présentes, la principauté de Neufchâtel avec le titre de prince et duc de Neufchâtel, pour la posséder en toute propriété et souveraineté, telle qu'elle nous a été cédée par S.M. le roi de Prusse. Nous entendons qu'il transmettra ladite principauté à ses enfans mâles, légitimes et naturels, par ordre de primogéniture, nous réservant, si sa descendance masculine légitime et naturelle venait à s'éteindre, ce que Dieu ne veuille, de transmettre ladite principauté aux mêmes titres et charges, à notre choix, et ainsi que nous le croirons convenable pour le bien de nos peuples et l'intérêt de notre couronne. Notre cousin le maréchal Berthier prêtera en nos mains, et en sa dite qualité de prince et duc de Neufchâtel, le serment de nous servir en bon et loyal sujet. Le même serment sera prêté à chaque vacance par ses successeurs. Nous ne doutons pas qu'ils n'héritent de ses sentimens pour nous, et qu'ils nous portent, ainsi qu'à nos descendans, le même attachement et la même fidélité. Nos peuples de Neufchâtel mériteront, par leur obéissance envers leur nouveau souverain, la protection spéciale qu'il est dans notre intention de leur accorder constamment.
NAPOLÉON.
Paris, le 21 avril 1806.
Copie d'une note remise par Napoléon, lui-même, à M. Talleyrand, ministre des relations extérieures
Faire un nouvel état au nord de l'Allemagne, qui soit dans les intérêts de la France; qui garantisse la Hollande et la Flandre contre la Prusse, et l'Europe contre la Russie.
Le noyau serait le duché de Berg, le duché de Clèves, Hesse-Darmstadt, etc., etc.: chercher, en outre, dans les entours tout ce qui pourrait y être incorporé, pour pouvoir former un million ou douze cent mille âmes.
Y joindre, si l'on veut, le Hanovre.
Y joindre, dans la perspective, Hambourg, Bremen, Lubeck.
Donner la statistique de ce nouvel état.
Cela fait, considérer l'Allemagne comme divisée en huit états: Bavière, Bade, Wurtemberg, et le nouvel état; ces quatre, dans les intérêts de la France.
L'Autriche, la Prusse, la Saxe, Hesse-Cassel, dans les quatre autres.
D'après cette division, supposez qu'on détruise la constitution germanique, et qu'on annule, au profit des huit grands états, les petites souverainetés, il faut faire un calcul statistique pour savoir si les quatre états qui sont dans les intérêts de la France perdront ou gagneront plus à cette destruction, que les quatre états qui n'y sont pas.
Un rapport sur ces deux objets, dimanche matin.
NAPOLÉON.
Nota. Le dimanche était le 23 d'avril.
Paris, le 5 juin 1806.
Réponse de l'empereur à un discours de l'ambassadeur de la Porte-Ottomane
Monsieur l'ambassadeur, votre mission m'est agréable. Les assurances que vous me donnez des sentimens du sultan Sélim, votre maître, vont à mon coeur. Un des plus grands, des plus précieux avantages que je veux retirer des succès qu'ont obtenus mes armes, c'est de soutenir et d'aider le plus utile comme le plus ancien de mes alliés. Je me plais à vous en donner publiquement et solennellement l'assurance. Tout ce qui arrivera d'heureux ou de malheureux aux Ottomans, sera heureux ou malheureux pour la France. Monsieur l'ambassadeur, transmettez ces paroles au sultan Sélim; qu'il s'en souvienne toutes les fois que mes ennemis, qui sont aussi les siens, voudront arriver jusqu'à lui. Il ne peut jamais rien avoir à craindre de moi; uni avec moi, il n'aura jamais à redouter la puissance d'aucun de ses ennemis.
Paris, le 5 juin 1806.
Réponse de l'empereur à une députation du corps législatif hollandais
Messieurs les représentans du peuple batave,
J'ai toujours regardé comme le premier intérêt de ma couronne de protéger votre patrie. Toutes les fois que j'ai dû intervenir dans vos affaires intérieures, j'ai d'abord été frappé des inconvéniens attachés à la forme incertaine de votre gouvernement. Gouvernés par une assemblée populaire, elle eût été influencée par les intrigues, et agitée par les puissances voisines. Gouvernés par une magistrature élective, tous les renouvellemens de cette magistrature eussent été des momens de crise pour l'Europe, et le signal de nouvelles guerres maritimes. Tous ces inconvéniens ne pouvaient être parés que par un gouvernement héréditaire. Je l'ai appelé dans votre patrie par mes conseils, lors de l'établissement de votre dernière constitution; et l'offre que vous faites de la couronne de Hollande au prince Louis, est conforme aux vrais intérêts de votre patrie, aux miens, et propre à assurer le repos général de l'Europe. La France a été assez généreuse pour renoncer à tous les droits que les événemens de la guerre lui avaient donnés sur vous; mais je ne pouvais confier les places fortes qui couvrent ma frontière du Nord à la garde d'une main infidèle, ou même douteuse.
Messieurs les représentans du peuple batave, j'adhère au voeu de LL.HH.PP. Je proclame roi de Hollande le prince Louis. Vous, prince, régnez sur ces peuples; leurs pères n'acquirent leur indépendance que par les secours constans de la France. Depuis, la Hollande fut l'alliée de l'Angleterre; elle fut conquise; elle dut encore à la France son existence. Qu'elle vous doive donc des rois qui protègent ses libertés, ses lois et sa religion. Mais ne cessez jamais d'être Français. La dignité de connétable de l'empire sera possédée par vous et vos descendans: elle vous retracera les devoirs que vous avez à remplir envers moi, et l'importance que j'attache à la garde des places fortes qui garantissent le nord de mes états, et que je vous confie. Prince, entretenez parmi vos troupes cet esprit que je leur ai vu sur les champs de bataille. Entretenez dans vos nouveaux sujets des sentimens d'union et d'amour pour la France. Soyez l'effroi des méchans et le père des bons: c'est le caractère des grands rois.
NAPOLÉON.
Au palais de Saint-Cloud, le 5 juin 1806.
Message au sénat conservateur
Sénateurs,
Nous chargeons notre cousin l'archichancelier de l'empire de vous faire connaître, qu'adhérant au voeu de leurs hautes puissances, nous avons proclamé le prince Louis Napoléon, notre bien aimé frère, roi de Hollande, pour ladite couronne être héréditaire en toute souveraineté, par ordre de primogéniture, dans sa descendance naturelle, légitime et masculine; notre intention étant en même temps que le roi de Hollande et ses descendans conservent la dignité de connétable de l'empire. Notre détermination dans cette circonstance nous a paru conforme aux intérêts de nos peuples. Sous le point de vue militaire, la Hollande possédant toutes les places fortes qui garantissent notre frontière du Nord, il importait à la sûreté de nos états que la garde en fût confiée à des personnes sur l'attachement desquelles nous ne pussions concevoir aucun doute. Sous le point de vue commercial, la Hollande étant située à l'embouchure des grandes rivières qui arrosent une partie considérable de notre territoire, il fallait que nous eussions la garantie que le traité de commerce que nous conclurons avec elle serait fidèlement exécuté, afin de concilier les intérêts de nos manufactures et de notre commerce avec ceux du commerce de ces peuples. Enfin, la Hollande est le premier intérêt politique de la France. Une magistrature élective aurait eu l'inconvénient de livrer fréquemment ce pays aux intrigues de nos ennemis, et chaque élection serait devenue le signal d'une guerre nouvelle.
Le prince Louis, n'étant animé d'aucune ambition personnelle, nous a donné une preuve de l'amour qu'il nous porte, et de son estime pour les peuples de Hollande, en acceptant un trône qui lui impose de si grandes obligations.
L'archichancelier de l'empire d'Allemagne, électeur de Ratisbonne et primat de Germanie, nous ayant fait connaître que son intention était de se donner un coadjuteur, et que, d'accord avec ses ministres et les principaux membres de son chapitre, il avait pensé qu'il était du bien de la religion et de l'empire germanique qu'il nommât à cette place notre oncle et cousin le cardinal Fesch, notre grand aumônier et archevêque de Lyon, nous avons accepté ladite nomination au nom dudit cardinal. Si cette détermination de l'électeur archichancelier de l'empire germanique est utile à l'Allemagne, elle n'est pas moins conforme à la politique de la France.
Ainsi, le service de la patrie appelle loin de nous nos frères et nos enfans; mais le bonheur et les prospérités de nos peuples composent aussi nos plus chères affections.
NAPOLÉON.
Au palais de Saint-Cloud, le 5 juin 1806.
Message au sénat conservateur
Sénateurs, les duchés de Bénévent et de Ponte-Corvo étaient un sujet de litige entre le roi de Naples et la cour de Rome: nous avons jugé convenable de mettre un terme à ces difficultés, en érigeant ces duchés en fiefs immédiats de notre empire. Nous avons saisi cette occasion de récompenser les services qui nous ont été rendus par notre grand chambellan et ministre des relations extérieures, Talleyrand, et par notre cousin le maréchal de l'empire, Bernadotte. Nous n'entendons pas cependant, par ces dispositions, porter aucune atteinte aux droits du roi de Naples et de la cour de Rome, notre intention étant de les indemniser l'un et l'autre. Par cette mesure, ces deux gouvernemens, sans éprouver aucune perte, verront disparaître les causes de mésintelligence qui, en différens temps, ont compromis leur tranquillité, et qui, encore aujourd'hui, sont un sujet d'inquiétude pour l'un et pour l'autre de ces états, et surtout pour le royaume de Naples, dans le territoire duquel ces deux principautés se trouvent enclavées.
NAPOLÉON.
Au palais de Saint-Cloud, le 5 juin 1806.
Acte impérial
Voulant donner à notre grand-chambellan et ministre des relations extérieures, Talleyrand, un témoignage de notre bienveillance pour les services qu'il a rendus à notre couronne, nous avons résolu de lui transférer, comme en effet nous lui transférons par les présentes la principauté de Bénévent, avec le titre de prince et duc de Bénévent, pour la posséder en toute propriété et souveraineté, et comme fief immédiat de notre couronne.
Nous entendons qu'il transmettra ladite principauté à ses enfans mâles, légitimes et naturels, par ordre de primogéniture, nous réservant, si sa descendance masculine, naturelle et légitime venait à s'éteindre, ce que Dieu ne veuille, de transmettre ladite principauté, aux mêmes titres et charges, à notre choix et ainsi que nous le croirons convenable pour le bien de nos peuples et l'intérêt de notre couronne.
Notre grand chambellan et ministre des relations extérieures, Talleyrand, prêtera en nos mains, et en sa dite qualité de prince et duc de Bénévent, le serment de nous servir en bon et loyal sujet. Le même serment sera prêté à chaque vacance par ses successeurs.
NAPOLÉON.
Au palais de Saint-Cloud, le 11 septembre 1806.
A.S.A.E. le prince primat
Mon frère!
Les formes de nos communications en ma qualité de protecteur, avec les souverains réunis en congrès à Francfort, n'étant pas encore terminées, nous avons pensé qu'il n'en était aucune qui fût plus convenable que d'adresser la présente à votre A. Em., afin qu'elle en fasse part aux deux collèges. En effet, quel organe pouvions-nous plus naturellement choisir, que celui d'un prince à la sagesse duquel a été confié le soin de préparer le premier statut fondamental? Nous aurions attendu que ce statut eût été arrêté par le congrès, et nous eût été donné en communication, s'il ne devait pas contenir des dispositions qui nous regardent personnellement. Cela seul a dû nous porter à prendre nous-même l'initiative pour soumettre nos sentimens et nos réflexions à la sagesse des princes confédérés.
Lorsque nous avons accepté le titre de protecteur de la confédération du Rhin, nous n'avons eu en vue que d'établir en droit ce qui existait de fait depuis plusieurs siècles. En l'acceptant, nous avons contracté la double obligation de garantir le territoire de la confédération contre les troupes étrangères et le territoire de chaque confédéré contre les entreprises des autres. Ces observations, toutes conservatrices, plaisent à notre coeur; elles sont conformes à ces sentimens de bienveillance et d'amitié dont nous n'avons cessé, dans toutes les circonstances, de donner des preuves aux membres de la confédération. Mais là se bornent nos devoirs envers eux. Nous n'entendons en rien nous arroger la portion de souveraineté qu'exerçait l'empereur d'Allemagne comme suzerain. Le gouvernement des peuples que la providence nous a confié, occupant tous nos momens, nous ne saurions voir croître nos obligations sans en être alarmé. Comme nous ne voulons pas qu'on puisse nous attribuer le bien que les souverains font dans leurs états, nous ne voulons pas non plus qu'on nous impute les maux que la vicissitude des choses humaines peut y introduire. Les affaires intérieures de chaque état ne nous regardent pas. Les princes de la confédération du Rhin sont les souverains qui n'ont point de suzerain. Nous les avons reconnus comme tels. Les discussions qu'ils pourraient avoir avec leurs sujets, ne peuvent donc être portées à un tribunal étranger? La diète est le tribunal politique, conservateur de la paix entre les différens souverains qui composent la confédération. Ayant reconnu tous les autres princes qui formaient le corps germanique, comme souverains indépendans, nous ne pouvons reconnaître qui que ce soit comme leur suzerain. Ce ne sont point des rapports de suzeraineté qui nous lient à la confédération, mais des rapports de simple protection. Plus puissant que les princes confédérés, nous voulons jouir de la supériorité de notre puissance, non pour restreindre leurs droits de suzeraineté, mais pour leur en garantir la plénitude.
Sur ce, nous prions Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
NAPOLÉON.
Au palais de Saint-Cloud, le 21 septembre 1806.
A.S.M. le roi de Bavière
Monsieur mon frère!
Il y a plus d'un mois que la Prusse arme, et il est connu de tout le monde qu'elle arme contre la France et contre la confédération du Rhin. Nous cherchons les motifs sans pouvoir les pénétrer. Les lettres que S. M. prussienne nous écrit sont amicales; son ministre des affaires étrangères a notifié, à notre envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire, qu'elle reconnaissait la confédération du Rhin, et qu'elle n'avait rien à objecter contre les arrangemens faits dans le midi de l'Allemagne.
Les armemens de la Prusse sont-ils le résultat d'une coalition avec la Russie, ou seulement des intrigues des différens partis qui existent à Berlin, et de l'irréflexion, du cabinet? Ont-ils pour objet de forcer la Hesse, la Saxe et les villes anséatiques à contracter des liens que ces deux dernières puissances paraissent ne pas vouloir former? La Prusse voudrait-elle nous obliger nous-même à nous départir de la déclaration que nous avons faite, que les villes anséatiques ne pourront entrer dans aucune confédération particulière; déclaration fondée sur l'intérêt du commerce de la France et du midi de l'Allemagne, et sur ce que l'Angleterre nous a fait connaître que tout changement dans la situation présente des villes anséatiques, serait un obstacle de plus à la paix générale? Nous avons aussi déclaré que les princes de la confédération germanique, qui n'étaient point compris dans la confédération du Rhin, devaient être maîtres de ne consulter que leurs intérêts et leurs convenances, qu'ils devaient se regarder comme parfaitement libres, que nous ne ferions rien pour qu'ils entrassent dans la confédération du Rhin, mais que nous ne souffririons pas que qui que ce fût les forçât de faire ce qui serait contraire à leur volonté, à leur politique, aux intérêts de leurs peuples. Cette déclaration si juste aurait-elle blessé le cabinet de Berlin, et voudrait-il nous obliger à la rétracter! Entre tous ces motifs, quel peut être le véritable? Nous ne saurions le deviner, et l'avenir seul pourra révéler le secret d'une conduite aussi étrange qu'elle était inattendue. Nous avons été un mois sans y faire attention. Notre impassibilité n'a fait qu'enhardir tous les brouillons qui veulent précipiter la cour de Berlin dans la lutte la plus inconsidérée.
Toutefois, les armemens de la Prusse ont amené le cas prévu par l'un des articles du traité du 12 juillet, et nous croyons nécessaire que tous les souverains qui composent la confédération du Rhin, arment pour défendre ses intérêts, pour garantir son territoire et en maintenir l'inviolabilité. Au lieu de 200,000 hommes que la France est obligée de fournir, elle en fournira 300,000, et nous venons d'ordonner que les troupes nécessaires pour compléter ce nombre, soient transportées en poste sur le Bas-Rhin; les troupes de V. M. étant toujours restées sur le pied de guerre, nous invitons V. M. à ordonner qu'elles soient mises, sans délai, en état de marche avec leurs équipages de campagne, et de concourir à la défense de la cause commune, dont le succès, nous avons lieu de le croire, répondra à sa justice, si toutefois, contre nos désirs et contre nos espérances, la Prusse nous met dans la nécessité de repousser la force par la force.
Sur ce, nous prions Dieu, mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
NAPOLÉON.
Au quartier impérial de Bamberg, le 6 octobre 1806.
Proclamation à la grande armée
Soldats,
«L'ordre pour votre rentrée en France était parti; vous vous en étiez déjà rapprochés de plusieurs marches. Des fêtes triomphales vous attendaient, et les préparatifs pour vous recevoir étaient commencés dans la capitale.
«Mais, lorsque nous nous abandonnions à cette trop confiante sécurité, de nouvelles trames s'ourdissaient sous le masque de l'amitié et de l'alliance. Des cris de guerre se sont fait entendre à Berlin; depuis deux mois nous sommes provoqués tous les jours davantage.
«La même faction, le même esprit de vertige qui, à la faveur de nos dissensions intestines, conduisit, il y a quatorze ans, les Prussiens au milieu des plaines de la Champagne, domine dans leurs conseils. Si ce n'est plus Paris qu'ils veulent brûler et renverser jusque dans ses fondemens, c'est, aujourd'hui, leurs drapeaux qu'ils se vantent de planter dans les capitales de nos alliés; c'est la Saxe qu'ils veulent obliger à renoncer, par une transaction honteuse, à son indépendance, en la rangeant au nombre de leurs provinces; c'est enfin vos lauriers qu'ils veulent arracher de votre front. Ils veulent que nous évacuions l'Allemagne à l'aspect de leur armée! les insensés!!! Qu'ils sachent donc qu'il serait mille fois plus facile de détruire la grande capitale que de flétrir l'honneur des enfans du grand-peuple et de ses alliés. Leurs projets furent confondus alors; ils trouvèrent dans les plaines de la Champagne la défaite, la mort et la honte: mais les leçons de l'expérience s'effacent, et il est des hommes chez lesquels le sentiment de la haine et de la jalousie ne meurt jamais.
«Soldats, il n'est aucun de vous qui veuille retourner en France par un autre chemin que par celui de l'honneur. Nous ne devons y rentrer que sous des arcs de triomphe.
«Eh quoi! aurions-nous donc bravé les saisons, les mers, les déserts; vaincu l'Europe plusieurs fois coalisée contre nous; porté notre gloire de l'orient à l'occident, pour retourner aujourd'hui dans notre patrie comme des transfuges, après avoir abandonné nos alliés, et pour entendre dire que l'aigle française a fui épouvantée à l'aspect des armées prussiennes… Mais déjà ils sont arrivés sur nos avant-postes…
«Marchons donc, puisque la modération n'a pu les faire sortir de cette étonnante ivresse. Que l'armée prussienne éprouve le même sort qu'elle éprouva il y a quatorze ans! qu'ils apprennent que s'il est facile d'acquérir un accroissement de domaines et de puissance avec l'amitié du grand-peuple, son inimitié (qu'on ne peut provoquer que par l'abandon de tout esprit de sagesse et de raison) est plus terrible que les tempêtes de l'Océan.
NAPOLÉON.
Au quartier impérial de Bamberg, le 7 octobre 1806.
Au sénat conservateur
«Sénateurs,
«Nous avons quitté notre capitale, pour nous rendre au milieu de notre armée d'Allemagne, dès l'instant que nous avons su avec certitude qu'elle était menacée sur ses flancs par des mouvemens inopinés. A peine arrivé sur les frontières de nos états, nous avons eu lieu de reconnaître combien notre présence y était nécessaire, et de nous applaudir des mesures défensives que nous avons prises avant de quitter le centre de notre empire. Déjà les armées prussiennes, portées au grand complet de guerre, s'étaient ébranlées de toutes parts; elles avaient dépassé leurs frontières, la Saxe était envahie, et le sage prince qui gouverne était forcé d'agir contre sa volonté, contre l'intérêt de ses peuples. Les armées prussiennes étaient arrivées devant les cantonnemens de nos troupes. Des provocations de toutes espèces, et mêmes des voies de fait avaient signalé l'esprit de haine qui animait nos ennemis, et la modération de nos soldats, qui, tranquilles à l'aspect de tous ces mouvemens, étonnés seulement de ne recevoir aucun ordre, se reposaient dans la double confiance que donnent le courage et le bon droit. Notre premier devoir a été de passer le Rhin nous-même, de former nos camps, et de faire entendre le cri de guerre. Il a retenti au coeur de tous nos guerriers. Des marches combinées et rapides les ont portés en un clin-d'oeil au lieu que nous leur avons indiqué. Tous nos camps sont formés; nous allons marcher contre les armées prussiennes, et repousser la force par la force. Toutefois, nous osons le dire, notre coeur est péniblement affecté de cette prépondérance constante qu'obtient en Europe le génie du mal, occupé sans cesse à traverser les desseins que nous formons pour la tranquillité de l'Europe, le repos et le bonheur de la génération présente, assiégeant tous les cabinets par tous les genres de séductions, et égarant ceux qu'il n'a pu corrompre, les aveuglant sur leurs véritables intérêts, et les lançant au milieu des partis, sans autre guide que les passions qu'il a su inspirer. Le cabinet de Berlin lui-même n'a point choisi avec délibération le parti qu'il prend; il y a été jeté avec art et une malicieuse adresse. Le roi s'est trouvé tout-à-coup à cent lieues de sa capitale, aux frontières de la confédération du Rhin, au milieu de son armée et vis-à-vis des troupes françaises dispersées dans leurs cantonnemens, et qui croyaient devoir compter sur les liens qui unissaient les deux états, et sur les protestations prodiguées en toutes circonstances par la cour de Berlin. Dans une guerre aussi juste, où nous ne prenons les armes que pour nous défendre, que nous n'avons provoquée par aucun acte, par aucune prétention, et dont il nous serait impossible d'assigner la véritable cause, nous comptons entièrement sur l'appui des lois et sur celui des peuples, que les circonstances appellent à nous donner de nouvelles preuves de leur dévouement et de leur courage. De notre côté, aucun sacrifice personnel ne nous sera pénible, aucun danger ne nous arrêtera, toutes les fois qu'il s'agira d'assurer les droits, l'honneur et la prospérité de nos peuples.
«Donné en notre quartier-impérial de Bamberg, le 7 octobre 1806.
NAPOLÉON.
Bamberg, le 8 octobre 1806.
Premier bulletin de la grande armée
La paix avec la Russie, conclue et signée le 20 juillet, des négociations avec l'Angleterre, entamées et presque conduites à leur maturité, avaient porté l'alarme à Berlin. Les bruits vagues qui se multiplièrent, et la conscience des torts de ce cabinet envers toutes les puissances qu'il avait successivement trahis, le portèrent à ajouter croyance aux bruits répandus qu'un des articles secrets du traité conclu avec la Russie, donnait la Pologne au prince Constantin, avec le titre de roi; la Silésie à l'Autriche, en échange de la portion autrichienne de la Pologne, et le Hanovre à l'Angleterre. Il se persuada enfin que ces trois puissances étaient d'accord avec la France, et que de cet accord résultait un danger imminent pour la Prusse.
Les torts de la Prusse envers la France remontaient à des époques fort éloignées. La première, elle avait armé pour profiter de nos dissensions intestines. On la vit ensuite courir aux armes au moment de l'invasion du duc d'Yorck en Hollande; et, lors des événemens de la guerre, quoiqu'elle n'eût aucun motif de mécontentement contre la France, elle arma de nouveau, et signa, le 1er octobre 1805, ce fameux traité de Potsdam, qui fut, un mois après, remplacé par le traité de Vienne.
Elle avait des torts envers la Russie, qui ne peut oublier l'inexécution du traité de Potsdam et la conclusion subséquente du traité de Vienne.
Ses torts envers l'empereur d'Allemagne et le corps germanique, plus nombreux et plus anciens, ont été connus de tous les temps. Elle se tint toujours en opposition avec la diète. Quand le corps germanique était en guerre, elle était en paix avec ses ennemis. Jamais ses traités avec l'Autriche ne recevaient d'exécution, et sa constante étude était d'exciter les puissances au combat, afin de pouvoir, au moment de la paix, venir recueillir les fruits de son adresse et de leurs succès.
Ceux qui supposeraient que tant de versatilité tient à un défaut de moralité de la part du prince, seraient dans une grande erreur. Depuis quinze ans, la cour de Berlin est une arène où les partis se combattent et triomphent tour à tour; l'un veut la guerre, et l'autre veut la paix. Le moindre événement politique, le plus léger incident donne l'avantage à l'un ou à l'autre, et le roi, au milieu de ce mouvement des passions opposées, au sein de ce dédale d'intrigues, flotte incertain sans cesser un moment d'être honnête homme.
Le 11 août, un courrier de M. le marquis de Lucchesini arriva à Berlin, et y porta, dans les termes les plus positifs, l'assurance de ces prétendues dispositions par lesquelles la France et la Russie seraient convenues, par le traité du 20 juillet, de rétablir le royaume de Pologne, et d'enlever la Silésie à la Prusse. Les partisans de la guerre s'enflammèrent aussitôt; ils firent violence aux sentimens personnels du roi; quarante courriers partirent dans une seule nuit, et l'on courut aux armes.
La nouvelle de cette explosion soudaine parvint à Paris le 20 du même mois. On plaignit un allié si cruellement abusé; on lui donna sur-le-champ des explications, des assurances précises, et comme une erreur manifeste était le seul motif de ces armemens imprévus, on espéra que la réflexion calmerait une effervescence aussi peu motivée.
Cependant le traité signé à Paris, ne fut pas ratifié à Saint-Pétersbourg, et des renseignemens de toute espèce ne tardèrent pas à faire connaître à la Prusse, que M. le marquis de Lucchesini avait puisé ses renseignemens dans les réunions les plus suspectes de la capitale, et parmi les hommes d'intrigues qui composaient sa société habituelle. En conséquence il fut rappelé, on annonça pour lui succéder M. le baron de Knobelsdorff, homme d'un caractère plein de droiture et de franchise, et d'une moralité parfaite.
Cet envoyé extraordinaire arriva bientôt à Paris, porteur d'une lettre du roi de Prusse, datée du 23 août.
Cette lettre était remplie d'expressions obligeantes et de déclarations pacifiques, et l'empereur y répondit d'une manière franche et rassurante.
Le lendemain du jour où partit le courrier porteur de cette réponse, on apprit que des chansons outrageantes pour la France avaient été chantées sur le théâtre de Berlin; qu'aussitôt après le départ de M. de Knobelsdorff les armemens avaient redoublé, et que, quoique les hommes demeurés de sang-froid eussent rougi de ces fausses alarmes, le parti de la guerre soufflant la discorde de tous côtés, avait si bien exalté toutes les tètes que le roi se trouvait dans l'impuissance de résister au torrent.
On commença dès-lors à comprendre à Paris, que le parti de la paix ayant lui-même été alarmé par des assurances mensongères et des apparences trompeuses, avait perdu tous ses avantages, tandis que le parti de la guerre mettant à profit l'erreur dans laquelle ses adversaires s'étaient laissé entraîner, avait ajouté provocation à provocation, et accumulé insulte sur insulte, et que les choses étaient arrivées à un tel point, qu'on ne pourrait sortir de cette situation que par la guerre.
L'empereur vit alors que telle était la force des circonstances, qu'il ne pouvait éviter de prendre les armes contre son allié. Il ordonna ses préparatifs.
Tout marchait à Berlin avec une grande rapidité: les troupes prussiennes entrèrent en Saxe, arrivèrent sur les frontières de la confédération, et insultèrent les avant-postes.
Le 24 septembre, la garde impériale partit de Paris pour Bamberg, où elle est arrivée le 6 octobre. Les ordres furent expédiés pour l'armée, et tout se mit en mouvement.
Ce fut le 25 septembre que l'empereur quitta Paris; le 28 il était à Mayence, le 2 octobre à Wurtzbourg, et le 6 à Bamberg.
Le même jour, deux coups de carabine furent tirés par les hussards prussiens sur un officier de l'état-major français. Les deux armées pouvaient se considérer comme en présence.
Le 7, S. M. l'empereur reçut un courrier de Mayence, dépêché par le prince de Bénévent, qui était porteur de deux dépêches importantes: l'une était une lettre du roi de Prusse, d'une vingtaine de pages, qui n'était réellement qu'un mauvais pamphlet contre la France, dans le genre de ceux que le cabinet anglais fait faire par ses écrivains à cinq cents livres sterling par an. L'Empereur n'en acheva point la lecture, et dit aux personnes qui l'entouraient: «Je plains mon frère le roi de Prusse, il n'entend pas le français, il n'a sûrement pas lu cette rapsodie.» A cette lettre était jointe la célèbre note de M. Knobelsdorff. «Maréchal, dit l'Empereur au maréchal Berthier, on nous donne un rendez-vous d'honneur pour le 8; jamais un Français n'y a manqué; mais comme on dit qu'il y a une belle reine qui veut être témoin des combats, soyons courtois, et marchons, sans nous coucher, pour la Saxe.» L'empereur avait raison de parler ainsi, car la reine de Prusse est à l'armée, habillée en amazone, portant l'uniforme de son régiment de dragons, écrivant vingt lettres par jour pour exciter de toute part l'incendie. Il semble voir Armide dans son égarement, mettant le feu à son propre palais; après elle le prince Louis de Prusse, jeune prince plein de bravoure et de courage, excité par le parti, croit trouver une grande renommée dans les vicissitudes de la guerre. A l'exemple de ces deux grands personnages, toute la cour crie à la guerre; mais quand la guerre se sera présentée, avec toutes ses horreurs, tout le monde s'excusera d'avoir été coupable, et d'avoir attiré la foudre sur les provinces paisibles du Nord; alors par une suite naturelle des inconséquences des gens de cour, ou verra les auteurs de la guerre, non seulement la trouver insensée, s'excuser de l'avoir provoquée, et dire qu'ils la voulaient, mais dans un autre temps; mais même en faire retomber le blâme sur le roi, honnête homme, qu'ils ont rendu la dupe de leurs intrigues et de leurs artifices.
Voici la disposition de l'armée française:
L'armée doit se mettre en marche par trois débouchés.
La droite, composée des corps des maréchaux Soult et Ney et d'une division des Bavarois, part d'Amberg et de Nuremberg, se réunit à Bayreuth, et doit se porter sur Hoff, où elle arrivera le 9.
Le centre, composé de la réserve du grand-duc de Berg, du corps du maréchal prince de Ponte-Corvo et du maréchal Davoust, et de la garde impériale, débouche par Bamberg sur Cronach, arrivera le 8 à Saalbourg, et de là se portera par Saalbourg et Schleitz sur Géra.
La gauche, composée des corps des maréchaux Lannes et Augereau, doit se porter de Schwenfurth sur Cobourg, Graffental et Saalfed.
De mon camp impérial de Géra, le 12 octobre 1806.
Au roi de Prusse
«Monsieur mon frère,
Je n'ai reçu que le 7 la lettre de V. M., du 25 septembre. Je suis fâché qu'on lui ait fait signer cette espèce de pamphlet3. Je ne lui réponds que pour lui protester que jamais je n'attribuerai à elle les choses qui y sont contenues; toutes sont contraires à son caractère et à l'honneur de tous deux. Je plains et dédaigne les rédacteurs d'un pareil ouvrage. J'ai reçu immédiatement après la note de son ministre, du 1er octobre. Elle m'a donné rendez-vous le 8: en bon chevalier, je lui ai tenu parole; je suis au milieu de la Saxe. Qu'elle m'en croie, j'ai des forces telles que toutes ses forces ne peuvent balancer longtemps la victoire. Mais pourquoi répandre tant de sang? A quel but? Je tiendrai à V. M. le même langage que j'ai tenu à l'empereur Alexandre deux jours avant la bataille d'Austerlitz. Fasse le ciel que des hommes vendus ou fanatisés, plus les ennemis d'elle et de son règne, qu'ils ne sont les miens et de ma nation, ne lui donnent pas les mêmes conseils pour la faire arriver au même résultat!
«Sire, j'ai été ami de V. M. depuis six ans. Je ne veux point profiter de cette espèce de vertige qui anime ses conseils, et qui lui ont fait commettre des erreurs politiques dont l'Europe est encore tout étonnée, et des erreurs militaires de l'énormité desquelles l'Europe ne tardera pas à retentir. Si elle m'eût demandé des choses possibles, par sa note, je les lui eusse accordées; elle a demandé mon déshonneur, elle devait être certaine de ma réponse. La guerre est donc faite entre nous, l'alliance rompue pour jamais. Mais pourquoi faire égorger nos sujets? Je ne prise point une victoire qui sera achetée par la vie d'un bon nombre de mes enfans. Si j'étais à mon début dans la carrière militaire, et si je pouvais craindre les hasards des combats, ce langage serait tout à fait déplacé. Sire, votre majesté sera vaincue; elle aura compromis le repos de ses jours, l'existence de ses sujets sans l'ombre d'un prétexte. Elle est aujourd'hui intacte, et peut traiter avec moi d'une manière conforme à son rang; elle traitera avant un mois dans une situation différente. Elle s'est laissé aller à des irritations qu'on a calculées et préparées avec art; elle m'a dit qu'elle m'avait souvent rendu des services; eh bien! je veux lui donner la plus grande preuve du souvenir que j'en ai; elle est maîtresse de sauver à ses sujets les ravages et les malheurs de la guerre; à peine commencée, elle peut la terminer, et elle fera une chose dont l'Europe lui saura gré. Si elle écoute les furibonds qui, il y a quatorze ans, voulaient prendre Paris, et qui aujourd'hui l'ont embarquée dans une guerre, et immédiatement après dans des plans offensifs également inconcevables, elle fera à son peuple un mal que le reste de sa vie ne pourra guérir. Sire, je n'ai rien à gagner contre V. M.; je ne veux rien et n'ai rien voulu d'elle; la guerre actuelle est une guerre impolitique. Je sens que peut-être j'irrite dans cette lettre une certaine susceptibilité naturelle à tout souverain; mais les circonstances ne demandent aucun ménagement; je lui dis les choses comme je les pense; et d'ailleurs, que V. M. me permette de le lui dire, ce n'est pas pour l'Europe une grande découverte que d'apprendre que la Francs est du triple plus populeuse et aussi brave et aguerrie que les États de V. M. Je ne lui ai donné aucun sujet réel de guerre. Qu'elle ordonne à cet essaim de malveillans et d'inconsidérés de se taire à l'aspect de son trône dans le respect qui lui est dû; et qu'elle rende la tranquillité à elle et à ses États. Si elle ne retrouve plus jamais en moi un allié, elle retrouvera un homme désireux de ne faire que des guerres indispensables à la politique de mes peuples, et de ne point répandre le sang dans une lutte avec des souverains qui n'ont avec moi aucune opposition d'industrie, de commerce et de politique. Je prie V. M. de ne voir dans cette lettre que le désir que j'ai d'épargner le sang des hommes, et d'éviter à une nation qui, géographiquement, ne saurait être ennemie de la mienne, l'amer repentir d'avoir trop écouté des sentimens éphémères qui s'excitent et se calment avec tant de facilité parmi les peuples. «Sur ce, je prie Dieu, monsieur mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
«De votre majesté, le bon frère,
NAPOLÉON.
Auma, le 13 octobre 1806.
Deuxième bulletin de la grande armée
L'empereur est parti de Bamberg le 8 octobre, à trois heures du matin, et est arrivé à neuf heures à Cronach. Sa majesté a traversé la forêt de Franconie à la pointe du jour du 9, pour se rendre a Ebersdorff, et de là elle s'est portée sur Schleitz, où elle a assisté au premier combat de la campagne. Elle est revenue coucher à Ebersdorff, en est repartie le 10 pour Schleitz, et est arrivée le 11 à Auma, où elle a couché après avoir passé la journée à Gera. Le quartier-général part dans l'instant même pour Gera. Tous les ordres de l'empereur ont été parfaitement exécutés.
Le maréchal Soult se portait le 7 à Bayreuth, se présentait le 9 à Hoff, a enlevé tous les magasins de l'ennemi, lui a fait plusieurs prisonniers, et s'est porté sur Planen le 10.
Le maréchal Ney a suivi son mouvement à une demi-journée de distance.
Le 8, le grand duc de Berg a débouché avec la cavalerie légère, de Cronach, et s'est porté devant Saalbourg, ayant avec lui le vingt-cinquième régiment d'infanterie légère. Un régiment prussien voulut défendre le passage de la Saale; après une canonnade d'une demi-heure, menacé d'être tourné, il a abandonné apposition et la Saale.
Le 9, le grand duc de Berg se porta sur Schleitz; un général prussien y était avec dix mille hommes. L'empereur y arriva à midi, et chargea le maréchal prince de Ponte-Corvo d'attaquer et d'enlever le village, voulant l'avoir avant la fin du jour. Le maréchal fit ses dispositions, se mit à la tête de ses colonnes; le village fut enlevé et l'ennemi poursuivi. Sans la nuit, la plus grande partie de cette division eût été prise. Le général Walter, avec le quatrième régiment de hussards et le cinquième régiment de chasseurs, fit une belle charge de cavalerie contre trois régimens prussiens; quatre compagnies du vingt-septième d'infanterie légère se trouvant en plaine, furent chargées par les hussards prussiens; mais ceux-ci virent comme l'infanterie française reçoit la cavalerie prussienne. Deux cents cavaliers prussiens restèrent sur le champ de bataille. Le général Maisons commandait l'infanterie légère. Un colonel ennemi fut tué, deux pièces de canon prises, trois cents hommes furent faits prisonniers, et quatre cents tués. Notre perte a été de peu d'hommes; l'infanterie prussienne a jeté ses armes, et a fui, épouvantée, devant les baïonnettes françaises. Le grand-duc de Berg était au milieu des charges, le sabre à la main.
Le 10, le prince de Ponte-Corvo a porté son quartier-général à Auma; le 11, le grand-duc de Berg est arrivé à Gera. Le général de brigade Lasalle, de la cavalerie de réserve, a culbuté l'escorte des bagages ennemis; cinq cents caissons et voitures de bagage ont été pris par les hussards français. Notre cavalerie légère est couverte d'or. Les équipages de pont et plusieurs objets importans font partie du convoi.
La gauche a eu des succès égaux. Le maréchal Lannes est entré à Cobourg le 8, se portait le 9 sur Graffenthal. Il a attaqué, le 10, à Saalfeld, l'avant-garde du prince Hohenlohe, qui était commandée par le prince Louis de Prusse, un des champions de la guerre. La canonnade n'a duré que deux heures; la moitié de la division du général Suchet a seule donné. La cavalerie prussienne a été culbutée par les neuvième et dixième régimens d'hussards; l'infanterie prussienne n'a pu conserver aucun ordre de retraite; partie a été culbutée dans un marais, partie dispersée dans les bois. On a fait mille prisonniers, six cents hommes sont restés sur le champ de bataille; trente pièces de canon sont tombées au pouvoir de l'armée.
Voyant ainsi la déroute de ses gens, le prince Louis de Prusse, en brave et loyal soldat, se prit corps à corps avec un maréchal-des-logis du dixième régiment de hussards. Rendez vous, colonel, lui dit le hussard, ou vous êtes mort. Le prince lui répondit par un coup de sabre; le maréchal-des-logis riposta par un coup de pointe, et le prince tomba mort. Si les derniers instans de sa vie ont été ceux d'un mauvais citoyen, sa mort est glorieuse et digne de regrets. Il est mort comme doit désirer de mourir tout bon soldat. Deux de ses aides-de-camp ont été tués à ses côtés. Ou a trouvé sur lui des lettres de Berlin, qui font voir que le projet de l'ennemi était d'attaquer incontinent, et que le parti de la guerre, à la tête duquel étaient le jeune prince et la reine, craignait toujours que les intentions pacifiques du roi, et l'amour qu'il porte à ses sujets ne lui fissent adopter des tempéramens, et ne déjouassent leurs cruelles espérances. On peut dire que les premiers coups de la guerre ont tué un de ses auteurs.
Dresde ni Berlin ne sont couverts par aucun corps d'armée. Tournée par sa gauche, prise en flagrant délit au moment où elle se livrait aux combinaisons les plus hasardées, l'armée prussienne se trouve, dès le début, dans une position assez critique. Elle occupe Eisenach, Gotha, Erfurt, Weimar. Le 12, l'armée française occupe Saalfed et Gera, et marche sur Naumbourg et Jena. Des coureurs de l'armée française inondent la plaine de Leipsick.
Toutes les lettres interceptées peignent le conseil du roi déchiré par des opinions différentes, toujours délibérant et jamais d'accord. L'incertitude, l'alarme et l'épouvante paraissent déjà succéder à l'arrogance, à l'inconsidération et à la folie.
Hier 11, en passant à Gera devant le vingt-septième régiment d'infanterie légère, l'empereur a chargé le colonel de témoigner sa satisfaction à ce régiment, sur sa bonne conduite.
Dans tous ces combats, nous n'avons à regretter aucun officier de marque: le plus élevé en grade est le capitaine Campobasso, du vingt-septième régiment d'infanterie légère, brave et loyal officier. Nous n'avons pas eu quarante hommes tués et soixante blessés.
Gera, le 13 octobre 1806.
Troisième bulletin de la grande armée
Le combat de Schleitz, qui a ouvert la campagne, et qui a été très-funeste à l'armée prussienne, celui de Saalfeld qui l'a suivi le lendemain, ont porté la consternation chez l'ennemi. Toutes les lettres interceptées disent que la consternation est à Erfurt, où se trouvent encore le roi et la reine, le duc de Brunswick, etc.; qu'on discute sur le parti à prendre sans pouvoir s'accorder. Mais pendant qu'on délibère, l'armée française marche. A cet esprit d'effervescence, à cette excessive jactance, commencent à succéder des observations critiques sur l'inutilité de cette guerre, sur l'injustice de s'en prendre à la France, sur l'impossibilité d'être secouru, sur la mauvaise volonté des soldats, sur ce qu'on n'a pas fait ceci, et mille et une autres observations qui sont toujours dans la bouche de la multitude, lorsque les princes sont assez faibles pour la consulter sur les grands intérêts politiques au-dessus de sa portée.
Cependant, le 12 au soir, les coureurs de l'armée française étaient aux portes de Leipsick; le quartier-général du grand-duc de Berg, entre Zeist et Leipzick; celui du prince de Ponte-Corvo, à Zeist; le quartier impérial à Gera; la garde impériale et le corps d'armée du maréchal Soult, à Gera; le corps d'armée du maréchal Ney, à Neustadt; en première ligne, le corps d'armée du maréchal Davoust, à Naumbourg, celui du maréchal Lannes, à Jena; celui du maréchal Augereau, à Kala. Le prince Jérôme, auquel l'empereur a confié le commandement des alliés et d'un corps de troupes bavaroises, est arrivé à Schleitz, après avoir fait bloquer le fort de Culenbach par un régiment.
L'ennemi, coupé a Dresde, était encore le 11 à Erfurt, et travaillait à réunir ses colonnes qu'il avait envoyées sur Cassel et Wurtzbourg, dans des projets offensifs; voulant ouvrir la campagne par une invasion en Allemagne. Le Weser, où il avait construit des batteries, la Saale qu'il prétendait également défendre, et les autres rivières, sont tournées à-peu-près comme le fut l'Iller l'année passée; de sorte que l'armée française borde la Saale, ayant le dos à l'Elbe et marchant sur l'armée prussienne qui, de son côté, a le dos sur le Rhin, position assez bizarre, d'où doivent naître dès événemens d'une grande importance.
Le temps, depuis notre entrée en campagne, est superbe, le pays abondant, le soldat plein de vigueur et de santé. On fait des marches de dix lieues, et pas un traîneur; jamais l'armée n'a été si belle.
Toutes les intentions du roi de Prusse se trouvent exécutées: il voulait que le 8 octobre l'armée française eût évacué le territoire de la confédération, et elle l'avait évacué; mais au lieu de repasser le Rhin, elle a passé la Saale.
Gera, le 14 octobre 1806.
Quatrième bulletin de la grande armée
Les événemens se succèdent avec rapidité. L'armée prussienne est prise en flagrant délit, ses magasins enlevés: elle est tournée.
Le maréchal Davoust est arrivé à Naumbourg le 12, à neuf heures du soir, y a saisi les magasins de l'armée ennemie, fait des prisonniers et pris un superbe équipage de 18 pontons de cuivre attelés.
Il paraît que l'armée prussienne se met en marche pour gagner Magdebourg; mais l'armée française a gagné trois marches sur elle. L'anniversaire des affaires d'Ulm sera célèbre, dans l'histoire de France.
Une lettre qui vient d'être interceptée, fait connaître la vraie situation des esprits, mais cette bataille dont parle l'officier prussien, aura lieu dans peu de jours. Les résultats décideront du sort la guerre. Les Français doivent être sans inquiétude.
Jéna, 15 octobre 1806.
Cinquième bulletin de la grande armée
La bataille de Jéna a lavé l'affront de Rosbach et décidé, en sept jours, une campagne qui a entièrement calmé cette frénésie guerrière qui s'était emparée des têtes prussiennes.
Voici la position de l'armée au 13:
Le grand-duc de Berg et le maréchal Davoust, avec leurs corps d'armée, étaient à Naumbourg, ayant des partis sur Leipsick et Halle.
Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo était en marche pour se rendre à Dornbourg.
Le corps du maréchal Lannes arrivait à Iéna.
Le corps du maréchal Augereau était en position à Kala.
Le corps du maréchal Ney était à Roda.
Le quartier-général, à Gera.
L'empereur, en marche pour se rendre à Jéna.
Le corps du maréchal Soult, de Gera était en marche pour prendre une position plus rapprochée, à l'embranchement des routes de Naumbourg et d'Jéna.
Voici la position de l'ennemi:
Le roi de Prusse voulut commencer les hostilités au 9 octobre, en débouchant sur Francfort par sa droite, sur Wurtzbourg par son centre, et sur Bamberg par sa gauche, toutes les divisions de son armée étaient disposées pour exécuter ce plan; mais l'armée française tournant sur l'extrémité de sa gauche, se trouva en peu de jours à Saalbourg, à Lobenstein, à Schleitz, à Gera, à Naumbourg. L'armée prussienne, tournée employa, les journées des 9, 10, 11 et 12 à rappeler tous ses détachemens, et le 13, elle se présenta en bataille entre Capelsdorf et Auerstaedt, forte de près de cent cinquante mille hommes.
Le 13, à deux heures après-midi, l'empereur arriva à Iéna, et sur un petit plateau qu'occupait notre avant-garde, il aperçut les dispositions de l'ennemi qui paraissait manoeuvrer pour attaquer le lendemain, et forcer les divers débouchés de la Saale. L'ennemi défendait en force, et par une position inexpugnable, la chaussée de Jéna à Weimar, et paraissait penser que les Français ne pourraient déboucher dans la plaine, sans avoir forcé ce passage. Il ne paraissait pas possible en effet de faire monter de l'artillerie sur le plateau, qui d'ailleurs était si petit, que quatre bataillons pouvaient à peine s'y déployer. On fit travailler toute la nuit à un chemin dans le roc, et l'on parvint à conduire l'artillerie sur la hauteur.
Le maréchal Davoust reçut l'ordre de déboucher par Naumbourg pour défendre les défilés de Koesen si l'ennemi voulait marcher sur Naumbourg, ou pour se rendre à Apolda pour le prendre à dos, s'il restait dans la position où il était.
Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo fut destiné à déboucher de Dornbourg, pour tomber sur les derrières de l'ennemi, soit qu'il se portât en force sur Naumbourg, soit qu'il se portât sur Jéna.
La grosse cavalerie qui n'avait pas encore rejoint l'armée, ne pouvait la rejoindre qu'à midi; la cavalerie de la garde impériale était à trente-six heures de distance, quelque fortes marches qu'elle eût faites depuis son départ de Paris. Mais il est des momens à la guerre où aucune considération ne doit balancer l'avantage de prévenir l'ennemi et de l'attaquer le premier. L'empereur fit ranger sur le plateau qu'occupait l'avant-garde, que l'ennemi paraissait avoir négligé, et vis-à-vis duquel il était en position, tout le corps du maréchal Lannes; ce corps d'armée fut rangé par les soins du général Victor, chaque division formant une aile. Le maréchal Lefebvre fit ranger au sommet la garde impériale en bataillon carré. L'empereur bivouaqua au milieu de ses braves. La nuit offrait un spectacle digne d'observation, celui de deux armées dont l'une déployait son front sur six lieues d'étendue, et embrasait de ses feux l'atmosphère, l'autre dont les feux apparens étaient concentrés sur un petit point; et dans l'une et l'autre armée, de l'activité et du mouvement; les feux des deux armées étaient à une demi-portée de canon; les sentinelles se touchaient presque, et il ne se faisait pas un mouvement qui ne fut entendu.
Les corps des maréchaux Ney et Soult passaient la nuit en marche. A la pointe du jour, toute l'armée prit les armes. La division Gazan était rangée sur trois lignes, sur la gauche du plateau. La division Suchet formait la droite; la garde impériale occupait le sommet du monticule; chacun de ces corps ayant ses canons dans les intervalles. De la ville et des vallées voisines on avait pratiqué des débouchés qui permettaient le déploiement le plus facile aux troupes qui n'avaient pu être placées sur le plateau; car c'était peut-être la première fois qu'une armée devait passer par un si petit débouché.
Un brouillard épais obscurcissait le jour. L'empereur passa devant plusieurs lignes. Il recommanda aux soldats de se tenir en garde contre cette cavalerie prussienne qu'on peignait comme si redoutable. Il les fit souvenir qu'il y avait un an qu'à la même époque ils avaient pris Ulm; que l'armée prussienne, comme l'armée autrichienne, était aujourd'hui cernée, ayant perdu sa ligne d'opérations, ses magasins; qu'elle ne se battait plus dans ce moment pour la gloire, mais pour sa retraite; que cherchant à faire une trouée sur différens points, les corps d'armée qui la laisseraient passer, seraient perdus d'honneur et de réputation. A ce discours animé, le soldat répondit par des cris de marchons. Les tirailleurs engagèrent l'action, la fusillade devint vive. Quelque bonne que fût la position que l'ennemi occupait, il en fut débusqué, et l'armée française, débouchant dans la plaine, commença à prendre son ordre de bataille.
De son côté, le gros de l'armée ennemie, qui n'avait eu le projet d'attaquer que lorsque le brouillard serait dissipé, prit les armes. Un corps de cinquante mille hommes de la gauche, se posta pour couvrir les défilés de Naumbourg et s'emparer des débouchés de Koesen; mais il avait déjà été prévenu par le maréchal Davoust. Les deux autres corps formant une force de 80,000 hommes, se portèrent en avant de l'armée française qui débouchait du plateau de Jéna. Le brouillard couvrit les deux armées pendant deux heures, mais enfin il fut dissipé par un beau soleil d'automne. Les deux armées s'aperçurent à petite portée de canon. La gauche de l'armée française, appuyée sur un village et des bois, était commandée par le maréchal Augereau. La garde impériale la séparait du centre qu'occupait le maréchal Lannes. La droite était formée par le corps du maréchal Soult; le maréchal Ney n'avait qu'un simple corps de trois mille hommes, seules troupes qui fussent arrivées de son corps d'armée.
L'armée ennemie était nombreuse et montrait une belle cavalerie. Ses manoeuvres étaient exécutées avec précision et rapidité. L'empereur eût désiré retarder de deux heures d'en venir aux mains, afin d'attendre dans la position qu'il venait de prendre après l'attaque du matin, les troupes qui devaient le joindre, et surtout sa cavalerie; mais l'ardeur française l'emporta. Plusieurs bataillons s'étant engagés, au village de Hollstedt, il vit l'ennemi s'ébranler pour les en déposter. Le maréchal Lannes reçut ordre sur-le-champ de marcher en échelons pour soutenir ce village. Le maréchal Soult avait attaqué un bois sur la droite; l'ennemi ayant fait un mouvement de sa droite sur notre gauche, le maréchal Augereau fut chargé de le repousser; en moins d'une heure, l'action devint générale; deux cent cinquante ou trois cent mille hommes avec sept ou huit cents pièces de canon, semaient partout la mort, et offraient un de ces spectacles rares dans l'histoire. De part et d'autre, on manoeuvra constamment comme à une parade. Parmi nos troupes, il n'y eut jamais le moindre désordre, la victoire ne fut pas un moment incertaine. L'empereur eut toujours auprès de lui, indépendamment de la garde impériale, un bon nombre de troupes de réserve pour pouvoir parer à tout accident imprévu.
Le maréchal Soult ayant enlevé le bois qu'il attaquait depuis deux heures, fit un mouvement en avant. Dans cet instant, on prévint l'empereur que la division de cavalerie française de réserve commençait à se placer, et que deux divisions du corps du maréchal Ney se plaçaient en arrière sur le champ de bataille. On fit alors avancer toutes les troupes qui étaient en réserve sur la première ligne, et qui, se trouvant ainsi appuyées, culbutèrent l'ennemi dans un clin-d'oeil, et le mirent en pleine retraite. Il la fit en ordre pendant la première heure; mais elle devint un affreux désordre du moment que nos divisions de dragons et nos cuirassiers, ayant le grand-duc de Berg à leur tête, purent prendre part à l'affaire. Ces braves cavaliers, frémissant de voir la victoire décidée sans eux, se précipitèrent partout où ils rencontrèrent l'ennemi. La cavalerie, l'infanterie prussienne ne purent soutenir leur choc. En vain l'infanterie ennemie se forma en bataillons carrés, cinq de ces bataillons furent enfoncés; artillerie, cavalerie, infanterie, tout fut culbuté et pris. Les Français arrivèrent à Weimar en même temps que l'ennemi, qui fut ainsi poursuivi pendant l'espace de six lieues.
A notre droite, le corps du maréchal Davoust faisait des prodiges. Non-seulement il contint, mais mena battant pendant plus de trois lieues, le gros des troupes ennemies qui devait déboucher du côté de Koesen. Ce maréchal a déployé une bravoure distinguée et de la fermeté de caractère, première qualité d'un homme de guerre. Il a été secondé par les généraux Gudin, Friant, Morand, Daultanne, chef de l'état-major, et par la rare intrépidité de son brave corps d'armée.
Les résultats de la bataille sont trente à quarante mille prisonniers; il en arrive à chaque moment; vingt-cinq à trente drapeaux, trois cents pièces de canon, des magasins immenses de subsistances. Parmi les prisonniers, se trouvent plus de vingt généraux, dont plusieurs lieutenants-généraux, entr'autres le lieutenant-général Schmettau. Le nombre des morts est immense dans l'armée prussienne. On compte qu'il y a plus de vingt mille tués ou blessés; le feld-maréchal Mollendorff a été blessé; le duc de Brunswick a été tué; le général Rüchel a été tué; le prince Henri de Prusse grièvement blessé. Au dire des déserteurs, des prisonniers et des parlementaires, le désordre et la consternation sont extrêmes dans les débris de l'armée ennemie.
De notre côté, nous n'avons à regretter parmi les généraux que la perte du général de brigade de Billy, excellent soldat; parmi les blessés, le général de brigade Conroux. Parmi les colonels morts, les colonels Vergès, du douzième régiment d'infanterie de ligne; Lamotte, du trente-sixième; Barbenègre, du neuvième de hussards; Marigny, du vingtième de chasseurs; Harispe, du seizième d'infanterie légère; Dulembourg, du premier de dragons; Nicolas, du soixante-unième de ligne; Viala, du quatre-vingt-unième; Higonet, du cent-huitième.
Les hussards et les chasseurs ont montré dans cette journée une audace digne des plus grands éloges. La cavalerie prussienne n'a jamais tenu devant eux; et toutes les charges qu'ils ont faites devant l'infanterie, ont été heureuses.
Nous ne parlons pas de l'infanterie française; il est reconnu depuis long-temps que c'est la meilleure infanterie du monde. L'empereur a déclaré que la cavalerie française, après l'expérience des deux campagnes et de cette dernière bataille, n'avait pas d'égale.
L'armée prussienne a dans cette bataille perdu toute retraite et toute sa ligne d'opérations. Sa gauche, poursuivie par le maréchal Davoust, opéra sa retraite sur Weimar, dans le temps que sa droite et son centre se retiraient de Weimar sur Naumbourg. La confusion fut donc extrême. Le roi a dû se retirer à travers les champs, à la tête de son régiment de cavalerie.
Notre perte est évaluée à mille ou douze cents tués et à trois mille blessés. Le grand-duc de Berg investit en ce moment la place d'Erfurth, où se trouve un corps d'ennemis que commandent le maréchal de Mollendorff et le prince d'Orange.
L'état-major s'occupe d'une relation officielle, qui fera connaître dans tous ses détails cette bataille et les services rendus par les différens corps d'armée et régimens. Si cela peut ajouter quelque chose aux titres qu'a l'armée à l'estime et à la considération de la nation, rien ne pourra ajouter au sentiment d'attendrissement qu'ont éprouvé ceux qui ont été témoins de l'enthousiasme et de l'amour qu'elle témoignait à l'empereur au plus fort du combat. S'il y avait un moment d'hésitation, le seul cri de vive l'empereur! ranimait les courages et retrempait toutes les ames. Au fort de la mêlée, l'empereur voyant ses ailes menacées par la cavalerie, se portait au galop pour ordonner des manoeuvres et des changemens de front en carrés; il était interrompu à chaque instant par des cris de vive l'empereur! La garde impériale à pied voyait avec un dépit qu'elle ne pouvait dissimuler, tout le monde aux mains et elle dans l'inaction. Plusieurs voix firent entendre les mots en avant? «Qu'est-ce? dit l'empereur; ce ne peut être qu'un jeune homme qui n'a pas de barbe qui peut vouloir préjuger ce que je dois faire; qu'il attende qu'il ait commandé dans trente batailles rangées, avant de prétendre me donner des avis.» C'étaient effectivement des vélites, dont le jeune courage était impatient de se signaler.
Dans une mêlée aussi chaude, pendant que l'ennemi perdait presque tous ses généraux, on doit remercier cette Providence qui gardait notre armée. Aucun homme de marque n'a été tué ni blessé. Le maréchal Lannes a eu un biscaïen qui lui a rasé le poitrine sans le blesser. Le maréchal Davoust a eu son chapeau emporté et un grand nombre de balles dans ses habits. L'empereur a toujours été entouré, partout où il a paru, du prince de Neufchâtel, du maréchal Bessières, du grand maréchal du palais, Duroc, du grand-écuyer Caulincourt, et de ses aides-de-camp et écuyers de service. Une partie de l'armée n'a pas donné, ou est encore sans avoir tiré un coup de fusil.
De notre camp impérial de Weimar, le 15 octobre 1806.
Aux archevêques et évêques de l'empire
«Monsieur l'évêque, le succès que nous venons de remporter sur nos ennemis, avec l'aide de la divine providence, imposent à nous et à notre peuple l'obligation d'en rendre au Dieu des armées de solennelles actions de graces. Vous avez vu, par la dernière note du roi de Prusse, la nécessité où nous nous sommes trouvé de tirer l'épée pour défendre le bien le plus précieux de notre peuple, l'honneur. Quelque répugnance que nous ayons eue, nous avons été poussé à bout par nos ennemis; ils ont été battus et confondus. Au reçu de la présente, veuillez donc réunir nos peuples dans les temples, chanter un Te Deum, et ordonner des prières pour remercier Dieu de la prospérité qu'il a accordée à nos armes. Cette lettre n'étant pas à une autre fin, je prie Dieu, M. l'évêque, qu'il vous ait en sa sainte garde.»
NAPOLÉON.
Weimar, le 15 octobre 1806.
Sixième bulletin de la grande armée
Six mille Saxons et plus de trois cents officiers ont été faits prisonniers. L'empereur a fait réunir les officiers, et leur a dit qu'il voyait avec peine que leur armée lui faisait la guerre; qu'il n'avait pris les armes que pour assurer l'indépendance de la nation saxonne, et s'opposer à ce qu'elle fût incorporée à la monarchie prussienne; que son intention était, de les renvoyer tous chez eux s'il donnait leur parole de ne jamais servir contre la France; que leur souverain, dont il reconnaissait les qualités, avait été d'une extrême faiblesse en cédant ainsi aux menaces des Prussiens, et en les laissant entrer sur son territoire; mais qu'il fallait que tout cela finît; que les Prussiens restassent en Prusse, et qu'ils ne se mêlassent en rien des affaires de l'Allemagne; que les Saxons devaient se trouver réunis dans la confédération du Rhin, sous la protection de la France, protection qui n'était pas nouvelle, puisque depuis deux cents ans, sans la France, ils eussent été envahis par l'Autriche, ou par la Prusse; que l'empereur n'avait pris les armes que lorsque la Prusse avait envahi la Saxe; qu'il fallait mettre un terme à ces violences; que le continent avait besoin de repos, et que, malgré les intrigues et les basses passions qui agitent plusieurs cours, il fallait que ce repos existât, dût-il en coûter la chute de quelques trônes.
Effectivement tous les prisonniers saxons ont été renvoyés chez eux avec la proclamation de l'empereur aux Saxons, et des assurances qu'on n'en voulait point à leur nation.
Weimar, le 16 octobre 1806.
Septième bulletin de la grande armée
Le grand-duc de Berg a cerné Erfurth le 15, dans la matinée. Le 16, la place a capitulé. Par ce moyen, quatorze mille hommes, dont huit mille blessés et six mille bien portans, sont devenus prisonniers de guerre, parmi lesquels sont le prince d'Orange, le feld-maréchal Mollendorff, le lieutenant-général Larisph, le lieutenant-général Graver, les généraux majors Leffave et Zveilfel. Un parc de cent vingt pièces d'artillerie approvisionné est également tombé en notre pouvoir. On ramasse tous les jours des prisonniers.
Le roi de Prusse a envoyé un aide-de-camp à l'empereur, avec une lettre en réponse à celle que l'empereur lui avait écrite avant la bataille; mais le roi de Prusse n'a répondu qu'après. Cette démarche de l'empereur Napoléon était pareille à celle qu'il fit auprès de l'empereur de Russie, avant la bataille d'Austerlitz; il dit au roi de Prusse: «Le succès de mes armes n'est point incertain. Vos troupes seront battues; mais il en coûtera le sang de mes enfans; s'il pouvait être épargné par quelque arrangement compatible avec l'honneur de ma couronne, il n'y a rien que je ne fasse pour épargner un sang si précieux. Il n'y a que l'honneur qui, à mes yeux, soit encore plus précieux que le sang de mes soldats.»
Il paraît que les débris de l'armée prussienne se retirent sur Magdebourg. De toute cette immense et belle armée, il ne s'en réunira que des débris.
Weimar, le 16 octobre 1806, au soir.
Huitième bulletin de la grande armée
Les différens corps d'armée qui sont à la poursuite de l'ennemi, annoncent à chaque instant des prisonniers, la prise de bagages, de pièces de canon, de magasins, de munitions de toute espèce. Le maréchal Davoust vient de prendre trente pièces de canon; le maréchal Soult, un convoi de trois mille tonneaux de farine; le maréchal Bernadotte, quinze cents prisonniers; l'armée ennemie est tellement dispersée et mêlée avec nos troupes, qu'un de ses bataillons vint se placer dans un de nos bivouacs, se croyant dans le sien.
Le roi de Prusse tâche de gagner Magdebourg. Le maréchal Mollendorf est très-malade à Erfurth, le grand-duc de Berg lui a envoyé son médecin.
La reine de Prusse a été plusieurs fois en vue de nos postes; elle est dans des transes et dans des alarmes continuelles. La veille, elle avait passé son régiment en revue. Elle excitait sans cesse le roi et les généraux. Elle voulait du sang, le sang le plus précieux a coulé. Les généraux les plus marquans sont ceux sur qui sont tombés les premiers coups.
Le général de brigade Durosnel a fait, avec les septième et vingtième de chasseurs, une charge hardie qui a eu le plus grand effet. Le major du vingtième régiment s'y est distingué. Le général de brigade Colbert, à la tête du troisième de hussards et du douzième de chasseurs, a fait sur l'infanterie ennemie plusieurs charges qui ont eu le plus grand succès.
Weimar, le 17 octobre 1806.
Neuvième bulletin de la grande armée
La garnison d'Erfurth a défilé. On y a trouvé beaucoup plus de monde qu'on ne croyait. Il y a une grande quantité de magasins. L'empereur a nommé le général Clarke commandant de la ville et citadelle d'Erfurth et du pays environnant. La citadelle d'Erfurth est un bel octogone bastionné, avec casemates, et bien armé. C'est une acquisition précieuse qui nous servira de point d'appui au milieu de nos opérations.
On a dit dans le cinquième bulletin qu'on avait pris vingt-cinq à trente drapeaux; il y en a jusqu'ici quarante-cinq au quartier-général. Il est probable qu'il y en aura plus de soixante. Ce sont des drapeaux donnés par le grand Frédéric à ses soldats. Celui du régiment des gardes, celui du régiment de la reine, brodé des mains de cette princesse, se trouvent du nombre. Il paraît que l'ennemi veut tâcher de se rallier sur Magdebourg; mais pendant ce temps-là on marche de tous côtés. Les différens corps de l'armée sont à sa poursuite par différens chemins. A chaque instant arrivent des courriers annonçant que des bataillons entiers sont coupés, des pièces de canon prises, des bagages, etc.
L'empereur est logé au palais de Weimar, où logeait quelques jours avant la reine de Prusse. Il paraît que ce qu'on a dit d'elle est vrai. Elle était ici pour souffler le feu de la guerre. C'est une femme d'une jolie figure, mais de peu d'esprit, incapable de présager les conséquences de ce qu'elle faisait. Il faut aujourd'hui, au lieu de l'accuser, la plaindre, car elle doit avoir bien des remords des maux qu'elle a faits à sa patrie, et de l'ascendant qu'elle a exercé sur le roi son mari, qu'on s'accorde à présenter comme un parfait honnête homme, qui voulait la paix et le bien de ses peuples.
Naumbourg, le 18 octobre 1806.
Dixième bulletin de la grande armée
Parmi les soixante drapeaux qui ont été pris à la bataille de Jéna, il s'en trouve plusieurs des gardes du roi de Prusse et un des gardes du corps, sur lequel la légende est écrite en français.
Le roi de Prusse a fait demander un armistice de six semaines. L'empereur a répondu qu'il était impossible, après une victoire, de donner à l'ennemi le temps de se rallier.
Cependant les Prussiens ont fait tellement courir ce bruit, que plusieurs de nos généraux les ayant rencontrés, on leur a fait croire que cet armistice était conclu.
Le maréchal Soult est arrivé le 16 à Greussen, poursuivant devant lui la colonne où était le roi, qu'on estimait forte de dix ou douze mille hommes. Le général Kalkreuth, qui la commandait, fit dire au maréchal Soult qu'un armistice avait été conclu. Ce maréchal répondit qu'il était impossible que l'empereur eût fait cette faute; qu'il croirait à cet armistice, lorsqu'il lui aurait été notifié officiellement. Le général Kalkreuth témoigna le désir de voir le maréchal Soult, qui se rendit aux avant-postes. «Que voulez-vous de nous, lui dit le général prussien? le duc de Brunswick est mort, tous nos généraux sont tués, blessés ou pris, la plus grande partie de notre armée est en fuite; vos succès sont assez grands. Le roi a demandé une suspension d'armes, il est impossible que votre empereur ne l'accorde pas.—Monsieur le général, lui répondit le maréchal Soult, il y a long-temps qu'on en agit ainsi avec nous; on en appelle à notre générosité quand on est vaincu, et on oublie un instant après la magnanimité que nous avons coutume de montrer. Après la bataille d'Austerlitz, l'empereur accorda un armistice à l'armée russe; cet armistice sauva l'armée. Voyez la manière indigne dont agissent aujourd'hui les Russes. On dit qu'ils veulent revenir: nous brûlons du désir de les revoir. S'il y avait eu chez eux autant de générosité que chez nous, on nous aurait laissé tranquilles enfin, après la modération que nous avons montrée dans la victoire. Nous n'avons en rien provoqué la guerre injuste que vous nous faites. Vous l'avez déclarée de gaîté de coeur; la bataille de Jéna a décidé du sort de la campagne. Notre métier est de vous faire le plus de mal que nous pourrons. Posez les armes, et j'attendrai dans cette situation les ordres de l'Empereur.» Le vieux général Kalkreuth vit bien qu'il n'avait rien à répondre. Les deux généraux se séparèrent, et les hostilités recommencèrent un instant après: le village de Greussen fut enlevé, l'ennemi culbuté et poursuivi l'épée dans les reins.
Le grand-duc de Berg et les maréchaux Soult et Ney doivent, dans les journées des 17 et 18, se réunir par des marches combinées et écraser l'ennemi. Ils auront sans doute cerné un bon nombre de fuyards; les campagnes en sont couvertes, et les routes sont encombrées de caissons et de bagages de toute espèce.
Jamais plus grande victoire ne fut signalée par de plus grands désastres. La réserve que commande le prince Eugène de Wurtemberg, est arrivée à Halle; ainsi nous ne sommes qu'au neuvième jour de la campagne, et déjà l'ennemi est obligé de mettre en avant sa dernière ressource. L'empereur marche à elle; elle sera attaquée demain, si elle tient dans la position de Halle.
Le maréchal Davoust est parti aujourd'hui pour prendre possession de Leipsick et jeter un pont sur l'Elbe. La garde impériale à cheval vient enfin nous joindre.
Indépendamment des magasins considérables trouvés à Naumbourg, on en a trouvé un grand nombre à Weissenfels.
Le général en chef Rüchel a été trouvé, dans un village, mortellement blessé; le maréchal Soult lui a envoyé son chirurgien. Il semble que ce soit un décret de la Providence, que tous ceux qui ont poussé à cette guerre aient été frappés par ses premiers coups.
Mersebourg, le 19 octobre 1806.
Onzième bulletin de la grande armée
Le nombre des prisonniers qui ont été faits à Erfurth est plus considérable qu'on ne le croyait. Les passeports accordés aux officiers qui doivent retourner chez eux sur parole, en vertu d'un des articles de la capitulation, se sont montés à six cents.
Le corps du maréchal Davoust a pris possession le 18 de Leipsick.
Le prince de Ponte-Corvo, qui se trouvait le 17 à Eisleben, pour couper des colonnes prussiennes, ayant appris que la réserve de S. M. le roi de Prusse, commandée par le prince Eugène de Wurtemberg, était arrivée à Halle, s'y porta. Après avoir fait ses dispositions, le prince de Ponte-Corvo fit attaquer Halle par le général Dupont, et laissa la division Drouet en réserve sur sa gauche. Le trente-deuxième et le neuvième d'infanterie légère passèrent les trois ponts au pas de charge, et entrèrent dans la ville, soutenus par le quatre-vingt-seizième. En moins d'une heure tout fut culbuté. Les deuxième et quatrième régimens de hussards et toute la division du général Rivaut traversèrent la ville et chassèrent l'ennemi de Dienitz, de Peissen et de Rabatz. La cavalerie prussienne voulut charger le huitième et le quatre-vingt-seizième d'infanterie, mais elle fut vivement reçue et repoussée.
La réserve du prince de Wurtemberg fut mise dans la plus complète déroute, et poursuivie l'espace de quatre lieues.
Les résultats de ce combat, qui mérite une relation particulière et soignée, sont cinq mille prisonniers, dont deux généraux et trois colonels, quatre drapeaux et trente-quatre pièces de canon.
Le général Dupont s'est conduit avec beaucoup de distinction.
Le général de division Rouyer a eu un cheval tué sons lui. Le général de division Drouet a pris en entier le régiment de Treskow.
De notre côté, la perte ne se monte qu'à quarante hommes tués et deux cents blessés. Le colonel du neuvième régiment d'infanterie légère a été blessé.
Le général Léopold Berthier, chef de l'état-major du prince de Ponte-Corvo, s'est comporté avec distinction.
Par le résultat du combat de Halle, il n'est plus de troupes ennemies qui n'aient été entamées.
Le général prussien Blucher, avec cinq mille hommes, a traversé la division de dragons du général Klein, qui l'avait coupé. Ayant allégué au général Klein qu'il y avait un armistice de six semaines, ce général a eu la simplicité de le croire.
L'officier d'ordonnance près de l'empereur, Montesquiou, qui avait été envoyé en parlementaire auprès du roi de Prusse l'avant-veille de la bataille, est de retour. Il a été entraîné, pendant plusieurs jours, avec les fuyards ennemis; il dépeint le désordre de l'armée prussienne comme inexprimable. Cependant la veille de la bataille, leur jactance était sans égale. Il n'était question de rien moins que de couper l'armée française et d'enlever des colonnes de quarante mille hommes. Les généraux prussiens singeaient, autant qu'ils pouvaient, les manières du grand Frédéric.
Quoique nous fussions dans leur pays, les généraux paraissaient être dans l'ignorance la plus absolue de nos mouvements; ils croyaient qu'il n'y avait sur le petit plateau de Jéna que quatre mille hommes; et cependant la plus grande partie de l'armée a débouché sur ce plateau.
L'armée ennemie se retire à force sur Magdebourg. Il est probable que plusieurs colonnes seront coupées avant d'y arriver. On n'a point de nouvelles depuis plusieurs jours du maréchal Soult, qui a été détaché avec quarante mille hommes pour poursuivre l'armée ennemie.
L'empereur a traversé le champ de bataille de Rosbach; il a ordonné que la colonne qui y avait été élevée, fût transportée à Paris.
Le quartier-général de l'empereur a été le 18 à Mersebourg; il sera le 19 à Halle. On a trouvé dans cette dernière ville des magasins de toute espèce, très-considérables.
Halle, le 19 octobre 1806.
Douzième bulletin de la grande armée
Le maréchal Soult a poursuivi l'ennemi jusqu'aux portes de Magdebourg. Plusieurs fois les Prussiens ont voulu prendre position, et toujours ils ont été culbutés.
On a trouvé à Nordhausen des magasins considérables, et même une caisse du roi de Prusse, remplie d'argent.
Pendant les cinq jours que le maréchal Soult a employés à la poursuite de l'ennemi, il a fait douze cents prisonniers et pris trente pièces de canon, et deux ou trois cents caissons.
Le premier objet de la campagne se trouve rempli. La Saxe, la Westphalie, et tous les pays situés sur la rive gauche de l'Elbe, sont délivrés de la présence de l'armée prussienne. Cette armée, battue et poursuivie l'épée dans les reins pendant plus de cinquante lieues, est aujourd'hui sans artillerie, sans bagages, et sans officiers, réduite au-dessous du tiers de ce qu'elle était il y a huit jours; et, ce qui est encore pis que cela, elle a perdu son moral et toute confiance en elle-même.
Deux corps de l'armée française sont sur l'Elbe, occupés à construire des ponts.
Le quartier-général est à Halle.
Halle, le 20 octobre 1806.
Treizième bulletin de la grande armée
Le général Macon, commandant à Leipsick, a fait aux banquiers, négocians et marchands de cette ville une notification4. Puisque les oppresseurs des mers ne respectent aucun pavillon, l'intention de l'empereur est de saisir partout leurs marchandises et de les bloquer véritablement dans leur île.
On a trouvé dans les magasins militaires de Leipsick quinze mille quintaux de farine et beaucoup d'autres denrées d'approvisionnement.
Le grand-duc de Berg est arrivé à Halberstadt le 19. Le 20, il a inondé toute la plaine de Magdebourg, par sa cavalerie, jusqu'à la portée du canon. Les troupes ennemies, les détachemens isolés, les hommes perdus, seront pris au moment où ils se présenteront pour entrer dans la place.
Un régiment de hussards ennemis croyait que Halberstadt était encore occupé par les Prussiens; il a été chargé par le deuxième de hussards, et a éprouvé une perte de trois cents hommes.
Le général Beaumont s'est emparé de six cents hommes de la garde du roi, et de tous les équipages de ce corps.
Deux heures auparavant, deux compagnies de la garde royale à pied avaient été prises par le maréchal Soult.
Le lieutenant-général, comte de Schmettau, qui avait été fait prisonnier, vient de mourir à Weimar.
Ainsi, de cette belle et superbe armée qui, il y a peu de jours, menaçait d'envahir la confédération du Rhin, et qui inspirait à son souverain une telle confiance, qu'il osait ordonner à l'empereur Napoléon de sortir de l'Allemagne avant le 8 octobre, s'il ne voulait pas y être contraint par la force; de cette belle et superbe armée, disons-nous, il ne reste que les débris, chaos informe qui mérite plutôt le nom de rassemblement que celui d'armée. De cent soixante mille hommes qu'avait le roi de Prusse, il serait difficile d'en réunir plus de cinquante mille, encore sont-ils sans artillerie et sans bagages, armés en partie, en partie désarmés. Tous ces événemens justifient ce que l'empereur a dit dans sa première proclamation, lorsqu'il s'est exprimé ainsi: «Qu'ils apprennent que s'il est facile d'acquérir un accroissement de domaines et de puissance avec l'amitié du grand peuple, son inimitié est plus terrible que les tempêtes de l'Océan.»
Rien ne ressemble en effet davantage à l'état actuel de l'armée prussienne que les débris d'un naufrage. C'était une belle et nombreuse flotte qui ne prétendait pus moins qu'asservir les mers; les vents impétueux du nord ont soulevé l'Océan contre elle. Il ne rentre au port qu'une petite partie des équipages qui n'ont trouvé de salut qu'en se sauvant sur des débris.
Trois lettres interceptées peignent au vrai la situation des choses.
Une autre lettre également interceptée, montre à quel point le cabinet prussien a été dupe de fausses apparences. Il a pris la modération de l'empereur Napoléon pour de la faiblesse. De ce que ce monarque ne voulait pas la guerre, et faisait tout ce qui pouvait être convenable pour l'éviter, on a conclu qu'il n'était pas en mesure, et qu'il avait besoin de deux cent mille conscrits pour recruter son armée.
Cependant l'armée française n'était plus claquemurée dans les camps de Boulogne; elle était en Allemagne: M. Ch. L. de Hesse et M. d'Haugwitz auraient pu la compter. Reconnaissons donc ici la volonté de cette providence qui ne laisse pas à nos ennemis des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, du jugement et de la raison pour raisonner.
Il paraît que M. Charles Louis de Hesse convoitait seulement Mayence. Pourquoi pas Metz? pourquoi pas les autres places de l'ouest de la France? Ne dites donc plus que l'ambition des Français vous a fait prendre les armes; convenez que c'est votre ambition mal raisonnée qui vous a excités à la guerre. Parce qu'il y avait une armée française à Naples, une autre en Dalmatie, vous avez projeté de tomber sur le grand-peuple; mais en sept jours vos projets ont été confondus. Vous vouliez attaquer la France sans courir aucun danger, et déjà vous avez cessé d'exister.
On rapporte que l'empereur Napoléon ayant, avant de quitter Paris, rassemblé ses ministres, leur dit: «Je suis innocent de cette guerre; je ne l'ai provoquée en rien: elle n'est point entrée dans mes calculs. Que je sois battu si elle est de mon fait. Un des principaux motifs de la confiance dans laquelle je suis que mes ennemis seront détruits, c'est que je vois dans leur conduite le doigt de la providence, qui, voulant que les traîtres soient punis, a tellement éloigné toute sagesse de leurs conseils, que lorqu'ils pensent m'attaquer dans un moment de faiblesse, ils choisissent l'instant même où je suis le plus fort.»
Dessau, le 22 octobre 1806.
Quatorzième bulletin de la grande armée
Le maréchal Davoust est arrivé le 20 à Wittemberg, et a surpris le pont sur l'Elbe au moment où l'ennemi y mettait le feu.
Le maréchal Lannes est arrivé à Dessau; le pont était brûlé; il a fait travailler sur-le-champ à le réparer.
Le marquis de Lucchesini s'est présenté aux avant-postes avec une lettre du roi de Prusse. L'empereur a envoyé le grand-maréchal de son palais, Duroc, pour conférer avec lui.
Magdebourg est bloqué. Le général de division Legrand, dans sa marche sur Magdehourg, a fait quelques prisonniers. Le maréchal Soult a ses postes autour de la ville. Le grand-duc de Berg y a envoyé son chef d'état-major le général Belliard. Ce général y a vu le prince de Hohenlohe. Le langage des officiers prussiens était bien changé. Ils demandent la paix à grands cris. «Que veut votre empereur, nous disent-ils? Nous poursuivra-t-il toujours l'épée dans les reins? Nous n'avons pas un moment de repos depuis la bataille.» Ces messieurs étaient sans doute accoutumés aux manoeuvres de la guerre de sept ans. Ils voulaient demander trois jours pour enterrer les morts. «Songez aux vivans, a répondu l'empereur, et laissez-nous le soin d'enterrer les morts; il n'y a pas besoin de trêve pour cela.»
La confusion est extrême dans Berlin. Tous les bons citoyens, qui gémissaient de la fausse direction donnée à la politique de leur pays, reprochent avec raison aux boute-feux excités par l'Angleterre, les tristes effets de leurs menées. Il n'y a qu'un cri contre la reine dans tout le pays.
Il paraît que l'ennemi cherche à se rallier derrière l'Oder.
Le souverain de Saxe a remercié l'empereur de la générosité avec laquelle il l'a traité, et qui va l'arracher à l'influence prussienne. Cependant bon nombre de ses soldats ont péri dans toute cette bagarre.
Le quartier-général était, le 21, à Dessau.
Wittemberg, le 23 octobre 1806.
Quinzième bulletin de la grande armée
Voici les renseignemens qu'on a pu recueillir sur les causes de cette étrange guerre.
Le général Schmettau (mort prisonnier à Weymar) fit un mémoire écrit, avec beaucoup de force et dans lequel il établissait que l'armée prussienne devait se regarder comme déshonorée, qu'elle était cependant en état de battre les Français, et qu'il fallait faire la guerre.
Les généraux Ruchel (tué) et Blucher (qui ne s'est sauvé que par un subterfuge, en abusant de la bonne foi française), souscrivirent ce mémoire, qui était rédigé en forme de pétition au roi. Le prince Louis-Ferdinand de Prusse (tué) l'appuya de toutes sortes de sarcasmes. L'incendie gagna toutes les tètes. Le duc de Brunswick (blessé très-grièvement), homme connu pour être sans volonté et sans caractère, fut enrôlé dans la faction de la guerre. Enfin, le mémoire étant ainsi appuyé, on le presenta au roi. La reine se chargea de disposer l'esprit de ce prince, et de lui faire connaître ce qu'on pensait de lui. Elle lui rapporta qu'on disait qu'il n'était pas brave, et que, s'il ne faisait pas la guerre, c'est qu'il n'osait pas se mettre à la tête de l'armée. Le roi, réellement aussi brave qu'aucun prince de Prusse, se laissa entraîner sans cesser de conserver l'opinion intime qu'il faisait une grande faute.
Il faut signaler les hommes qui n'ont pas partagé les illusions des partisans de la guerre. Ce sont le respectable feld-maréchal Mollendorf et le général Kalkreuth.
On assure qu'après la belle charge du neuvième et du dixième régiment de hussards à Saalfeld, le roi dit: «Vous prétendiez que la cavalerie française ne valait rien, voyez cependant ce que fait la cavalerie légère, et jugez ce que feront les cuirassiers. Ces troupes ont acquis leur supériorité par quinze ans de combats. Il en faudrait autant, afin de parvenir à les égaler; mais qui de nous serait assez ennemi de la Prusse pour désirer cette terrible épreuve?»
L'empereur, déjà maître de toutes les communications et des magasins de l'ennemi, écrivit le 12 de ce mois la lettre ci-jointe (nous l'avons rapportée à son ordre de date), qu'il envoya au roi de Prusse par l'officier d'ordonnance Montesquiou.
Cet officier arriva le 13, à quatre heures après midi, au quartier du général Hohenlohe, qui le retint auprès de lui, et qui prit la lettre dont il était porteur.
Le camp dit roi de Prusse était à deux lieues en arrière. Ce prince devait donc recevoir la lettre de l'empereur au plus tard à six heures du soir. On assure cependant qu'il ne la reçut que le 14, à neuf heures du matin, c'est-à-dire, lorsque déjà l'on se battait. On rapporte aussi que le roi de Prusse dit alors: «Si cette lettre était arrivée plus tôt, peut-être aurait-on pu ne pas se battre; mais ces jeunes gens ont la tête tellement montée, que s'il eût été question hier de la paix, je n'aurais pas ramené le tiers de mon armée à Berlin.»
Le roi de Prusse a eu deux chevaux tués sous lui, et a reçu un coup de fusil dans la manche.
Le duc de Brunswick a eu tous les torts dans cette guerre; il a mal conçu et mal dirigé les mouvemens de l'armée; il croyait l'empereur à Paris, lorsqu'il se trouvait sur ses flancs; il pensait avoir l'initiative des mouvemens, et il était déjà tourné.
Au reste, la veille de la bataille, la consternation était déjà dans les chefs; ils reconnaissaient qu'on était mal posté, et qu'on allait jouer le va-tout de la monarchie. Ils disaient tous: «Eh bien? nous paierons de notre personne». Ce qui est, d'ordinaire, le sentiment des hommes qui conservent peu d'espérance.
La reine se trouvait toujours au quartier-général à Weimar; il a bien fallu lui dire enfin que les circonstances étaient sérieuses, et que le lendemain il pouvait se passer de grands événemens pour la monarchie prussienne. Elle voulait que le roi lui dît de s'en aller; et, en effet elle fut mise dans le cas de partir.
Lord Morpelh, envoyé par la cour de Londres pour marchander le sang prussien, mission véritablement indigne d'un homme tel que lui, arriva le 11 à Weimar, chargé de faire des offres séduisantes, et de proposer des subsides considérables. L'horizon s'était déjà fort obscurci, le cabinet ne voulut pas voir cet envoyé; il lui fit dire qu'il y avait peut-être peu de sûreté pour sa personne, et il l'engagea à retourner à Hambourg, pour y attendre l'événement. Qu'aurait dit la duchesse de Devonshire, si elle avait vu son gendre chargé de souffler le feu de la guerre, de venir offrir un or empoisonné, et obligé de retourner sur ses pas tristement et en grande hâte? Ou ne peut que s'indigner de voir l'Angleterre compromettre de la sorte des agens estimables et jouer un rôle aussi odieux.
On n'a point encore de nouvelles de la conclusion d'un traité entre la Prusse et la Russie, et il est certain qu'aucun Russe n'a paru, jusqu'à ce jour, sur le territoire prussien. Du reste, l'armée désire fort les voir; ils trouveront Austerlitz en Prusse.
Le prince Louis-Ferdinand de Prusse, et les autres généraux qui ont succombé sous les premiers coups des Français, sont aujourd'hui désignés comme les principaux moteurs de cette incroyable frénésie. Le roi, qui en a couru toutes les chances, et qui supporte tous les malheurs qui en ont été le résultat, est de tous les hommes entraînés par elle, celui qui y était demeuré le plus étranger.
Il y a à Leipsick une telle quantité de marchandises anglaises, qu'on a déjà offert soixante millions pour les racheter.
On se demande ce que l'Angleterre gagnera à tout ceci. Elle pouvait recouvrer le Hanovre, garder le cap de Bonne-Espérance, conserver Malte, faire une paix honorable, et rendre la tranquillité au Monde. Elle a voulu exciter la Prusse contre la France, pousser l'empereur et la France à bout; eh bien! elle a conduit la Prusse à sa ruine, procuré à l'empereur une plus grande gloire, à la France une plus grande puissance; el le temps approche où l'on pourra déclarer l'Angleterre en état de blocus continental. Est-ce donc avec du sang que les Anglais ont espéré alimenter leur commerce et ranimer leur industrie? De grands malheurs peuvent fondre sur l'Angleterre; l'Europe les attribuera à la perte de ce ministre honnête homme, qui voulait gouverner par des idées grandes et libérales, et que le peuple anglais pleurera un jour avec des larmes de sang.
Les colonnes françaises sont déjà en marche sur Potsdam et Berlin. Les députés de Potsdam sont arrivés pour demander une sauve-garde.
Le quartier impérial est aujourd'hui à Wittemberg.
Wittemberg, le 24 octobre 1806.
Seizième bulletin de la grande armée
Le duc de Brunswick a envoyé son maréchal du palais à l'empereur. Cet officier était chargé d'une lettre par laquelle le duc recommandait ses états à S.M.
L'empereur lui a dit: Si je faisais démolir la ville de Brunswick, et si je n'y laissais pas pierre sur pierre, que dirait votre prince? La loi du talion ne me permet-elle pas de faire à Brunswick ce qu'il voulait faire dans ma capitale? Annoncer le projet de démolir des villes, cela peut être insensé; mais vouloir ôter l'honneur à toute une armée de braves gens, lui proposer de quitter l'Allemagne par journées d'étapes, à la seule sommation de l'armée prussienne, voilà ce que la postérité aura peine à croire. Le duc de Brunswick n'eût jamais dû se permettre un tel outrage; lorsqu'on a blanchi sous les armes, on doit respecter l'honneur militaire, et ce n'est pas d'ailleurs dans les plaines de Champagne que ce général a pu acquérir le droit de traiter les drapeaux; français avec un tel mépris. Une pareille sommation ne déshonorera que le militaire qui l'a pu faire. Ce n'est pas au roi de Prusse que restera ce déshonneur, c'est au chef de son conseil militaire, c'est au général à qui, dans ces circonstances difficiles, il avait remis le soin des affaires; c'est enfin le duc de Brunswick que la France et la Prusse peuvent accuser seul de la guerre. La frénésie dont ce vieux général a donné l'exemple, a autorisé une jeunesse turbulente et entraîné le roi contre sa propre pensée et son intime conviction. Toutefois, monsieur, dites aux habitans du pays de Brunswick qu'ils trouveront dans les Français des ennemis généreux, que je désire adoucir à leur égard les rigueurs de la guerre, et que le mal que pourrait occasionner le passage des troupes, serait contre mon gré. Dites au général Brunswick qu'il sera traité avec tous les honneurs dus à un officier prussien; mais que je ne puis reconnaître dans un général prussien, un souverain. S'il arrive que la maison de Brunswick perde la souveraineté de ses ancêtres, elle ne pourra s'en prendre qu'à l'auteur de deux guerres qui, dans l'une, voulut saper jusque dans ses fondemens la grande capitale; qui, dans l'autre, prétendit déshonorer deux cent mille braves, qu'on parviendrait peut-être à vaincre, mais qu'on ne surprendra jamais hors du chemin de l'honneur et de la gloire. Beaucoup de sang a été versé en peu de jours; de grands désastres pèsent sur la monarchie prussienne. Qu'il est digne de blâme cet homme qui d'un mot pouvait les prévenir, si, comme Nestor, élevant la parole au milieu des conseils, il avait dit:
«Jeunesse inconsidérée, taisez-vous; femmes, retournez à vos fuseaux et rentrez dans l'intérieur de vos ménages; et vous, sire, croyez-en le compagnon du plus illustre de vos prédécesseurs: puisque l'empereur Napoléon ne veut pas la guerre, ne le placez pas entre la guerre et le déshonneur; ne vous engagez pas dans une lutte dangereuse avec une armée qui s'honore de quinze ans de travaux glorieux, et que la victoire a accoutumée à tout soumettre.» Au lieu de tenir ce langage qui convenait si bien à la prudence de son âge et à l'expérience de sa longue carrière, il a été le premier à crier aux armes. Il a méconnu jusqu'aux liens du sang, en armant un fils contre son père; il a menacé de planter ses drapeaux sur le palais de Stuttgard, et accompagnant ses démarches d'imprécations contre la France, il s'est déclaré l'auteur de ce manifeste insensé qu'il avait désavoué pendant quatorze ans, quoiqu'il n'osât pas nier de l'avoir revêtu de sa signature.
On a remarqué que pendant cette conversation, l'empereur avec cette chaleur dont il est quelquefois animé, a répété souvent: renverser et détruire les habitations des citoyens paisibles, c'est un crime qui se répare avec du temps et de l'argent; mais déshonorer une armée, vouloir qu'elle fuie hors de l'Allemagne, devant l'aigle prussienne, c'est une bassesse que celui-là seul qui la conseille, était capable de commettre.
M. de Lucchesini est toujours au quartier-général; l'empereur a refusé de le voir, mais on observe qu'il a de fréquentes conférences avec le grand-maréchal du palais Duroc.
L'empereur a ordonné de faire présent, sur la grande quantité de draps anglais trouvée à Leipsick, d'un habillement complet à chaque officier, et d'une capote et d'un habit à chaque soldat.
Le quartier-général est à Kropstadt.
Potsdam, le 25 octobre 1806.
Dix-septième bulletin de la grande armée
Le corps du maréchal Lannes est arrivé le 24 à Potsdam.
Le corps du maréchal Davoust a fait son entrée le 25, à dix heures du matin, à Berlin.
Le corps du maréchal prince de Ponte-Corvo est à Brandenbourg.
Le corps du maréchal Augereau fera son entrée à Berlin, demain 26.
L'empereur est arrivé hier à Potsdam, et est descendu au palais. Dans la soirée, il est allé visiter le nouveau palais, Sans-Soucy, et toutes les positions qui environnent Potsdam. Il a trouvé la situation et la distribution du château de Sans-Soucy, agréables. Il est resté quelque temps dans la chambre du grand Frédéric, qui se trouve tendue et meublée telle qu'elle l'était à sa mort.
Le prince Ferdinand, frère du grand Frédéric, est demeuré à Berlin.
On a trouvé dans l'arsenal de Berlin cinq cents pièces de canon, plusieurs centaines de milliers de poudre et plusieurs milliers de fusils.
Le général Hullin est nommé commandant de Berlin.
Le général Bertrand, aide-de-camp de l'empereur, s'est rendu à Spandau, la forteresse se défend; il en a fait l'investissement avec les dragons de la division Dupont.
Le grand-duc de Berg s'est rendu à Spandau pour se mettre à la poursuite d'une colonne qui file de Spandau sur Stettin, et qu'on espère couper.
Le maréchal Lefebvre, commandant la garde impériale à pied, et le maréchal Bessières, commandant la garde impériale à cheval, sont arrivés à Potsdam le 24 à neuf heures du soir. La garde à pied a fait quatorze lieues dans un jour.
L'empereur reste toute la journée du 25 à Potsdam.
Le corps du maréchal Ney bloque Magdebourg.
Le corps du maréchal Soult a passé l'Elbe à une journée de Magdebourg, et poursuit l'ennemi sur Stettin.
Le temps continue à être superbe; c'est le plus bel automne que l'on ait vu.
En route, l'empereur étant à cheval, pour se rendre de Wittemberg à Potsdam, a été surpris par un orage, et a mis pied à terre dans la maison du grand-veneur de Saxe. S.M. a été fort étonnée de s'entendre appeler par son nom par une jolie femme; c'était une Égyptienne, veuve d'un officier français de l'armée d'Égypte, et qui se trouvait en Saxe depuis trois mois; elle demeurait chez le grand-veneur de Saxe, qui l'avait recueillie et honorablement traitée. L'empereur lui a fait une pension de 1200 fr. et s'est chargé de placer son enfant. «C'est la première fois, a dit l'empereur, que je mets pied à terre pour un orage; j'avais le pressentiment qu'une bonne action m'attendait là.»
On remarque comme une singularité, que l'empereur Napoléon est arrivé à Potsdam,, et descendu dans le même appartement, le jour même, et presque à la même heure que l'empereur de Russie, lors du voyage que fit ce prince, l'an passé, et qui a été si funeste à la Prusse. C'est de ce moment, que la reine a quitté le soin de ses affaires intérieures et les graves occupations de la toilette, pour se mêler des affaires d'état, influencer le roi, et susciter partout ce feu dont elle était possédée.
La saine partie de la nation prussienne regarde ce voyage comme un des plus grands malheurs qui soit arrivé à la Prusse. On ne se fait point d'idée de l'activité de la faction pour porter le roi à la guerre malgré lui.
Le résultat du célèbre serment fait sur le tombeau du grand Frédéric le 4 novembre 1805, a été la bataillé d'Austerlitz et l'évacuation de l'Allemagne par l'armée russe, à journées d'étapes. On fit quarante-huit heures après, sur ce sujet, une gravure qu'on trouve dans toutes les boutiques, et qui excite le rire même des paysans. On y voit le bel empereur de Russie, près de lui la reine, et de l'autre côté le roi qui lève la main sur le tombeau du grand Frédéric; la reine elle-même, drapée d'un schall à peu près comme les gravures de Londres représentent lady Hamilton, appuie la main sur son coeur, et a l'air de regarder l'empereur de Russie. On ne conçoit point que la police de Berlin ait laissé répandre une aussi pitoyable satire.
Toutefois, l'ombre du grand Frédéric n'a pu que s'indigner de cette scène scandaleuse. Son esprit, son génie et ses voeux étaient avec la nation qu'il a tant estimée, et dont il disait que s'il en était roi, il ne se tirerait pas un coup de canon en Europe, sans sa permission.
Potsdam, le 26 octobre 1806.
Dix-huitième bulletin de la grande armée
L'empereur a passé à Potsdam la revue de la garde à pied, composée de dix bataillons et de soixante pièces d'artillerie, servie par l'artillerie à cheval. Ces troupes, qui ont éprouvé tant de fatigues, avaient la même tenue qu'à la parade de Paris.
A la bataille de Jéna, le général de division Victor a reçu un biscaïen qui lui a fait une contusion: il a été obligé de garder le lit pendant quelques jours. Le général de brigade Gardanne, aide-de-camp de l'empereur, a eu un cheval tué et a été légèrement blessé. Quelques officiers supérieurs ont eu des blessures, d'autres des chevaux tués, et tous ont rivalisé de courage et de zèle.
L'empereur a été voir le tombeau du grand Frédéric. Les restes de ce grand homme sont renfermés dans un cercueil de bois recouvert en cuivre, placé dans un caveau sans ornemens, sans trophées, sans aucune distinction qui rappellent les grandes actions qu'il a faites.
L'empereur a fait présent à l'Hôtel-des-Invalides de Paris, de l'épée de Frédéric, de son cordon de l'Aigle-Noir, de sa ceinture de général, ainsi que des drapeaux que portait sa garde dans la guerre de sept ans. Les vieux invalides de l'armée de Hanovre accueilleront avec un respect religieux tout ce qui a appartenu à un des premiers capitaines dont l'histoire conservera le souvenir.
Lord Morpelh, envoyé d'Angleterre auprès du cabinet prussien, ne se trouvait, pendant la journée de Jéna, qu'à six lieues du champ de bataille. Il a entendu le canon; un courrier vint bientôt lui annoncer que la bataille était perdue, et en un moment il fut entouré de fuyards qui le poussaient de tous côtés. Il courait en criant: Il ne faut pas que je sois pris! Il offrit jusqu'à soixante guinées pour obtenir un cheval; il en obtint un et se sauva.
La citadelle de Spandau, située à trois lieues de Berlin, et à quatre lieues de Potsdam, forte par sa situation au milieu des eaux, et renfermant douze cents hommes de garnison, et une grande quantité de munitions de guerre et de bouche, a été cernée le 24 dans la nuit. Le général Bertrand, aide-de-camp de l'empereur, avait déjà reconnu la place. Les pièces étaient disposées pour jeter des obus et intimider la garnison. Le maréchal Lannes a fait signer par le commandant la capitulation de cette place.
On a trouvé à Berlin des magasins considérables d'effets de campement et d'habillement; ou en dresse les inventaires.
Une colonne, commandée par le duc de Weimar, est poursuivie par le maréchal Soult. Elle s'est présentée le 23 devant Magdebourg. Nos troupes étaient là depuis le 20. Il est probable que nette colonne, forte de quinze mille hommes, sera coupée et prise. Magdebourg est le premier point de rendez-vous des troupes prussiennes. Beaucoup de corps s'y rendent. Les Français le bloquent.
Une lettre de Helmstadt, récemment interceptée, contient des détails curieux.
MM. le prince d'Hatzfeld, Basching, président de la police, le président de Kercheisen; Formey, conseiller intime; Polzig, conseiller de la municipalité; MM. Ruek, Siegr et Hermensdorf, conseillers députés de la ville de Berlin, ont remis ce matin à l'empereur, à Potsdam, les clefs de cette capitale. Ils étaient accompagnés de MM. Grote, conseiller des finances; le baron de Vichnitz et le baron d'Eckarlstein. Ils ont dit que les bruits qu'on avait répandus sur l'esprit de cette ville étaient faux; que les bourgeois et la masse du peuple avaient vu la guerre avec peine; qu'une poignée de femmes et de jeunes officiers avaient fait seuls ce tapage; qu'il n'y avait pas un seul homme sensé qui n'eût vu ce qu'on avait à craindre, et qui pût deviner ce qu'on avait à espérer. Comme tous les Prussiens, ils accusent le voyage de l'empereur Alexandre des malheurs de la Prusse. Le changement qui s'est dès-lors opéré dans l'esprit de la reine, qui, de femme timide et modeste, s'occupant de son intérieur, est devenue turbulente et guerrière, a été une révolution subite. Elle a voulu tout à coup avoir un régiment, aller au conseil; elle a si bien mené la monarchie, qu'en peu de jours elle l'a conduite au bord du précipice.
Le quartier-général est à Charlottembourg.
Charlottembourg, le 27 octobre 1806.
Dix-neuvième bulletin de la grande armée
L'empereur, parti de Potsdam aujourd'hui à midi, a été visiter la forteresse de Spandau. Il a donné des ordres au général de division Chasseloup, commandant le génie de l'armée, sur les améliorations à faire aux fortifications de cette place. C'est un ouvrage superbe; les magasins sont magnifiques. On a trouvé à Spandau des farines, des grains, de l'avoine pour nourrir l'armée pendant deux mois, des munitions de guerre pour doubler l'approvisionnement de l'artillerie. Cette forteresse, située sur la Sprée, à deux lieues de Berlin, est une acquisition inestimable. Dans nos mains, elle soutiendra deux mois de tranchée ouverte. Si les Prussiens ne l'ont pas défendue, c'est que le commandant n'avait pas reçu d'ordre, et que les Français y sont arrivés en même temps que la nouvelle de la bataille perdue. Les batteries n'étaient pas faites et la place était désarmée.
Pour donner une idée de l'extrême confusion qui règne dans cette monarchie, il suffît de dire que la reine, à son retour de ses ridicules et tristes voyages d'Erfurt et de Weimar, a passé la nuit à Berlin, sans voir personne; qu'on a été long-temps sans avoir de nouvelles du roi; que personne n'a pourvu à la sûreté de la capitale, et que les bourgeois ont été obligés de se réunir pour former un gouvernement provisoire.
L'indignation est à son comble contre les auteurs de la guerre. Le manifeste, que l'on appelle à Berlin un indécent libelle où aucun grief n'est articulé, a soulevé la nation contre son auteur, misérable scribe nommé Gentz, un de ces hommes sans honneur qui se vendent pour de l'argent.
Tout le monde avoue que la reine est l'auteur des maux que souffre la nation prussienne. On entend dire partout: Elle était si bonne, si douce il y a un an! mais depuis cette fatale entrevue avec l'empereur Alexandre, combien elle est changée!
Il n'y a eu aucun ordre donné dans les palais, de manière qu'on a trouvé à Potsdam l'épée du grand Frédéric, la ceinture dégénérai qu'il portait à la guerre de sept ans, et son cordon de l'Aigle-Noir. L'empereur s'est saisi de ces trophées avec empressement, et a dit: «J'aime mieux cela que vingt millions.» Puis, pensant un moment à qui il confierait ce précieux dépôt: «Je les enverrai, dit-il, à mes vieux soldats de la guerre d'Hanovre, j'en ferai présent au gouverneur des Invalides: cela restera à l'Hôtel.»
On a trouvé dans l'appartement qu'occupait la reine, à Potsdam, le portrait de l'empereur de Russie, dont ce prince lui avait fait présent; on a trouvé à Charlottembourg sa correspondance avec le roi, pendant trois ans, et des mémoires rédigés par des écrivains anglais, pour prouver qu'on ne devait tenir aucun compte des traités conclus avec l'empereur Napoléon, mais se tourner tout à fait du côté de la Russie. Ces pièces surtout sont des pièces historiques; elles démontreraient, si cela avait besoin d'une démonstration, combien sont malheureux les princes qui laissent prendre aux femmes l'influence sur les affaires politiques. Les notes, les rapports, les papiers d'état étaient musqués, et se trouvaient mêlés avec les chiffons et d'autres objets de la toilette de la reine. Cette princesse avait exalté les têtes de toutes les femmes de Berlin; mais aujourd'hui elles ont bien changé: les premiers fuyards ont été mal reçus; on leur a rappelé, avec ironie, le jour où ils aiguisaient leurs sabres sur les places de Berlin, voulant tout tuer et tout pour fendre.
Le général Savary, envoyé avec un détachement de cavalerie à la recherche de l'ennemi, mande que le prince de Hohenlohe, obligé de quitter Magdebourg, se trouvait, le 25, entre Rattenau et Ruppin, se retirant sur Stettin.
Le maréchal Lannes était déjà à Zehdenick; il est probable que les débris de ce corps ne parviendront pas à se sauver sans être de nouveau entamés.
Le corps bavarois doit être entré ce matin à Dresde, on n'en a pas encore de nouvelles.
Le prince Louis-Ferdinand, qui a été tué dans la première affaire de la campagne, est appelé publiquement, à Berlin, le petit duc d'Orléans. Ce jeune homme abusait de la bonté du roi au point de l'insulter. C'est lui qui, à la tête d'une troupe de jeunes officiers, se porta, pendant une nuit, à la maison de M. de Haugwitz, lorsque ce ministre revint de Paris, et cassa ses fenêtres.
On ne sait si l'on doit le plus s'étonner de tant d'audace ou de tant de faiblesse.
Une grande partie de ce qui a été dirigé de Berlin sur Magdebourg et sur l'Oder a été intercepté par la cavalerie légère. On a déjà arrêté plus de soixante bateaux chargée d'effets d'habillement, de farine d'artillerie. Il y a des régimens d'hussards qui ont plus de 500,000 francs. On a rendu compte qu'ils achetaient de l'or pour de l'argent à cinquante pour cent de perte.
Le château de Charlottembourg, où loge l'empereur, est situé à une lieue de Berlin, sur la Sprée.
Charlottembourg, le 27 octobre 1806.
Vingtième bulletin de la grande armée
Si les événemens militaires n'ont plus l'intérêt de l'incertitude, ils ont toujours l'intérêt des combinaisons, des marches et des manoeuvres. L'infatigable grand-duc de Berg se trouvait à Zehdenick le 26, à trois heures après-midi, avec la brigade de cavalerie légère du général Lasalle, et les divisions de dragons des généraux Beaumont et Grouchy étaient en marche pour arriver sur ce point.
La brigade du général Lasalle contint l'ennemi, qui lui montra près de six mille hommes de cavalerie. C'était toute la cavalerie de l'armée prussienne, qui, ayant abandonné Magdebourg, formait l'avant garde du corps du prince de Hohenlohe, qui se dirigeait sur Stettin. A quatre heures après midi, les deux divisions de dragons étant arrivées, la brigade du général Lasalle chargea l'ennemi avec cette singulière intrépidité qui a caractérisé les hussards et les chasseurs français dans cette campagne, La ligne de l'ennemi, quoique triple, fut rompue, l'ennemi poursuivi dans le village de Zehdenick et culbuté dans les défilés. Le régiment des dragons de la reine voulut se reformer; mais les dragons de la division Grouchy se présentèrent, chargèrent l'ennemi, et en firent un horrible carnage. De ces six mille hommes de cavalerie, partie a été culbutée dans les marais; trois cents hommes sont restés sur le champ de bataille; sept cents ont été pris avec leurs chevaux, le colonel du régiment de la reine et un grand nombre d'officiers sont de ce nombre. L'étendard de ce régiment a été pris. Le corps du maréchal Lannes est en pleine marche pour soutenir la cavalerie. Les cuirassiers se portent en colonne sur la droite, et un autre corps d'armée se porte sur Gransée. Nous arriverons à Stettin avant cette armée, qui, attaquée dans sa marche en flanc, est déjà débordée par sa tête. Démoralisée comme elle l'est, on a lieu d'espérer que rien n'échappera, et que toute la partie de l'armée prussienne qui a inutilement perdu deux jours à Magdebourg pour se rallier, n'arrivera pas sur l'Oder.
Ce combat de cavalerie de Zehdenick a son intérêt comme fait militaire. De part et d'autre, il n'y avait pas d'infanterie; mais la cavalerie prussienne est si loin de la nôtre, que les événemens de la campagne ont prouvé qu'elle ne pouvait tenir vis à vis de forces moindres de la moitié.
Un adjoint de l'état-major, arrêté par un parti ennemi du côté de la Thuringe, lorsqu'il portait des ordres au maréchal Mortier, a été conduit à Custrin, et y a vu le roi. Il rapporte qu'au-delà de l'Oder, il n'est arrivé que très-peu de fuyards, soit à Stettin, soit à Custrin; il n'a presque point vu de troupes d'infanterie.
Berlin, le 28 octobre 1806.
Vingt-unième bulletin de la grande armée
L'empereur a fait, hier 27, une entrée solennelle à Berlin. Il était environné du prince de Neufchâtel, des maréchaux Davoust et Augereau, de son grand-maréchal du palais, de son grand-écuyer et de ses aides-de-camp. Le maréchal Lefebvre ouvrait la marche, à la tête de la garde impériale à pied; les cuirassiers de la division Nansouty étaient en bataille sur le chemin. L'empereur marchait entre les grenadiers et les chasseurs à cheval de sa garde. Il est descendu au palais à trois heures après-midi; il a été reçu par le grand-maréchal du palais, Duroc. Un foule immense était accourue sur son passage. L'avenue de Charlottembourg à Berlin est très-belle; l'entrée par cette porte est magnifique. La journée était superbe. Tout le corps de la ville, présenté par le général Hullin, commandant de la place, est venu à la porte offrir les clefs de la ville à l'empereur; ce corps s'est rendu ensuite chez S.M. Le général prince d'Hatzfeld était à la tête.
L'empereur a ordonné que les deux mille bourgeois les plus riches se réunissent a l'hôtel-de-ville, pour nommer soixante d'entr'eux, qui formeront le corps municipal. Les vingt cantons fourniront une garde de soixante hommes chacun; ce qui fera douze cents des plus riches bourgeois pour garder la ville et en faire la police. L'empereur a dit au prince d'Hatzfeld: «Ne vous présentez pas devant moi, je n'ai pas besoin de vos services. Retirez-vous dans vos terres.» Il a reçu le chancelier et les ministres du roi de Prusse.
Le 28, à neuf heures du matin, les ministres de Bavière, d'Espagne, de Portugal et de la Porte, qui étaient à Berlin, ont été admis à l'audience de l'empereur. Il a dit au ministre de la Porte d'envoyer un courrier à Constantinople, pour porter des nouvelles de ce qui se passait, et annoncer que les Russes n'entreraient pas aujourd'hui en Moldavie, et qu'ils ne tenteraient rien contre l'empire ottoman. Ensuite il a reçu tout le clergé protestant et calviniste. Il y a à Berlin plus de dix ou douze mille Français réfugiés par suite de l'édit de Nantes. S. M. a causé avec les principaux d'entr'eux. Il leur a dit qu'ils avaient de justes droits à sa protection, et que leurs privilèges et leur culte seraient maintenus. Il leur a recommandé de s'occuper de leurs affaires, de rester tranquilles, et de porter obéissance et respect à César.
Les cours de justice lui ont été présentées par le chancelier. Il s'est entretenu avec les membres de la division des cours d'appel et de première instance; il s'est informé de la manière dont se rendait la justice.
M. le comte de Néale s'étant présenté dans les salons de l'empereur, S.M. lui a dit: «Eh! bien, Monsieur, vos femmes ont voulu la guerre, en voici le résultat; vous deviez mieux contenir votre famille.» Des lettres de sa fille avaient été interceptées: «Napoléon, disaient ces lettres, ne veut pas la guerre, il faut la lui faire.» –«Non, dit S.M. à M. de Néale, je ne veux pas la guerre, non pas que je me méfie de ma puissance, comme vous le pensez, mais parce que le sang de mes peuples m'est précieux, et que mon premier devoir est de ne le répandre que pour sa sûreté et son honneur. Mais ce bon peuple de Berlin est victime de la guerre, tandis que ceux qui l'ont attirée se sont sauvés. Je rendrai cette noblesse de cour si petite, qu'elle sera obligée de mendier son pain.»
En faisant connaître ses intentions au corps municipal, «j'entends, dit l'empereur, qu'on ne casse les fenêtres de personne. Mon frère le roi de Prusse a cessé d'être roi le jour où il n'a pas fait pendre le prince Louis-Ferdinand, lorsqu'il a été assez osé pour aller casser les fenêtres de ses ministres.»
Aujourd'hui 28, l'empereur est monté à cheval pour passer en revue le corps du maréchal Davoust; demain S.M. passera en revue le corps du maréchal Augereau.
Le grand-duc de Berg, et les maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo sont à la poursuite du prince de Hohenlohe. Après le brillant combat de cavalerie de Zehdenick, le grand-duc de Berg s'est porté à Templin; il y a trouvé les vivres et le dîner préparés pour les généraux et les troupes prussienne.
À Gransée, le prince de Hohenlohe a changé de route, et s'est dirigé sur Furstemberg. Il est probable qu'il sera coupé de l'Oder, et qu'il sera enveloppé et pris.
Le duc de Weimar est dans une position semblable vis-à-vis du maréchal Soult. Ce duc a montré l'intention de passer l'Elbe à Tanger-Munde, pour gagner l'Oder. Le 25, le maréchal Soult l'a prévenu. S'il est joint, pas un homme n'échappera; s'il parvient à passer, il tombe dans les mains du grand-duc de Berg et des maréchaux Lannes et prince de Ponte-Corvo. Une partie de nos troupes borde l'Oder. Le roi de Prusse a passé la Vistule.
M. le comte de Zastrow a été présenté à l'empereur le 27, à Charlottembourg, et lui a remis une lettre du roi de Prusse. Au moment même l'empereur reçoit un aide-de-camp du prince Eugène, qui lui annonce une victoire remportée sur les Russes en Albanie.
Voici la proclamation que l'empereur a faite à ses soldats:
Proclamation de l'empereur à l'armée
Soldats! vous avez justifié mon attente, et répondu dignement à la confiance du peuple français. Tous avez supporté les privations et les fatigues avec autant de courage que vous avez montré d'intrépidité et de sang-froid au milieu des combats. Vous êtes les dignes défenseurs de l'honneur de ma couronne et de la gloire du grand peuple; tant que vous serez animés de cet esprit, rien ne pourra vous résister. Je ne sais désormais à quelle arme je dois donner la préférence.... vous êtes tous de bons soldats. Voici les résultats de nos travaux.
Une des premières puissances militaires de l'Europe, qui osa naguère nous proposer une honteuse capitulation, est anéantie. Les forêts, les défilés de la Franconie, la Saale, l'Elbe, que nos pères n'eussent pas traversés en sept ans, nous les avons traversés en sept jours, et livré dans l'intervalle quatre combats et une grande bataille, Nous avons précédé à Potsdam, à Berlin, la renommée de nos victoires. Nous avons fait soixante mille prisonniers, pris soixante-cinq drapeaux, parmi lesquels ceux des gardes du roi de Prusse; six cents pièces de canon, trois forteresses, plus de vingt généraux. Cependant, près de la moitié de vous regrettent de n'avoir pas encore tiré un coup de fusil. Toutes les provinces de la monarchie prussienne, jusqu'à l'Oder, sont en notre pouvoir.
Soldats! les Russes se vantent de venir à nous. Nous marcherons à leur rencontre, nous leur épargnerons la moitié du chemin, ils retrouveront Austerlitz au milieu de la Prusse. Une nation qui a aussitôt oublié la générosité dont nous avons usé envers elle après cette bataille, où son empereur, sa cour, les débris de son armée n'ont dû leur salut qu'à la capitulation que nous leur avons accordée, est une nation qui ne saurait lutter avec succès contre nous.
Cependant, tandis que nous marchons au-devant des Russes, de nouvelles armées, formées dans l'intérieur de l'empire, tiennent prendre notre place pour garder nos conquêtes. Mon peuple tout entier s'est levé, indigné de la honteuse capitulation que les ministres prussiens, dans leur délire, nous ont proposée. Nos routes et nos villes frontières sont remplies de conscrits qui brûlent de marcher sur vos traces. Nous ne serons plus désormais les jouets d'une paix traîtresse, et nous ne poserons plus les armes que nous n'ayons obligé les Anglais, ces éternels ennemis de notre nation, à renoncer au projet de troubler le continent, et à la tyrannie des mers.
Soldats! je ne puis mieux vous exprimer les sentimens que j'ai pour vous, qu'en vous disant que je vous porta dans mon coeur l'amour que vous me montrez tous les jours.
NAPOLÉON.
Berlin, le 29 octobre 1806.
Vingt-deuxième bulletin de la grande armée
Les événemens se succèdent avec rapidité. Le grand-duc de Berg est arrivé le 27 à Hasleben avec une division de dragons. Il avait envoyé à Boitzenhourg le général Milhaud, avec le treizième régiment de chasseurs et la brigade de cavalerie légère du général Lasalle, sur Prentzlow. Instruit que l'ennemi était en force à Boitzenbourg, il s'est porté à Wigneensdorf. A peine arrivé là, il s'aperçut qu'une brigade de cavalerie ennemie s'était portée sur la gauche, dans l'intention de couper le général Milhaud. Les voir, les charger, jeter le corps des gendarmes du roi dans le lac, fut l'affaire d'un moment. Ce régiment se voyant perdu, demanda à capituler. Cinq cents hommes mirent pied à terre et remirent leurs chevaux. Les officiers se retirent chez eux sur parole. Quatre étendards de la garde, tous d'or, furent le trophée du petit combat de Wigneensdorf, qui n'était que le prélude de la belle affaire de Prentzlow.
Ces célèbres gendarmes, qui ont trouvé tant de commisération après la défaite, sont les mêmes qui, pendant trois mois, ont révolté la ville de Berlin par toutes sortes de provocations. Ils allaient sous les fenêtres de M. Laforêt, ministre de France, aiguiser leurs sabres: les gens de bon sens haussaient les épaules; mais la jeunesse sans expérience, et les femmes passionnées, à l'exemple de la reine, voyaient dans cette fanfaronnade, un pronostic sûr des grandes destinées qui attendaient l'armée prussienne.
Le prince de Hohenlohe, avec les débris de la bataille de Jéna, cherchait à gagner Stettin. Il avait été obligé de changer de route, parce que le grand-duc de Berg était à Templin avant lui. Il voulut déboucher de Boitzenbourg sur Hasleben, il fut trompé dans son mouvement. Le grand-duc de Berg jugea que l'ennemi cherchait à gagner Prentzlow; cette conjecture était fondée. Le prince marcha toute la nuit avec les divisions de dragons des généraux Beaumont et Grouchy, éclairées par la cavalerie légère du général Lasalle. Les premiers postes de nos hussards arrivèrent à Prentzlow avec l'ennemi, mais ils furent obligés de se retirer le 28 au matin devant les forces supérieures que déploya le prince de Hohenlohe. A neuf heures du matin, le grand-duc de Berg arriva à Prentow, et à dix heures, il vit l'armée ennemie en pleine marche. Sans perdre de temps en vains mouvemens, le prince ordonna, au général Lasalle de charger dans les faubourgs de Prentzlow, et le fit soutenir par les généraux Grouchy et Beaumont, et leurs six pièces d'artillerie légère. Il fît traverser à Golmitz la petite rivière qui passe à Prentzlow, par trois régimens de dragons, attaquer le flanc de l'ennemi, et chargea son autre brigade de dragons de tourner la ville. Nos braves canonnières à cheval placèrent si bien leurs pièces, et tirèrent avec tant d'assurance, qu'ils mirent de l'incertitude dans les mouvemens de l'ennemi. Dans le moment, le général Grouchy reçut ordre de charger: ses braves dragons s'en acquittèrent avec intrépidité. Cavalerie, infanterie, artillerie, tout fut culbuté dans les faubourgs de Prentzlow. On pouvait entrer pêle-mêle avec l'ennemi dans la ville; mais le prince préféra les faire sommer par le général Belliard. Les portes de la ville étaient déjà brisées; Sans espérance, le prince de Hohenlohe, un des principaux boute-feux de cette guerre impie, capitula, et défila devant l'armée française avec seize mille hommes d'infanterie, presque tous gardes ou grenadiers; six régimens de cavalerie, quarante-cinq drapeaux et soixante-quatre pièces d'artillerie attelées. Tout ce qui avait échappé des gardes du roi de Prusse à la bataille de Jéna, est tombé en notre pouvoir. Nous avons tous les drapeaux des gardes à pied et à cheval du roi. Le prince de Hohenlohe, commandant en chef, après la blessure du duc de Brunswick, un prince de Mecklembourg-Schwerin et plusieurs généraux sont nos prisonniers.
«Mais il n'y a rien de fait, tant qu'il reste à faire, écrivit l'empereur au grand-duc de Berg. Vous avez débordé une colonne de huit mille hommes, commandée par le général Blucher; que j'apprenne bientôt qu'elle a éprouvé le même sort.»
Une autre de dix mille hommes a passé l'Elbe; elle est commandée par le duc de Weimar. Tout porte à croire que lui et toute sa colonne vont être enveloppés.
Le prince Auguste-Ferdinand, frère du prince Louis, tué à Saalfeld, et fils du prince Ferdinand, frère du Grand-Frédéric, a été pris par nos dragons les armes à la main.
Ainsi, cette grande et belle armée prussienne a disparu comme un brouillard d'automne au lever du soleil. Généraux en chef, généraux commandant les corps d'armée, princes, infanterie, cavalerie, artillerie, il n'en reste plus rien. Nos postes étant entrés à Francfort sur l'Oder, le roi de Prusse s'est porté plus loin. Il ne lui reste pas quinze mille hommes; et pour un tel résultat, il n'y a presque aucune perte de notre côté.
Le général Clarke, gouverneur du pays d'Erfurth, a fait capituler un bataillon saxon qui errait sans direction.
L'empereur a passé, le 28, la revue du corps du maréchal Davoust, sous les murs de Berlin. Il a nommé à toutes les places vacantes, il a récompensé les braves. Il a ensuite réuni les officiers et sous-officiers en cercle, et leur a dit: «Officiers et sous-officiers du troisième corps d'armée, vous vous êtes couverts de gloire à la bataille de Jéna; j'en conserverai un éternel souvenir. Les braves qui sont morts, sont morts avec gloire. Nous devons désirer de mourir dans des circonstances si glorieuses.» En passant la revue des douzième, soixante-unième et quatre-vingt-cinquième régimens de ligne qui ont le plus perdu à cette bataille, parce qu'ils ont dû soutenir les plus grands efforts, l'empereur a été attendri de savoir morts, ou grièvement blessés, beaucoup de ses vieux soldats dont il connaissait le dévouement et la bravoure depuis quatorze ans. Le douzième régiment surtout a montré une intrépidité digne des plus grands éloges.
Aujourd'hui à midi, l'empereur a passé la revue du septième corps, que commande le maréchal Augereau. Ce corps a très-peu souffert. La moitié des soldats n'a pas eu occasion de tirer un coup de fusil, mais tous avaient la même volonté et la même intrépidité. La vue de ce corps était magnifique. «Votre corps seul, a dit l'empereur, est plus fort que tout ce qui reste au roi de Prusse, et vous ne composez pas le dixième de mon armée.»
Tous les dragons à pied que l'empereur avait fait venir à la grande armée sont montés, et il y a au grand dépôt de Spandau quatre mille chevaux sellés et bridés dont on ne sait que faire, parce qu'il n'y a pas de cavaliers qui en aient besoin. On attend avec impatience l'arrivée des dépôts.
Le prince Auguste a été présenté à l'empereur, au palais de Berlin, après la revue du septième corps d'année. Ce prince a été renvoyé chez son père, le prince Ferdinand, pour se reposer et se faire panser de ses blessures.
Hier, avant d'aller à la revue du corps du maréchal Davoust, l'empereur avait rendu visite à la veuve du prince Henri, et au prince et à la princesse Ferdinand, qui se sont toujours fait remarquer par la manière distinguée avec laquelle ils n'ont cessé d'accueillir les Français.
Dans le palais qu'habite l'empereur à Berlin, se trouve la soeur du roi de Prusse, princesse électorale de Hesse-Cassel. Cette princesse est en couche. L'empereur a ordonné à son grand-maréchal du palais de veiller à ce qu'elle ne fût pas incommodée du bruit et des mouvemens du quartier-général.
Le dernier bulletin rapporte la manière dont l'empereur a reçu le prince d'Hatzfeld à son audience. Quelques instans après ce prince fut arrêté. Il aurait été traduit devant une commission militaire et inévitablement condamné à mort: des lettres de ce prince au prince Hohenlohe, interceptées aux avant-postes, avaient appris que, quoiqu'il se dit chargé du gouvernement civil de la ville, il instruisait l'ennemi des mouvemens des Français. Sa femme, fille du ministre Schulenbourg, est venue se jeter aux pieds de l'empereur; elle croyait que son mari était arrêté à cause de la haine que le ministre Schulenbourg portait à la France. L'empereur la dissuada bientôt, et lui fit connaître qu'on avait intercepté des papiers dont il résultait que son mari faisait un double rôle, et que les lois de la guerre étaient impitoyables sur un pareil délit. La princesse attribuait à l'imposture de ses ennemis cette accusation, qu'elle appelait une calomnie. «Vous connaissez l'écriture de votre mari, dit l'empereur, je vais vous faire juge.» Il fit apporter la lettre interceptée, et la lui remit. Cette femme, grosse de plus de huit mois, s'évanouissait à chaque mot qui lui découvrait jusqu'à quel point était compromis son mari, dont elle reconnaissait l'écriture. L'empereur fut touché de sa douleur, de sa confusion, des angoisses qui la déchiraient. «Eh! bien, lui dit-il, vous tenez cette lettre, jetez-la au feu; cette pièce anéantie, je ne pourrai plus faire condamner votre mari.» (Cette scène touchante se passait près de la cheminée). Madame d'Hatzfeld ne se le fit pas dire deux fois. Immédiatement après, le prince de Neufchâtel reçut ordre de lui rendre son mari. La commission militaire était déjà réunie. La lettre seule de M. d'Hatzfeld le condamnait; trois heures plus tard il était fusillé.
Berlin, le 30 octobre 1806.
Vingt-troisième bulletin de la grande armée
Le duc de Weimar est parvenu à passer l'Elbe à Havelberg. Le général Soult s'est porté le 9 à Rathnau, et le 30 à Wertenhausen.
Le 29, la colonne du duc de Weimar était à Rhinsberg, et le maréchal prince de Ponte-Corvo à Furstemberg. Il n'y a pas de doute que ces quatorze mille hommes ne soient tombés ou ne tombent, dans ce moment, au pouvoir de l'armée française. D'un autre côté, le général Blucher, avec sept mille hommes, quittait Rhinsberg, le 29 au matin, pour se porter sur Stettin, le maréchal Lannes et le grand-duc de Berg avaient trois journées de marche d'avance sur lui. Cette colonne est tombée en notre pouvoir, ou y tombera sous quarante-huit heures.
Nous avons rendu compte, dans le dernier bulletin, qu'à l'affaire de Prentzlow, le grand-duc de Berg avait fait mettre bas les armes au prince de Hohenlohe et à ses dix-sept mille hommes. Le 29, une colonne ennemie de six mille hommes a capitulé dans les mains du général Milhaud à Passewalk. Cela nous donne encore deux mille chevaux sellés et bridés, avec les sabres. Voilà plus de six mille chevaux que l'empereur a ainsi à Spandau, après avoir monté toute sa cavalerie.
Le maréchal Soult, arrivé à Rathnau, a rencontré cinq escadrons de cavalerie saxonne qui ont demandé à capituler. Il leur a fait signer une capitulation. C'est encore cinq cents chevaux pour l'armée.
Le maréchal Davoust a passé l'Oder à Francfort. Les alliés bavarois et wurtembergeois, sous les ordres du prince Jérôme, sont en marche de Dresde sur Francfort.
Le roi de Prusse a quitté l'Oder, et a passé la Vistule; il est à Graudentz. Les places de la Silésie sont sans garnison et sans approvisionnemens. Il est probable que la place de Stettin ne tardera pas à tomber en notre pouvoir. Le roi de Prusse est sans armée, sans artillerie, sans fusils. C'est beaucoup que d'évaluer à douze ou quinze mille hommes ce qu'il aura pu réunir sur la Vistule. Rien n'est curieux comme les mouvemens actuels. C'est une espèce de chasse où la cavalerie légère, qui va aux aguets des corps d'armée, est sans cesse détournée par des colonnes ennemies qui sont coupées.
Jusqu'à cette heure, nous avons cent cinquante drapeaux, parmi lesquels sont ceux brodés des mains de la belle reine, beauté aussi funeste aux peuples de Prusse, que le fut Hélène aux Troyens.
Les gendarmes de la garde ont traversé Berlin pour se rendre prisonniers à Spandau. Le peuple, qui les avait vus si arrogans il y a peu de semaines, les a vus dans toute leur humiliation.
L'empereur a fait aujourd'hui une grande parade, qui a duré depuis onze heures du matin, jusqu'à six heures du soir. Il a vu en détail toute sa garde à pied et à cheval, et les beaux régimens des carabiniers et des cuirassiers de la division Nansouty; il a fait différentes promotions, en se faisant rendre compte de tout dans le plus grand détail.
Le général Savary, avec deux régimens de cavalerie, a déjà atteint le corps du duc de Weimar, et sert de communication pour transmettre des renseignemens au grand-duc de Berg, au prince de Ponte-Corvo et au maréchal Soult.
On a pris possession des états du duc de Brunswick. On croit que ce duc s'est réfugié en Angleterre. Toutes ses troupes ont été désarmées. Si ce prince a mérité, à juste titre, l'animadversion du peuple français, il a aussi encouru celle du peuple et de l'armée prussienne; du peuple qui lui reproche d'être l'un des auteurs de la guerre; de l'armée; qui se plaint de ses manoeuvres et de sa conduite militaire. Les faux calculs des jeunes gendarmes sont pardonnables; mais la conduite de ce vieux prince, âgé de soixante-douze ans, est un excès de délire dont la catastrophe ne saurait exciter de regrets. Qu'aura donc de respectable la vieillesse, si, au défaut de son âge, elle joint la fanfaronnade et l'inconsidération de la jeunesse?
Berlin, le 31 octobre 1806.
Vingt-quatrième bulletin de la grande armée
Stettin est en notre pouvoir. Pendant que la gauche du grand-duc de Berg, commandée par le général Milhaud, faisait mettre bas les armes, à une colonne de six mille hommes à Passewalk, la droite, commandée par le général Lasalle, sommait la ville de Stettin, et l'obligeait à capituler. Stettin est une place en bon état, bien armée et bien palissadée: cent-soixante pièces de canon, des magasins considérables, une garnison de six mille hommes de belles troupes, prisonnière, beaucoup de généraux, tel est le résultat de la capitulation de Stettin, qui ne peut s'expliquer que par l'extrême découragement qu'a produit sur l'Oder et dans tous les pays de la rive droite la disparition de la grande armée prussienne.
De toute cette belle armée de cent quatre-vingt mille hommes, rien n'a passé l'Oder. Tout a été pris, ou erre encore entre l'Elbe et l'Oder, et sera pris avant quatre jours. Le nombre des prisonniers montera à près de cent mille hommes. Il est inutile de faire sentir l'importance de la prise de la ville de Stettin, une des places les plus commerçantes de la Prusse, et qui assure à l'armée un bon pont sur l'Oder et une bonne ligne d'opérations.
Du moment que les colonnes du duc de Weimar et du général Blucher, qui sont débordées par la droite et la gauche, et poursuivies par la queue, seront rendues, l'armée prendra quelques jours de repos.
On n'entend point encore parler des Russes. Nous désirons fort qu'il en vienne une centaine de milliers. Mais le bruit de leur marche est une vraie fanfaronnade. Ils n'oseront pas venir à notre rencontre. La journée d'Austerlitz se représente à leurs yeux. Ce qui indigne les gens sensés, c'est d'entendre l'empereur Alexandre et son sénat dirigeant, dire que ce sont les alliés qui ont été battus. Toute l'Europe sait bien qu'il n'y a pas de familles en Russie qui ne portent le deuil.
Ce n'est point la perte des alliés qu'elle pleure: cent quatre-vingt-quinze pièces de bataille russes qui ont été prises, et qui sont à Strasbourg, ne sont pas les canons des alliés.
Les cinquante drapeaux russes qui sont suspendus a Notre-Dame de Paris, ne sont point les drapeaux des alliés. Les bandes de Russes qui sont morts dans nos hôpitaux, ou sont prisonniers dans nos villes, ne sont pas les soldats des alliés.
L'empereur Alexandre, qui commandait à Austerlitz et à Vischau, avec un si grand corps d'armée, et qui faisait tant de tapage, ne commandait pas les alliés.
Le prince qui a capitulé, et s'est soumis à évacuer l'Allemagne par journées d'étapes, n'était pas sans doute un prince allié. On ne peut que hausser les épaules à de pareilles forfanteries. Voilà le résultat de la faiblesse des princes et de la vénalité des ministres. Il était bien plus simple pour l'empereur Alexandre de ratifier le traité de paix qu'avait conclu son plénipotentiaire, et de donner le repos au continent. Plus la guerre durera, plus la chimère de la Russie s'effacera, et elle finira par être anéantie; autant la sage politique de Catherine était parvenue à faire de sa puissance un immense épouvantail, autant l'extravagance et la folie des ministres actuels la rendront ridicule en Europe.
Le roi de Hollande, avec l'avant-garde de l'armée du Nord, est arrivé, le 21, à Gottingue. Le maréchal Mortier, avec les deux divisions du huitième corps de la grande armée, commandées par les généraux Lagrange et Dupas, est arrivé le 26 à Fulde.
Le roi de Hollande a trouvé, à Munster, dans le comté de la Marck et autres états prussiens, des magasins et de l'artillerie.
On a ôté à Fulde et à Brunswick les armes du prince d'Orange et celles du duc. Ces deux princes ne régneront plus. Ce sont les principaux auteurs de cette nouvelle coalition.
Les Anglais n'ont pas voulu faire la paix; ils la feront; mais la France aura plus d'états et de côtes dans son système fédératif.
Berlin, le 2 novembre 1806.
Vingt-cinquième bulletin de la grande armée
Le général de division Beaumont a présenté aujourd'hui à l'empereur cinquante nouveaux drapeaux et étendards pris sur l'ennemi; il a traversé toute la ville avec les dragons qu'il commande, et qui portaient ces trophées; le nombre des drapeaux, dont la prise a été la suite de la bataille de Jéna, s'élève en ce moment à deux cents.
Le général Davoust a fait cerner et sommer Custrin, et cette place s'est rendue. On y a fait quatre mille hommes prisonniers de guerre. Les officiers retournent chez eux sur parole, et les soldats sont conduits en France. Quatre-vingt-dix pièces de canon ont été trouvées sur les remparts; la place, en très-bon état, est située au milieu des marais; elle renferme des magasins considérables. C'est une des conquêtes les plus importantes de l'armée; elle a achevé de nous rendre maître de toutes les places sur l'Oder.
Le maréchal Ney va attaquer en règle Magdebourg, et il est probable que cette forteresse fera peu de résistance.
Le grand-duc de Berg avait son quartier général, le 31, à Friedland. Ses dispositions faites, il a ordonné l'attaque de la colonne du général prussien Bila que le général Beker a chargé dans la plaine en avant de la petite ville d'Anklam, avec la brigade de dragons du général Boussart. Tout a été enfoncé, cavalerie et infanterie, et le général Beker est entré dans la ville avec les ennemis, qu'il a forcés de capituler. Le résultat de cette capitulation a été quatre mille prisonniers de guerre: les officiers sont renvoyés sur parole, et les soldats sont conduits en France. Parmi ces prisonniers, se trouve le régiment de hussards de la garde du roi, qui, après la guerre de sept ans, avaient reçu de l'impératrice Catherine, en témoignage de leur bonne conduite, des pelisses de peau de tigre.
La caisse du corps du général Bila, et une partie des bagages avaient passé la Penne et se trouvaient dans la Poméranie suédoise. Le grand-duc de Berg les a fait réclamer.
Le 1er novembre au soir, le grand-duc avait son quartier-général à Demmin.
Le général Blucher et le duc de Weimar, voyant le chemin de Stettin fermé, se portaient sur leur gauche, comme pour retourner sur l'Elbe; mais le maréchal Soult avait prévu ce mouvement: et il y a peu de doute que ces deux corps ne tombent bientôt entre nos mains.
Le maréchal a réuni son corps d'armée à Stettin, où l'on trouve encore chaque jour des magasins et des pièces de canon.
Nos coureurs sont déjà entrés en Pologne.
Le prince Jérôme, avec les Bavarois et les Wurtembergeois, formant un corps d'armée, se porte en Silésie.
S.M. a nommé le général Clarke gouverneur général de Berlin et de la Prusse, et a déjà arrêté toutes les bases de l'organisation intérieure du pays.
Le roi de Hollande marche sur Hanovre, et le maréchal Mortier sur Cassel.
Berlin, le 3 novembre 1806.
Vingt-sixième bulletin de la grande armée
On n'a pas encore reçu la nouvelle de la prise des colonnes du général Blucher et du duc de Weimar. Voici la situation de ces deux divisions ennemies et celle de nos troupes. Le général Blucher, avec sa colonne, s'était dirigé sur Stettin. Ayant appris que nous étions déjà dans cette ville, et que nous avions gagné deux marches sur lui, il se reploya, de Gransée, où nous arrivions en même temps que lui, sur Neustrelitz, où il arriva le 30 octobre, ne s'arrêtant point là, et se dirigeant sur Wharen, où on le suppose arrivé le 31, avec le projet de chercher à se retirer du côté de Rostock pour s'y embarquer.
Le 31, six heures après son départ, le général Savary, avec une colonne de six cents chevaux, est arrivé à Strelitz, où il a fait prisonnier le frère de la reine de Prusse, qui est général au service du roi.
Le 1er novembre, le grand-duc de Berg était à Demmin, filant pour arriver a Rostock, et couper la mer au général Blucher.
Le maréchal prince de Ponte-Corvo avait débordé le général Blucher. Ce maréchal se trouvait le 31, avec son corps d'armée, à Neubrandebourg, et se mettait en marche sur Wharen, ce qui a dû le mettre aux prises, dans la journée du 1er, avec le général Blucher.
La colonne commandée par le duc de Weimar était arrivée le 29 octobre à Neustrelitz; mais instruit que la route de Stettin était coupée, et ayant rencontré les avant-postes français, il fit une marche rétrograde, le 29, sur Wistock. Le 30, le maréchal Soult en avait connaissance par ses hussards, et se mettait en marche sur Wertenhausen. Il l'a immanquablement rencontré le 31 ou le 1er. Ces deux colonnes ont donc été prises hier, ou aujourd'hui au plus tard.
Voici leurs forces: le général Blucher a trente pièces de canon, sept bataillons d'infanterie et quinze cents hommes de cavalerie. Il est difficile d'évaluer la force de ce corps; ses équipages, ses caissons, ses munitions ont été pris. Il est dans la plus pitoyable situation.
Le duc de Weimar a douze bataillons et trente-cinq escadrons en bon état; mais il n'a pas une pièce d'artillerie.
Tels sont les faibles débris de toute l'armée prussienne: il n'en restera rien. Ces deux colonnes prises, la puissance de la Prusse est anéantie, et elle n'a presque plus de soldats. En évaluant à dix mille hommes ce qui s'est retiré avec le roi sur la Vistule, ce serait exagérer.
M. Schulenbourg s'est présenté à Strelitz pour demander un passeport pour Berlin. Il a dit au général Savary: «Il y a huit heures que j'ai vu passer les débris de la monarchie prussienne. Vous les aurez aujourd'hui ou demain. Quelle destinée inconcevable et inattendue! La foudre nous a frappés.» Il est vrai que depuis que l'empereur est entré en campagne, il n'a pas pris un moment de repos. Toujours en marches forcées, devinant constamment les mouvemens de l'ennemi. Les résultats en sont tels qu'il n'y en a aucun exemple dans l'histoire. De plus de cent cinquante mille hommes qui se sont présentés à la bataille de Jéna, pas un ne s'est échappé pour en porter la nouvelle au-delà de l'Oder. Certes, jamais agression ne fut plus injuste; jamais guerre ne fut plus intempestive. Puisse cet exemple servir de leçon aux princes faibles, que les intrigues, les cris et l'or de l'Angleterre excitent toujours à des entreprises insensées.
La division bavaroise, commandée par le général Wrede, est partie de Dresde le 31 octobre. Celle commandée par le général Deroi est partie le 1er novembre. La colonne wurtembergeoise est partie le 3. Toutes ces colonnes se rendent sur l'Oder; elles forment le corps d'armée du prince Jérôme.
Le général Durosnet a été envoyé à Odesberg avec un parti de cavalerie immédiatement après notre entrée à Berlin, pour intercepter tout ce qui se jetterait du canal dans l'Oder. Il a pris plus de quatre-vingts bateaux chargés de munitions de toute espèce qu'il a envoyés à Spandau.
On a trouvé à Custrin des magasins de vivres suffisans pour nourrir l'armée pendant deux mois.
Le général de brigade Macon, que l'empereur avait nommé commandant de Leipsick, est mort dans cette ville d'une fièvre putride. C'était un brave soldat et un parfait honnête homme. L'empereur en faisait cas, et a été très-affligé de sa mort.
Berlin, le 6 novembre 1806.
Vingt-septième bulletin de la grande armée
On a trouvé à Stettin une grande quantité de marchandises anglaises, à l'entrepôt sur l'Oder; on y a trouvé cinq cents pièces de canon et des magasins considérables de vivres.
Le 1er novembre, le grand-duc de Berg était à Demmin: le 2 à Tetetow, ayant sa droite sur Rostock. Le général Savary était le 1er à Kratzebourg, et le 2, de bonne heure, à Wharen et à Jabel. Le prince de Ponte-Corvo attaqua, le soir du 1er à Jabel, l'arrière-garde de l'ennemi. Le combat fut assez soutenu; le corps ennemi fut plusieurs fois mis en déroute: il eût été entièrement enlevé si les difficultés de passer le pays de Mecklembourg ne l'eussent encore sauvé ce jour-là. Le prince de Ponte-Corvo, en chargeant avec la cavalerie, a fait une chute de cheval, qui n'a eu aucune suite. Le maréchal Soult est arrivé le 2 à Plauer.
Ainsi, l'ennemi a renoncé à se porter sur l'Oder. Il change tous les jours de projets. Voyant que la route de l'Oder lui était fermée, il a voulu se retirer sur la Poméranie suédoise. Voyant celle-ci également interceptée, il a voulu retourner sur l'Elbe; mais le maréchal Soult l'ayant prévenu, il paraît se diriger sur le point le plus prochain des côtes. Il doit avoir été à bout le 4 ou le 5 novembre. Cependant tous les jours un ou deux bataillons, et même des escadrons de cette colonne tombent en notre pouvoir. Elle n'a plus ni caissons, ni bagages.
Le maréchal Lannes est à Stettin; le maréchal Davoust à Francfort; le prince Jérôme en Silésie. Le duc de Weimar a quitté le commandement pour retourner chez lui, et l'a laissé à un général peu connu.
L'empereur a passé aujourd'hui la revue de la division de dragons du général Beaumont, sur la place du palais de Berlin. Il a fait différentes promotions.
Tous les hommes de cavalerie qui se trouvaient à pied, se sont rendus a Potsdam, où l'on a envoyé les chevaux de prise. Le général de division Bourcier a été chargé de la direction de ce grand dépôt. Deux mille dragons à pied qui suivaient l'armée, sont déjà montés.
On travaille avec activité à armer la forteresse de Spandau, et à rétablir les fortifications de Wittemberg, d'Erfurt, de Custrin et de Stettin.
Le maréchal Mortier, commandant le huitième corps de la grande armée, s'est mis en marche le 30 octobre sur Cassel: il y est arrivé le 31.
Berlin, 7 novembre 1806.
Vingt-huitième bulletin de la grande armée
Sa majesté a passé aujourd'hui, sur la place du palais de Berlin, depuis onze heures du matin jusqu'à trois après-midi, la revue de la division de dragons du générai Klein. Elle a fait plusieurs promotions. Cette division a donné avec distinction à la bataille de Jéna et a enfoncé plusieurs carrés d'infanterie prussienne. L'empereur a vu ensuite défiler le grand parc de l'armée, l'équipage de pont et le parc du génie: le grand parc est commandé par le général d'artillerie Saint-Laurent; l'équipage de pont, par le colonel Boucher, et le parc de génie, par le général du génie Casals.
S.M. a témoigné au général Songis, inspecteur-général, sa satisfaction de l'activité qu'il mettait dans l'organisation des différentes parties du service de l'artillerie de cette grande armée.
Le général Savary a tourné près de Wismar sur la Baltique, à la tête de cinq cents chevaux du premier de hussards et du septième de chasseurs, le général prussien Husdunne, et l'a fait prisonnier avec deux brigades de hussards et deux pièces de canon. Cette colonne appartient au corps que poursuivent le grand-duc de Berg, le prince de Ponte-Corvo et le maréchal Soult, lequel corps, coupé de l'Oder et de la Poméranie, paraît acculé du côté de Lubeck.
Le colonel Excelmans, commandant le premier régiment de chasseurs du maréchal Davoust, est entré à Posen, capitale de la Grande-Pologne. Il a été reçu avec un enthousiasme difficile à peindre; la ville était remplie de monde, les fenêtres parées comme en un jour de fête;: à peine la cavalerie pouvait-elle se faire jour pour traverser les rues.
Le général du génie Bertrand, aide-de-camp de l'empereur, s'est embarqué sur le lac de Stettin, pour faire la reconnaissance de toutes les passes.
On a formé à Dresde et à Wittemberg un équipage de siège pour Magdebourg: l'Elbe en est couvert. Il est à espérer que cette place ne tiendra pas long-temps. Le maréchal Ney est chargé de ce siège.
Berlin, le 9 novembre 1806.
Vingt-neuvième, bulletin de la grande armée
La brigade de dragons du général Beker a paru aujourd'hui à la parade.
S.M. voulant récompenser la bonne conduite des régimens qui la composent, a fait différentes promotions.
Mille dragons, qui étaient venus à pied à l'armée, et qui ont été montés au dépôt de Potsdam, ont passé hier la revue du général Bessières; ils ont été munis de quelques objets d'équipement qui leur manquaient, et ils partent aujourd'hui pour rejoindre leurs corps respectifs, pourvus de bonnes selles et montés sur de bons chevaux, fruits de la victoire.
S.M. a ordonné qu'il serait frappé une contribution de cent cinquante millions sur les états prussiens et sur ceux des alliés de la Prusse.
Après la capitulation du prince Hohenlohe, le général Blucher, qui le suivait, changea de direction, et parvint à se réunir à la colonne du duc de Weimar, à laquelle s'était jointe celle du prince Frédéric-Guillaume Brunswick-Oels, fils du duc de Brunswick. Ces trois divisions se trouvèrent ainsi sous les ordres du général Blucher. Différentes petites colonnes se joignirent également à ce corps. Pendant plusieurs jours, ces troupes essayèrent de pénétrer par des chemins que les Français pouvaient avoir laissés libres; mais les marches combinées du grand-duc de Berg, du maréchal Soult et du prince de Ponte-Corvo avaient obstrué tous les passages. L'ennemi tenta d'abord de se porter sur Anklam, et ensuite sur Rostock: prévenu dans l'exécution de ce projet, il essaya de revenir sur l'Elbe; mais s'étant trouvé encore prévenu, il marche devant lui pour gagner Lubeck.
Le 4 novembre, il prit position à Crevismulen; le prince de Ponte-Corvo culbuta l'arrière-garde, mais il ne put entamer ce corps, parce qu'il n'avait que six cents hommes de cavalerie, et que celle de l'ennemi était beaucoup plus forte. Le général Vattier a fait, dans cette affaire, de très-belles charges, soutenues par les généraux Pactod et Maisons, avec le vingt-septième régiment d'infanterie légère et le huitième de ligne.
On remarque, dans les différentes circonstances de ce combat, qu'une compagnie d'éclaireurs du quatre-vingt-quatorzième régiment, commandée par le capitaine Razout, fut entourée par quelques escadrons ennemis: mais les voltigeurs français ne redoutent point le choc des cuirassiers prussiens; ils les reçurent de pied-ferme, et firent un feu si bien nourri, et si adroitement dirigé, que l'ennemi renonça à les enfoncer. On vit alors les voltigeurs à pied poursuivre la cavalerie à toute course: les Prussiens perdirent sept pièces de canon, et mille hommes.
Mais le 4 au soir, le grand-duc de Berg, qui s'était porté sur la droite, arriva avec sa cavalerie sur l'ennemi, dont le projet était encore incertain. Le maréchal Soult marcha par Ratzbourg; le prince de Ponte-Corvo marcha par Rebna. Il coucha du 5 au 6 à Schoenberg, d'où il partit à deux heures après minuit. Arrivé à Schlukup sur la Trave, il fit environner un corps de seize cents Suédois, qui avaient enfin jugé convenable d'opérer leur retraite du Lauenbourg, pour s'embarquer sur la Trave. Des coups de canon coulèrent les bâtimens préparés pour l'embarquement. Les Suédois, après avoir riposté, mirent bas les armes. Un convoi de trois cents voitures que le général Savary avait poursuivi de Wismar, fut enveloppé par la colonne du prince de Ponte-Corvo, et pris.—Cependant l'ennemi se fortifiait à Lubeck. Le maréchal Soult n'avait pas perdu de temps dans sa marche de Ratzbourg; de sorte qu'il arriva à la porte de Mullen lorsque le prince de Ponte-Corvo arrivait à celle de la Trave. Le grand-duc de Berg, avec sa cavalerie, était entre deux. L'ennemi avait arrangé à la hâte l'ancienne enceinte de Lubeck; il avait disposé des batteries sur les bastions; il ne doutait pas qu'il ne pût gagner là une journée; mais le voir, le reconnaître et l'attaquer fut l'affaire d'un instant. Le général Drouet, à la tête du vingt-septième régiment d'infanterie légère, et des quatre-vingt-quatorzième et quatre-vingt-quinzième régimens, aborda les batteries avec ce sang-froid et cette intrépidité qui appartiennent aux troupes françaises. Les portes sont aussitôt enfoncées, les bastions escaladés et l'ennemi mis en fuite; et le corps du prince de Ponte-Corvo entre par la porte de la Trave. Les chasseurs corses, les tirailleurs du Pô et le vingt-sixième d'infanterie légère, composant la division d'avant-garde du général Legrand, qui n'avaient point encore combattu dans cette campagne, et qui étaient impatiens de se mesurer avec l'ennemi, marchèrent avec la rapidité de l'éclair: redoutes, bastions, fossés, tout est franchi, et le corps du maréchal Soult entre par la porte de Mullen. C'est en vain que l'ennemi voulut se défendre dans les rues, dans les places, il fut poursuivi partout. Toutes les rues, toutes les places furent jonchées de cadavres. Les deux corps d'armée arrivant de deux côtés opposés, se réunirent au milieu de la ville. A peine le grand-duc de Berg put-il passer, qu'il se mit à la poursuite des fuyards: quatre mille prisonniers, soixante pièces de canon, plusieurs généraux, un grand nombre d'officiers tués ou pris, tel est le résultat de cette belle journée.
Le 7, avant le jour, tout le monde était à cheval, et le grand-duc de Berg cernait l'ennemi près de Schwartau avec la brigade Lasalle et la division de cuirassiers d'Hautpoult, Le général Blucher, le prince Frédéric-Guillaume de Brunswick-Oels, et tous les généraux se présentent alors aux vainqueurs, demandent à signer une capitulation, et défilent devant l'armée française.
Ces deux journées ont détruit le dernier corps qui restait de l'armée prussienne, et nous ont valu le reste de l'artillerie de cette armée, beaucoup de drapeaux et seize mille prisonniers, parmi lesquels se trouvent quatre mille hommes de cavalerie.
Ainsi ces généraux prussiens qui, dans le délire de leur vanité, s'étaient permis tant de sarcasmes contre les généraux autrichiens, ont renouvelé quatre fois la catastrophe d'Ulm, la première, par la capitulation d'Erfurt, la seconde, par celle du prince Hohenlohe; la troisième, par la reddition de Stettin, et la quatrième par la capitulation de Schwartau.
La ville de Lubeck a considérablement souffert: prise d'assaut, ses places et les rues ont été le théâtre du carnage. Elle ne doit s'en prendre qu'à ceux qui ont attiré la guerre dans ses murs. Le Mecklembourg a été également ravagé par les armées françaises et prussiennes. Un grand nombre de troupes se croisant en tout sens, et à marches forcées sur ce territoire, n'a pu trouver sa subsistance qu'aux dépens de cette contrée. Ce pays est intimement lié avec la Russie; son sort servira d'exemple aux princes d'Allemagne qui cherchent des relations éloignées avec une puissance à l'abri des malheurs qu'elle attire sur eux, et qui ne fait rien pour secourir ceux qui lui sont attachés par les liens les plus étroits du sang et par les rapports les plus intimes.
L'aide-de-camp du grand-duc de Berg, Dery, a fait capituler le corps qui escortait les bagages qui s'étaient retirés derrière la Penne. Les Suédois ont livré les fuyards et les caissons. Cette capitulation a produit quinze cents prisonniers, une grande quantité de bagages et de chariots. Il y a aujourd'hui des régimens de cavalerie, qui possèdent plusieurs centaines de milliers d'écus.
Le maréchal Ney, chargé du siège de Magdebourg, a fait bombarder cette place. Plusieurs maisons ayant été brûlées, les habitans ont manifesté leur mécontentement, et le commandant a demandé à capituler. Il y a, dans cette forteresse, beaucoup d'artillerie, des magasins considérables, seize mille hommes appartenant à plus de soixante-dix bataillons, et beaucoup de caisses des corps.
Pendant ces événemens importans, plusieurs corps de notre armée arrivent sur la Vistule.
La malle de Varsovie a apporté beaucoup de lettres de Russie qui ont été interceptées. On y voit que dans ce pays les fables des journaux anglais trouvent une grande croyance; ainsi, l'on est persuadé en Russie que le maréchal Masséna a été tué; que la ville de Naples s'est soulevée; qu'elle a été occupée par les Calabrais; que le roi s'est réfugié à Rome, et que les Anglais, avec cinq ou six mille hommes, sont maîtres de l'Italie. Il ne faudrait cependant qu'un peu de réflexion pour rejeter de pareils bruits. La France n'a-t-elle donc plus d'armée en Italie? Le roi de Naples est dans sa capitale; il a quatre-vingt mille Français; il est maître des deux Calabres; et à Pétersbourg on croit les Calabrais à Rome. Si quelques galériens armés et endoctrinés par cet infâme Sidney-Smith, la honte des braves militaires anglais, tuent des hommes isolés, égorgent des propriétaires riches et paisibles, la gendarmerie et l'échafaud en font justice.
La marine anglaise ne désavouera point le titre d'infamie donnée à Sidney-Smith. Les généraux Stuart et Fox, tous les officiers de terre s'indignent de voir le nom anglais associé à des brigands. Le brave général Stuart s'est même élevé publiquement contre ces menées aussi impuissantes qu'atroces, et qui tendent à faire du noble métier de la guerre, un échange d'assassinats et de brigandages. Mais quand Sidney-Smith a été choisi pour seconder les fureurs de la reine, on n'a vu en lui qu'un de ces instrumens que les gouvernemens emploient trop souvent, et qu'ils abandonnent au mépris qu'ils sont les premiers à avoir pour eux. Les Napolitains feront connaître un jour avec détail les lettres de Sidney-Smith, les missions qu'il a données, l'argent qu'il a répandu pour l'exécution des atrocités dont il est l'agent en chef.
On voit aussi dans les lettres de Pétersbourg, et même dans les dépêches officielles, qu'on croit qu'il n'y a plus de Français dans l'Italie supérieure: on doit savoir cependant que, indépendamment de l'armée de Naples, il y a encore en Italie cent mille hommes prêts à punir ceux qui voudraient y porter la guerre.
On attend aussi de Pétersbourg des succès de la division de Corfou; mais ou ne tardera pas à apprendre que cette division, à peine débarquée aux bouches de Cattaro, a été défaite par le général Marmont; qu'une partie a été prise, et l'autre rejetée dans ses vaisseaux. C'est une chose fort différente d'avoir affaire à des Français, ou à des Turcs que l'on tient dans la crainte et dans l'oppression, en fomentant avec art la discorde dans les provinces. Mais quoi qu'il en puisse être, les Russes ne seront point embarrassés pour détourner d'eux l'opprobre de ces résultats.
Un décret du sénat-dirigeant a déclaré qu'à Austerlitz, ce n'étaient point les Russes, mais leurs alliés, qui avaient été battus. S'il y a sur la Vistule une nouvelle bataille d'Austerlitz, ce sera encore d'autres qu'eux qui auront été vaincus, quoiqu'aujourd'hui, comme alors, leurs alliés n'aient point de troupes à joindre à leurs troupes, et que leur armée ne puisse être composée que de Russes. Les états de mouvemens et ceux des marches de l'armée russe seul tombés dans les mains de l'état-major français. Il n'y aurait rien de plus ridicule que les plans d'opérations des Russes, si leurs vaines espérances n'étaient plus ridicules encore.
Le général Lagrange a été déclaré gouverneur-général de Cassel et des états de Hesse.
Le maréchal Mortier s'est mis en marche pour le Hanovre et pour Hambourg, avec son corps d'armée.
Le roi de Hollande a fait bloquer Hamelin. Il faut que cette guerre soit la dernière, et que ses auteurs soient si sévèrement punis, que quiconque voudra désormais prendre les armes contre le peuple Français, sache bien, avant de s'engager dans une telle entreprise, quelles peuvent en être les conséquences.
Berlin, le 10 novembre 1806.
Trentième bulletin de la grande armée
La place de Magdebourg s'est rendue le 8: le 9, les portes ont été occupées par les troupes françaises.
Seize mille hommes, près de huit cents pièces de canon, des magasins de toute espèce tombent en notre pouvoir.
Le prince Jérôme a fait bloquer la place de Glogau, capitale de la Haute-Silésie, par le général de brigade Lefebvre, à la tête de deux mille chevaux bavarois. La place a été bombardée le 8 par dix obusiers servis par de l'artillerie légère. Le prince fait l'éloge de la conduite de la cavalerie bavaroise. Le général Deroy, avec sa division, a investi Glogau le 9: on est entré en pourparler pour sa reddition.
Le maréchal Davoust est entré à Posen avec un corps d'armée le 10. Il est extrêmement content de l'esprit qui anime les Polonais. Les agens prussiens auraient été massacrés, si l'armée française ne les eût pris sous sa protection.
La tête de quatre colonnes russes, fortes chacune de quinze mille hommes, entrait dans les états prussiens par Georgenbourg, Olita, Grodno et Jalowka. Le 25 octobre, ces têtes de colonnes avaient fait deux marches, lorsqu'elles reçurent la nouvelle de la bataille du 14 et des événemens qui l'ont suivie; elles rétrogradèrent sur-le-champ. Tant de succès, des événemens d'une si haute importance, ne doivent pas ralentir en France les préparatifs militaires; on doit, au contraire, les poursuivre avec une nouvelle énergie, non pour satisfaire une ambition insatiable, mais pour mettre un terme à celle de nos ennemis. L'armée française ne quittera pas la Pologne et Berlin que la Porte ne soit rétablie dans toute son indépendance, et que la Valachie et la Moldavie ne soient déclarées appartenant en toute suzeraineté à la Porte.
L'armée française ne quittera point Berlin, que les possessions des colonies espagnoles, hollandaises et françaises ne soient rendues, et la paix générale faite.
On a intercepté une malle de Dantzick, dans laquelle on a trouvé beaucoup de lettres venant de Pétersbourg et de Vienne. Ou use à Vienne d'une ruse assez simple pour répandre de faux bruits. Avec chaque exemplaire des gazettes, dont le ton est fort réservé, on envoie, sous la même enveloppe, un bulletin à la main, qui contient les nouvelles les plus absurdes. On y lit que la France n'a plus d'armée en Italie; que toute cette contrée est en feu; que l'état de Venise est dans le plus grand mécontentement et a les armes à la main; que les Russes ont attaqué l'armée française en Dalmatie, et l'ont complètement battue.
Quelque fausses et ridicules que soient ces nouvelles, elles arrivent de tant de côtés à la fois, qu'elles obscurcissent la vérité. Nous sommes autorisés à dire que l'empereur a deux cent mille hommes en Italie, dont quatre-vingt mille à Naples, et vingt-cinq mille en Dalmatie; que le royaume de Naples n'a jamais été troublé que par des brigandages et des assassinats; que le roi de Naples est maître de toute la Calabre; que si les Anglais veulent y débarquer avec des troupes régulières, ils trouveront a qui parler; que le maréchal Masséna n'a jamais eu que des succès, et que le roi est tranquille dans sa capitale, occupé des soins de son armée et de l'administration de son royaume; que le général Marmont, commandant l'armée française en Dalmatie, a complètement battu les Russes et les Monténégrins, entre lesquels la division règne; que les Monténégrins accusent les Russes de s'être mal battus, et que les Russes reprochent aux Monténégrins d'avoir fui; que de toutes les troupes de l'Europe, les moins propres à faire la guerre en Dalmatie sont certainement les troupes russes. Aussi y font-elles en général une fort mauvaise figure.
Cependant le corps diplomatique, endoctriné par ces fausses directions données à Vienne à l'opinion, égare les cabinets par ses rapsodies. De faux calculs s'établissent là-dessus; et comme tout ce qui est bâti sur le mensonge et sur l'erreur tombe promptement en ruine, des entreprises aussi mal calculées tournent à la confusion de leurs auteurs. Certainement dans la guerre actuelle, l'empereur n'a pas voulu affaiblir son armée d'Italie; il n'en a pas retiré un seul homme; il s'est contenté de faire venir huit escadrons de cuirassiers, parce que les troupes de cette arme sont inutiles en Italie. Ces escadrons ne sont pas encore arrivés à Inspruck. Depuis la dernière campagne, l'empereur a, au contraire, augmenté son armée d'Italie de quinze régimens qui étaient dans l'intérieur, et de neuf régimens du corps du général Marmont. Quarante mille conscrits, presque tous de la conscription de 1806, ont été dirigés sur l'Italie; et par les états de situation de cette armée au 1er novembre, vingt-cinq mille y étaient déjà arrivés. Quant au peuple des états vénitiens, l'empereur ne saurait être que très-satisfait de l'esprit qui l'anime. Aussi, S.M. s'occupe-t-elle des plus chers intérêts des Vénitiens; aussi a-t-elle ordonné des travaux pour réparer et améliorer leur port, et pour rendre la passe de Malmocco propre aux vaisseaux de tout rang.
Du reste, tous ces faiseurs de nouvelles en veulent beaucoup à nos maréchaux et à nos généraux; il ont tué le maréchal Masséna à Naples; ils ont tué en Allemagne le grand-duc de Berg, le maréchal Soult. Cela n'empêche heureusement personne de se porter très-bien.
Berlin. le 12 novembre 1806.
Trente-unième bulletin de la grande armée
La garnison de Magdebourg a défilé le 11, à neuf heures du matin, devant le corps d'armée du maréchal Ney. Nous avons vingt généraux, huit cents officiers, vingt-deux mille prisonniers, parmi lesquels deux mille artilleurs, cinquante-quatre drapeaux, cinq étendards, huit cents pièces de canon, un million de poudre, un grand équipage de pont et un matériel immense d'artillerie.
Le colonel Gérard et l'adjudant-commandant Ricard ont présenté, ce matin, à l'empereur, au nom des premier et quatrième corps, soixante drapeaux qui ont été pris à Lubeck au corps du général prussien Blucher: il y avait vingt-deux étendards; quatre mille chevaux tout harnachés, pris dans cette journée, se rendent au dépôt de Potsdam.
Dans le vingt-neuvième bulletin, on a dit que le corps du général Blucher avait fourni seize mille prisonniers, parmi lesquels quatre mille de cavalerie. On s'est trompé, il y avait vingt-un mille prisonniers, parmi lesquels cinq mille hommes de cavalerie montés; de sorte que, par le résultat de ces deux capitulations, nous avons cent vingt drapeaux et étendards, et quarante-cinq mille prisonniers. Le nombre des prisonniers qui ont été faits dans la campagne passe cent quarante mille; le nombre des drapeaux pris passe deux cent cinquante; le nombre des pièces de campagne prises devant l'ennemi et sur le champ de bataille, passe huit cents; celui des pièces prises à Berlin et dans les places qui se sont rendues, passe quatre mille.
L'empereur a fait manoeuvrer hier sa garde à pied et à cheval, dans une plaine aux portes de Berlin. La journée a été superbe.
Le général Savary, avec sa colonne mobile, s'est rendu à Rostock, et y a pris quarante ou cinquante bâtimens suédois sur leur lest: il les a fait vendre sur-le-champ.
Berlin, le 16 novembre 1806.
Trente-deuxième bulletin de la grande armée
Après la prise de Magdebourg et l'affaire de Lubeck, la campagne contre la Prusse se trouve entièrement finie.
Voici quelle était la situation de l'armée prussienne en entrant en campagne: Le corps du général Ruchel, dit de Westphalie, était composé de trente-trois bataillons d'infanterie, de quatre compagnies de chasseurs, de quarante-cinq escadrons de cavalerie, d'un bataillon d'artillerie et de sept batteries, indépendamment des pièces de régiment. Le corps du prince de Hohenlohe était composé de vingt-quatre bataillons prussiens et de vingt-cinq bataillons saxons, de quarante-cinq escadrons prussiens et de trente-six escadrons saxons, de deux bataillons d'artillerie, de huit batteries prussiennes et de huit batteries saxonnes. L'armée commandée par le roi en personne, était composée d'une avant-garde de dix bataillons et de quinze escadrons, commandée par le duc de Weimar, et de trois divisions; la première, commandée par le prince d'Orange, était composée de onze bataillons et de vingt escadrons; la seconde division, commandée par le général Wartensleben, était composée de onze bataillons et de quinze escadrons; la troisième division, commandée par le général Schmettau, était composée de dix bataillons et de quinze escadrons. Le corps de réserve de cette armée, que commandait le général Kalkreuth, était composé de deux divisions, chacune de dix bataillons des régimens de la garde ou d'élite, et de vingt escadrons. La réserve que commandait le prince Eugène de Wurtemberg, était composée de dix-huit bataillons et de vingt escadrons. Ainsi, le total général de l'armée prussienne était de cent soixante bataillons et de deux cent trente-six escadrons, servie par cinquante batteries, ce qui faisait, présens sous les armes, cent quinze mille hommes d'infanterie, trente mille de cavalerie, et huit cents pièces de canon, y compris les canons de bataillons; Toute cette armée se trouvait à la bataille du 14, hormis le corps du duc de Weimar, qui était encore sur Eisenach, et la réserve du prince de Wurtemberg; ce qui porte les forces prussiennes qui se trouvaient à la batailles à cent vingt-six mille hommes. De ces cent vingt-six mille hommes, pas un n'a échappé. Du corps du duc de Weimar, pas un homme n'a échappé. Du corps de réserve du duc de Wurtemberg, qui a été battu à Halle, pas un homme n'est échappé. Ainsi, ces cent quarante-cinq mille hommes ont tous été pris, blessés ou tués; tous les drapeaux, étendards, tous les canons, tous les bagages, tous les généraux ont été pris, et rien n'a passé l'Oder. Le roi, la reine, le général Kalkreuth, et à peine dix ou douze officiers, voilà tout ce qui s'est sauvé. Il reste aujourd'hui au roi de Prusse un régiment dans la place de Gros-Glogau qui est assiégée, un à Breslau, un à Brieg, deux à Varsovie, et quelques régimens à Koenigsberg, en tout à peu près quinze mille hommes d'infanterie et trois ou quatre mille hommes de cavalerie. Une partie de ces troupes est enfermée dans des places fortes. Le roi ne peut pas réunir à Koenigsberg, où il s'est réfugié dans ce moment, plus de huit mille hommes. Le souverain de Saxe a fait présent de son portrait au général Lemarrois, gouverneur de Wittemberg, qui, se trouvant à Torgau, a remis l'ordre dans une maison de correction, parmi six cents brigands qui s'étaient armés et menaçaient de piller la ville. Le lieutenant Lebrun a présenté hier à l'empereur quatre étendards de quatre escadrons prussiens que commandait le général Pelet, et que le général Drouet a fait capituler du côté de Lauembourg. Ils s'étaient échappés du corps du général Blucher. Le major Ameil, à la tête d'un escadron du seizième de chasseurs, envoyé par le maréchal Soult le long de l'Elbe, pour ramasser tout ce qui pourrait s'échapper du corps du général Blucher, a fait un millier de prisonniers, dont cinq cents hussards, et a pris une grande quantité de bagages.
Voici la position de l'armée française. La division des cuirassiers du général d'Hautpoult, les divisions de dragons des généraux Grouchy et Sahuc, la cavalerie légère du général Lasalle, faisant partie de la réserve de cavalerie que le grand-duc de Berg avait à Lubeck, arrivent à Berlin. La tête du corps du maréchal Ney, qui a fait capituler la place de Magdebourg, est entrée aujourd'hui à Berlin. Les corps du prince de Ponte-Corvo et du maréchal Soult sont en route pour venir à Berlin. Le corps du maréchal Soult y arrivera le 20; celui du prince de Ponte-Corvo, quelques jours après. Le maréchal Mortier est arrivé avec le huitième corps à Hambourg, pour fermer l'Elbe et le Weser. Le général Savary a été chargé du blocus de Hameln avec la division hollandaise. Le corps du maréchal Lannes est à Thorn. Le corps du maréchal Augereau est à Bromberg et vis-à-vis Graudentz. Le corps du maréchal Davoust est en marche de Posen sur Varsovie, où se rend le grand-duc de Berg avec l'autre partie de la réserve de cavalerie, composée des divisions de dragons des généraux Beaumont, Klein et Beker, de la division de cuirassiers du général Nansouty, et de la cavalerie légère du général Milhaud. Le prince Jérôme, avec le corps des alliés, assiège Gros-Glogau; son équipage de siège a été formé à Custrin. Une de ses divisions investit Breslau. Il prend possession de la Silésie. Nos troupes occupent le fort de Lenczyc, à mi-chemin de Posen à Varsovie; on y a trouvé des magasins et de l'artillerie. Les Polonais montrent la meilleure volonté, mais jusqu'à la Vistule ce pays est difficile; il y a beaucoup de sable. Pour la première fois, la Vistule voit l'aigle gauloise. L'empereur a désiré que le roi de Hollande retournât dans son royaume pour veiller lui-même à sa défense. Le roi de Hollande a fait prendre possession du Hanovre par le corps du général Mortier. Les aigles prussiennes et les armes électorales en ont été ôtées ensemble.
Berlin, le 1er novembre 1806.
Trente-troisième bulletin de la grande armée
Une suspension d'armes a été signée hier à Charlottembourg. La saison se trouvant avancée, cette suspension d'armes assoit les quartiers de l'armée. Partie de la Pologne prussienne se trouve ainsi occupée par l'armée française, et partie est neutre.
(Suit la teneur de cette suspension).
Berlin, le 31 novembre 1806.
Message au sénat
«Sénateurs, nous voulons, dans les circonstances où se trouvent les affaires générales de l'Europe, faire connaître, à vous et à la nation, les principes que nous avons adoptés comme règle général.
«Notre extrême modération, après chacune des trois premières guerres, a été la cause de celle qui leur a succédé. C'est ainsi que nous avons eu à lutter contre une quatrième coalition, neuf mois après que la troisième avait été dissoute, neuf mois après ces victoires éclatantes que nous avait accordées la providence, et qui devaient assurer un long repos au continent.
Mais un grand nombre de cabinets de l'Europe est plus tôt ou plus tard influencé par l'Angleterre; et sans une solide paix avec cette puissance, notre peuple ne saurait jouir des bienfaits qui sont le premier but de nos travaux, l'unique objet de notre vie. Aussi, malgré notre situation triomphante, nous n'avons été arrêtés, dans nos dernières négociations avec l'Angleterre, ni par l'arrogance de son langage, ni par les sacrifices qu'elle a voulu nous imposer. L'île de Malte, à laquelle s'attachait pour ainsi dire l'honneur de cette guerre, et qui, retenue par l'Angleterre au mépris des traités, en était la première cause, nous l'avions cédée; nous avions consenti à ce qu'à la possession de Ceylan et de l'empire du Myssoure, l'Angleterre joignît celle du cap de Bonne-Espérance.
Mais tous nos efforts ont dû échouer lorsque les conseils de nos ennemis ont cessé d'être animés de la noble ambition de concilier le bien du monde avec la prospérité présente de leur patrie, et la prospérité présente de leur patrie avec une prospérité durable; et aucune prospérité ne peut être durable pour l'Angleterre, lorsqu'elle sera fondée sur une politique exagérée et injuste qui dépouillerait soixante millions d'habitans, leurs voisins, riches et braves, de tout commerce et de toute navigation. Immédiatement après la mort du principal ministre de l'Angleterre, il nous fut facile de nous apercevoir que la continuation des négociations n'avait plus d'autre objet que de couvrir les trames de cette quatrième coalition, étouffée dès sa naissance.
Dans cette nouvelle position, nous avons pris pour principes invariables de notre conduite, de ne point évacuer ni Berlin, ni Varsovie, ni les provinces que la force des armes a fait tomber en nos mains, avant que la paix générale ne soit conclue; que les colonies espagnoles, hollandaises et françaises ne soient rendues; que les fondemens de la puissance ottomane ne soient raffermis, et l'indépendance absolue de ce vaste empire, premier intérêt de notre peuple, irrévocablement consacrée. Nous avons mis les îles britanniques en état de blocus, et nous avons ordonné contre elles des dispositions qui répugnaient à notre coeur. Il nous en a coûté de faire dépendre les intérêts des particuliers de la querelle des rois, et de revenir, après tant d'années de civilisation, aux principes qui caractérisent la barbarie des premiers âges des nations. Mais nous avons été contraints, pour le bien de nos alliés, à opposer à l'ennemi commun les mêmes armes dont il se servait contre nous. Ces déterminations, commandées par un juste sentiment de réciprocité, n'ont été inspirées ni par la passion, ni par la haine. Ce que nous avons offert après avoir dissipé les trois coalitions qui avaient tant contribué à la gloire de nos peuples, nous l'offrons encore aujourd'hui que nos armes ont obtenu de nouveaux triomphes. Nous sommes prêts à faire la paix avec l'Angleterre; nous sommes prêts à la faire avec la Russie, avec la Prusse; mais elle ne peut être conclue que sur des bases telles qu'elle ne permette à qui que ce soit, de s'arroger aucun droit de suprématie à notre égard, qu'elle rende les colonies a notre métropole, et qu'elle garantisse à notre commerce et à notre industrie la prospérité à laquelle ils doivent atteindre. Et si l'ensemble de ces dispositions éloigne de quelque temps encore le rétablissement de la paix générale, quelque court que soit ce retard, il paraîtra long à notre coeur. Mais nous sommes certains que nos peuples apprécieront la sagesse de nos motifs politiques, qu'ils jugeront avec nous qu'une paix partielle n'est qu'une trêve qui nous fait perdre tous nos avantages acquis pour donner lieu à une nouvelle guerre, et qu'enfin ce n'est que dans une paix générale que la France peut trouver le bonheur. Nous sommes dans un de ces instans importans pour la destinée des nations; et le peuple français se montrera digne de celle qui l'attend. Le sénatus-consulte que nous avons ordonné de vous proposer, et qui mettra à notre disposition, dans les premiers jours de l'année, la conscription de 1807, qui, dans les circonstances ordinaires, ne devrait être levée qu'au mois de septembre, sera exécuté avec empressement par les pères, comme par les enfans. Et dans quel plus beau moment pourrions-nous appeler aux armes les jeunes Français! ils auront à traverser, pour se rendre à leurs drapeaux, les capitales de nos ennemis et les champs de bataille illustrés par les victoires de leurs aînés!»
En notre camp Impérial de Berlin, le 21 novembre 1806.
Décret constitutif du blocus continental
Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie, considérant:
1°. Que l'Angleterre n'admet point le droit des gens suivi universellement par tous les peuples policés;
2°. Qu'elle répute ennemi tout individu appartenant à l'état ennemi, et fait en conséquence prisonniers de guerre, non-seulement les équipages des vaisseaux armés en guerre, mais encore les équipages des vaisseaux de commerce et des navires marchands, et même les facteurs du commerce et les négocians qui voyagent pour les affaires de leur négoce;
3°. Qu'elle étend aux bâtimens et marchandises du commerce et aux propriétés des particuliers, le droit de conquête, qui ne peut s'appliquer qu'à ce qui appartient à l'état ennemi;
4°. Qu'elle étend aux villes et ports de commerce non fortifiés, aux havres et aux embouchures des rivières, le droit de blocus, qui, d'après la raison et l'usage de tous les peuples policés, n'est applicable qu'aux places fortes; qu'elle déclare bloquées des places devant lesquelles elle n'a pas même un seul bâtiment de guerre, quoiqu'une place ne soit bloquée que quand elle est tellement investie, qu'on ne puisse tenter de s'en approcher sans un danger imminent; qu'elle déclare même en état de blocus des lieux que toutes ses forces réunies seraient incapables de bloquer, des côtes entières et tout un empire;
5°. Que cet abus monstrueux du droit de blocus n'a d'autre but que d'empêcher les communications entre les peuples, et d'élever le commerce et l'industrie de l'Angleterre sur la ruine de l'industrie et du commerce du continent;
6°. Que tel étant le but évident de l'Angleterre, quiconque fait sur le continent le commerce des marchandises anglaises, favorise par-là ses desseins et s'en rend le complice;
7°. Que cette conduite de l'Angleterre, digne en tout des premiers âges de la barbarie, a profité à cette puissance au détriment de toutes les antres;
8°. Qu'il est de droit naturel d'opposer à l'ennemi les armes dont il se sert, et de le combattre de la même manière qu'il combat, lorsqu'il méconnaît toutes les idées de justice et tous les sentimens libéraux, résultat de la civilisation parmi les hommes; nous avons résolu d'appliquer à l'Angleterre les usages qu'elle a consacrés dans sa législation maritime. Les dispositions du présent décret seront constamment considérées comme principe fondamental de l'empire, jusqu'à ce que l'Angleterre ait reconnu que le droit de la guerre est un et le même sur terre que sur mer; qu'il ne peut s'étendre ni aux propriétés privées, quelles qu'elles soient, ni à la personne des individus étrangers à la profession des armes, et que le droit de blocus doit être restreint aux places fortes réellement investies par des forces suffisantes.
Nous avons en conséquence décrété et décrétons ce qui suit:
Art. 1er. Les Iles-Britanniques sont déclarées en état de blocus.
2. Tout commerce et toute correspondance avec les Iles-Britanniques sont interdits.
En conséquence, les lettres ou paquets adressés ou en Angleterre ou à un Anglais, ou écrits en langue anglaise, n'auront pas cours aux postes, et seront saisis.
3. Tout individu sujet de l'Angleterre, de quelque état et condition qu'il soit, qui sera trouvé dans les pays occupés par nos troupes ou par celles de nos alliés, sera fait prisonnier de guerre.
4. Tout magasin, toute marchandise, toute propriété, de quelque nature qu'elle puisse être, appartenant à un sujet de l'Angleterre, sera déclaré de bonne prise.
5. Le commerce des marchandises anglaises est défendu; et toute marchandise appartenant à l'Angleterre, ou provenant de ses fabriques et de ses colonies, est déclarée de bonne prise.
6. La moitié du produit de la confiscation des marchandises et propriétés déclarées de bonne prise par les articles précédens, sera employée à indemniser les négocians des pertes qu'ils ont éprouvées par la prise des bâtimens de commerce qui ont été enlevés par les croisières anglaises.
7. Aucun bâtiment venant directement de l'Angleterre ou des colonies anglaises, ou y ayant été depuis la publication du présent décret, ne sera reçu dans aucun port.
3. Tout bâtiment qui, au moyen d'une fausse déclaration, contreviendra à la disposition ci-dessus, sera saisi, et le navire et la cargaison seront confisqués comme s'ils étaient propriété anglaise.
9. Notre tribunal des prises de Paris est chargé du jugement définitif de toutes les contestations qui pourront survenir dans notre empire ou dans les pays occupés par l'armée française, relativement à l'exécution du présent décret. Notre tribunal des prises à Milan sera chargé du jugement définitif desdites contestations qui pourront survenir dans l'étendue de notre royaume d'Italie.
10. Communication du présent décret sera donnée, par notre ministre des relations extérieures, aux rois d'Espagne, de Naples, de Hollande et d'Étrurie, et à nos autres alliés dont les sujets sont victimes, comme les nôtres, de l'injustice et de la barbarie de la législation maritime anglaise.
11. Nos ministres des relations extérieures, de la guerre, de la marine, des finances, de la police, et nos directeurs-généraux des postes sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret.
NAPOLÉON.
Berlin, le 23 novembre 1806.
Trente-quatrième bulletin de la grande armée
On n'a pas encore de nouvelles que la suspension d'armes, signée le 17, ait été ratifiée par le roi de Prusse, et que l'échange des ratifications ait eu lieu. En attendant, les hostilités continuent toujours, ne devant cesser qu'au moment de l'échange.
Le général Savary, auquel l'empereur avait confié le commandement du siège de Hameln, est arrivé le 19 à Ebersdorff, devant Hameln, a eu une conférence, le 20, avec le général Lecoq et les généraux prussiens enfermés dans cette place, et leur a fait signer une capitulation. Neuf mille prisonniers, parmi lesquels six généraux, des magasins pour nourrir dix mille hommes pendant six mois, des munitions de toute espèce, une compagnie d'artillerie à cheval, et trois cents hommes à cheval sont en notre pouvoir.
Les seules troupes qu'avait le général Savary étaient un régiment français d'infanterie légère, et deux régimens hollandais, que commandait le général hollandais Dumonceau.
Le général Savary est parti sur-le-champ pour Nienbourg, pour faire capituler cette place, dans laquelle on croit qu'il y a deux ou trois mille hommes de garnison.
Un bataillon prussien de huit cents hommes, tenant garnison à Czentoschau, à l'extrémité de la Pologne prussienne, a capitulé, le 18, devant cent cinquante chasseurs du deuxième régiment, réunis à trois cents Polonais confédérés qui se sont présentés devant cette place. La garnison est prisonnière de guerre; il y a des magasins considérables.
L'empereur a employé toute la journée à passer en revue l'infanterie du quatrième corps d'armée, commandé par le maréchal Soult. Il a fait des promotions et distribué des récompenses dans chaque corps.
Posen, le 38 novembre 1806.
Trente-cinquième bulletin de la grande-armée
L'empereur est parti de Berlin le 25, à deux heures du matin, et est arrivé à Custrin le même jour, à dix heures du matin. Il est arrivé à Meseritz le 26, et à Posen le 27, à dix heures du soir. Le lendemain, S.M. a reçu les différens ordres des Polonais. Le maréchal du palais, Duroc, a été jusqu'à Osterode, où il a vu le roi de Prusse, qui lui a déclaré qu'une partie de ses états était occupée par les Russes, et qu'il était entièrement dans leur dépendance; qu'en conséquence il ne pouvait ratifier la suspension d'armes qu'avaient conclue ses plénipotentiaires, parce qu'il ne pourrait pas en exécuter les stipulations. S.M. se rendait à Koenigsberg.
Le grand-duc de Berg, avec une partie de sa réserve de cavalerie et les corps des maréchaux Davoust, Lannes et Augereau, est entré à Varsovie. Le général russe Benigsen, qui avait occupé la ville avant l'approche des Français, l'a évacuée, apprenant que l'armée française venait à lui et voulait tenter un engagement.
Le prince Jérôme, avec le corps des Bavarois, se trouve à Kalitsch. Tout le reste de l'armée est arrivé à Posen, ou en marche par différentes directions pour s'y rendre. Le maréchal Mortier marche sur Anklam, Rostock et la Poméranie suédoise, après avoir pris possession des villes Anséatiques. La reddition d'Hameln a été accompagnée d'événemens assez étranges. Outre la garnison destinée à la défense de cette place, quelques bataillons prussiens paraissent s'y être réfugiés après la bataille du 14. L'anarchie régnait dans cette nombreuse garnison. Les officiers étaient insubordonnés contre les généraux, et les soldats contre les officiers. A peine la capitulation était-elle signée, que le général Savary reçut une lettre du général Von Schoeler, à laquelle il répondit. Pendant ce temps la garnison était insurgée, et le premier acte de la sédition fut de courir aux magasins d'eaux-de-vie, de les enfoncer et d'en boire outre mesure. Bientôt animés par ces boissons spiritueuses, on se fusilla dans-les rues, soldats contre soldats, soldats contre officiers, soldats contre bourgeois; le désordre était extrême. Le général Von Schoeler envoya courrier sur courrier au général Savary, pour le prier de venir prendre possession de la place avant le moment fixé pour sa remise. Le général Savary accourut aussitôt, entra dans la ville à travers une grêle de balles, fit filer tous les soldats de la garnison par une porte, et les parqua dans une prairie. Il assembla ensuite les officiers, leur fit connaître que ce qui arrivait était un effet de la mauvaise discipline, leur fit signer leur cartel, et rétablit l'ordre dans la ville. On croit que dans le tumulte, il y a eu plusieurs bourgeois.
Posen, le 1er décembre 1806.
Trente-sixième bulletin de la grande armée
Le quartier-général du grand-duc de Berg était le 27 à Lowiez. Le général Benigsen, commandant l'armée russe, espérant empêcher les Français d'entrer à Varsovie, avait envoyé une avant-garde border la rivière de Bsura. Les avant-postes se rencontrèrent dans la journée du 26; les Russes furent culbutés. Le général Beaumont passa la Bsura à Lowiez, rétablit le pont, tua ou blessa plusieurs hussards russes, fit prisonniers plusieurs cosaques, et les poursuivit jusqu'à Blonic. Le 27, quelques coups de sabre furent donnés entre les grand'-gardes de cavalerie; les Russes furent poursuivis; on leur fit quelques prisonniers. Le 28, à la nuit tombante, le grand-duc de Berg, avec sa cavalerie, entra à Varsovie. Le corps du maréchal Davoust y est entré le 29. Les Russes avaient repassé la Vistule en brûlant le pont. Il est difficile de peindre l'enthousiasme des Polonais. Notre entrée dans cette grande ville était un triomphe, et les sentimens que les Polonais de toutes les classes montrent depuis notre arrivée ne sauraient s'exprimer. L'amour de la patrie et le sentiment national sont non-seulement conservés eu entier dans le coeur du peuple, mais il a été retrempé par le malheur; sa première passion, son premier désir est de redevenir nation. Les plus riches sortent de leurs châteaux pour venir demander à grands cris le rétablissement de la nation, et offrir leurs enfans, leur fortune, leur influence. Ce spectacle est vraiment touchant. Déjà ils ont partout repris leur ancien costume, leurs anciennes habitudes. Le trône de Pologne se rétablira-t-il, et cette grande nation reprendra-t-elle son existence et son indépendance? Du fond du tombeau renaîtra-t-elle à la vie? Dieu seul, qui tient dans ses mains les combinaisons de tous les événemens, est l'arbitre de ce grand problème politique; mais certes il n'y eut jamais d'événement plus mémorable, plus digne d'intérêt, et, par une correspondance de sentimens qui fait l'éloge des Français, des traînards qui avaient commis quelque excès dans d'autres pays, ont été touchés du bon accueil du peuple, et n'ont eu besoin d'aucun effort pour se bien comporter. Nos soldats trouvent que les solitudes de la Pologne contrastent avec les campagnes riantes de leur patrie; mais ils ajoutent aussitôt: Ce sont de bonnes gens que les Polonais. Ce peuple se montre vraiment sous des couleurs intéressantes.
Au quartier impérial de Posen, le 2 décembre 1806.
Proclamation à la grande armée
Soldats!
Il y a aujourd'hui un an, à cette heure même, que vous étiez sur le champ mémorable d'Austerlitz. Les bataillons russes, épouvantés, fuyaient en déroute, ou, enveloppés, rendaient les armes à leurs vainqueurs. Le lendemain ils firent entendre des paroles de paix; mais elles étaient trompeuses. A peine échappés par l'effet d'une générosité peut-être condamnable, aux désastres de la troisième coalition, ils en ont ourdi une quatrième. Mais l'allié, sur la tactique duquel ils fondaient leur principale espérance, n'est déjà plus. Ses places fortes, ses capitales, ses magasins, ses arsenaux, deux cent quatre-vingts drapeaux, sept cents pièces de bataille, cinq grandes places de guerre, sont en notre pouvoir. L'Oder, la Wartha, les déserts de la Pologne, les mauvais temps de la saison n'ont pu vous arrêter un moment. Vous avez tout bravé, tout surmonté; tout a fui à votre approche. C'est en vain que les Russes ont voulu défendre la capitale de cette ancienne et illustre Pologne; l'aigle française plane sur la Vistule. Le brave et infortuné Polonais, en vous voyant, croit revoir les légions de Sobieski, de retour de leur mémorable expédition.
Soldats, nous ne déposerons point les armes que la paix générale n'ait affermi et assuré la puissance de nos alliés, n'ait restitué à notre commerce sa liberté et ses colonies. Nous avons conquis sur l'Elbe et l'Oder, Pondichery, nos établissemens des Indes, le cap de Bonne-Espérance et les colonies espagnoles. Qui donnerait le droit de faire espérer aux Russes de balancer les destins? Qui leur donnerait le droit de renverser de si justes desseins? Eux et nous ne sommes-nous pas les soldats d'Austerlitz?»
NAPOLÉON.
De notre camp impérial de Posen, le 2 décembre 1806.
Ordre du jour
Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie,
Avons décrété et décrétons ce qui suit:
Art. 1er. Il sera établi sur l'emplacement de la Madelaine de notre bonne ville de Paris, aux frais du trésor et de notre couronne, un monument dédié à la grande armée, portant sur le frontispice: L'empereur Napoléon aux soldats de la grande armée.
2. Dans l'intérieur du monument seront inscrits, sur des tables de marbre, les noms de tous les hommes, par corps d'armée et par régiment, qui ont assisté aux batailles d'Ulm, d'Austerlitz et de Jena; et sur des tables d'or massif, les noms de tous ceux qui sont morts sur les champs de bataille. Sur des tables d'argent sera gravée la récapitulation, par département, des soldats que chaque département a fournis à la grande armée.
3. Autour de la salle seront sculptés des bas-reliefs où seront représentés les colonels de chacun des régimens de la grande armée avec leurs noms; ces bas-reliefs seront faits de manière que les colonels soient groupés autour de leurs généraux de division et de brigade par corps d'armée. Les statues en marbre des maréchaux qui ont commandé des corps ou qui ont fait partie de la grande armée, seront placées dans l'intérieur de la salle.
3. Les armures, statues, monumens de toutes espèces, enlevés par la grande armée dans ces deux campagnes; les drapeaux, étendards et tymbales conquis par la grande armée, avec les noms des régimens ennemis auxquels ils appartenaient, seront déposés dans l'intérieur du monument.
5. Tous les ans, aux anniversaires des batailles d'Austerlitz et de Jena, le monument sera illuminé, et il sera donné vu concert, précédé d'un discours sur les vertus nécessaires au soldat, et d'un éloge de ceux qui périrent sur le champ de bataille dans ces journées mémorables. Un mois avant, un concours sera ouvert pour recevoir la meilleure pièce de musique analogue aux circonstances. Une médaille d'or de cent cinquante doubles Napoléons, sera donnée aux auteurs de chacune de ces pièces qui auront remporté le prix. Dans les discours et odes, il est expressément défendu de faire aucune mention de l'empereur.
6. Notre ministre de l'intérieur ouvrira sans délai un concours d'architecture pour choisir le meilleur projet pour l'exécution de ce monument. Une des conditions du prospectus sera de conserver la partie du bâtiment de la Madelaine qui existe aujourd'hui, et que la dépense ne dépasse pas trois millions. Une commission de la classe des beaux-arts de notre institut sera chargée de faire un rapport à notre ministre de l'intérieur, avant le mois de mars 1807, sur les projets soumis au concours. Les travaux commenceront le 1er mai, et devront être achevés avant l'an 1809. Notre ministre de l'intérieur sera chargé de tous les détails relatifs à la construction du monument, et le directeur-général de nos musées, de tous les détails des bas-reliefs, statues et tableaux.
7. Il sera acheté cent mille francs de rente en inscriptions sur le grand-livre, pour servir à la dotation du monument et à son entretien annuel.
8. Une fois le monument construit, le grand-conseil de la légion d'honneur sera spécialement chargé de sa garde, de sa conservation, et de tout ce qui est relatif au concours annuel.
9. Notre ministre de l'intérieur et l'intendant des biens de notre couronne, sont chargés de l'exécution du présent décret.
NAPOLÉON.
Posen, le 2 décembre 1806.
Trente-Septième bulletin de la grande armée
Le fort de Czentoschau a capitulé. Six cents hommes qui en formaient la garnison, trente bouches à feu, des magasins sont tombés en notre pouvoir. Il y a un trésor formé de beaucoup d'objets précieux, que la dévotion des Polonais avait offerts à une image de la vierge, qui est regardée comme la patronne de la Pologne. Ce trésor avait été mis sous le séquestre, mais l'empereur a ordonné qu'il fût rendu. La partie de l'armée qui est à Varsovie continue à être satisfaite de l'esprit qui anime cette grande capitale. La ville de Posen a donné aujourd'hui un bal à l'empereur. S.M. y a passé une heure. Il y a eu aujourd'hui un Te Deum pour l'anniversaire du couronnement de l'empereur.
Posen, le 5 décembre 1806.
Trente-huitième bulletin de la grande armée
Le prince Jérôme, commandant l'armée des alliés, après avoir resserré le blocus de Glogau et fait construire des batteries autour de cette place, se porta avec les divisions bavaroises, Wrede et Deroi, du côté de Kalistch à la rencontre des Russes, et laissa le général Vandamme et le corps wurtembergeois continuer le siége de Glogau. Des mortiers et plusieurs pièces de canon arrivèrent le 29 novembre. Ils furent sur-le-champ mis en batterie, et après quelques heures de bombardement, la place s'est rendue, et la capitulation a été signée.
Les troupes alliées du roi de Wurtemberg se sont bien montrées. Deux mille cinq cents hommes, des magasins assez considérables de biscuits, de blé, de poudre, près de deux cents pièces de canon sont les résultats de cette conquête importante, surtout par la bonté de ses fortifications et par sa situation. C'est la capitale de la basse Silésie. Les Russes ayant refusé la bataille devant Varsovie, ont repassé la Vistule. Le grand-duc de Berg l'a passée après eux; il s'est emparé du faubourg de Praga. Il les poursuit sur le Bug. L'empereur a donné en conséquence l'ordre au prince Jérôme, de marcher par sa droite sur Breslaw, et de cerner cette place, qui ne tardera pas de tomber en notre pouvoir. Les sept places de la Silésie seront successivement attaquées et bloquées. Vu le moral des troupes qui s'y trouvent, aucune ne fait présumer une longue résistance. Le petit fort de Culmbach, nommé Plassembourg, avait été bloqué par un bataillon bavarois: muni de vivres pour plusieurs mois, il n'y avait pas de raison pour qu'il se rendît. L'empereur a fait préparer à Cronach et à Forcheim des pièces d'artillerie pour battre ce fort et l'obliger à se rendre. Le 24 novembre, vingt-deux pièces étaient en batterie, ce qui a décidé le commandant à livrer la place. M. de Beker, colonel du sixième régiment d'infanterie de ligne Bavarois, et commandant le blocus, a montré de l'activité et du savoir-faire dans cette circonstance. L'anniversaire de la bataille d'Austerlitz et du couronnement de l'empereur, a été célébré à Varsovie avec le plus grand enthousiasme.
Posen, le 7 décembre 1806.
Trente-neuvième bulletin de la grande armée
Le général Savary, après avoir pris possession d'Hameln, s'est porté sur Nienbourg. Le gouverneur faisait des difficultés pour capituler. Le général Savary entra dans la place, et après quelques pourparlers, il conclut la capitulation. Un courrier vient d'arriver, apportant la nouvelle à l'empereur que les Russes ont déclaré la guerre à la Porte; que Choczin et Bender sont cernés par leurs troupes, qu'ils ont passé à l'improviste le Dniester, et poussé jusqu'à Jassy. C'est le général Michelson qui commande l'armée russe en Valachie. L'armée russe, commandée par le général Benigsen, a évacué la Vistule, et paraît décidée à s'enfoncer dans les terres. Le maréchal Davoust a passé la Vistule, et a établi son quartier-général en avant de Praga; ses avant-postes sont sur le Bug. Le grand-duc de Berg est toujours à Varsovie. L'empereur a toujours son quartier-général à Posen.
Posen, le 9 décembre 1806.
Quarantième bulletin de la grande armée
Le maréchal Ney a passé la Vistule, et est entré le 6 à Thorn. Il se loue particulièrement du colonel Savary, qui, à la tête du quatorzième régiment d'infanterie, et des grenadiers et voltigeurs du quatre-vingt-seizième et du sixième d'infanterie légère, passa le premier la Vistule. Il eut à Thorn un engagement avec les Prussiens, qu'il força, après un léger combat, d'évacuer la ville. Il leur tua quelques hommes et leur fit vingt prisonniers.
Cette affaire offre un trait remarquable. La rivière large de quatre cents toises, charriait des glaçons. Le bateau qui portait notre avant-garde, retenu par les glaces, ne pouvait avancer; de l'autre rive, des bateliers polonais s'élancèrent au milieu d'une grêle de balles pour le dégager. Les bateliers prussiens voulurent s'y opposer: une lutte à coups de poing s'engagea entre eux. Les bateliers polonais jetèrent les prussiens à l'eau, et guidèrent nos bateaux jusqu'à la rive droite. L'empereur a demandé le nom de ces braves gens pour les récompenser.
L'empereur a reçu aujourd'hui la députation de Varsovie, composée de MM. Gutakouski, grand-chambellan de Lithuanie, chevalier des ordres de Pologne; Gorzenski, lieutenant-général, chevalier des ordres de Pologne; Lubienski, chevalier des ordres de Pologne; Alexandre Potocki; Rzetkowki, chevalier de l'ordre de Saint-Stanislas; Luszewki.
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A compter du 1er janvier 1806, le calendrier républicain a été supprimé par une loi.
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Art. 2. La couronne d'Italie est héréditaire dans sa descendance directe et légitime, soit naturelle, soit adoptive, de mâle en mâle, et à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance, sans néanmoins que son droit d'adoption puisse s'étendre sur une autre personne, qu'un citoyen de l'empire français ou du royaume d'Italie (Statut constitutionnel du royaume d'Italie, 19 mars 1805).
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Ceci a rapport à une lettre du roi de Prusse, composée de vingt pages, véritable rapsodie, et que très-certainement le roi n'a pu ni lire ni comprendre. Nous ne pouvons l'imprimer, attendu que tout ce qui tient à la correspondance particulière des souverains, reste dans le portefeuille de l'empereur, et ne vient point à la connaissance du public. Si nous publions celle de S. M., c'est parce que beaucoup d'exemplaires en ayant été faits au quartier-général des Prussiens, où on la trouve très-belle, une copie en est tombée entre nos mains. (Moniteur)
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Cette notification était une injonction à tous les négocians de déclarer les marchandises anglaises, dont la saisie était ordonnée.