Le Cabinet des Fées
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Charles-Joseph de Mayer. Le Cabinet des Fées
Le Cabinet des Fées
Table des matières
TOME PREMIER
CE VOLUME CONTIENT
TOME PREMIER
A GENÈVE,
LISTE COMPLÈTE DES OUVRAGES Qui composent le Cabinet des Fées
Contes et autres textes de Charles Perrault
PRÉCIS DE LA VIE ET DES OUVRAGES DE CHARLES PERRAULT, AVEC L'ANALYSE DE SES CONTES
LE PETIT CHAPERON ROUGE
LES FÉES
LA BARBE BLEUE
LA BELLE AU BOIS DORMANT
LE MAITRE CHAT, OU LE CHAT BOTTÉ
CENDRILLON, OU LA PETITE PANTOUFLE DE VERRE
RIQUET A LA HOUPE
LE PETIT POUCET
L'ADROITE PRINCESSE, OU LES AVENTURES DE FINETTE
A MADEMOISELLE ***
GRISELIDIS
A MONSIEUR ***, EN LUI ENVOYANT GRISELIDIS
PEAU D'ANE
ÉPITRE A MADEMOISELLE ÉLÉONORE DE HUBER
PEAU D'ANE
LES SOUHAITS RIDICULES
NOUVEAUX CONTES DES FÉES
LE PARFAIT AMOUR
ANGUILLETTE
JEUNE ET BELLE
LE PALAIS DE LA VENGEANCE
LE PRINCE DES FEUILLES
LE BONHEUR DES MOINEAUX
L'HEUREUSE PEINE
TABLE DES CONTES du Tome Premier
TABLE DES ILLUSTRATIONS du Tome Premier
Отрывок из книги
Charles-Joseph de Mayer
Tome I
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Il étoit une fois un homme qui avoit de belles maisons à la ville & à la campagne, de la vaisselle d'or & d'argent, des meubles en broderie, & des carrosses tout dorés; mais par malheur cet homme avoit la barbe bleue; cela le rendoit si laid & si terrible, qu'il n'étoit ni femme, ni fille qui ne s'enfuît de devant lui. Une de ses voisines, dame de qualité, avoit deux filles parfaitement belles. Il lui en demanda une en mariage, en lui laissant le choix de celle qu'elle voudroit lui donner. Elles n'en vouloient point toutes deux, & se le renvoyèrent l'une à l'autre, ne pouvant se résoudre à prendre un homme qui eût la barbe bleue. Ce qui les dégoûtoit encore, c'est qu'il avoit déjà épousé plusieurs femmes, & qu'on ne savoit ce que ces femmes étoient devenues. La Barbe bleue, pour faire connoissance, les mena avec leur mère, & trois ou quatre de leurs meilleures amies & quelques jeunes gens du voisinage, à une de ses maisons de campagne, où on demeura huit jours entiers. Ce n'étoit que promenade, que parties de chasse & de pêche, que danses & festins, que colations: on ne dormoit point, & on passoit toute la nuit à se faire des malices les uns les autres; enfin tout alla si bien, que la cadette commença à trouver que le maître du logis n'avoit plus la barbe si bleue, & que c'étoit un fort honnête homme. Dès qu'on fut de retour à la ville, le mariage se conclut. Au bout d'un mois, la Barbe bleue dit à sa femme, qu'il étoit obligé de faire un voyage en province, de six semaines au moins, pour une affaire de conséquence, qu'il la prioit de se bien divertir pendant son absence, qu'elle fît venir ses bonnes amies, qu'elle les menât à la campagne si elle vouloit; que par-tout elle fît bonne chère. Voilà, lui dit-il, les clefs de deux grands garde-meubles; voilà celles de la vaisselle d'or & d'argent qui ne sert pas tous les jours; voilà celles de mes coffres-forts, où est mon or & mon argent; celles des cassettes où sont mes pierreries; & voilà le passe-partout de tous les appartemens. Pour cette petite clef-ci, c'est la clef du cabinet au bout de la grande gallerie de l'appartement bas; ouvrez tout, allez par-tout; mais pour ce petit cabinet, je vous défends d'y entrer, & je vous le défends de telle sorte, que s'il vous arrive de l'ouvrir, il n'y a rien que vous ne deviez attendre de ma colère. Elle promit d'observer exactement tout ce qui venoit de lui être ordonné; & lui, après l'avoir embrassée, il monte dans son carrosse & part pour son voyage. Les voisines & les bonnes amies n'attendirent pas qu'on les envoyât quérir pour aller chez la jeune mariée, tant elles avoient d'impatience de voir toutes les richesses de sa maison, n'ayant osé y venir pendant que le mari y étoit, à cause de sa barbe bleue qui leur faisoit peur. Les voilà aussitôt à parcourir les chambres, les cabinets, les garde-robes, toutes plus belles & plus riches les unes que les autres. Elles montèrent ensuite aux garde-meubles, où elles ne pouvoient assez admirer le nombre & la beauté des tapisseries, des lits, des sofas, des cabinets, des guéridons, des tables & des miroirs, où l'on se voyoit depuis les pieds jusqu'à la tête, & dont les bordures, les unes de glace, les autres d'argent & de vermeil doré, étoient les plus belles & les plus magnifiques qu'on eût jamais vues. Elles ne cessoient d'exagérer & d'envier le bonheur de leur amie, qui cependant ne se divertissoit point à voir toutes ces richesses, à cause de l'impatience qu'elle avoit d'aller ouvrir le cabinet de l'appartement bas. Elle fut si pressée de sa curiosité, que, sans considérer qu'il étoit malhonnête de quitter sa compagnie, elle descendit par un escalier dérobé, & avec tant de précipitation, qu'elle pensa se rompre le cou deux ou trois fois. Etant arrivée à la porte du cabinet, elle s'y arrêta quelque temps, songeant à la défense que son mari lui avoit faite, & considérant qu'il pourroit lui arriver malheur d'avoir été désobéissante; mais la tentation étoit si forte, qu'elle ne put la surmonter: elle prit donc la petite clef, & ouvrit en tremblant la porte du cabinet. D'abord elle ne vit rien, parce que les fenêtres étoient fermées; après quelques momens, elle commença à voir que le plancher étoit tout couvert de sang caillé, dans lequel se miroient les corps de plusieurs femmes mortes & attachées le long des murs: c'étoient toutes les femmes que la Barbe bleue avoit épousées, & qu'il avoit égorgées l'une après l'autre. Elle pensa mourir de peur & la clef du cabinet, qu'elle venoit de retirer de la serrure, lui tomba de la main. Après avoir un peu repris ses sens, elle ramassa la clef, referma la porte, & monta à sa chambre pour se remettre un peu mais elle n'en pouvoit venir à bout, tant elle étoit émue. Ayant remarqué que la clef du cabinet étoit tachée de sang, elle l'essuya deux ou trois fois; mais le sang ne s'en alloit point: elle eut beau la laver, & même la frotter avec du sable & avec du grès, il y demeura toujours du sang; car la clef étoit fée, & il n'y avoit pas moyen de la nettoyer tout-à-fait: quand on ôtoit le sang d'un côté, il revenoit de l'autre. La Barbe bleue revint de son voyage dès le soir même, & dit qu'il avoit reçu des lettres dans le chemin, qui lui avoient appris que l'affaire pour laquelle il étoit parti, venoit d'être terminée à son avantage. Sa femme fit tout ce qu'elle put pour lui témoigner qu'elle étoit ravie de son prompt retour. Le lendemain il lui redemanda les clefs, & elle les lui donna, mais d'une main si tremblante, qu'il devina sans peine tout ce qui s'étoit passé. D'où vient, lui dit-il, que la clef du cabinet n'est point avec les autres? Il faut, dit-elle, que je l'aie laissée là-haut sur ma table. Ne manquez pas, dit la Barbe bleue, de me la donner tantôt. Après plusieurs remises, il fallut apporter la clef. La Barbe bleue l'ayant considérée, dit à sa femme: Pourquoi y a-t-il du sang sur cette clef? Je n'en sais rien, répondit la pauvre femme, plus pâle que la mort. Vous n'en savez rien, reprit la Barbe bleue? je le sais bien, moi. Vous avez voulu entrer dans le cabinet. Hé bien, madame, vous y entrerez, & irez prendre votre place auprès des dames que vous y avez vues. Elle se jeta aux pieds de son mari, en pleurant & en lui demandant pardon, avec toutes les marques d'un vrai repentir de n'avoir pas été obéissante. Elle auroit attendri un rocher, belle & affligée comme elle étoit; mais la Barbe bleue avoit un cœur plus dur qu'un rocher. Il faut mourir, madame, lui dit-il, & tout-à-l'heure. Puisqu'il faut mourir, répondit-elle, en le regardant les yeux baignés de larmes, donnez-moi un peu de temps pour prier Dieu. Je vous donne un demi quart-d'heure, reprit la Barbe bleue, mais pas un moment davantage. Lorsqu'elle fut seule, elle appela sa sœur, & lui dit: Ma sœur Anne, car elle s'appeloit ainsi, monte, je te prie, sur le haut de la tour, pour voir si mes frères ne viennent point: ils m'ont promis qu'ils me viendront voir aujourd'hui; &, si tu les vois, fais-leur signe de se hâter. La sœur Anne monte sur le haut de la tour; & la pauvre affligée lui crioit de temps en temps: Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir? Et la sœur Anne lui répondoit: Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, & l'herbe qui verdoie. Cependant la Barbe bleue, tenant un grand coutelas à sa main, crioit de toute sa force à sa femme: Descends vîte, ou je monterai là-haut. Encore un moment, s'il vous plaît? lui répondit sa femme; & aussitôt elle crioit tout bas: Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir? Et la sœur Anne répondoit: Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, & l'herbe qui verdoie. Descends donc vîte, crioit la Barbe bleue, ou je monterai là-haut. Je m'en vais, répondit la femme; & puis elle crioit: Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir? Je vois, répondit la sœur Anne, une grosse poussière qui vient de ce côté-ci.—Sont-ce mes frères?—Hélas non, ma sœur, je vois un troupeau de moutons. Ne veux-tu pas descendre, crioit la Barbe bleue? Encore un petit moment, répondit sa femme; & puis elle crioit: Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir? Je vois, répondit-elle, deux cavaliers qui viennent de ce côté, mais ils sont bien loin encore. Dieu soit loué, s'écria-t-elle un moment après, ce sont mes frères; je leur fais signe tant que je puis de se hâter. La Barbe bleue se mit à crier si fort, que toute la maison en trembla. La pauvre femme descendit, & alla se jeter à ses pieds toute éplorée & toute échevelée. Cela ne sert de rien, dit la Barbe bleue, il faut mourir; puis la prenant d'une main par les cheveux, & de l'autre levant le coutelas en l'air, il alloit lui abattre la tête. La pauvre femme se tournant vers lui, & le regardant avec des yeux mourans, le pria de lui donner un petit moment pour se recueillir. Non, non, dit-il, recommande-toi bien à Dieu; & levant son bras..... Dans ce moment on heurta si fort à la porte, que la Barbe bleue s'arrêta tout court: on ouvrit, & aussitôt on vit entrer deux cavaliers qui, mettant l'épée à la main, coururent droit à la Barbe bleue. Il reconnut que c'étoient les frères de sa femme, l'un dragon, & l'autre mousquetaire, de sorte qu'il s'enfuit aussitôt pour se sauver; mais les deux frères le poursuivirent de si près, qu'ils l'attrapèrent avant qu'il pût gagner le perron. Ils lui passèrent leur épée au travers du corps, & le laissèrent mort. La pauvre femme étoit presque aussi morte que son mari, & n'avoit pas la force de se lever pour embrasser ses frères. Il se trouva que la Barbe bleue n'avoit point d'héritiers, & qu'ainsi sa femme demeura maîtresse de tous ses biens. Elle en employa une partie à marier sa sœur Anne avec un jeune gentilhomme, dont elle étoit aimée depuis long-temps; une autre partie à acheter des charges de capitaines à ses deux frères; & le reste à se marier elle-même à un fort honnête homme, qui lui fit oublier le mauvais temps qu'elle avoit passé avec la Barbe bleue.
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