Читать книгу Dictionnaire des barbarismes et des solécismes - Cyr Narcisse - Страница 1
INTRODUCTION
ОглавлениеEn donnant au public ce petit Dictionnaire des Barbarismes et des Solécismes les plus ordinaires en ce pays, je ne me dissimule pas que cet ouvrage, d'un genre nouveau, sera accueilli par un grand nombre avec défaveur, les uns parce qu'ils croiront qu'il est propre à montrer aux étrangers jusqu'à quel point la langue de Fénelon et de Lamartine s'est déjà corrompue en Canada, les autres parce qu'ils trouveront qu'on parle et qu'on écrit assez bien comme cela. Des personnes instruites mêmes, qui n'ont eu que peu de rapports avec le peuple, surtout celui des campagnes, pourront croire que, pour enrichir mon Dictionnaire, j'ai été chercher des Barbarismes chez les Micmacs et les Abéquanis. Je puis pourtant assurer qu'une proportion considérable des locutions vicieuses ou surannées que je signale ici, je les ai entendu sortir de la bouche de personnes plus ou moins instruites ou je les ai recueillies dans des livres ou sur des journaux imprimés en ce pays.
Entourés de tous côtés par des peuples parlant la langue anglaise, mêlés à une population venue des îles britanniques, parlant ou balbutiant nous-mêmes cette langue de Swift et de Fennimore Cooper, il est impossible que notre idiôme n'en ait pas souffert. Aussi les anglicismes abondent-ils dans le français que nous parlons: tellement que, si nous n'y mettons ordre, bientôt, sans parler encore anglais et tout en croyant nous exprimer en français, nous parlerons un langage qui ne sera ni l'anglais ni le français; tout comme nos ancêtres croyaient s'énoncer en gaulois ou en latin lorsqu'ils ne parlaient qu'un jargon qu'on a appelé la langue romane. Qui ne dit pas, par exemple, parmi nous: payer une visite, transiger des affaires, cet homme vaut £100,000, etc.?
J'ai plus d'une fois interrompu, et, repris cette tâche désagréable, et je, l'aurais sans doute, à la fin, tout à fait abandonnée, si quelques-uns de mes concitoyens, jaloux de conserver intact le dépôt de cette belle langue, que nos pères apportèrent ici avec eux de la vieille France, ne m'avaient conjuré de la poursuivre.
Quelqu'un me reprochera-t-il d'avoir inséré dans ce Dictionnaire des expressions et des mots trop notoirement vicieux, je leur répondrai dans le langage de l'Evangile, que "ce ne sont pas ceux, qui sont sains qui ont besoin de médecin, mais les malades," en d'autres termes que je n'écris pas pour les savans, mais pour les ignorans.
J'écris surtout pour ceux qui n'ont pas un bon dictionnaire à consulter.
Mais, c'est parce que j'ai supposé que ceux auxquels je destine ce petit ouvrage savent la grammaire, que j'ai évité généralement d'insérer les Barbarismes et les Solécismes qui ont leur source:
1º dans le mauvais emploi d'un pronom; comme on, pronom indéfini, employé dans un sens déterminé, pour nous, faute si générale en ce pays;
2º dans le régime donné à une conjonction; comme quoique, suivi d'un verbe à l'indicatif ou au conditionnel;
3º dans le genre donné à un nom; comme une goître, pour un goître, un sentinelle, pour une sentinelle.
Je n'ai pas, non plus, généralement signalé les Barbarismes qui naissent de la mauvaise prononciation des mots, comme: leune pour lune, salois pour saloir, quêteux pour quêteur; et surtout de ceux qui se terminent par et et par ot, comme: fouette pour fouet, minotte pour minot, faute que presque tout le monde fait.
On pourra aussi m'objecter que plusieurs des expressions et des mots que je condamne sont français. A cela je réponds que certains mots et expressions qui se trouvent dans ce Dictionnaire sont en effet ou ont été français; mais qu'ils sont évités aujourd'hui comme vieux, bas ou populaires par les personnes de la bonne société qui se piquent de parler leur langue avec élégance.
Je ne prétends pas au reste que cet ouvrage, que tant de personnes auraient été plus en état d'entreprendre que moi, soit exempt de fautes. Cependant, loin de craindre la critique, je la sollicite. Des personnes compétentes l'en jugeront peut-être digne. Cette critique tournera sans doute au profit de notre langue; et que désiré-je autre chose, sinon qu'elle s'épure, se répande et vive?