Читать книгу Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc - Страница 1

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TABERNACLE, s. m. Nom que l'on donne aujourd'hui à une petite armoire placée sur l'autel, au milieu du retable, et qui sert à déposer le ciboire.

L'établissement des tabernacles sur les autels ne date que du dernier siècle. Les hosties étaient déposées, jusqu'au XVIIe siècle, dans des édicules placés à côté de l'autel, ou dans une suspension (voyez AUTEL, et dans le Dictionnaire du mobilier français, l'article TABERNACLE). Ces édicules placés près de l'autel étaient de bois, de pierre ou de métal, avec lanterne pour loger une lampe. On voit encore quelques-uns de ces tabernacles, datant du XVIe siècle, dans des églises de Belgique. Souvent ces réserves de la sainte Eucharistie étaient mobiles, et n'étaient placées près de l'autel que pendant le service divin.

TAILLE, s. f. On dit: «Une bonne taille, une taille négligée, une taille layée, pour indiquer la façon dont est traité un parement de pierre. La nature de la taille est un des moyens les plus certains de reconnaître la date d'une construction; mais, dès le XIIe siècle, les diverses écoles de tailleurs de pierre ont des procédés qui leur appartiennent, et qu'il est nécessaire de connaître pour éviter la confusion. Ainsi certaines provinces n'ont jamais adopté la laye ou bretture 1, ou n'ont employé cet outil que très-tard. Des tailleurs de pierre ne se sont servis que du ciseau étroit ou large; quelques contrées ont employé de tout temps le marteau taillant sans dents, avec plus ou moins d'adresse.

Autant les ravalements des édifices romains, élevés sous l'influence ou sous la direction d'artistes grecs, sont faits avec perfection, autant les parements de nos monuments gallo-romains de l'empire sont négligés. D'ailleurs les Grecs, comme les Romains, posaient la pierre d'appareil à joints vifs sans mortier, épannelée, et ils faisaient un ravalement lorsque l'oeuvre était montée. Quand ils employaient des matières dures comme le granit ou le marbre, la taille était achevée avant la pose. Beaucoup de monuments grecs, en pierre d'appareil, sont restés épannelés. Le temple de Ségeste, par exemple, le grand temple de Sélinonte, de l'époque dorienne, ne montrent, sur bien des points, que des tailles préparatoires.

Quant aux édifices romains en pierre d'appareil, il en existe très-peu qui aient été complétement ravalés. Le Colisée, la porte Majeure à Rome, les arènes de Nîmes et d'Arles, celles de Pola, ne présentent que des ravalements incomplets. Il est évident que, la bâtisse achevée, on s'empressait d'enlever les échafaudages, et l'on se souciait peu de terminer les ravalements, ou bien ils étaient faits avec une négligence et une hâte telles, que ces ravalements conservaient une apparence grossière.

Il suffit d'examiner les nombreux débris que nous possédons de l'époque gallo-romaine des bas temps, pour constater l'infériorité de la taille des parements, tandis que les lits et joints sont dressés avec une précision parfaite; si bien que les blocs de pierre, même dans des monuments d'une très-basse époque, sont exactement jointifs. Cette négligence des parements tenait donc au peu d'importance que les Romains attachaient à la forme, et non à l'inhabileté des ouvriers. Les tailles préparatoires sont faites, dans les monuments gallo-romains, au moyen d'une ciselure sur l'arête; le nu vu de la pierre conservant la taille de la carrière, faite à l'aide d'un taillant droit peu large. Quant aux lits et joints, ils sont taillés au moyen d'une ciselure très-fine sur les arêtes bien dégauchies, le milieu étant parfaitement aplani à l'aide d'un taillant droit large et fin. Quelquefois ces lits et joints sont moulinés, probablement à l'aide d'une pierre dure et rugueuse, comme de la meulière, par exemple, ou de la lave. L'emploi de la lave, pour mouliner les lits et joints, parait avoir été en usage dans les Gaules, car là où il existe des restes de constructions gallo-romaines, nous avons fréquemment trouvé des morceaux de lave, bien que les contrées où existent ces restes soient fort éloignées des pays volcaniques.

À la chute de l'empire romain, les connaissances de l'appareilleur se perdent entièrement. On ne construit plus qu'en moellon smillé, et les quelques blocs de pierre de taille qu'on met en oeuvre dans les bâtisses sont à peine dégrossis. Cependant une façon nouvelle apparaît dans la taille de ces parements de moellons. On sait le goût des races indo-germaniques pour les entrelacs de lignes.



Les bijoux que l'on découvre dans les tombeaux mérovingiens présentent une assez grande variété de ces combinaisons de lignes croisées, contrariées, en épis, formant des méandres ou des échiquiers. On voit apparaître à l'époque mérovingienne les tailles dites en arête de poisson (fig. 1), et ce genre de tailles persiste assez tard chez les populations qui conservent les traditions germaniques. Ces tailles en épis sont faites à l'aide du taillant droit romain large. Jusqu'à l'époque carlovingienne, la ciselure semble abandonnée. On ne construit plus en pierres d'appareil. Nous voyons au contraire la ciselure employée partout dans les tailles de pierre appartenant aux VIIIe et IXe siècles, ciselure inhabilement faite, mais cependant cherchée, travaillée. Les moulures sont complétement traitées pendant cette époque, à l'aide du ciseau. Pour les parements simples, ils sont grossiers, faits à la pointe et dressés avec le taillant droit large. C'est en Bourgogne et dans le Charolais, pays riches en pierres dures, que vers la fin du XIe siècle on voit apparaître une taille très-bien faite à l'aide du taillant droit étroit, sans ciselures. Alors les pierres d'appareil étaient toutes entièrement taillées avant la pose, on ne faisait pas de ravalements: l'habitude que les ouvriers avaient prise, depuis la chute de l'empire romain, de bâtir en moellon smillé, posé sur lits épais de mortier, leur avait fait perdre la tradition des ravalements. Du moellon smillé ils arrivaient peu à peu à employer des pierres d'un échantillon plus fort, puis enfin la pierre d'appareil, mais ils continuaient à la poser comme on pose le moellon qui ne se ravale pas; et ils taillaient chaque bloc sur le chantier, soignant d'ailleurs autant les lits et joints que les parements. Les constructions du XIe siècle que l'on voit encore en Bourgogne, et sur les bords de la Saône, présentent de beaux parements, dont la taille par lignes verticales sur les surfaces droites, et longitudinales sur les moulures, est égale partout, fine et serrée. C'est à cette époque que l'on reconnaît souvent l'emploi du tour pour les colonnes et bases, et le polissage parfois pour des moulures délicates à la portée de la main. En Auvergne, vers ce même temps, les tailles, quoique un peu plus lourdes que dans la Bourgogne et le Charolais, sont bien faites, régulières, et parfois rehaussées par de la ciselure sur les moulures. Avant le XIIe siècle, dans l'Île-de-France, les tailles sont grossières, mal dressées, et rappellent celle des monuments gallo-romains.

Dans le Poitou, le Berri et la Saintonge, les tailles, avant le XIIe siècle, sont extrêmement grossières, faites à l'aide d'un taillant épais, coupant mal, écrasant le parement, et laissant voir partout les coups du pic ou du poinçon à dégrossir. La ciselure apparaît dans les moulures, mais elle est exécutée sans soin et par des mains inhabiles.

C'est avec le XIIe siècle, au moment où se fait sentir en Occident l'influence des arts gréco-romains de la Syrie, que les tailles se relèvent et arrivent très-promptement à une perfection absolue. Dans toutes les provinces, et notamment en Bourgogne, dans la haute Champagne, dans le Charolais et dans la Saintonge, les progrès sont rapides, et les tailleurs de pierre deviennent singulièrement habiles. On voit alors apparaître certaines recherches dans la façon de traiter les diverses tailles: les parements unis sont dressés au taillant droit, tandis que les moulures sont travaillées au ciseau et souvent polies. L'emploi de la bretture commence à se faire voir sur les bords de la Loire, dans le pays chartrain et dans le domaine royal. C'est vers 1140 que cet outil paraît être d'un usage général dans les provinces au nord de la Loire, tandis qu'il n'apparaît pas encore en Bourgogne et dans tout le midi de la France. Les tailles à la bretture ne se montrent en Bourgogne que vers 1200, et elles n'apparaissent que cinquante ans plus tard sur les bords de la Saône et du Rhône, en Auvergne et dans le Languedoc. Le choeur de l'église abbatiale de Vézelay, qui date des dernières années du XIIe siècle, et qui présente des tailles si merveilleusement exécutées, montre en même temps l'emploi du taillant droit très-fin, du ciseau, du polissage, et, dans quelques parties, de la bretture à larges dents. Les bases, les tailloirs des chapiteaux, les moulures des bandeaux, sont polis et d'une pureté d'exécution incomparable. Même exécution dans l'église de Montréal (Yonne), de la même époque. Ces différences de natures de taille produisent beaucoup d'effet et donnent aux profils une finesse particulière. À dater du XIIIe siècle, l'école de l'Île-de-France, qui prend la tête de l'art de l'architecture, n'emploie plus que la bretture, mais elle polit souvent les profils à la portée de la main, tels que les bases des colonnes. Ce fait peut être observé à Notre-Dame de Paris, à Notre-Dame de Chartres, à la cathédrale de Troyes, à Saint-Quiriace de Provins, à la sainte Chapelle du Palais, et dans un grand nombre de monuments.

Pendant ce temps, dans les contrées où le grès rouge abonde, dans les Vosges et sur les bords du Rhin, on continue de faire les tailles à l'aide du poinçon, du large ciseau et du marteau de bois. On voit beaucoup de tailles de ce genre à Strasbourg, où l'on se sert encore aujourd'hui du même outillage. Dans la cathédrale de cette ville, on remarque une grande variété de tailles du XIe au XIVe siècle, obtenues avec les mêmes outils. Ainsi, dans la crypte de ce monument, sur le mur nord, on voit des tailles faites au poinçon qui donnent ce dessin (fig. 2).



Aux voûtes de cette même crypte (XIIe siècle), les tailles sont façonnées en épis à l'aide du large ciseau strasbourgeois (fig. 3). L'église de Rosheim, près de Strasbourg (XIIe siècle), présente extérieurement et intérieurement des parements taillés au ciseau large, ainsi que l'indique la figure 4.



Il faut dire que le grès rouge des Vosges ne peut guère être parementé autrement qu'à l'aide de ce large ciseau, et les tailleurs de pierre de cette contrée mettaient une certaine coquetterie à obtenir des tailles d'une régularité et d'une finesse que permettait la nature des matériaux. Dans l'Île-de-France, nos tailleurs de pierre, au XIIIe siècle, taillent non-seulement les parements, mais aussi les moulures les plus délicates, à la bretture, ce qui exige une grande adresse de main. Cet outil (la bretture) est dentelé avec d'autant plus de finesse, que les profils deviennent plus délicats. Au XIVe siècle, ces profils acquièrent souvent une telle ténuité, que la bretture ne saurait les dégager; alors on emploie la ripe, sorte de ciseau recourbé et dentelé très-fin, et c'est perpendiculairement à la moulure que cet outil est employé (fig. 5).



Ainsi le tailleur de pierre modèle son profil, comme le ferait un graveur, pour faire sentir les diverses courbures. La ripe, au XVe siècle, est l'outil uniquement adopté pour terminer tout ce qui est mouluré, et la bretture n'est plus employée que pour les parements droits.

Dans des contrées où l'on n'avait que des pierres très-dures, telles que certains calcaires jurassiques, le grès, la lave et même le granit, on continue à employer le poinçon, le ciseau et le taillant droit. La bretture, et à plus forte raison la ripe, n'avaient pas assez de puissance pour entamer ces matières. Tous les profils étaient dégagés au ciseau et terminés au taillant droit très-étroit, employé longitudinalement. On ne voit de traces de l'outil appelé boucharde que dans certains monuments du Midi bâtis de grès dur, comme à Carcassonne, par exemple, et cet outil n'apparaît-il que fort tard, vers la fin du XVe siècle. Encore n'est-il pas bien certain qu'il fût fabriqué comme celui que l'on emploie trop souvent aujourd'hui. C'était plutôt une sorte de grosse bretture à dents obtuses, au lieu d'être coupantes. Jusqu'à la fin du XVe siècle, la taille de la pierre, en France, est faite avec une grande perfection, souvent avec une intelligence complète de la forme et de l'effet à obtenir. Les parements unis ne sont jamais traités comme les moulures. Le grain de la bretture, et plus tard de la grosse ripe, apparaît sur ces parements, tandis qu'il est à peine visible sur les parties profilées. Des détails polis viennent encore donner de la variété et du précieux à ces tailles.

Avec le XVIe siècle, trop souvent la négligence, l'uniformité, le travail inintelligent, remplacent les qualités de tailles qui ressortent sur nos vieux édifices. Puis, depuis le milieu du XVe siècle, on ne mettait plus guère en oeuvre que les pierres tendres à grain fin et compacte, comme la pierre de Vernon, les pierres de Tonnerre, le Saint-Leu le plus serré. Il n'était plus possible, sur ces matériaux, de se servir de la bretture, on employait les ripes grosses et fines. Ces outils ont l'inconvénient, pour les parements unis surtout, si l'ouvrier n'a pas la main légère, d'entrer dans les parties tendres, et de se refuser à attaquer celles qui sont plus dures. Il en résulte que les surfaces ripées sont ondulées, et produisent le plus fâcheux effet sous la lumière frisante. On en vient à passer le grès sur ces parements pour les égaliser, et cette opération amollit les tailles, leur enlève cette pellicule grenue et chaude qui accroche si heureusement les rayons du soleil. Les moulures, les tapisseries, prennent un aspect uniforme, froid, mou, qui donne à un édifice de pierre l'apparence d'une construction couverte d'un enduit.

TAILLOIR, s. m.--Voyez ABAQUE.

TAPISSERIE, s. f. Nom que l'on donne à tout parement uni, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur d'un édifice. On dit: «Les tapisseries sont bien dressées», pour indiquer qu'un parement est bien fait, bien dégauchi et bien ravalé ou enduit.

TAPISSERIE, tenture d'étoffe.--Voyez le Dictionnaire du mobilier français.

TAS, s. m. Ensemble de l'oeuvre où sont mis en place les divers matériaux préparés sur les chantiers.

TAS DE CHARGE, s. m. Assises de pierres à lits horizontaux que l'on place sur un point d'appui, sur une pile ou un angle de mur entre des arcs, pour recevoir des constructions supérieures. Se dit aussi de certains encorbellements, comme, par exemple, des séries de corbeaux qui reçoivent le crénelage d'une courtine ou d'une tour (voyez MÂCHICOULIS).

On conçoit aisément que lorsque plusieurs arcs viennent reposer sur la tête d'une pile dont la section n'est pas considérable, les lits inclinés des claveaux a (fig. 1) ne présentent pas une assiette propre à recevoir une charge supérieure b.



Celle-ci tend à faire glisser ces claveaux ou à les écraser, parce qu'ils présentent leur angle d'extrados sous son action verticale. Alors (voyez en B), dans les constructions bien entendues, ou on laisse entre l'extrados de ces claveaux des assises horizontales c épousant la courbure de l'arc, ou, si la place ne le permet pas, on pose une série de sommiers d (voy. en C) avec lits horizontaux (voyez CONSTRUCTION, fig. 46, 46 bis, 48 ter, 49 bis, 81, 96 et 127). Quelquefois les constructeurs du moyen âge ont formé des arcs presque entièrement composés d'assises en tas de charge, pour éviter les poussées sous une pression considérable. Telles sont appareillées les archivoltes des grandes baies des deux tours occidentales de la cathédrale de Reims, afin de supporter les flèches de pierre projetées sur ces tours.

L'absence des tas de charge sur des piliers a occasionné l'écrasement de ceux-ci. Cela se rencontre assez fréquemment dans des constructions de la fin du XIIe siècle.



Il est clair que si l'on appareille sur une pile des arcs ainsi que ceux tracés en a (fig. 2), tout le poids des constructions supérieures, glissant le long des extrados de ces arcs, vient faire coin en b et exercer sur ce seul point une pression qui eût dû être répartie sur toute la surface de la pile. Les arcs pressés à la clef en c tendent à s'écraser en d, peuvent se disloquer, ne plus épauler qu'imparfaitement le coin de pression. Celui-ci, reposant sur son angle seulement, s'écrase, et les pressions, agissant très-irrégulièrement sur la pile, brisent ses assises. Cet accident, assez fréquent, ainsi que nous venons de le dire, dans des édifices bâtis au XIIe siècle, où l'on n'avait pas encore acquis une parfaite expérience de l'effet des grandes constructions voûtées reposant sur des points d'appui grêles, doit éveiller l'attention des architectes chargés de la restauration de ces constructions. Souvent, en apercevant des piles écrasées, bien que d'une section notable, on croit à l'insuffisance des matériaux employés, et l'on se contente de remplacer les assises éclatées. C'est là l'effet; mais la cause réside presque toujours dans les sommiers qui n'ont pas de tas de charge ou de lits horizontaux au-dessus des chapiteaux, à la naissance des arcs. Il est donc urgent de supprimer cette cause.

L'opération est souvent périlleuse, et demande de l'attention. Remplacer les assises écrasées d'une pile, dans ce cas, sans relancer les sommiers en tas de charge ou à lits horizontaux, à la place des claveaux disposés comme il est dit ci-dessus, c'est faire un travail inutile.

Les accidents qui s'étaient produits dans des édifices du XIIe siècle, à cause de l'absence ou de l'insuffisance des tas de charge, ne furent pas perdus pour les maîtres du XIIIe, siècle. Ceux-ci en vinrent bientôt, ainsi que nous le démontrons dans l'article CONSTRUCTION, à ne plus donner de coupes aux claveaux que quand leur extrados échappait à l'aplomb de la charge supérieure (fig. 3).



Ce principe une fois admis, ils en tirèrent des conséquences nombreuses; ils parvinrent ainsi souvent à neutraliser presque complétement des poussées d'arcs sur des murs, ou à diminuer considérablement le volume et le poids des maçonneries destinées à contre-buter ces poussées.



La théorie de ce principe est celle-ci (fig. 4): Soit une nef voûtée en arcs d'ogives A, avec triforium B et galerie C au-dessus, à la naissance des grandes voûtes, avec bas côté D également voûté en arcs d'ogives. Il s'agit: 1° de ne pas écraser les piles cylindriques E; 2° de ne pas avoir un cube de culées d'arcs-boutants F considérable. Les contre-forts G sont élevés suivant une saillie assez prononcée pour présenter non-seulement une butée suffisante aux voûtes des collatéraux, mais encore une assiette assez large pour résister à une pression inégale. Les assises H de ces contre-forts sont taillées en tas de charge au droit de la naissance des arcs-doubleaux et arcs ogives I des voûtes des bas côtés, afin de recevoir sur leurs lits horizontaux le porte-à-faux de la pile F en K. De même en L, les assises au droit de la naissance des arcs-boutants M sont taillées en tas de charge pour recevoir le pinacle N en porte-à-faux. La ligne ponctuée NO étant l'aplomb du parement intérieur P, il est clair que si l'arc-boutant M n'existait pas, tout le système de la pile butante serait en équilibre avec une propension, au moindre mouvement, à se déverser en L. Cet empilage d'assises tend donc à s'incliner vers la grande voûte, et à exercer par conséquent sur celle-ci une pression. C'est l'arc-boutant qui transmet cette pression. Au-dessus de la pile ou colonne E, les assises sont taillées en tas de charge en R, pour recevoir sur des lits horizontaux la pile S. Les assises de naissance des arcs-doubleaux et arcs ogives de la grande voûte T sont taillées en tas de charge pour reporter la pression des claveaux sur la pile V et sur la colonne E. Ainsi c'est à l'aide de ces tas de charge que l'équilibre du système général est obtenu. C'est grâce à l'équilibre de la pile F, tendant à s'incliner vers l'intérieur de l'édifice, que la butée de l'arc-boutant peut être sensiblement réduite. Le chapiteau de la pile E étant plus saillant vers la nef que vers le bas côté, a ainsi son axe sous la résultante des pressions de la grande voûte, résultante rendue presque verticale par la butée de l'arc-boutant. Les assises en tas de charge R ont encore pour effet d'empêcher la poussée des voûtes des bas côtés, de faire rondir les piliers E vers l'intérieur, en reportant la résultante de pression de ces voûtes suivant l'axe de ces piliers.

C'est conformément à cette théorie que l'église si intéressante de Notre-Dame de Dijon a été construite. Malheureusement l'exécution peu soignée, faite avec trop de parcimonie et par des ouvriers qui ne comprenaient pas parfaitement le système adopté, laisse trop à désirer. La conception n'en est pas moins très-remarquable et due à un maître savant. C'est en mettant d'accord l'exécution avec la théorie, que ce monument peut être restauré sans beaucoup d'efforts. Il ne faudrait pas croire que ces combinaisons de structure nuisent à l'effet, car certainement l'église de Notre-Dame de Dijon est un des beaux monuments de la Bourgogne. Il ressort même de l'adoption de ce système d'équilibre une franchise de parti, une netteté, qui charment les yeux les moins exercés.

Les maîtres des XIVe et XVe siècles, très-savants constructeurs, ne négligèrent pas d'employer les tas de charge, et ils en comprenaient si bien l'importance, qu'ils avaient le soin de les faire tailler dans de très-hautes assises, pour supprimer les chances de rupture. Mais à l'article CONSTRUCTION on trouvera de nombreux exemples de l'emploi de ce système d'appareil.

TEMPLE, s. m. Neuf chevaliers, compagnons d'armes de Godefroy de Bouillon, firent voeu devant Garimond, patriarche de Jérusalem, de se consacrer à la terre sainte 2. Vivant d'aumônes, voués au célibat, consacrant tous les instants de leur vie à protéger les pèlerins, à détruire le brigandage et à combattre les infidèles, ils obtinrent de Baudouin II, roi de Jérusalem, de demeurer près du temple, dans une des dépendances du palais de ce prince. Dès lors ils furent appelés Templiers ou chevaliers du Temple, ou encore soldats du Christ (Christi milites).

Ces premiers chevaliers du Temple étaient soumis à la règle de Saint-Augustin. Ayant été admis près du pape Honoré II pour obtenir une constitution particulière, ce pontife les envoya au concile de Troyes, en 1128, où saint Bernard composa pour eux une règle fixe qui fut adoptée. Bientôt cet ordre devint un des plus riches et des plus puissants de la chrétienté. Du temps de Guillaume de Tyr, le couvent de Jérusalem comptait trois cents chevaliers et un nombre beaucoup plus considérable de frères servants. Des commanderies s'élevèrent sur tout le sol de l'Occident, en outre des établissements de Palestine et de Syrie. Les templiers, dès le XIIe siècle, possédaient des châteaux, des places fortes, des terres en nombre prodigieux, si bien que le P. Honoré de Sainte-Marie estime que les revenus de l'ordre s'élevaient à la somme de 54 000 000 de francs 3.

On donnait le nom de temples, pendant le moyen âge, aux chapelles des commanderies de templiers; ces chapelles étaient habituellement bâties sur plan circulaire, en souvenir du saint sépulcre, et assez exiguës. Bien entendu, les plus anciennes chapelles de templiers ne remontent qu'au milieu du XIIe siècle environ, et elles furent presque toutes bâties à cette époque.

Le chef-lieu de l'ordre, après l'abandon de Jérusalem par les Occidentaux était Paris. Le Temple de Paris comprenait de vastes terrains dont la surface équivalait au tiers de la capitale; il avait été fondé vers 1148, ou, d'après Félibien, au retour de la croisade de Louis VII. Au moment du procès des templiers, c'est-à-dire en 1307, les bâtiments du Temple à Paris se composaient de la chapelle circulaire primitive du XIIe siècle, qui avait été englobée dans une nef du XIIIe, d'un clocher tenant à cette nef, de bâtiments spacieux pour loger et recevoir les frères hospitaliers. Mathieu Paris raconte que Henri III, roi d'Angleterre, à son passage à Paris, en 1254, logea au Temple, où s'élevaient de nombreux et magnifiques bâtiments destinés aux chevaliers, lors de la tenue des chapitres généraux; car il ne leur était permis de loger ailleurs 4. En 1306, une année avant l'abolition de l'ordre, le donjon était achevé; il avait été commencé sous le commandeur Jean le Turc. Ce donjon consistait en une tour carrée fort élevée, flanquée aux quatre angles de tourelles montant de fond, contenant des escaliers et des guettes 5. L'étendue, la beauté, la richesse et la force du Temple à Paris, provoquèrent l'accusation portée contre eux. En effet, l'année précédente, en 1306, le roi Philippe le Bel s'était réfugié au Temple pendant les émeutes soulevées contre les faux monnayeurs, et, de cette forteresse, il put attendre sans crainte l'apaisement des fureurs populaires. Il songea dès lors à s'approprier une résidence plus sûre, plus vaste et splendide que n'étaient le Palais et le Louvre.

L'hospitalité magnifique donnée aux princes par les templiers, possesseurs de richesses considérables, sagement gouvernées, ne pouvait manquer d'exciter la convoitise d'un souverain aussi cupide que l'était Philippe le Bel. Plus tard l'hospitalité que Louis XIV voulut accepter à Vaux ne fut guère moins funeste au surintendant Fouquet.

Les derniers chevaliers du Temple qui quittèrent la Palestine revinrent en Occident, possesseurs de 50 000 florins d'or et de richesses mobilières considérables. Ces trésors n'avaient fait que s'accroître dans leurs commanderies par une administration soumise à un contrôle sévère. Le mystère dont s'entouraient les délibérations de l'ordre ne pouvait d'ailleurs qu'exagérer l'opinion que l'on se faisait de leurs biens. Dès qu'ils eurent été condamnés et exécutés, Philippe le Bel s'installa au Temple. Quant aux trésors, ils passèrent dans ses mains et dans celles du pape Clément V, complice du roi dans cette inique et scandaleuse procédure. Plus tard le Temple de Paris et les commanderies de France furent remis aux chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem 6, puis de Rhodes et de Malte.

Sauval 7 s'exprime ainsi au sujet du Temple: «C'est une église gothique, accompagnée devant la porte d'un petit porche ou vestibule antique, et enrichi en entrant d'une coupe (coupole), dont la voûte est égale à celle du vaisseau, et soutenue sur six gros piliers qui portent des arcades au premier étage, et sur autant de pilastres au second, qui s'élèvent jusqu'à l'arrachement de la voûte. Cette coupe (coupole) est entourée d'une nef, dont la voûte a une élévation pareille à ces arcades. Cette partie d'entrée, qui est l'unique en son espèce que j'ai encore vue en France, en Angleterre et dans les dix-sept provinces, non-seulement est majestueuse et magnifique par dedans, mais encore fait un effet surprenant et plaisant à la vue par dehors.

Le circuit de ce lieu, dit Corrozet 8 (le Temple, ses dépendances et cultures), est très-spacieux et plus grand que mainte ville renommée de ce royaume; il est clos de fortes murailles à tourelles et carneaux larges, pour y cheminer deux hommes de front. Là sont plusieurs chapelles et logis en ruyne, qui servaient aux congrégations des templiers, chacun en sa nation... Y sont aussi plusieurs riches bastimens nouveaux faits par les chevaliers de Rhodes, auxquels les biens desdits templiers furent donnez, et par conséquent ledit lieu du Temple, dont l'église est faite à la semblance du temple de Jérusalem....»



Réunissant les renseignements que nous avons pu nous procurer sur le Temple de Paris 9, nous donnons le plan de l'église (fig. 1). La rotonde datait de la première moitié du XIIe siècle. Après la sortie des templiers de la Palestine, cette rotonde fut augmentée au porche A, dont parle Sauval, et un peu plus tard de la grande nef B. Le bas du clocher C datait également du XIIe siècle, et l'étage du beffroi du commencement du XIIIe siècle.

Le porche A était à claire-voie dans la partie inférieure, et vitré dans la partie supérieure. Cette disposition, adoptée fréquemment pour les cloîtres, produisait ici un effet très-pittoresque, ainsi que le remarque Sauval. Une coupe longitudinale (fig. 2) fera saisir la disposition originale de ces constructions ajoutées à la rotonde primitive.



En A, est le porche avec ses claires-voies latérales; au-dessus, les fenêtres vitrées. C'est à peu près la disposition qui subsiste à Aix-la-Chapelle, mais mieux entendue. La rotonde englobée avait conservé ses voûtes et son étage supérieur, qui formait saillie extérieurement sur les parois du narthex et de la grande nef 10. Le triangle équilatéral avait été le générateur du plan de la rotonde. On sait que le triangle équilatéral était un des signes adoptés par les templiers. Des fragments de vitraux fournis par M. de Penguern, et provenant de la chapelle de la commanderie de Brelvennez, laissent voir la croix de gueules entourée de l'orle d'or des templiers et le triangle équilatéral. Dans la chapelle de Saint-Jean de Creac'h, près de Saint-Brieuc, sont placées plusieurs dalles tombales de chevaliers du Temple. Sur l'une d'elles est gravée une petite croix latine, et au-dessous une épée posée diagonalement; entre l'épée et la croix est un triangle équilatéral 11.

Il ne faut pas oublier que les fondateurs de l'ordre du Temple étaient au nombre de neuf (carré de 3), qu'il ne leur fut permis d'ordonner de nouveaux frères qu'après neuf années, et que les nombres 3 et 9 se retrouvent fréquemment dans les chapelles des commanderies. La grande rotonde de Paris possédait à l'intérieur six piliers, et extérieurement douze travées (fig. 1). Son tracé n'avait pu être obtenu donc que par deux triangles équilatéraux se pénétrant, ainsi que l'indique la figure 3.



La chapelle de la commanderie de Laon, qui date du milieu du XIIe siècle environ, est un octogone dont les côtés, intérieurement, ont neuf pieds.



Cette chapelle (fig. 4) parait avoir été bâtie d'un seul jet, sauf l'abside, qui peut être quelque peu postérieure. Elle possède un porche ou narthex, avec tribune au-dessus, bâtie après coup, et qui était mise en communication avec les logis de la commanderie. Les murs de l'octogone ont trois pieds d'épaisseur, les contre-forts trois pieds de largeur. Une assise de bancs de pierre est disposée à la base des parois intérieures. Voici (fig. 5) la coupe longitudinale de cette chapelle. La voûte est construite à pans, avec nervures saillantes sous les arêtes rentrantes.



Les dispositions de ces chapelles exiguës, avec sanctuaire peu important, indiquent assez que les chevaliers du Christ ou du Temple n'admettaient pas le public pendant les cérémonies religieuses. Ces chapelles servaient aussi de lieu de séances pour les délibérations, qui, d'ordinaire, se tenaient la nuit. D'ailleurs d'une extrême sobriété d'ornementation, ces petits monuments du XIIe siècle se ressentent de l'influence de l'abbé de Citeaux, qui avait rédigé les statuts de l'ordre. Cette simplicité se retrouve sur les dalles tumulaires que l'on rencontre encore dans ces édifices; dépourvues d'inscriptions, elles ne montrent que la croix de l'ordre, une épée, un triangle ou quelques attributs, très-rarement des écussons armoyés 12. Dans la chapelle de Laon, trois de ces tombes existent à l'entrée du sanctuaire; elles sont ornées de la croix pattée en gravure.

Les templiers possédaient en Syrie et en Occident un grand nombre de châteaux et de forteresses 13. Obligés de quitter la terre sainte après le siége d'Acre, en 1291, rentrés en France, en Angleterre, en Espagne, où ils possédaient des commanderies, et rapportant avec eux de grandes richesses, malgré les désastres de leur ordre, ils employèrent ces trésors à augmenter et à embellir leurs résidences; leurs loisirs, à former, dans l'État féodal déjà vers son déclin, une corporation compacte, puissante, occupée d'intrigues diplomatiques, hautaine, avec laquelle tous les pouvoirs devaient compter. Leurs grands biens, administrés avec économie à une époque où tous les propriétaires terriens et les suzerains eux-mêmes manquaient toujours d'argent, leur permettaient de prêter des sommes importantes: il est à croire que ce n'était pas sans intérêts. Une pareille situation leur créa de nombreux et puissants ennemis, et le jour où Philippe le Bel, qui était parmi leurs débiteurs, se décida à les faire arrêter et à leur intenter le plus inique et le plus monstrueux procès, le roi eut pour lui l'opinion de la féodalité, du clergé et des établissements monastiques. Le mystère dont s'entouraient les templiers prêtait merveilleusement aux accusations absurdes auxquelles ils furent en butte. Il est certain que l'ordre des Templiers, la Palestine perdue, devenait pour les États de l'Occident un grand embarras, sinon un grand danger. Le coup d'État qui supprima cet ordre délivra le pouvoir suzerain d'un des nombreux périls qui l'entouraient, mais lui enleva dans l'opinion du peuple une partie de la foi en sa justice et en sa grandeur morale que Louis IX avait su imposer à toutes les classes du pays.

THÉÂTRE, s. m. Pendant le moyen âge, il n'existait pas de locaux destinés aux représentations scéniques. Les mystères, les farces et mômeries, les chansons de gestes dites par des acteurs, étaient représentés dans les grand'salles des châteaux, dans les églises, dans les cimetières, ou sur des échafauds dressés dans les carrefours, ainsi que cela se pratique encore pendant les foires. Ce n'est qu'au XVIIe siècle que l'on commença en France à élever des salles uniquement destinées aux jeux scéniques. Le goût pour le théâtre, cependant, remonte chez nous à une époque éloignée, et il existe des mystères et moralités qui datent de la fin du XIIe siècle.

TIERCERON, s. m. (tierceret). Nervure de voûte en tiers-point, qui, bandée entre l'arc-doubleau et le formeret, aboutit à la lierne, laquelle réunit la clef de l'arc-doubleau ou du formeret à celle des arcs ogives. (Voy. VOÛTE.)

TIRANT, s. m. Pièce de fer ou de bois qui maintient l'écartement des arbalétriers d'une ferme, ou le devers de deux murs parallèles, ou la poussée d'un arc. Les entraits, dans les charpentes de combles, sont de véritables tirants (voy. CHARPENTE). Pour fermer leurs voûtes, les constructeurs du moyen âge plaçaient provisoirement des tirants, afin d'éviter les poussées, en attendant que les piles fussent chargées. Ces tirants étaient habituellement de bois, et étaient sciés au ras de l'intrados du sommier des arcs, quand les constructions étaient terminées. À la cathédrale de Reims, ces tirants étaient de fer, avec des oeils passant dans des crochets qui sont restés en place. Il est peu de voûtes de collatéraux où l'on n'ait l'occasion d'observer la trace de ces tirants.

TOILES (PEINTES). On employait souvent, pendant le moyen âge, les toiles peintes pour tapisser les intérieurs des appartements et pour décorer les grandes salles et églises. Le trésor de la cathédrale de Reims possède encore un certain nombre de toiles peintes de la fin du XVe siècle, qui sont d'un grand intérêt. Ces toiles, dans les intérieurs des châteaux et hôtels, étaient attachées à des châssis, ou simplement suspendues à des tringles de bois ou de fer. Les clotets, ces cabinets que l'on improvisait dans les grandes pièces, étaient souvent composés de simples châssis de bois tendus de toiles peintes. (Voyez le Dictionnaire du mobilier français.)

TOMBEAU, s. m. (sepouture, sepoulture, tumbe). De tous les monuments, les tombeaux sont ceux qui présentent peut-être le sujet le plus vaste aux études de l'archéologue, de l'ethnologue, de l'historien, de l'artiste, et voire du philosophe. Les civilisations, à tous les degrés de l'échelle, ont manifesté la nature de leurs croyances en une autre vie par la façon dont elles ont traité les morts. Supprimez toute idée de la durée de l'individu au delà de l'existence terrestre, et le tombeau n'a plus de raison d'être. Or, depuis les races supérieures jusqu'aux noirs du sud de l'Afrique, on voit, en tout temps, les hommes ensevelir leurs morts avec l'idée plus ou moins nette d'une prolongation ou d'une transformation de l'existence. On pourrait faire l'histoire de l'humanité à l'aide des tombeaux, et le jour où un peuple cessera de perpétuer l'individualité des morts par un monument, un signe quelconque, la société, telle du moins qu'elle a vécu depuis les temps historiques, aura cessé d'exister. Le culte des morts est le ciment qui a constitué les premières sociétés, qui en a fait des institutions permanentes, des nationalités, c'est-à-dire la solidarité du présent avec le passé, la perpétuité des tendances, des aptitudes, des désirs, des regrets, des haines et des vengeances. Faites que les morts, chez un peuple, soient confondus dans un engrenage administratif de salubrité, et traités décemment, mais comme une matière dont il faut hâter la décomposition pour en rendre le plus tôt possible les éléments à la nature inorganique, ainsi qu'on traite un engrais; faites que cela entre dans les moeurs et les nationalités, ces agglomérations traditionnelles, puissantes et vivaces, ne seront plus que des sociétés anonymes constituées pour... tant d'années, à moins de supposer toutefois que les idées métaphysiques les plus abstraites sur l'existence de l'âme soient communément acceptées comme elles peuvent l'être par une demi-douzaine de philosophes au milieu d'un pays de plusieurs millions d'habitants. Il sera bien difficile de faire admettre l'indifférence absolue pour la dépouille périssable d'une personne que l'on a aimée, respectée ou connue. Et dans nos grandes villes, s'il est une chose qui choque le sentiment populaire, c'est ce qu'on appelle la fosse commune.

Ce n'est que depuis le XVIe siècle que l'on a imaginé de donner aux sépultures un caractère funèbre; de les entourer d'emblèmes, d'attributs ou d'allégories qui rappellent la fin, la décomposition, la douleur sans retour, l'anéantissement, la nuit, l'oubli, le néant. Il est assez étrange que ces idées se soient fait jour chez des peuples qui se piquent d'être chrétiens, et chez lesquels, en chaire, on montre la mort comme une délivrance, comme la fin des misères attachées à la courte existence terrestre. Les païens, par opposition, ont donné aux monuments funéraires un caractère plutôt triomphal que désolé. Le moyen âge avait conservé cette saine tradition; les tombeaux qu'il a élevés n'adoptent jamais ces funèbres attributs mis à la mode depuis le XVIe siècle, ces effets théâtrals ou ces froides allégories qui exigent toujours pour être comprises la présence d'un cicerone.

De la mort il ne faut point tant dégoûter les gens, puisque chacun doit subir sa loi; il ne paraît pas nécessaire de l'entourer de toute cette friperie de mélodrame, disgracieuse et ridicule. C'est à la fin de la renaissance que l'on éleva les premiers mausolées décorés d'allégories funèbres sorties de cerveaux malades: d'os de mort, de linceuls soulevés par des squelettes, de cadavres rongés de vers, etc. L'art du grand siècle ne pouvait manquer de trouver cela fort beau, et le XVIIIe siècle renchérit encore sur ces pauvretés. Ce moyen âge, que plusieurs nous présentent toujours comme maladif, ascétique, mélancolique, ne prenait pas ainsi les choses de la mort, non plus que les Grecs et les Romains. Ceux-ci avaient, comme on sait, l'habitude de brûler les cadavres, ce qui avait beaucoup d'avantages. Le long des chemins qui rayonnaient vers les cités, étaient élevés des tombeaux. Cette disposition seule indique assez que, pour ces païens, la sépulture ne faisait pas naître les idées lugubres qui s'emparent de nous aujourd'hui dans les cimetières. Ces voies des tombeaux, dont les faubourgs de Rome étaient entourés, n'empêchaient pas les gens qui passaient sur les chemins de s'entretenir des sujets les moins graves, sans que pour cela le respect pour les morts fût moins profond. Pendant le moyen âge, les cimetières ne sont pas davantage pris au point de vue lugubre, romantique. Le moyen âge, pas plus que l'antiquité, n'a peur de ses morts. Si les Grecs aimaient à s'asseoir et à deviser au pied d'une tombe placée sur le bord d'un chemin, nos aïeux se réunissaient volontiers dans les cimetières pour traiter de certaines affaires. La nuit, ces enceintes, indiquées par un fanal, servaient au besoin de refuge au voyageur, qui ne songeait point aux revenants, du moins dans nos contrées françaises. Ces cimetières étaient presque toujours entourés d'un portique bas, et c'était sous cet abri que le pauvre et le voyageur attardés, qui ne pouvaient se faire ouvrir les portes de la ville, attendaient le jour.

Nous n'entreprendrons pas la description des cimetières gallo-romains et mérovingiens. Ce travail, fait et bien fait sur une partie de la France par M. l'abbé Cochet 14, nous dispensera de parler des sépultures des premiers conquérants barbares des Gaules, d'autant que ces sépultures n'affectent aucune apparence architectonique. Ce sont des ensevelissements dans des cercueils de bois, de pierre, ou à même le sol, qui n'ont d'intérêt qu'au point de vue de l'histoire ou de l'archéologie.

Il paraîtrait que l'usage d'élever des tombeaux le long des voies publiques ne fut pas entièrement abandonné pendant la période mérovingienne. Grégoire de Tours cite plusieurs exemples de ces sortes de monuments 15. Plus tard, sous les premiers Carlovingiens, les personnages considérables tenaient à être ensevelis sous l'égout des toits des églises, chapelles ou oratoires 16. Cette coutume persista jusque vers le milieu du XIIe siècle. On enterrait aussi sous les porches des églises et dans les lieux voisins qui étaient bénis. Ce ne fut qu'à la fin du XIIe siècle que s'établit l'usage d'enterrer dans les églises, et d'élever des monuments ou de graver des dalles commémoratives sur les sépultures.

Les premiers chrétiens, contrairement à l'usage admis chez les Grecs et chez les Romains, ne brûlaient pas les corps, ils les ensevelissaient dans des niches pratiquées dans les parois de cryptes, ou dans des sarcophages de pierre ou de marbre. Ces sarcophages, si les personnages étaient considérables, restaient souvent apparents dans des chambres souterraines; ils étaient décorés de sculptures symboliques ou de signes religieux, croix, monogrammes du Christ, colombes, etc. Habituellement ils étaient posés sur des dés ou colonnettes, afin de les isoler de terre. Ces sarcophages se composaient d'une auge oblongue quadrangulaire, avec couvercle en forme de toit à deux pentes ou bombé. Le corps du défunt était déposé dans cette auge 17. Les tombeaux du moyen âge procèdent de ce principe. Mais, vers le milieu du XIIe siècle, on plaça sur le couvercle l'effigie du mort, et alors le sarcophage n'était plus ordinairement qu'un simulacre et le corps était déposé au-dessous, dans une fosse ou un petit caveau. Ce fut aussi vers cette époque que l'on se contenta souvent de placer sur le cercueil enterré une dalle gravée ou une lame de bronze représentant le défunt. La partie principale du tombeau, le sarcophage, ou plutôt son simulacre, ne fut bientôt qu'un accessoire, un véritable socle portant des figures couchées, et le monument, outre ces statues, se composa de dais élevés ou de sortes de chapelles en façon de larges niches.

Les tombeaux du moyen âge peuvent donc être divisés en trois séries: la première comprend les sarcophages proprement dits, plus ou moins décorés de sculptures, mais sans représentation du défunt; sarcophages apparents, placés au-dessus du sol; la seconde, les socles posés sur une sépulture, portant parfois l'effigie du mort, et placés, soit dans une sorte de niche ou petite chapelle, soit sous un édicule en forme de dais; la troisième, les tombes plates posées au niveau du pavé des églises, gravées ou en bas-relief, et formant comme le couvercle de la fosse renfermant le cercueil.

Les sarcophages contenant réellement les corps, sans effigie, ne se trouvent guère passé le XIIe siècle, mais ils sont très-nombreux pendant les périodes mérovingienne et carlovingienne.



Voici (fig. 1) quelques-unes des formes qu'affectent ces sarcophages 18. Pendant les XIIe et XIIe siècles, on creusa encore des sarcophages rectangulaires, comme pendant la période gallo-romaine, avec bas-reliefs sculptés sur les parois. Nous citerons, entre autres, le sarcophage de saint Hilaire le Grand, de Poitiers, dessiné par Gaignères (Collect. Bodléienne), et qui datait du XIe siècle; celui de saint Hilaire, près de Carcassonne, du XIIe siècle; ceux des comtes de Toulouse, placés contre les parois du transsept méridional de Saint-Sernin de Toulouse, XIe et XIIe siècles. Ces derniers ont été posés sur des colonnettes, dans une sorte de petite chapelle extérieure, vers la fin du XIIe siècle. Dans les provinces méridionales, la Provence, le Languedoc, le Lyonnais, l'usage de déposer les corps dans des sarcophages de marbre persista longtemps: c'était une habitude antique conservée chez ces populations. Au musée de Toulouse, on voit des sarcophages du XIVe siècle, qui affectent absolument la forme des cuves sépulturales romaines, mais qui sont décorés d'ornements et d'attributs qui appartiennent à cette époque avancée du moyen âge 19. Les corps étaient bien évidemment renfermés dans ces auges; tandis que dans les provinces du Nord, ainsi que nous l'avons dit plus haut, ils étaient enterrés sous le simulacre du sarcophage, qui était alors un cénotaphe.

Le sarcophage devenant cénotaphe, il était naturel de couvrir celui-ci d'un dais, d'un arc, d'en faire un monument honorifique, de le considérer comme un lit de parade sur lequel l'effigie du mort était posée.

Les artistes du moyen âge ont apporté, dans la composition des tombeaux, l'esprit logique que nous retrouvons dans leurs oeuvres. Le tombeau, pour eux, était la perpétuité de l'exposition du mort sur son lit de parade. Ce qui avait été fait pendant quelques heures avant l'ensevelissement, on le figurait en pierre ou en marbre, afin de reproduire aux yeux du public la cérémonie des funérailles dans toute sa pompe. Mais à cette pensée se mêle un sentiment qui exclut le réalisme. Des anges thuriféraires soutiennent le coussin sur lequel repose la tête du mort. Sur les parois du sarcophage sont sculptés les pleureurs, les confréries, quelquefois les saints patrons du défunt, ou des anges. C'est l'assistance poétisée. Nous allons tout à l'heure présenter des exemples de ces dispositions.

Un curieux monument nous explique l'origine de ces tombeaux cénotaphes, avec l'exposition du mort. C'est un chapiteau du porche occidental de l'église de Saint-Séverin (vulgairement Saint-Seurin) de Bordeaux. Ce porche date du commencement du XIIe siècle. L'une de ses colonnes engagées est couronnée par une représentation du tombeau de saint Séverin, formant chapiteau sous une naissance d'arc-doubleau.



Le corps du saint (fig. 2), enveloppé d'un linceul, ayant une crosse à son côté gauche, est placé sur une sorte de lit de parade supporté par des colonnettes 20; sur les parois de ce lit est gravée l'inscription suivante 21. Sur la face:

+ SCS SEVERINVS + : +

Sur la face de droite:

SIGNIFICAT

HAC (sic) PETRA

SEPVLCRVM

SCTI SEVERINI

Sur celle de gauche:

QVANDO

MIGRAVIT

A SECVLO

...M…

Pour éviter la confusion dans cet article, nous poursuivrons l'examen des tombeaux en maintenant le classement que nous venons d'indiquer.

On peut considérer comme un des tombeaux les plus anciens parmi ceux accolés à des monuments religieux, le tombeau que l'on voit à Toulouse, entre les contre-forts des bâtiments des Chartreux. Ce monument du XIIe siècle, bien conservé, se compose d'un sarcophage placé dans une niche élevée au-dessus du sol, sur des colonnettes. Une arcature formant claire-voie défend le sarcophage.



La figure 3 présente le plan de ce tombeau, et la figure 4 son élévation et sa coupe.



Les colonnettes sont de marbre, ainsi que le sarcophage, les arcatures en pierre, et le reste de la construction en briques. Ce tombeau était entièrement peint. On ne sait pour quel personnage il fut élevé, mais il est bien certain qu'ici le corps était déposé dans le sarcophage même, placé sur cinq colonnettes au-dessus du soubassement, conformément à l'usage admis encore au XIIe siècle dans les provinces méridionales, et qui semble dériver de traditions fort anciennes, étrangères à l'antiquité chrétienne gallo-romaine. Un siècle plus tard, cet usage d'enfermer les corps dans des sarcophages juchés sur des colonnettes était, comme nous l'avons dit plus haut, entièrement abandonné dans les provinces septentrionales, et très-rarement pratiqué même dans celles du Midi. Les corps étaient enterrés. Cependant la tradition influe sur la forme apparente des tombeaux. On voit encore dans le cloître de l'église de Saint-Salvy (d'Alby) un tombeau datant de la seconde moitié du XIIIe siècle, qui présente une disposition analogue à celle du monument des Chartreux de Toulouse donné ci-dessus. À Saint-Salvy, la claire-voie ne préservait point le sarcophage, mais bien le massif élevé sur la fosse et formant soubassement.



Voici (fig. 5) le plan du tombeau du cloître de Saint-Salvy, et (fig. 6) son élévation.



La niche sous laquelle est placé le sarcophage est divisée par une pilette contre laquelle est adossée une statue 22. Deux petites voûtes d'arêtes couvrent cet enfoncement de 0m,97 de profondeur. Au-dessus de l'arcature sont placées trois statues: la Vierge, et deux figures agenouillées, un homme et une femme, qui ne peuvent être que les personnages pour lesquels le tombeau a été fait. Ces trois statues sont abritées sous une triple arcature couronnée par un gâble très-obtus. On retrouve encore les traces des peintures qui recouvraient entièrement l'architecture et la statuaire. Des anges remplissaient les deux tympans de la niche inférieure au-dessus du sarcophage, et nous ne pensons pas que l'homme et la femme en adoration des deux côtés de la Vierge aient été représentés sur la dalle recouvrant leur sépulture. La pilette engagée A (voyez le plan) formait une croix se détachant sur les deux tympans (voyez le détail B, fig. 6). Un petit bénitier est engagé dans la muraille du côté droit.

Sur les flancs des églises collégiales et paroissiales, il existait habituellement des cloîtres, et ces cloîtres servaient de lieu de sépulture, non-seulement pour les clercs, mais aussi pour les laïques qui payaient fort cher l'avantage d'être enterrés près de l'église 23. La place préférée était toujours le mur de l'église même. Aussi, le long de nos monuments religieux, entre les contre-forts qui donnaient sur l'une des galeries du cloître, trouve-t-on encore des traces nombreuses de ces sépultures.

Au XIIIe siècle, les lois ecclésiastiques qui défendaient d'enterrer des laïques dans l'enceinte même des églises tombèrent en désuétude. Les chapitres des cathédrales seuls continuèrent généralement d'observer ces règles, mais les paroisses, les collégiales, les églises abbatiales mêmes, tirèrent un profit considérable de la vente du droit de sépulture dans les églises, et bientôt les murs et les pavés des nefs furent couverts de monuments, d'inscriptions et d'effigies. Les choeurs étaient réservés pour les membres du clergé ou pour de très-hauts personnages. De même que dans les cathédrales les évêques étaient ensevelis sous le pavé du choeur ou entre les piliers du sanctuaire, par exception des princes profitaient du même privilége. En fouillant le choeur de Notre-Dame de Paris pour y établir le caveau actuel des archevêques, nous avons trouvé la tombe d'Isabelle de Hainaut, première femme de Philippe-Auguste, qui dut être enterrée sous ce pavé, l'église à peine élevée jusqu'aux voûtes 24.

C'était principalement dans les églises abbatiales que les princes se faisaient ensevelir. Les fondateurs d'abbayes se réservaient la faculté d'être enterrés, eux et leurs successeurs, dans l'église érigée avec leurs dons. C'est ainsi que beaucoup de monuments remarquables ont pu être conservés jusqu'à la fin du dernier siècle, et même jusqu'à nos jours. Les abbayes de Saint-Denis, en France, de Sainte-Geneviève, de Saint-Germain des Prés à Paris, de Braisne, de Vendôme, de Jumiéges, de Fécamp, de Longpont, de Royaumont, d'Eu, des Célestins à Paris, de Poissy, renfermaient des sépultures splendides de princes et seigneurs, et quelques-uns de ces monuments nous sont restés. L'abbaye de Saint-Denis, fondée par Dagobert, fut particulièrement destinée à la sépulture des rois français, et reçut en effet les dépouilles de la plupart de ces princes, depuis le fondateur jusqu'à Louis XV. L'église ayant été rebâtie par Suger, il est à croire que les monuments anciens (si tant est qu'il y ait eu des mausolées élevés sur les tombes des princes) furent détruits ou fort endommagés. Quand, plus tard, vers le milieu du XIIIe siècle, on remplaça la plus grande partie des constructions du XIIe siècle, que l'on reconstruisit la nef, le transsept et tout le haut choeur, les derniers restes des tombeaux antérieurs à Louis IX furent dispersés; si bien que pour ne pas laisser perdre la mémoire de ces vénérables sépultures, saint Louis résolut de rétablir tous ces tombeaux, à commencer par celui de Dagobert. Les ossements que l'on put retrouver dans les anciens cercueils furent replacés dans les nouvelles tombes. Parmi les tombeaux antérieurs à saint Louis, un seul fut conservé et replacé au milieu du choeur des religieux: c'était celui de Charles le Chauve, qui était de bronze, avec parties émaillées, et qui dut probablement à la solidité du métal de ne pas être détruit, comme les autres. Du tombeau de Dagobert il restait, sous le cloître de l'église de Suger, un fragment dont parle dom Doublet 25, et que M. Percier a dessiné en 1797. C'était une statue colossale, assise, couronnée, vêtue d'une tunique longue et d'un pallium.



Nous reproduisons ici (fig. 7) le fragment conservé par le dessin de Percier, et qui ferait croire que ce monument n'était pas antérieur au commencement du XIIe siècle. Quoi qu'il en fût, nous n'avons pu trouver trace de cette figure, non plus que de celles des deux princes Clovis et Sigebert, qui faisaient partie du même monument. Saint Louis n'en éleva pas moins un nouveau tombeau au fondateur de l'abbaye, et le fit placer à l'entrée du sanctuaire, côté de l'épître 26. Ce tombeau, qui date par conséquent du milieu du XIIIe siècle, est un des plus curieux monuments funéraires de cette époque.



Il se compose (fig. 8) d'une grande niche surmontée d'un gâble; au bas de la niche est déposé un sarcophage 27, dont le couvercle sert de lit à l'effigie du roi, couchée sur le côté gauche. Au fond de la niche se développe, par bandes superposées, la légende relative à la mort de Dagobert.

Debout, des deux côtés de l'effigie royale, sont les statues de Nantilde, seconde femme de Dagobert, et de Sigebert, son fils aîné, qui furent enterrés près de lui. Dans les voussures qui forment la niche, sont sculptés des anges thuriféraires, et, dans le tympan du gâble, le Christ et deux évêques, saint Denis et saint Martin, lesquels, en compagnie de saint Maurice, au dire de la légende, délivrèrent l'âme du roi des mains des démons, et la conduisirent en paradis. Le devant du sarcophage est fleurdelisé, ainsi que le socle 28. Tout ce monument était peint; outre les traces encore visibles de ces peintures, les dessins-minutes de Percier fournissent tous les détails de la coloration. Ce tombeau, n'étant pas adossé, laisse voir sa partie postérieure dans le bas côté. Celle-ci est de même surmontée d'un gâble avec figures, crochets et fleurons, la partie inférieure restant unie, sans sculpture.

Certaines parties de la statuaire du tombeau de Dagobert sont très-remarquablement traitées. La statue de Nantilde, à laquelle, au musée des Petits-Augustins, M. Lenoir avait fait adapter une tête d'homme 29, les groupes des évêques dans les zones légendaires, les anges des voussures et la sculpture du tympan, sous le gâble, sont d'un style excellent et d'une exécution parfaite. Ce tombeau n'est point dans les données des monuments placés dans l'intérieur des églises: c'est une chapelle, un de ces édicules comme on en élevait dans les cloîtres, entre les contre-forts des églises, et c'est pourquoi nous l'avons présenté ici; cependant l'effigie du mort est sculptée sur le sarcophage vrai ou feint, tandis que ni le tombeau de Toulouse, ni celui de Saint-Salvy d'Alby, n'avaient de statues couchées.



Voici encore un de ces monuments en forme de niche dépourvue d'effigies: c'est celui des deux prélats Beaudoin II et Beaudoin III, évêques de Noyon, qui était placé contre la muraille de l'église abbatiale d'Ourscamp, côté de l'évangile (fig. 9) 30. Beaudoin II mourut en 1167. Les épitaphes étaient peintes sur les parois de la niche, et avaient été remplacées cent ans avant Gaignères, auquel nous empruntons ce dessin, par des inscriptions sur vélin posées dans des cadres attachés avec des chaînettes. Ici, comme à Saint-Salvy, la pilette qui forme claire-voie repose sur le sarcophage et protége son couvercle. Ce tombeau, pas plus que ceux de Saint-Salvy et de Dagobert, ne présente d'attributs funèbres. Des fleurs, des feuillages, des sujets légendaires, ou des personnages n'affectant en aucune manière les attitudes de la douleur, décorent ces édicules et en font des oeuvres d'art agréables à voir, où rien ne fait songer à la décomposition matérielle, à la nuit éternelle. Sur les tombeaux, les artistes du moyen âge affectent, au contraire, de répandre des fleurs et des feuillages à profusion, ainsi qu'on le faisait, d'ailleurs, autour des corps, au moment de l'ensevelissement 31. Des animaux, des chasses, des processions de personnages, rappellent, sur ces monuments, la vie et non la mort. Quand les effigies des défunts sont sculptées couchées sur le sarcophage, elles ne prennent l'attitude de la mort que fort tard. Habituellement ces figures, pendant les XIIe et XIIIe siècles, ont les yeux ouverts, les gestes et les attitudes de personnes vivantes. C'est vers le milieu du XIVe siècle que les statuaires leur donnent parfois l'apparence du sommeil, mais sans aucun des signes de la mort. Ces personnages sont d'ailleurs vêtus de leurs habits, armés, si ce sont des guerriers, couverts de vêtements religieux, si ce sont des clercs.

Avant de parler des tombeaux formant des édicules isolés, il nous faut citer encore quelques-uns de ces monuments en forme de niches ou chapelles, mais avec effigies des morts posées sur le sarcophage. Dans le collatéral du choeur de la cathédrale de Rouen, il existe un de ces tombeaux, appartenant à un évêque, qui date de la fin du XIIe siècle, et qui est d'un très-beau travail. Ce monument ne présente d'ailleurs aucune particularité remarquable. La statue du prélat est couchée sous une arcature surmontée d'un gâble peu élevé. Comme toujours, ce tombeau était peint.



En voici un autre (fig. 10) 32, qui était placé à Fontevrault, contre le mur du bas côté, à la droite du maître autel (côté de l'évangile). C'était celui de l'évêque Pierre de Poitiers (XIIIe siècle). La statue, couchée sur un lit drapé, est entourée de figurines en ronde bosse représentant les religieux assistant aux funérailles de l'évêque. Parmi ces religieux, on distingue l'abbesse de Fontevrault et un abbé, tous deux tenant la crosse, signe de leur dignité. Les autres personnages portent des croix et des cierges. La chasuble de l'évêque était d'un bleu verdâtre, aux croisettes d'or, doublée de rouge; sa mitre blanche avec un bandeau rouge, l'aube blanche, l'étole verte, les chaussures noires. L'abbesse était vêtue de noir, et les religieux, les uns de blanc, les autres de vert, se détachant sur un fond rouge. Une arcature couvrait le sarcophage, mais elle était déjà détruite du temps de Gaignères, qui nous a laissé le dessin de ce curieux monument.

On voit encore dans la cathédrale de Limoges, adossé au collatéral nord, un de ces tombeaux en forme de niches ou chapelles, datant du XIVe siècle: c'est celui de l'évêque Bernard Brun. Ce monument est gravé dans l'ouvrage de M. Gailhabaud 33. Au fond de la niche, séparée par une pile centrale, des bas-reliefs représentent des sujets de la légende de sainte Valérie, un crucifiement, un couronnement de la Vierge et un jugement dernier. Il faut citer aussi les deux jolis tombeaux appartenant à la même époque, et qui sont adossés au mur de la chapelle de la Vierge, dans la cathédrale d'Amiens. Ils sont en forme de niche couverte par une arcade basse surmontée d'un gâble. Sur le socle, portant les statues couchées des défunts, sont sculptés, dans de petites niches, des personnages religieux, chanoines et laïques, qui composent le cortége accompagnant les corps à leur dernière demeure. Les écus armoyés des deux personnages, un évêque et un chanoine, sont peints au fond des niches.

Un des monuments funéraires les plus intéressants, affectant la forme d'une niche avec sujets, est le tombeau du prêtre Bartholomé, placé dans l'église de Chénerailles (Creuse), et dont il fut probablement le fondateur. Ce tombeau, engagé dans la troisième travée du côté méridional, est posé à 2 mètres au-dessus du pavé, et est taillé dans un seul bloc de pierre calcaire. Son architecture présente un arc en tiers-point avec deux contre-forts. L'enfoncement est divisé en zones, dans chacune desquelles se détachent des personnages en ronde bosse. La zone inférieure représente la scène de l'ensevelissement du mort. La sainte Vierge occupe, dans la zone du milieu, le sommet d'un édicule avec escalier. Saint Martial gravit l'escalier, un encensoir à la main. Sur le terrain à la droite de la Vierge, est représenté le martyre de saint Cyr et de sa mère sainte Julite. À sa gauche, le prêtre Bartholomé, agenouillé, est présenté à l'enfant Jésus par son patron, et saint Aignan, évêque. Sous l'arcade est sculpté un crucifiement. Sur deux phylactères placés sous la seconde et la première zone, on lit: «Hic. jacet. dominus. Bartholomeus. de Plathea. presbiter. qui. obiit. die. fest. V. M. (Virginis Marioe) anno. Dni. M°CCC 34

La sculpture de ce petit monument est d'un style médiocre, mais sa composition est heureusement trouvée.



Voici (fig. 11) un autre exemple de ces tombeaux adossés, en forme de niche, avec effigie du mort. Cet exemple date de 1300 environ. Le nom du défunt ne nous est pas conservé. Ce tombeau fut incrusté après coup dans le mur du collatéral nord de l'église de Saint-Père (Saint-Pierre) sous Vézelay. Le fond de la niche est occupé par un bas-relief d'un bon style. Au centre, le Christ assis reçoit de saint Pierre agenouillé un objet brisé qu'il tient dans sa main droite. De l'autre côté, la sainte Vierge semble intercéder auprès de son divin Fils. Deux anges thuriféraires terminent la scène. Évidemment, la Vierge et saint Pierre font ici valoir auprès du Juge suprême les mérites du mort, qui pourrait être un des fondateurs des portions de cette église reconstruites vers la fin du XIIIe siècle. L'objet que tenait saint Pierre était-il le simulacre de l'église restaurée? Cela paraît plausible. Ce monument est d'ailleurs fort mutilé, et la statue du personnage vêtu d'habits civils est complétement fruste. La sculpture et l'architecture étaient peintes et dorées. L'inscription, également peinte, et dont on distingue à peine quelques lettres sous le badigeon; était placée sous le bas-relief.

On le reconnaît facilement, la donnée de ce tombeau est la même que celle adoptée pour le beau monument de Saint-Denis, élevé à Dagobert. Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire d'insister davantage sur ce genre de sépultures en forme de niches ou chapelles adossées, et nous passerons à l'examen des tombeaux isolés, en commençant par les plus simples et qui sont aussi les plus anciens.

Sur les sommets des Vosges, près de Saverne, on trouve des restes d'enceintes et de débris qui remontent à une époque reculée, et particulièrement, entre Saverne et Dabo, de nombreux cimetières ont été découverts. La plupart des tombes qu'ils renferment présentent une disposition singulière. Ces monuments funéraires consistent en une auge ou un simple trou en terre, entouré de pierres sèches, contenant un vase cinéraire; le tout est couvert par une pierre en forme de prisme triangulaire, légèrement convexe. À la base de la face antérieure est percé un trou en façon de petit arc, et correspondant une cavité faite aux dépens du bloc 35.



La figure 12 montre un de ces monuments en coupe (A), et le couvercle séparé en B. Parfois, mais plus rarement, ces couvercles ne sont pas curvilignes (fig. 13).



La rouelle gauloise, des imbrications ou des ornements dans le style gallo-romain les décorent. M. le colonel Morlet, qui a mis en lumière ces découvertes, considère en effet, et avec raison, ces tombeaux comme postérieurs à la conquête des Gaules par les Romains; les objets, médailles et vases trouvés autour d'eux, les inscriptions qui sont gravées sur leurs parois, ne peuvent laisser de doutes à cet égard.

«Les monuments funèbres que recèlent les sommets des Vosges, entre Saverne et Dabo, n'étaient pas répandus au hasard sur ces hauts plateaux, dit en terminant M. le colonel Morlet, mais réunis en de véritables cimetières entourés de temples, d'autels et d'habitations; ils annoncent la présence permanente d'une population nombreuse, chargée de défendre les grands camps fortifiés dont nous voyons les traces.

Favorisées par la configuration du sol qui descend en pente douce vers la Lorraine, tandis qu'il s'arrête brusquement à pic du côté de l'Alsace, ces positions ont dû être occupées et fortifiées dès la plus haute antiquité, pour arrêter les invasions d'outre-Rhin. Bien avant les Romains, il y eut donc de sanglants combats sur cette barrière naturelle, où chaque invasion kymrique, celtique et germanique, vit s'élever de nouveaux travaux de défense, au-dessus desquels l'époque gallo-romaine a laissé une dernière empreinte.

C'est ainsi, sans doute, que les tombeaux décrits ci-dessus se trouvent mêlés à des ruines d'une époque plus ancienne, telles que ces grandes murailles doubles du Gros-Limmersburg, où je ne puis reconnaître l'art romain.

La monnaie de Titus trouvée au Kempel, ainsi que la bonne facture du vase découvert au même lieu, annoncent que ces nécropoles existaient dès les premiers temps de l'ère chrétienne.

Ces tombeaux n'ont rien de germanique; ils sont gaulois de l'époque romaine. Leur caractère spécial consiste dans la petite ouverture que l'on voit toujours à leur base, et dans l'arc aigu qui termine généralement leur sommet.

L'ouverture de la base est difficile à expliquer, à moins d'admettre que ce soit un moyen de communiquer avec les cendres du mort et de faire des libations.

L'arc aigu, dont on retrouve l'image exacte dans les monuments funèbres de l'Asie Mineure, ne serait-il pas l'indice d'une tradition antérieure à l'invasion celtique, qui se serait conservée chez une tribu campée au sommet des Vosges?»

En effet, des tombeaux lyciens, en grand nombre, se terminent à leur sommet par une sorte de couvercle ou de couverture imitée d'un ouvrage de bois, qui affecte la forme d'un prisme curviligne 36, et, en pénétrant dans l'extrême Orient, on retrouve des sépultures hindoues qui présentent la même apparence géométrique. Sans attacher à ces rapports plus d'importance qu'il ne convient, il est nécessaire d'en tenir compte, car nous voyons cette forme de recouvrement du corps persister chez les populations sorties de l'Orient septentrional.

La loi salique mentionne la construction, la balustrade, le petit édifice ou le petit pont placé au-dessus d'un homme mort 37. Grégoire de Tours 38 à propos d'un vol avec effraction commis dans la basilique Saint-Martin de Tours, dit que les voleurs s'étaient introduits par une fenêtre en montant sur un treillis qu'ils avaient enlevé sur la tombe d'un mort (Qui ponentes ad fenestram absidoe cancellum, qui super tumulum cujusdam defuncti erat....). Les Anglo-Saxons avaient pour habitude de poser sur la tombe du mort une sorte de berceau de bois ou de fer (hearse), que l'on recouvrait d'un poêle 39. Or, la forme des tombeaux lyciens, celle des tombes des Vosges, indiquent l'aristato 40 que cite la loi salique, le hearse des Anglo-Saxons, les catafalques figurés dans la broderie de Bayeux (dite tapisserie de la reine Mathilde); et bien que les pierres des Vosges recouvrent des urnes cinéraires, et que les Francs ni les Anglo-Saxons ne brûlassent leurs corps, il est difficile de ne pas admettre pour cette forme de tombeaux, figurant un poêle recouvrant une carcasse de bois ou de fer, une origine pareille. Observons que cet aristato, ce hearse, recouvrent, non pas le mort, mais la sépulture du mort; c'est ce que nous appelons aujourd'hui un catafalque. Ce n'est pas la bière, mais le signe honorable et visible qui indique la place de la tombe.



Le tombeau lycien déposé au British Museum présente cette particularité curieuse (fig. 14), que le sarcophage proprement dit A, qui est de marbre, et dans lequel étaient déposés les restes du mort, prend la figure propre à cette matière, tandis que la partie BC de recouvrement, quoique taillée de même dans des blocs de marbre, affecte l'apparence d'une structure de bois. Le sommet curviligne C est même revêtu de son poêle, simulant une étoffe dont la broderie est figurée par des bas-reliefs très-plats, et les ornements de métal que ce poêle pouvait recevoir, par des mufles de lion saillants. Il y a donc, dans ce tombeau, la sépulture proprement dite et le catafalque qui la surmonte. Même disposition en petit, dans les tombes des Vosges, pour les tombeaux dont parle Grégoire de Tours; pour le monument de Beauchamp, où l'effigie du mort, placée sur le sarcophage, est recouverte d'un berceau de fer sur lequel le poêle était posé. Même disposition adoptée pour le tombeau du religieux Guillaume, déposé autrefois près de la porte du chapitre, dans le cloître de l'abbaye de Noaillé (fig. 15), et qui date de la fin du XIIe siècle 41. Cette pierre n'est autre chose que le catafalque, la représentation de l'aristato, du poêle posé sur une carcasse et recouvrant la place où repose le mort.



Mais voici un exemple intéressant qui se présente et qui donne plus de valeur aux observations précédentes. La petite église de Saint-Dizier, en Alsace, renferme plusieurs tombeaux, et entre autres celui attribué à saint Dizier, évêque, dit la légende. Ce tombeau, qui d'ailleurs ne remonte pas au delà du milieu du XIIe siècle, n'est autre chose qu'une pierre creusée en forme de petite cellule, avec deux portes (fig. 16).



La cellule, monolithe, est terminée à sa partie supérieure par deux pentes recouvertes de riches ornements. «Jusqu'en 1835», dit M. Anatole de Barthélemy, auquel nous empruntons ce détail 42, «on faisait passer par ces ouvertures les personnes atteintes d'aliénation mentale.....» Voilà l'aristato, le poêle, le catafalque antique recouvrant le corps d'un saint, et pourvu de propriétés miraculeuses. Le corps est enseveli, et sa place est consacrée par cet édicule qui reproduit toujours la disposition que nous trouvons en Lycie, sur les sommets des Vosges, à l'abbaye de Noaillé, et que nous allons voir se développer avec l'art du XIIIe siècle à son apogée.

Citons d'abord le charmant tombeau de Saint-Étienne, placé dans l'église d'Obazine (Corrèze). L'effigie du saint, couchée, est garantie du contact par une arcature à jour; au-dessus de l'arcature est un riche poêle formant comble à deux pentes, et couvert de bas-reliefs. Des moines sortent de leurs cercueils et viennent se prosterner devant la Vierge. Des anges tenant des flambeaux apparaissent à mi-corps entre les gâbles sculptés sur les rampants, terminés par une crête feuillue 43. Mais voyons comment, sur des données beaucoup plus simples, ce souvenir du tombeau antique s'est perpétué. Dans le cimetière qui entoure encore l'église de Montréal (Yonne), on remarque plusieurs tombes dont voici (fig. 17) la forme. Cette pierre, en façon de comble croisé, recouvre, sur des cales, la sépulture.



Le tracé A donne le détail des trois pignons de l'extrémité postérieure et du croisillon. Quant au pignon B de l'extrémité antérieure, il est muni d'une petite niche avec coupelle formant bénitier. Une croix à plat est sculptée sur le faîte de ce comble. Ne trouve-t-on pas là comme une dernière trace des traditions antiques, christianisée? Mais cette disposition devait fournir des motifs d'architecture autrement riches. On n'enterrait guère dans les cimetières que des personnes peu considérables, tandis qu'à dater du XIIIe siècle, les églises étaient réservées aux sépultures des grands. En outre des sépultures adossées aux murs, en forme de niches, et des tombes plates dont nous parlerons tout à l'heure, on élevait un assez grand nombre de monuments dont la donnée se rapprochait du tombeau catafalque. L'effigie du mort était posée sur une sorte de crédence ajourée, placée sur la sépulture. Un dais tenu par des pilettes formant clôture tenait lieu du poêle, de l'aristato dont nous avons parlé. Il ne semble pas que dans les provinces du nord de la France on ait adopté (si ce n'est pendant les époques mérovingienne et carlovingienne) la disposition de certaines sépultures italiennes et orientales chrétiennes, disposition qui consistait en un sarcophage recevant réellement le corps, élevé sur des pieds et surmonté d'un édicule en façon de dais. Le tombeau du roi Guillaume Ier, déposé dans la basilique de Montreale, à Palerme, était ainsi conçu. Il consiste en une cuve de porphyre élevée sur deux pieds ajourés Un toit reposant sur six colonnes de porphyre protége la cuve. Alors (au XIIe siècle), en France, on plaçait les corps en terre, dans un cercueil de pierre, de bois ou de métal, et le monument visible n'était, comme nous l'avons déjà dit, qu'un simulacre, une indication de la place où reposait ce corps. Il est fort important de ne pas perdre de vue ce principe qui influe sur la composition de tous les monuments funéraires français, depuis le XIIe siècle au moins.

Quand saint Louis fit refaire, dans l'église abbatiale de Saint-Denis, la plupart des tombeaux de ses prédécesseurs, l'artiste chargé de ce travail adopta un parti mixte. Ne voulant pas encombrer le transsept au milieu duquel ces tombes sont placées, et ayant à ménager la place, n'ayant pas peut-être des ressources suffisantes, il ne put élever un édicule sur chaque sépulture. Les rois et reines furent placés sur des socles deux par deux; derrière leur tête fut dressé un dais double en forme de chevet ou de dossier, et deux colonnettes accompagnant et surmontant ces dais permirent de poser sur leurs chapiteaux, et entre leurs fûts, des flambeaux. Peut-être, certains jours, des poêles d'étoffe attachés à ces colonnettes étaient-ils tendus sur chaque tombe. C'est ici l'occasion de parler des illuminations des tombes, usage qui remonte à une très-haute antiquité. Les Grecs illuminaient les monuments funèbres, et la plupart des tombeaux qui existent encore en si grand nombre dans la Syrie centrale sont surmontés de pyramides disposées de façon à placer des lampes sur de petites consoles ménagées à cet effet le long des pans inclinés 44. Depuis l'établissement du christianisme dans les Gaules, on illuminait les cimetières à l'occasion de certaines fêtes, et chaque nuit un fanal était allumé dans leur enceinte. Quelques tombeaux du moyen âge possèdent encore les herses de fer qui étaient destinées à porter des cierges, et les tombeaux relevés par Louis IX à Saint-Denis adoptent ce parti.



La figure 18 représente un de ces tombeaux doubles 45. Cette disposition, très-originale, ne paraît pas être une exception, car souvent on remarque sur les parois des socles recevant des effigies de morts, les traces de supports de pierre, de métal ou même de bois, portant ces herses de cierges et peut-être des poêles d'étoffe. Les tombes avec dais fixes de pierre ou de bois ne sont qu'un dérivé du même principe. On en voyait beaucoup autrefois dans nos églises abbatiales, à Royaumont, aux abbayes de Saint-Denis, de Longpont, d'Eu, de Braisne, de Saint-Seine, de Poissy; aux Jacobins, aux Célestins de Paris. Quelques cathédrales en possédaient également, Amiens, Rouen, Sens. On en voit encore dans celles de Limoges et de Narbonne, autour du choeur.

Voici entre autres la tombe de Charles, comte d'Étampes, petit-fils de Philippe le Hardi, qui était placée dans l'église des Cordeliers, à Paris, derrière le grand autel 46. Ce comte d'Étampes mourut en 1336 (fig. 19).



La statue, de marbre blanc, repose sur une dalle de marbre noir, avec socle orné d'arcatures de marbre blanc sur fond noir. Un dais d'un charmant travail protége la tête; l'épitaphe est gravée derrière ce dais. L'édicule à jour, en pierre, était entièrement peint et doré, et le plan présente une disposition curieuse. Établi entre les deux gros piliers, derrière le choeur, ce plan est tracé de manière à échapper ces piliers et à laisser l'architecture du dais indépendante (fig. 20) 47.



Les voûtes étaient peintes d'azur avec fleurs de lis d'or, et les petits contre-forts plaqués de compartiments de verres colorés par dessous, comme ceux que l'on voit encore dans certaines parties de la sainte Chapelle de Paris.

Quelquefois le socle portant la statue était ajouré: tel était le tombeau d'un sire de Coucy, placé entre deux piliers, à gauche du grand autel de l'abbaye de Longpont, et qui datait de la fin du XIIIe siècle 48. Ce tombeau était, comme le précédent, entièrement peint. Le vêtement guerrier du personnage appartient aux dernières années du XIIIe siècle.

Maintenir l'intégrité d'un principe et en tirer des conséquences très-variées, c'est le fait d'un art qui a trouvé sa voie. Le programme du monument catafalque est adopté dès le XIIIe siècle, pour la sépulture des personnages considérables, de préférence au tombeau en forme de niche; cependant quelle variété non-seulement dans les détails de ces édicules, mais aussi dans la façon d'interpréter ce programme!



Voici, par exemple (fig. 21), encore un des monuments funéraires de l'abbaye de Longpont, qui était placé à la gauche du grand autel. C'est celui d'une femme. L'effigie de la morte n'est plus placée sur la crédence qui recouvre la place de la sépulture, mais sous cette crédence ajourée, tandis qu'un crucifix richement décoré est déposé sur la crédence. Un édicule à peu près semblable au précédent recouvre ce simulacre 49. Ce tombeau date du commencement du XIVe siècle. Citons encore, parmi les tombeaux catafalques les plus remarquables de cette époque, celui de l'archevêque Pierre de la Jugée, placé entre deux des piliers du choeur de la cathédrale de Narbonne (côté méridional). Pourquoi la statue et l'un des charmants bas-reliefs de ce tombeau ont-ils été enlevés pour être déposés au musée de Toulouse? Nous ne saurions le dire. Comment la cathédrale de Narbonne ne réclame-t-elle pas ces fragments, afin de les réintégrer? Cela ne peut s'expliquer que par une indifférence profonde pour ces précieux restes, devenus si rares dans nos anciennes églises, et cependant laissés à l'abandon ou même dégradés journellement, quand les fabriques ne les font pas enlever pour placer quelque décoration nouvelle d'un goût équivoque. Ce tombeau de la cathédrale de Narbonne, bien que mutilé de la façon la plus sauvage, est encore un véritable bijou, conservant ses peintures d'un goût charmant et des statuettes d'un style excellent.



Nous en traçons le plan (fig. 22). Le choeur étant à un mètre en contre-haut du collatéral, de ce côté un rang inférieur de bas-reliefs compense la différence de niveaux.



La figure 23 donne la coupe du monument avec l'indication des peintures qui se trouvaient au-dessus de la tête du prélat. Deux anges enlèvent son âme au ciel. Sous le formeret, des quatrefeuilles armoyés aux armes du défunt alternent avec des oiseaux affrontés. Les voûtes sont peintes en bleu, et tous les profils de tons variés, d'une harmonie très-heureuse.



La figure 24 donne la face du tombeau du côté du collatéral. Les deux bas-reliefs, d'albâtre dur, représentent, celui du haut des évêques dans des niches avec gâbles, celui du bas des chanoines deux par deux, assistant aux obsèques. Ce tombeau, ainsi que quelques autres qui existent encore dans la cathédrale de Narbonne, forme clôture du choeur. La même disposition existe à Limoges, et existait à Amiens, avant l'établissement des ridicules décorations de plâtre qui déshonorent le choeur de la cathédrale, et qui sont dues à l'un de ses évêques du dernier siècle 50.

Parmi les tombeaux de la cathédrale de Limoges, citons celui qui est placé entre les piliers, côté sud du choeur. Ce tombeau, d'un évêque, présente une de ces dispositions originales que les artistes du moyen âge savaient toujours trouver.



Un tracé perspectif (fig. 25), en fera saisir l'effet du côté du collatéral. Deux thuriféraires entr'ouvrent un rideau qui laisse voir la statue couchée du prélat. La voûte de l'édicule est en berceau, et des bas-reliefs décorent ses pieds-droits. Devant le socle, des chanoines sont sculptés dans de petites niches. Ce monument date également du XIVe siècle. Cette disposition fut conservée jusqu'à l'époque de la renaissance, et nous possédons un grand nombre de représentations de tombeaux, avec dais plus ou moins riches, protégeant l'effigie du mort. On retrouve encore l'application de ce principe dans les célèbres tombeaux de Louis XII, de François Ier et de Henri II, érigés à Saint-Denis Cependant le programme des XIIIe et XIVe siècles est modifié sur un point capital. Dans ces derniers monuments, les personnages sont représentés avec les apparences de la mort sous le cénotaphe; vêtus, vivants et agenouillés au-dessus. Le monument recouvrant la sépulture de François Ier montre non-seulement les figures nues du roi et de la reine Claude sous le cénotaphe, mais encore, sur le couronnement, les mêmes figures agenouillées, vêtues et accompagnées du dauphin François, du prince Charles d'Orléans et de Charlotte de France, qui mourut âgée de huit ans. Disons, en passant, que ce tombeau, attribué par quelques-uns à des artistes italiens, est dû à Philibert de l'Orme, comme architecte; à Pierre Bontems, maître sculpteur, bourgeois de Paris, qui s'engagea, par un marché en date du 6 octobre 1552, moyennant 1699 livres, à faire une partie des célèbres bas-reliefs du stylobate, et une figure du couronnement; à Germain Pilon, qui exécuta pour 1100 livres les huit figures de Fortune (sous la voûte du cénotaphe); à Ambroise Perret, qui fit les quatre évangélistes; et enfin, pour l'ornementation, à Jacques Chantrel, Bastile Galles, Pierre Bigoigne et Jean de Bourgy. Les belles figures couchées appartiennent à l'école française, et paraissent être sorties des ateliers de Jean Goujon. Quant à la statuaire du tombeau de Henri II, elle est tout entière de la main de Germain Pilon 51.

Depuis la fin du XVe siècle, beaucoup de monuments funéraires adoptèrent cette disposition, d'une représentation du mort sous le cénotaphe, et du même personnage vivant, agenouillé sur le couronnement; puis on en vint à supprimer parfois l'effigie du cadavre, et à ne plus montrer que les figures des personnages agenouillés sur un socle, ou sur le simulacre d'un sarcophage. Toutefois ces compositions n'apparaissent pas en France, que nous sachions, avant la seconde moitié du XVe siècle.

Au XVIe, elles deviennent assez fréquentes. Le tombeau de Charles VIII, à Saint-Denis, présentait cette disposition.

Charles VIII mourut le 7 avril 1498, par conséquent son tombeau appartient déjà au style dit de la renaissance française. Il était fort beau 52, et a été gravé plusieurs fois. Gagnières, dans sa collection 53, en a donné un bon dessin. Comme corollaire de ces tombeaux cénotaphes, il faut citer les monuments appliqués contre les murs, et qui présentent sur une surface verticale comme le développement de toutes les parties qui constituent le mausolée, avec soubassement, image du mort et dais.

Ces sortes de monuments sont assez rares en France; le défaut d'espace et aussi le défaut d'argent faisaient parfois adopter ce parti. Nous en connaissons deux beaux exemples dans l'ancienne cathédrale de la cité de Carcassonne. L'un date du milieu du XIIIe siècle, c'est celui de l'évêque Radulphe. Le simulacre du sarcophage, qui persiste tard dans les provinces méridionales de la France, est posé sur trois colonnettes et paraît engagé dans la muraille. Des chanoines, sous une arcature, assistent aux obsèques. Sur le sarcophage se dresse debout, en bas-relief, la figure de l'évêque bénissant. Un gâble orné de fleurons et de crochets couronne le tout.



L'autre tombeau (fig. 26) date du commencement du XIVe siècle: c'est celui de l'évêque Pierre de Roquefort, qui fit rebâtir le choeur de l'église et deux chapelles voisines du transsept 54. Ce monument, ainsi que le montre notre tracé, présente en rabattement, dirons-nous, la disposition des tombeaux cénotaphes; l'évêque n'est pas couché sur le socle, qui n'est qu'un placage, mais se dresse sur ce socle; il est couronné par un dais plaqué; un chanoine et un diacre accompagnent la figure principale dans deux arcatures latérales. Ainsi que nous le disions, cette disposition est rare en France, et nous n'en connaissons pas d'exemple, encore existant, dans les provinces du Nord.

Il nous reste à parler des plates tombes, avec effigies en relief ou simplement gravées sur la pierre ou sur le métal. Ces tombes sont de deux sortes: ou les effigies des morts sont posées sur un socle très-bas présentant une faible saillie au-dessus du sol, ou elles sont au ras même du sol, de façon à permettre de marcher dessus comme sur un dallage. Nous ne doutons pas que les premiers de ces tombeaux étaient garnis d'un poêle d'étoffe aux anniversaires ou à certains jours solennels, et nous en donnerions comme preuve les attaches de tiges de métal ou les douilles dont on trouve fréquemment la trace le long des socles. Pour les seconds, ils n'étaient qu'un signe apparent indiquant la place de la sépulture.

Il existe des plates-tombes d'une époque assez ancienne, c'est-à-dire remontant au XIIe siècle, mais qui, tout en présentant peu de relief, formaient cependant assez de saillie sur le sol pour qu'on ne pût marcher dessus, tandis que ce n'est que vers 1225 que l'on commence à voir des plates-tombes au ras du sol, et seulement gravées.

Il faut cependant mentionner ici une tombe très-singulière, qui autrefois était placée dans le choeur de l'église Saint-Germain des Prés, à Paris, et qui est aujourd'hui déposée à Saint-Denis: c'est celle de Frédégonde. Dom Bouillard 55 prétend que cette princesse avait été enterrée dans la basilique de Sainte-Croix et de Saint-Vincent, du côté du nord, près du gros mur qui soutenait le clocher. La tombe actuelle ne remonte pas au delà de la première moitié du XIIe siècle. C'est une plaque de pierre de liais incrustée de fragments de pâtes de verre et de pierres dures, entremêlés de filets de cuivre. Des réserves laissées dans la pierre forment les linéaments du vêtement. La tête, les mains et les pieds, entièrement unis aujourd'hui, étaient très-probablement peints. Nous ne connaissons pas d'autre exemple de ce genre de monuments funéraires 56; et il est difficile de découvrir les motifs qui déterminèrent les religieux de Saint-Germain des Prés à faire exécuter ce monument suivant un procédé aussi peu usité. Était-ce pour imiter une mosaïque beaucoup plus ancienne qui aurait été faite par encloisonnements, sur des indications d'artistes byzantins? Était-ce l'essai d'un artiste occidental? Nous ne saurions le dire. D'autres plates-tombes en mosaïque existent en France, celle, entre autres, de l'évêque d'Arras, Frumaldus, mort en 1180 57, et celle trouvée dans les ruines de l'abbaye de Saint-Bertin, avec la date de 1109; mais ces tombes sont exécutées suivant le procédé ordinaire du mosaïste employé en Italie et en France au XIIe siècle, procédé qui ne ressemble en rien à celui adopté pour l'effigie de Frédégonde.

Il nous reste deux belles tombes datant du XIIe siècle, qui représentent, en plat relief les effigies des rois Clovis Ier et Childebert Ier. Ces tombes, qui proviennent de l'abbaye Saint-Germain des Prés, sont maintenant déposées à Saint-Denis. Le relief de ces figures est trouvé aux dépens d'une cavité faite dans une épaisse dalle de pierre. Elles avaient remplacé, dans l'église Saint-Germain des Prés, des monuments beaucoup plus anciens, mais fort dégradés, lorsque l'abbaye fut prise par les Normands.

Vers la fin du XIIe siècle et le commencement du XIIIe, on plaça dans les églises beaucoup de ces tombes avec effigie en demi-relief, peu élevées au-dessus du pavé. Elles étaient très-fréquemment exécutées en bronze coulé ou repoussé, émaillé, et consistaient en une plaque de métal posée aux quatre coins sur des colonnettes très-trapues, sur des lions, ou simplement sur des cales. La tombe de Charles le Chauve, placée au milieu du choeur des religieux de Saint-Denis, et dont la fabrication paraît appartenir aux premières années du XIIIe siècle, était ainsi composée.



Nous en donnons (fig. 27) une copie d'après le bon dessin de la collection Gaignières. L'empereur est représenté en demi-relief; sa tête repose sur un coussin, ses pieds sur un lion. La main droite tient le sceptre fleurdelisé, la gauche une sphère. Il est vêtu des trois robes, les deux de dessus fendues sur le côté, et du manteau rond attaché sur l'épaule droite; il porte la couronne fleuronnée. Deux angelets, placés dans les écoinçons du trilobe qui encadre la tête du prince, tiennent des encensoirs et des navettes. Aux quatre coins A de la plaque sont assises quatre statuettes d'évêques. Une inscription en creux formait la bordure de la tombe. Le fond de la plaque est entièrement émaillé en bleu, avec fleurs de lis et réseau or. Des plaques d'émail incrusté décoraient aussi les bordures des robes et du manteau. Quatre lions de bronze, reposant sur des colonnettes jumelles très-courtes, de pierre, supportaient cette table (voyez l'élévation, fig. 27 bis), laissant un vide de 0m,55 environ au-dessous d'elle 58.



Nous ne possédons plus en France que quatre tombes de métal dans le genre de celle de Charles le Chauve. Deux sont sans émaux, ce sont les tombes des évêques d'Amiens, Ewrard de Fouilloy et Godefroy; l'un de ces deux monuments est d'une grande valeur comme art, c'est celui de l'évêque Ewrard. La tête, les draperies, admirablement modelées, sont d'un style excellent.



Nous donnons (fig. 28) une copie de ce tombeau. Le personnage, demi ronde bosse, est fondu avec la plaque, et la table repose sur un socle de pierre très-bas, avec six lions issants. L'évêque bénit et porte la crosse. Deux anges thuriféraires, en bas-relief, encensent sa tête, qui repose sur un coussin richement décoré. Deux clercs, également en bas-relief, tiennent des flambeaux. Les pieds du prélat reposent sur deux dragons. Une inscription et un bel ornement courant enveloppent la figure encadrée par une sorte de dais à sa partie supérieure. L'évêque Ewrard de Fouilloy fut le fondateur de la cathédrale actuelle d'Amiens, commencée en 1220. Il mourut en 1223; donc, son tombeau, placé autrefois à l'entrée de la nef, dans l'axe, date de la première moitié du XIIIe siècle; il possède d'ailleurs tous les caractères de cette époque.

Les deux autres tombes de bronze qui nous restent encore sont celles de Jean et de Blanche de France, enfants de saint Louis, et déposées, avant la révolution, dans l'église de l'abbaye de Royaumont, sous deux niches décorées de peintures. Ces tombes, fort petites, représentent, en cuivre repoussé, doré et gravé, les deux enfants, sur deux plaques de cuivre doré et émaillé, avec riche bordure également émaillée aux armes de France, de Castille et d'Aragon. Le jeune prince pose ses pieds sur un lion, et la princesse sur un lévrier. Des anges thuriféraires, en demi-relief, sont fixés aux côtés de la tête de chacun d'eux, et des religieux, aussi en demi-relief, se détachent sur les fonds d'émail aux côtés des personnages. Ces deux plaques très-intéressantes sont aujourd'hui déposées dans l'église de Saint-Denis, à côté du maître autel, en face du tombeau de Dagobert 59.

Les tombes plates de cuivre, isolées, comme celles de Charles le Chauve et des deux évêques d'Amiens, précieuses par la matière et le travail, étaient très-probablement, comme nous l'avons dit plus haut, protégées à certains jours par des poêles de riches étoffes, et illuminées au moyen de porte-lumières. Nous avons la preuve de cette dernière disposition dans les magnifiques tombeaux de cuivre doré et émaillé qui se voyaient, avant 1793, dans l'église de Villeneuve, près de Nantes, et dont les dessins nous sont conservés dans la collection de Gaignières. L'un de ces monuments, élevé sur la sépulture de deux princesses qui sont Alix, comtesse de Bretagne, morte en 1221, et sa fille Yolande de Bretagne, qui mourut en 1212, date de cette dernière époque. Le vêtement de la comtesse Alix appartient même aux années comprises entre 1225 et 1235. Cette figure était-elle déjà faite alors, ou le statuaire voulut-il reproduire le costume de la princesse, morte en 1221? Nous ne pourrions décider la question; cependant on peut admettre que la statue d'Alix était faite après sa mort, ainsi que la plaque sur laquelle on l'avait fixée (car l'ornementation émaillée de cette plaque est évidemment plus ancienne que celle de Yolande), et qu'après la mort de celle-ci les deux tombes furent encadrées dans un même socle. Quoi qu'il en soit, sur les bordures armoyées qui entourent et séparent les deux plaques, sont disposées douze douilles en forme de fleurettes fermées, qui étaient destinées évidemment à recevoir des bobèches et des cierges, ainsi que l'indique notre figure 29.



Les socles très-bas de la tombe jumelle sont également couverts d'émaux armoyés. Aux angles sont quatre lions issants de bronze doré. Le tout reposait sur une marche de pierre.

C'est aux angles de ce socle de pierre que l'on retrouve presque toujours la trace de scellements de métal ou de bases de colonnettes, soutenant l'armature de fer sur laquelle on jetait une étoffe aux anniversaires ou à certaines occasions.



La figure 29 rend compte de cette disposition.

Rien n'égale la splendeur de ces monuments de métal doré et émaillé. L'abbaye de Braisne, les cathédrales de Beauvais et de Paris, l'abbaye de Royaumont, en possédaient plusieurs 60.

Il y a une sorte de monument intermédiaire entre ces derniers tombeaux et les plates-tombes: ce sont des statues couchées sur un lit légèrement incliné, et ayant au-dessus du pavé un faible relief. Ces tombes étaient placées dans le choeurs des églises ou dans des chapelles, de façon à être vues des fidèles et à ne pas gêner la circulation. Il existait avant la révolution, dans l'église de Chaloché, au milieu du choeur, un tombeau ainsi composé: c'était celui de Thibaut, seigneur de Mothefélon, de Béatrix de Dreux, sa femme, de leur fils et de leur bru. Les quatre statues étaient couchées sur un socle peu élevé, en forme de lit de camp (fig. 30); les statues étaient peintes; les deux sires de Mothefélon avaient leurs mailles dorées et portaient des cottes armoyées de leurs armes, qui sont de gueules aux six écussons d'or posés 3, 2 et 1. Ce tombeau datait du commencement du XIVe siècle 61.

Les tombés plates gravées ne remontent pas, comme nous l'avons dit déjà, au delà du XIIIe siècle. Mais vers la fin du XIIe et le commencement du XIIIe, on plaçait dans les églises beaucoup de pierres tombales, au ras du sol, qui présentaient l'effigie du mort en bas-relief. Le respect que l'on avait pour les sépultures faisait que les fidèles ne marchaient point sur ces pierres; mais s'il y avait foule dans l'église, il était assez difficile d'éviter de butter contre ces saillies, si faibles qu'elles fussent: aussi se contenta-t-on bientôt de graver sur des dalles de pierre ou des plaques de bronze la figure entière du défunt.



Nous possédons en France un assez grand nombre de ces plates-tombes en bas-relief. Il nous suffira d'en donner ici un exemple qui se trouve aujourd'hui déposé dans la nef, à l'entrée de l'église de Saint-Martin de Laon (fig. 31). La tombe, de pierre noire de Belgique, est celle d'un chevalier portant le costume militaire du commencement du XIIIe siècle. Son écu est vairé; la sculpture du personnage, de grandeur naturelle, est très-peu saillante sur le fond légèrement taillé en cuvette. D'ailleurs il est à croire que ces plates-tombes étaient, au moins pendant un laps de temps après la mort du personnage et à l'occasion des anniversaires, surmontées de dais d'étoffes. La forme de ces dalles sculptées est souvent celle d'un trapèze, c'est-à-dire que la pierre est plus étroite du côté des pieds que du côté de la tête.

Les pavages de nos églises ne se composaient plus, à la fin du XVe siècle déjà, que de dalles tombales juxtaposées, et bien que depuis lors on ait détruit une prodigieuse quantité de ces monuments si précieux pour les études historiques et archéologiques, il en reste encore beaucoup. Plusieurs de ces plates-tombes sont même d'une grande beauté de style, et montrent à quel degré de perfection l'art du dessin s'était élevé pendant le moyen âge. Les meilleures sont celles qui appartiennent aux XIIIe et XIVe siècles.

Les plates-tombes de cuivre gravé ou légèrement modelé ont toutes été fondues. Celles que nous possédons encore dans quelques églises sont de pierre, parfois avec incrustations de marbre blanc pour les nus, et noir pour certaines parties des vêtements ou pour les fonds. Le trait gravé est rempli de plomb ou de mastic noir et brun rouge. La forme de ces tombes est trop connue pour qu'il soit nécessaire d'en donner ici des exemples. Nous citerons parmi les plus belles celles de la cathédrale et de l'église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, celles des églises de Troyes, de Beaune, de la sainte Chapelle du Palais à Paris, etc. Gaignières nous a laissé les dessins de plusieurs de ces plates-tombes provenant de l'abbaye de Jumiéges, et qui étaient de terre cuite émaillée.

Souvent ces plates-tombes n'étaient décorées que par une inscription gravée sur les bords et un emblème sur le milieu. L'abbé Lebeuf cite un certain nombre de ces dalles placées dans des paroisses du diocèse de Paris, et qui avaient pour toute gravure un écu, ou une croix, ou un calice. Ces dernières sont des tombes de curés. Les pierres tombales posées sur les sépultures des templiers ne portaient habituellement aucune inscription, mais une simple croix grecque, un écu, et parfois un triangle équilatéral (voyez TEMPLE) 62. On cessa de graver l'effigie du mort sur les dalles tombales vers le milieu du XVIIe siècle.

TOUR, s. f. (tor). Dans l'ancienne fortification, la tour est un ouvrage saillant sur les courtines, à plan carré ou circulaire, et formant un flanquement suffisant avant l'emploi des bouches à feu.

Il serait difficile de remonter au premier emploi de la tour comme défense. Dès la plus haute antiquité, la tour est connue: les Asiatiques et les Grecs, les Phéniciens et les Étrusques bâtissaient des tours pour fortifier les murailles de leurs villes et forteresses. Ces tours étaient généralement élevées sur plan carré ou barlong, et dépassaient le niveau du chemin de ronde des courtines.

Les Romains avaient pris la tour aux Étrusques et aux Grecs, et dès l'époque des rois ils flanquaient les courtines au moyen de tours à plan carré. Autour de Rome, sous les remparts de l'empire, des bas temps et du moyen âge, on retrouve encore d'assez nombreuses traces de ces ouvrages élevés en gros blocs de pépérin par les Tarquins.

Cependant il n'est pas rare de trouver des tours romaines d'une époque assez ancienne, sur plan circulaire, flanquant des portes. À Arles, on voit encore, du côté opposé au Rhône, deux souches de tours qui flanquaient une porte, qui datent d'une très belle époque et sont sur plan circulaire. Ces tours ont 8 mètres de diamètre et sont espacées l'une de l'autre de 15 mètres. À Nîmes, la porte dite d'Auguste était flanquée de deux tours circulaires. Il en était de même aux portes d'Arroux et de Saint-André, à Autun (IVe siècle), à la porte de Vézone (Périgueux), à l'est de l'ancienne cathédrale. Les tours romaines sur plan circulaire, flanquant des courtines, sont beaucoup plus rares: on en voit quelques-unes sur le front occidental des remparts d'Autun, mais qui appartiennent à une très basse époque; de même à Rome.

Les Romains élevaient aussi des tours isolées en dehors des remparts, sortes d'ouvrages avancés qui protégeaient un point faible, un passage de rivière, et commandaient la campagne. Ces tours tenaient lieu de ce que nous appelons aujourd'hui des forts détachés; elles étaient parfois reliées par un vallum, ou relief de terre avec fossé, soit avec d'autres tours, soit avec les murailles de la ville. L'édifice auquel, à Autun, on donne le nom de temple de Janus, paraît avoir été un de ces ouvrages, qui formait le saillant d'une large tête de pont, d'un camp retranché sur la rive droite de l'Arroux.

Quand les frontières de l'empire furent menacées, les empereurs romains firent bâtir des tours isolées pour protéger les passages et pour maintenir les populations voisines 63. Ces tours, comme plus tard les donjons féodaux, n'avaient point de portes au niveau du sol, mais à une certaine hauteur, de manière qu'on fût obligé de se servir d'une échelle pour entrer 64. La tour carrée d'Autun, dont nous venons de parler, paraît avoir eu sa porte relevée au-dessus du sol extérieur.

Certaines tours romaines n'étaient que des postes d'observation. «Une ligne non interrompue de ces tours part de Beuvray et se dirige, par la Vieille-Montagne, vers le cours de l'Aron, jusqu'à Decize, par Cercy-la-Tour... La plaine d'Autun en offre une autre semblable qui longe la chaîne des montagnes au nord-ouest, entre les camps de la vallée d'Arroux, au-dessus et au-dessous de la ville. Elle commence au coude d'Arroux, sur la rive droite, entre le Mont-Dru et la Perrière, et, franchissant le bassin d'Autun, sur les points culminants de la plaine, va aboutir à la vallée de Barnay, en face du camp de la montagne de Bar, sans qu'aucune des tours qui composent cette ligne se perde jamais de vue l'une l'autre. Le souvenir de leurs fanaux s'est conservé presque partout, soit dans leur nom, soit dans la tradition populaire. Le nom de Montigny, Mons ignis, Mons ignitus, est resté à plusieurs de ces localités 65

La colonne Trajane nous montre, dans ses bas-reliefs, beaucoup de ces tours d'observation avec fanaux, qui permettaient de concerter des opérations militaires pendant la nuit, et de surveiller les mouvements d'ennemis ou de bandes de pillards pendant le jour. Quand un gouvernement approche de sa dissolution, le premier symptôme qui se manifeste bien avant les grandes crises finales, c'est le brigandage. L'empire romain à son déclin, mais longtemps avant le moment des débordements des barbares, était rongé par le brigandage; des bandes armées se répandaient non-seulement sur les frontières de l'empire, mais autour des grands centres et jusque dans la campagne de Rome. Les derniers empereurs se préoccupèrent, non sans raison, de guérir cet ulcère des gouvernements qui finissent, sans y parvenir. Constance, Julien, Valentinien, établirent dans les Gaules des lignes de postes sur les marches, le long des vallées voisines des frontières, et à l'entour des grandes villes. Ces postes n'étaient autre chose que des tours élevées sur des promontoires, des monticules naturels ou factices (mottes). Nous verrons bientôt que ce système romain fut longtemps observé pendant le moyen âge.

Il convient donc tout d'abord de distinguer les tours flanquantes, c'est-à-dire attachées aux courtines d'une place, des tours isolées.

Vitruve explique comment il faut établir les tours flanquantes: «Elles doivent, dit-il 66, être en saillie sur le parement extérieur du mur de telle manière que lorsque l'ennemi s'approche (de la courtine), il soit pris en flanc par deux tours, l'une à droite, l'autre à gauche... Les murs des forteresses doivent être plantés, non sur plan carré ou présentant des angles saillants, mais suivant un périmètre circulaire (ou se rapprochant de cette figure), afin que l'ennemi puisse être vu de plusieurs points, car les saillants sont difficilement défendables, et plus favorables aux assiégeants qu'aux assiégés... L'intervalle entre les tours doit être calculé en raison de la portée d'un trait, afin que l'assiégeant soit repoussé par les machines de jet manoeuvrant sur les deux flancs.

Il faut, au droit des tours, que les courtines soient interrompues par une coupure ayant une largeur égale au diamètre de ces tours. De la sorte les chemins de ronde, étant interrompus, sont seulement complétés intérieurement par des passerelles de charpente qui, n'étant pas fixées avec des attaches de fer, peuvent être jetées bas si l'ennemi s'est emparé d'une portion de courtine, et rendre ainsi l'occupation des autres courtines et des tours impossible.

Les tours doivent être élevées sur plan circulaire ou polygonal, car, étant carrées, les béliers les détruisent plus facilement en ruinant leurs angles. Circulaires, chaque pierre formant coin et reportant la percussion au centre, ces tours résistent mieux à l'effort des machines. Mais rien n'est tel que de terrasser les remparts et les tours pour leur donner une grande puissance de résistance...»

Ces préceptes, sauf les modifications amenées par la portée des engins modernes, sont les mêmes que ceux admis de nos jours. Voir l'ennemi de plusieurs points, éviter, par conséquent, les saillants qui sont difficiles à flanquer; mettre toujours l'assiégeant entre des feux convergents; faire qu'un ouvrage pris n'entraîne pas immédiatement l'abandon des autres; relier au besoin ou séparer les ouvrages, tels sont les immuables principes de la fortification. Ils furent établis, à notre connaissance, par les Grecs et les Romains, pratiqués pendant le moyen âge avec une supériorité marquée, singulièrement développés dans les temps modernes par suite de l'emploi des bouches à feu. En effet, de la tour ronde à court flanquement, et ayant toujours des points morts, au bastion moderne avec ses flancs et ses faces, il y a une longue suite d'essais, de tentatives et de transitions 67.

La tour romaine sur plan circulaire ou carré (car, quoi qu'ait enseigné Vitruve, les Grecs et les Romains ont élevé beaucoup de tours flanquantes carrées), était ouverte ou fermée à la gorge, c'est-à-dire du côté intérieur de la forteresse. Si elle était ouverte, le chemin de ronde des courtines voisines s'interrompait, comme l'indique Vitruve, au droit de cette ouverture. Si elle était fermée, les rondes circulant sur la courtine devaient se faire ouvrir deux portes pour entrer et sortir de la tour, afin de reprendre l'autre courtine. Dans ce cas, la tour formait obstacle à la circulation continue de plain-pied sur le sommet des remparts; Les premières de ces tours sont, à proprement parler, des tours retranchées, tandis que les secondes sont des postes ou petits forts espacés, commandant les remparts.

Ce qui prouverait que le système des tours retranchées a été de préférence pratiqué par les Romains, c'est que nous voyons pendant le moyen âge l'emploi de ce système persister dans les villes qui ont le mieux conservé les traditions romaines; tandis que dans le Nord, où l'influence normande se fait sentir de bonne heure dans l'art de la fortification, les tours sont toujours fermées, à moins toutefois qu'elles ne flanquent une enceinte extérieure commandée par une enceinte intérieure.

Nous diviserons donc cet article en: TOURS FLANQUANTES, ouvertes ou fermées à la gorge; TOURS RÉDUITE, tenant lieu de donjons ou dépendant de donjons; TOURS DE GUET, TOURS ISOLÉES, postes, tours de signaux, de passages, de ponts, de phares.

Tours flanquantes. Les tours flanquantes établies suivant la tradition romaine, qui se perpétua en Occident jusqu'à l'époque des grandes invasions normandes, sont (à moins qu'elles ne dépendent de portes) généralement pleines jusqu'à une certaine hauteur au-dessus du fossé ou du sol extérieur, afin de résister à l'effort des engins d'attaque ou à la sape; leur flanquement ne commence donc qu'au niveau des chemins de ronde des courtines, et consiste en des ouvertures assez larges masquées par des mantelets mobiles de bois. Ce premier flanquement est surmonté de l'étage supérieur crénelé, formant couronnement et second flanquement. Cet étage supérieur est couvert par un comble, de manière à mettre le crénelage à l'abri, ou découvert, le comble étant alors établi en contre-bas du chemin de ronde ou au ras de ce chemin de ronde.



Voici (fig. 1) un type de ces tours de la fin de l'empire romain 68, ouvertes à la gorge, mais interrompant les chemins de ronde des courtines.

Des plats-bords posés sur les poutres engagées A permettaient de passer d'un chemin de ronde sur l'autre, et d'entrer de plain-pied au premier étage de la tour. Ce premier étage est mis en communication avec le second et avec le crénelage au moyen d'échelles de bois. Une échelle mobile, que l'on relève au moyen d'un treuil, met le plancher du premier étage en communication avec le sol du chemin militaire intérieur. Cette portion d'échelle relevée et les plats-bords enlevés, le poste gardant la tour ne peut redouter une surprise; il est complétement isolé. Cependant il voit ce qui se passe dans la ville et peut être surveillé. La tour, occupée par l'ennemi, ne peut battre le chemin militaire, puisque les étages de cette tour sont ouverts sur ce chemin. Les approvisionnements de projectiles se font, comme l'indique notre figure, par ces ouvertures sur le chemin militaire.

La tour se défend, extérieurement, par des ouvertures pratiquées dans les deux étages et par le crénelage supérieur. Les larges créneaux en façon d'arcades sont masqués par des mantelets mobiles de bois roulant sur un axe.

La cité de Carcassonne possède encore des tours datant de la domination des Visigoths, construites suivant cette donnée, si ce n'est que le chemin de ronde passe à travers la tour, et que celle-ci est percée de portes au niveau de ce chemin de ronde. À Carcassonne, les tours visigothes avaient leurs crénelages couverts, des mantelets pour les créneaux supérieurs comme pour les créneaux des étages, et des hourds de bois pour permettre de battre le pied de la défense.



Voici (fig. 2) le plan d'une de ces tours 69, au niveau du chemin de ronde. Au-dessous de ce niveau, l'ouvrage est de maçonnerie pleine.



La figure 3 montre la face latérale de cette tour, avec la coupe du chemin de ronde de la courtine. En A est tracée en place une ferme des hourds 70; en B, le détail perspectif d'un des corbeaux des créneaux supérieurs, destinés à recevoir les tourillons des mantelets, et en C les pierres saillantes posées sous les arcades-créneaux pour supporter de même les axes à tourillons qui permettent de relever ou d'abaisser les volets fermant ces arcades. Au-dessus du plancher, posé en D, est ouvert, sur la ville, un arc qui laisse voir ce qui se passe à l'étage supérieur et qui facilite les approvisionnements de projectiles. Cet arc surmonte le mur de fermeture C (voyez le plan), et porte sur les deux pieds-droits H, I.

La question des approvisionnements rapides de projectiles destinés à défendre ces tours ne paraît pas avoir été examinée avec assez d'attention. On remarquera que ces tours, d'une époque ancienne, c'est-à-dire qui datent de la fin de l'empire romain aux derniers Carlovingiens, sont généralement d'un faible diamètre, et ne pouvaient, par conséquent, contenir un approvisionnement très-considérable de projectiles, soit armes de trait, soit pierres propres à être jetées sur les assaillants qui voulaient s'approcher du pied des ouvrages pour les saper.

En supposant qu'une tour, comme celle que nous présentons ici (fig. 2 et 3), soit attaquée à son pied; que, protégés par des chats, les mineurs s'attachent à la maçonnerie, les défenseurs ne peuvent repousser cette attaque qu'en jetant sur les galeries, sur les chats, force pierres ou matières enflammées, afin de les détruire. Si l'attaque se prolongeait, on peut estimer la quantité considérable de projectiles qu'il fallait avoir sous la main. Il était donc nécessaire de renouveler à chaque heure cette provision, comme aujourd'hui il faut, dans une place assiégée, renouveler sans cesse les munitions des bouches à feu placées sur les ouvrages qui contribuent à la défense d'un point attaqué.

Ces tours ouvertes à la gorge se prêtaient à ces approvisionnements incessants, car plus leur diamètre était petit, plus il fallait remplacer souvent les projectiles employés à la défense. D'ailleurs l'attaque n'étant sérieuse qu'autant qu'elle était très-rapprochée, c'était le point attaqué qui se défendait sans attendre secours des ouvrages voisins. Tous les efforts de l'attaque, et, par suite, de la défense, étant ainsi limités à un champ très-étroit, les moyens de résistance s'accumulaient sur ce point attaqué et devaient être renouvelés avec activité et facilité. Nous verrons comment cette partie du programme de la défense des tours se modifie peu à peu suivant les perfectionnements apportés dans le mode d'attaque.



Il est encore une observation dont il faut tenir compte. Dans les ouvrages de la fin de l'empire romain, comme pendant les périodes grecque et romaine, les tours ont sur les courtines un commandement considérable (fig. 4) 71: cette disposition est assez régulièrement observée jusque vers le milieu du XIIIe siècle, mais alors les courtines s'élèvent; le commandement des tours sur ces courtines diminue d'autant. À cette époque, il arrive même parfois que ces tours ne remplissent que la fonction de flanquement, et n'ont plus de commandement Sur les courtines. C'est encore le système de l'attaque qui provoque ces changements. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet.

En examinant les tours d'angle du château de Carcassonne, dont la construction remonte aux premières années du XIIe siècle, on peut se rendre un compte exact des moyens d'approvisionnement des défenses supérieures de ces tours, car ces ouvrages sont parfaitement conservés, les anciennes charpentes ayant seules été supprimées.



La figure 5 présente le plan de la tour de l'angle nord-est, dite tour du Major, au niveau du sol de la cour du château. La salle ronde voûtée en calotte hémisphérique se défend par cinq meurtrières qui battent le fond du fossé.



La figure 6 donne le plan du premier étage, qui se trouve au niveau du chemin de ronde des courtines. Les meurtrières qui, de la salle, s'ouvrent sur les dehors au nombre de quatre, ne sont pas percées au-dessus de celles du rez-de-chaussée, afin de laisser le moins de points morts possible. La voûte également en calotte qui couvre cette seconde salle est percée d'un trou A, ou porte-voix, qui communique avec les étages supérieurs. Le deuxième étage n'est pas voûté, mais couvert par un plancher placé en contre-bas du chemin de ronde de la tour. Cette troisième salle n'était destinée qu'au logement du poste de la tour, elle ne se défend pas. Au-dessus s'élève le crénelage avec son chemin de ronde et ses hourds (fig. 7).



Pour faciliter la pose de la charpente du comble, l'intérieur du crénelage est à pans. Ce comble était ainsi pyramidal, avec des coyaux qui formaient la transition entre la pyramide et le cône. De B en C, les fermes des hourds sont supposées placées. Ces hourds étaient évidemment très-saillants, car les deux trous superposés réservés dans la construction pour recevoir les fermes, indiquent un système de liens avec corbelets 72 soulageant la bascule des pièces horizontales destinées à porter le plancher. La coupe, faite sur la ligne ab, du plan du rez-de-chaussée (fig. 8), montre la disposition des deux salles inférieures percées de meurtrières, de la salle D, chambrée des hommes de garde, et de l'étage supérieur, poste du capitaine et défense principale. La corne E (voy. fig. 7), s'élevant d'aplomb sur la cour du château, permettait de hisser les munitions au sommet des défenses, sans qu'il fût nécessaire de les monter à dos d'homme par l'escalier. Au moyen d'un treuil posé en G et d'une poulie passant en E à travers le bout de l'entrait de la ferme principale du comble, on élevait facilement des poids assez considérables.



Notre coupe (fig. 8) indique ce mécanisme si simple. Le bourriquet hissé au niveau du plancher du hourd, on fermait la trappe, on lâchait sur le treuil, et les munitions étaient disposées le long des hourds ou dans la salle supérieure; car on remarquera que cette salle est mise en communication avec le chemin de ronde des hourds au moyen des créneaux.

Cette salle bien garnie de pierres et les hourds de sagettes et de carreaux, il était possible de couvrir les assaillants de projectiles pendant plusieurs heures. Les mâchicoulis de hourds, aussi saillants, étaient habituellement doubles, c'est-à-dire qu'ils permettaient de laisser tomber des pierres en I et en L. Les matériaux tombant en I ricochaient sur le talus K, et prenaient les assaillants en écharpe (voyez MÂCHICOULIS).



La figure 9 explique d'une façon claire, pensons-nous, le mode de montage des munitions. Le servant attend que le bourriquet soit hissé au niveau du plancher, pour fermer la trappe et répartir les projectiles où besoin est. En A, est tracée la section horizontale des potelets doubles des hourds au droit des angles, laissant entre eux la rainure dans laquelle s'engagent les masques du chemin de ronde. Le plancher de la salle supérieure, étant à 1 mètre 28 centimètres en contre-bas de l'appui des créneaux, permettait d'approvisionner une quantité considérable de projectiles que les servants, postés dans cette salle, passaient, au fur et à mesure du besoin, aux défenseurs des hourds, de manière à ne pas encombrer leur chemin de ronde. Pendant une attaque même, on pouvait hisser, à l'aide du treuil, de la chaux vive, de la poix bouillante, de la cendre qui aveuglait les assaillants 73 (voyez SIÉGE). On observera que cette tour d'angle, comme toutes celles des défenses de la cité de Carcassonne, interrompt la circulation sur les chemins de ronde des courtines, et force ainsi les patrouilles de se faire reconnaître à chaque tour. D'ailleurs, c'était dans les tours que logeaient les postes de défense, et chacun de ces postes avait à défendre une portion de courtine. La tactique des assaillants consistait à s'emparer d'une courtine en dépit des flanquements, et de se répandre ainsi dans la place.

Alors les postes des tours s'enfermaient, et il fallait les assiéger séparément, ce qui rendait possible un retour offensif de la garnison et mettait les assiégeants dans une position assez périlleuse. Cependant on voulut, dès le milieu du XIIIe siècle, rendre les parties de la défense plus solidaires, et l'on augmenta le relief des courtines en renonçant ainsi aux commandements considérables des tours. Dans le dernier exemple que nous présentons, le niveau des chemins de ronde des courtines est en N; le commandement de la tour est donc très-prononcé.

Déjà ces commandements sont moins considérables au château de Coucy, bâti vers 1220 74. Les quatre tours d'angle de ce château sont très-remarquables, au double point de vue de la structure et de la défense. Elles sont pleines dans toute la hauteur du talus. Cinq étages s'élèvent au-dessus de ce talus; deux sont voûtés, deux sont fermés par des planchers, le cinquième est couvert par le comble conique 75.



Les plans (fig. 10) présentent en A la tour d'angle nord-ouest, au niveau du sol du premier étage du château; en C, au niveau du sol du second étage; en D, au niveau du crénelage supérieur.

L'étage inférieur, voûté, au niveau du sol de la cour, ne possède aucune meurtrière; c'est une cave à provisions dont la voûte est percée d'un oeil. L'escalier ne monte que du niveau de la cour au sol du quatrième étage, et l'on n'arrivait à l'étage crénelé que par un escalier de bois (échelle de meunier) 76. En g, sont des cheminées; en l, des latrines 77. Une ouverture laissée au centre des planchers permettait de hisser les munitions du rez-de-chaussée au sommet de la tour sur les chemins de ronde. Les meurtrières sont alternées, afin de laisser le moins possible de points morts.

Les tours du château de Coucy présentent une particularité intéressante, c'est la transition entre le hourdage de bois et le mâchicoulis de pierre 78. Des corbeaux de pierre remplacent les trous par lesquels on passait (comme nous l'avons vu dans l'exemple précédent) les pièces de bois en bascule qui recevaient les chemins de ronde établis en temps de guerre. Ces corbeaux à demeure recevaient alors les hourds 79.



La figure 11 donne la coupe (sur la ligne ad du plan A) de ce bel ouvrage. Outre les jours des meurtrières, les salles des troisième et quatrième étages possèdent une fenêtre chacune, qui les éclaire. Les munitions étaient montées à l'aide d'un treuil placé dans la salle du quatrième étage, ainsi que le fait voir notre figure, et étaient déposées sur le plancher supérieur mis en communication avec les hourds au moyen des créneaux couverts. Les hourds tracés en G expliquent le système des défenses de bois posées en temps de guerre sur les corbeaux à demeure de pierre, C. Le niveau du chemin de ronde des courtines se trouvant en R, on voit que le commandement de la tour sur ce chemin de ronde était moins considérable déjà que dans l'exemple précédent 80. En E, commence l'escalier de bois qui, passant à travers un des arcs de l'hexagone, montait du quatrième étage au niveau du plancher supé rieur, très-solidement construit pour recevoir la charge d'une provision de projectiles.

Cette construction est merveilleusement exécutée en assises de 40 à 50 centimètres, et n'a subi aucune altération, malgré le chevauchement des piles. Le talus extérieur descend à 8 mètres en contre-bas du niveau K, sol de la cour. Une élévation extérieure prise en B (voy. le plan), fig. 12, complète notre description. Les hourds sont supposés placés sur une moitié des corbeaux.



Ces défenses du château de Coucy sont construites au sommet d'un escarpement; leur effet ne devait s'exercer, par conséquent, que suivant un rayon peu étendu, lorsque l'assaillant cherchait à se loger au pied même des murs. Les meurtrières, percées à chaque étage, sont plutôt faites pour se rendre compte des mouvements de l'ennemi que pour tirer. Il s'agissait ici d'opposer aux attaques un obstacle formidable par son élévation et par la défense du couronnement. Sur trois côtés, en effet, le château de Coucy ne laisse entre ses murs et la crête du coteau qu'une largeur de quelques mètres, un chemin de ronde extérieur qui lui-même pouvait être défendu. Un très-large fossé et le gros donjon protégent le quatrième côté 81. Il n'était besoin que d'une défense rapprochée et presque verticale. Mais la situation des lieux obligeait souvent, alors comme aujourd'hui, de suppléer à l'obstacle naturel d'un escarpement par un champ de tir aussi étendu que possible, horizontalement, afin de gêner les approches. Cette condition est remplie habituellement au moyen d'ouvrages bas, d'enceintes extérieures flanquées, dominées par le commandement des ouvrages intérieurs. L'enceinte si complète de Carcassonne nous fournit, à cet égard, des dispositions d'un grand intérêt. On sait que la cité de Carcassonne est protégée par une double enceinte: celle extérieure n'ayant qu'un commandement peu considérable; celle intérieure, au contraire, dominant et cette enceinte extérieure et la campagne 82. Or, l'enceinte extérieure, bâtie vers le milieu du XIIIe siècle par ordre de saint Louis, est flanquée de tours, la plupart fermées à la gorge et espacées les unes des autres de 50 à 60 mètres. Ces tours, qui n'ont qu'un faible commandement sur les courtines, et parfois même qui s'unissent avec elles, sont disposées pour la défense éloignée. Bien munies de meurtrières, elles se projettent en dehors des murs et recevaient des hourdages saillants.

L'une de ces tours 83, entièrement conservée, présente une disposition conforme en tous points au programme que nous venons d'indiquer.



La figure 13 donne le plan de cette tour au niveau du sol des lices, c'est-à-dire de la route militaire pratiquée entre les deux enceintes.



La figure 14 donne le plan du premier étage. Le chemin de ronde de la courtine est en A, et la tour n'interrompt pas la circulation.

La porte B met le chemin de ronde en communication avec le rez-de-chaussée par l'escalier D, avec le premier étage de plain-pied, et avec les défenses supérieures par l'escalier C. Les meurtrières, nombreuses, sont chevauchées pour éviter les points morts.



La figure 15 présente le plan de ces défenses supérieures, les hourds étant supposés placés en E. Le crénelage est largement ouvert en G pour permettre les approvisionnements et pour que l'ouvrage ne puisse se défendre contre l'enceinte intérieure, qui, du reste, possède un commandement très considérable. En temps de paix, l'espace circulaire H était seul couvert par un comble à demeure. Les combles des hourds posés en temps de guerre couvraient le chemin de ronde K et les galeries de bois L; un large auvent protégeait l'ouverture G. La coupe faite sur la ligne ab de ce plan est présentée dans la figure 16.



En M, est tracé le profil d'ensemble de cet ouvrage, avec le fossé, la crête de la contrescarpe et le sol extérieur formant le glacis. On voit comme les meurtrières sont disposées pour couvrir de projectiles rasants ce glacis, et de projectiles plongeants la crête et le pied de la contrescarpe. Quant à la défense rapprochée, il y est pourvu par les mâchicoulis des hourds, ainsi qu'on le voit en P. La figure 17 donne le tracé géométral de cette tour du côté intérieur, les hourds n'étant posés que du côté R.



Si l'assaillant parvenait à s'emparer de cet ouvrage, il se trouvait à 20 mètres du pied de l'enceinte intérieure, dont les tours plus rapprochées, mais moins saillantes sur les courtines, présentent un front avec courts flanquements très-multipliés. Du haut de cette enceinte intérieure, dont le relief est de 15 mètres au-dessus du chemin de ronde S, il n'était pas difficile de mettre le feu aux couvertures des tours de l'enceinte extérieure au moyen de projectiles incendiaires, et d'en rendre ainsi l'occupation impossible, d'autant que ces tours ne se défendent pas sur le chemin militaire des lices.

Avec les armes de jet et les moyens d'attaque de l'époque, on ne pouvait adopter une meilleure combinaison défensive. Ces tours pleines dans la hauteur du talus qui enveloppe la roche naturelle ne pouvaient être ruinées par la sape. Bien percées de meurtrières, elles envoyaient des projectiles divergeants de plein fouet à 60 mètres de leur circonférence. Pour les aborder, il fallait donc entreprendre une suite d'ouvrages qui demandaient du temps et beaucoup de monde; tandis que pour les défendre, il suffisait d'un poste peu nombreux. Un ouvrage de cette étendue pouvait longtemps défier les attaques avec un capitaine et vingt hommes 84. Si l'attaque était très-rapprochée, les meurtrières inférieures devenaient inutiles, et alors les vingt hommes répandus sur les galeries des hourds couvraient les assaillants d'une pluie de projectiles. Nous avons dit ailleurs (voyez ARCHITECTURE MILITAIRE) que les assiégeants dirigeaient plutôt leurs attaques méthodiques contre les courtines que contre les tours, parce que la courtine possédait moins de moyens défensifs que les tours, et qu'il était plus difficile à l'assiégé de les retrancher. Mais, il va sans dire que, pour emporter une courtine, il fallait d'abord détruire ou masquer les flanquements que donnaient les tours voisines.

Tant que les tours enfilaient la courtine, on ne pouvait guère avancer les chats et les beffrois contre cette courtine. Ainsi, quoiqu'il ne fût pas conforme à la tactique d'envoyer une colonne d'assaut contre une tour--et les beffrois n'étaient qu'un moyen de jeter une colonne d'assaut sur la courtine,--il fallait toujours que l'assaillant rendît nulles les défenses des tours sur les flancs, avant de rien entreprendre contre la courtine.

Mais admettant que les hourds des tours eussent été détruits ou brûlés, et que les défenses de celles-ci eussent été réduites aux meurtrières des étages inférieurs, que les beffrois fussent approchés de la courtine; le chemin de ronde de la courtine étant toujours élevé au-dessus du sol intérieur, les assaillants qui se précipitaient du beffroi sur ces chemins de ronde étaient pris en flanc par les défenseurs qui sortaient des tours voisines comme de réduits, au moment de l'assaut. C'est en prévision de cette éventualité que les tours, bien qu'elles interceptent la communication d'un chemin de ronde à l'autre, possèdent des portes donnant directement sur ces chemins de ronde et permettant aux postes des tours de se jeter sur les flancs de la colonne d'assaut.



Voici (fig. 18) une des tours de l'enceinte extérieure de Carcassonne, bâtie par saint Louis, qui remplit exactement ce programme. C'est la tour sur le front nord, dite de la Porte-Rouge. Cette tour possède deux étages au-dessous du crénelage. Comme le terrain s'élève sensiblement de a en b, les deux chemins de ronde des courtines ne sont pas au même niveau; le chemin de ronde b est à 3 mètres au-dessus du chemin de ronde a. En A, est tracé le plan de la tour au-dessous du terre-plein; en B, au niveau du chemin de ronde d; en C, au niveau du crénelage de la tour qui arase le crénelage de la courtine e. On voit en d la porte qui, s'ouvrant sur le chemin de ronde, communique à un degré qui descend à l'étage inférieur A, et en c la porte qui, s'ouvrant sur le chemin de ronde plus élevé, communique à un second degré qui descend à l'étage B. On arrive du dehors au crénelage de la tour par le degré g. De plus, les deux étages A et B sont en communication entre eux par un escalier intérieur hh', pris dans l'épaisseur du mur de la tour. Ainsi les hommes postés dans les deux étages A et B sont seuls en communication directe avec les deux chemins de ronde. Si l'assiégeant est parvenu à détruire les hourds et le crénelage supérieur, et si croyant avoir rendu l'ouvrage indéfendable, il tente l'assaut de l'une des courtines, il est reçu de flanc par les postes établis dans les étages inférieurs, lesquels, étant facilement blindés, n'ont pu être bouleversés par les projectiles des pierrières ou rendus inhabitables par l'incendie du comble et des hourds. Une coupe longitudinale faite sur les deux chemins de ronde de c en d permet de saisir cette disposition (fig. 19).



On voit en e' la porte de l'escalier e, et en d' la porte de l'escalier d (du plan). Cette dernière porte est défendue par une échauguette f, à laquelle on arrive par un degré de six marches. En h', commence l'escalier qui met en communication les deux étages A et B. Une couche de terre posée en k empêche le feu, qui pourrait être mis aux hourds et au comble l par les assiégés, de communiquer aux deux planchers qui couvrent ces deux étages A et B.



La figure 20 donne la coupe de cette tour suivant l'axe perpendiculaire au front. En d'', est la porte donnant sur l'escalier d. Les hourds sont posés en m. En p, est tracé le profil de l'escarpement avec le prolongement des lignes de tir des deux rangs de meurtrières des étages A et B.

Il n'est pas besoin de dire que les hourds battent le pied o de la tour.



Une vue perspective (fig. 21), prise du chemin militaire entre ces deux enceintes (point X du plan), fera saisir les dispositions intérieures de cette défense. Les approvisionnements des hourds et chemins de ronde de la tour se font par le créneau c (du plan C), au moyen d'un palan et d'une poulie, ainsi'que le fait voir le tracé perspectif.

Ici la tour ne commande que l'un des chemins de ronde (voy. la coupe, fig. 19). Lors de sa construction sous saint Louis, elle commandait les deux chemins de ronde; mais sous Philippe le Hardi, lorsqu'on termina les défenses de ia cité de Carcassonne, on augmenta le relief de quelques-unes des courtines, qui ne paraissaient pas avoir un commandement assez élevé. C'est à cette époque que le crénelage G fut remonté au-dessus de l'ancien crénelage H, sans qu'on ait pris la peine de démolir celui-ci; de sorte qu'extérieurement ce premier crénelage H reste englobé dans la maçonnerie surélevée. En effet, le terrain extérieur s'élève comme le chemin militaire de a en b (voy. le plan), et les ingénieurs, ayant cru devoir adopter un commandement uniforme des courtines sur l'extérieur, aussi bien pour l'enceinte extérieure que pour l'enceinte intérieure, on régularisa vers 1285 tous les reliefs. Il faut dire aussi qu'à cette époque, on ne donnait plus guère aux tours un commandement important qu'aux angles des forteresses ou sur quelques parties où il était nécessaire de découvrir les dehors.

Pour les grands fronts, les tours flanquantes n'ont pas de commandement sur les courtines, et cette disposition est observée pour le grand front sud de l'enceinte intérieure de Carcassonne, rebâti sous Philippe le Hardi.

La cité de Carcassonne est une mine inépuisable de renseignements sur l'art de la fortification du XIIe au XIVe siècle. Là ce ne sont pas des fragments épars et très-altérés par le temps et la main des hommes, que l'on trouve, mais un ensemble coordonné avec méthode, presque intact, construit en matériaux robustes par les plus habiles ingénieurs des XIIe et XIIIe siècles, comme étant un point militaire d'une très-grande importance. Lorsque Carcassonne fut comprise dans le domaine royal, sous saint Louis, cette place devenait, sur un point éloigné et mal relié aux possessions de la couronne, une tête de pont garantissant une notable partie du Languedoc contre l'Aragon.

Toutes les dispositions défensives que l'on trouve encore en France datant de cette époque, n'ont point l'unité de conception et la valeur des fortifications de Carcassonne. On comprendra dès lors pourquoi nous choisissons de préférence nos exemples dans cette place de guerre, qui, heureusement aujourd'hui, grâce aux efforts du gouvernement, à l'intérêt que la population de Carcassonne apporte à cette forteresse, unique en Europe, est préservée de la ruine qui si longtemps l'a menacée.

La disposition de la dernière tour de l'enceinte extérieure que nous venons de donner est telle, que cet ouvrage ne pouvait se défendre contre l'enceinte intérieure; car, non-seulement cette tour est dominée de beaucoup, mais elle est, à l'intérieur, nulle comme défense.

Tous les ouvrages de cette enceinte extérieure sont dans la même situation, bien que variés dans leurs dispositions, en raison de la nature du sol des dehors et des besoins auxquels ils doivent satisfaire. Il n'est qu'un point où l'enceinte extérieure est reliée à la défense intérieure au moyen d'une tour bâtie à cheval sur le chemin militaire qui sépare les deux fronts. C'est un ouvrage sur plan rectangulaire, posé en vedette, flanquant à la fois les courtines extérieures, les lices (chemin militaire) et les courtines intérieures; permettant de découvrir, sans sortir de la défense intérieure, la montée à la porte de l'Aude, tout le front jusqu'au saillant occidental de la place défendu par deux grosses tours du coin, et la partie la plus rapprochée du faubourg de la Barbacane. Cette tour, dite de l'Évêque, parce qu'elle donnait sur le palais épiscopal, est un admirable ouvrage, bâti de belles pierres de grès dur avec bossages, et dépendant des travaux terminés sous Philippe le Hardi 85.



En voici (fig. 22) les plans à différents étages. En A, au niveau des lices ou du chemin militaire entre les deux enceintes,--le crénelage de l'enceinte extérieure étant en a et la courtine de l'enceinte intérieure en b.--Le premier étage est tracé en B. Du terre-plein de la cité, on arrive à cet étage par l'escalier d, qui monte aux deux étages supérieurs. Le plan C donne l'étage du crénelage avec son hourd de face e.

On communique du chemin de ronde g au chemin de ronde h, en passant par la porte i, montant quelques degrés qui arrivent au niveau de la salle k et en redescendant par l'escalier à vis. Deux mâchicoulis en m et n (voy. le plan B) commandent les deux arcs à cheval sur le chemin militaire.



La figure 23 donne la coupe de cet ouvrage, faite sur la ligne op. Le niveau des lices est en A, le niveau du sol intérieur de la cité en B. Outre les deux mâchicoulis percés dans les archivoltes des passages P, on établissait, en temps de guerre, des hourds au deuxième étage, au-dessus de ces arcs, ainsi que l'indiquent le tracé D et le profil d; hourds auxquels les baies C donnaient accès. Un hourd établi en E, sur la face de la tour, commandait son pied et flanquait ses angles. Le profil F donne la coupe sur la courtine intérieure, les lices et la courtine extérieure. Tous les étages sont mis en communication par les oeils percés au milieu des voûtes d'arête. Ces oeils permettent aussi d'approvisionner les étages supérieurs des munitions nécessaires au service des hourds.



La figure 24 présente la vue perspective de cette tour en dehors de l'enceinte extérieure, avec les hourds posés partout. On voit que les meurtrières des crénelages ont leur champ de tir dégagé au-dessous des hourds, ce qui permet à deux lignes d'arbalétriers ou d'archers de défendre les ouvrages, puisque les hourds possèdent des meurtrières au-dessus des mâchicoulis. Les tourelles d'angle, octogones, donnent un tir divergeant et sont flanquées par les meurtrières des flancs des hourds. Cette tour a l'avantage d'enfiler le chemin militaire entre les deux enceintes, de le couper totalement au besoin, et de posséder des flanquements sur l'escarpe de l'enceinte extérieure. Parfaitement conservée, bâtie avec des matériaux inaltérables, elle a pu être utilisée au moyen de travaux peu importants.

Tous les ouvrages entrepris à Carcassonne, sous Philippe le Hardi, ont un caractère de puissance remarquable, et indiquent de profondes connaissances dans l'art de la fortification, eu égard aux moyens d'attaque de l'époque. Les flanquements étant courts, il est impossible de les mieux combiner. Les garnisons étaient composées alors de gens de toutes sortes, hommes liges et mercenaires, il fallait se tenir en défiance contre les trahisons possibles. Ces tours étaient des réduits indépendants, interceptant le parcours sur les chemins de ronde, même sur les lices, comme on le voit par l'exemple précédent. Commandées chacune par un capitaine, la reddition de l'une d'elles n'entraînait pas la chute des autres. Les gens de la ville ne pouvaient monter sur les chemins de ronde, qui avaient Sur le terre-plein un relief considérable et n'étaient mis en communication avec le sol intérieur que par des escaliers très-rares passant généralement par des postes. Toute tentative de trahison devenait difficile, chanceuse, parce qu'il fallait, ou qu'elle pût mettre beaucoup de monde dans la confidence des moyens à employer, ou qu'elle restât isolée, et par suite promptement réprimée.

Quelquefois le chemin de ronde de la courtine tourne autour de l'ouvrage flanquant et contenant un poste; mais alors la tour a tous les caractères d'un réduit, d'un petit donjon possédant ses moyens de défense, de retour offensif et de retraite, indépendants. Plusieurs des tours de l'enceinte intérieure de la cité de Carcassonne sont conçues suivant ce système. L'une d'elles, dite tour Saint-Martin, est bien conservée et nous explique clairement cette disposition.

Bâtie sur le front sud, près de la poterne de Saint-Nazaire, la tour Saint-Martin s'élève de 25 mètres au-dessus du chemin militaire des ces et de 15m,50 au-dessus du sol de la cité. Elle possède deux étages inférieurs voûtés et deux étages supérieurs sous le comble, avec plancher intermédiaire au niveau des hourds.



La figure 25 donne en A les plans superposés des deux étages inférieurs, et en B les plans superposés des deux étages supérieurs. En examinant ces plans avec quelque attention, on observera que le cylindre de maçonnerie est plus épais vers l'extérieur que vers l'intérieur de la cité; en d'autres termes, que le cercle traçant le vide n'est pas concentrique au cercle traçant la périphérie de la tour; que cette périphérie qui fait face à l'extérieur, est renforcée par un éperon C ou bec saillant. Cet éperon et cette plus forte épaisseur donnée à la maçonnerie ont pour résultat d'annuler les effets du bosson ou bélier, et de placer l'assaillant sous le tir direct des flanquements voisins (voyez ARCHITECTURE MILITAIRE, PORTE). De la ville, on entre dans la tour par la porte P, et la rampe droite qui monte au premier étage. De ce premier étage, par l'escalier à vis, on descend à l'étage inférieur et l'on monte aux étages supérieurs.



L'étage crénelé, et pouvant être muni de hourds, est mis en communication avec le chemin de ronde des courtines par les deux portes K et L. Ce chemin de ronde pourtourne l'étage supérieur de la tour du côté de la ville en G. Une coupe faite sur ab (fig. 26) permet de saisir facilement ces dispositions. L'étage H renferme une cheminée et est éclairé par une fenêtre F donnant sur la cité. Les hourds étaient posés en I, conformément à l'usage. Les meurtrières des deux salles inférieures sont chevauchées, ainsi que l'indique le plan 86.

Cet ouvrage, comme le précédent, appartient aux constructions de Philippe le Hardi, et qui datent, par conséquent, des dernières années du XIIIe siècle.

Quelquefois, à cette époque, pour étendre les flanquements des tours, on leur donne en plan la forme d'un arc brisé 87. C'est sur ce plan que sont bâties quelques-unes des tours du château de Loches.

Les grands engins d'attaque étaient alors perfectionnés: on leur opposait des murs bâtis en pleine pierre de taille, des merlons épais, des hourds formés de gros bois; on disposait plusieurs étages voûtés afin de mettre les postes à l'abri des projectiles lancés en bombe. Parfois on revenait à la tour carrée comme présentant des flancs plus étendus et des faces que l'on protégeait par des hourdages très-saillants et bientôt par des mâchicoulis de pierre.

Les tours d'Aigues-Mortes, bâties par Philippe le Hardi, sont sur plan quadrangulaire; même plan adopté pour la plus grande partie des tours de l'enceinte d'Avignon. Il faut dire que tout un front de ces remparts fut ordonné sous le pape Innocent VI, par Jean Fernandez Heredia, commandeur de Malte, et que les dispositions adoptées alors furent suivies successivement, c'est-à-dire de 1350 à 1364 88. La plupart de ces tours sont très-saillantes sur la courtine, dont le chemin de ronde passe derrière elles ou qui se trouve interrompu par les flancs. De plus, ces tours sont généralement ouvertes à la gorge.





La figure 27 présente le plan d'une de ces tours d'Avignon, à rez-de-chaussée. Un escalier E, fermé par une porte, permet de monter au premier étage (fig. 28), qui communique par deux issues avec les chemins de ronde des courtines Voisines G, H. Un second escalier en encorbellement monte jusqu'à l'étage crénelé supérieur (fig. 29), percé de mâchicoulis.



Cette tour ne se défend, comme on peut le voir, que par son sommet. La vue perspective (fig. 30), prise du côté de la ville, explique complétement le système de défense, et indique les moyens d'accès aux deux étages. Ouverte à la gorge, elle ne peut être considérée comme un réduit indépendant, au besoin; cependant les chemins de ronde des courtines sont interrompus à la façon des tours romaines dont parle Vitruve. Sa surface étendue permettait de réunir à son sommet un assez grand nombre de défenseurs. Si l'assaillant parvenait à saper sa face en K (fig. 27), il était encore possible de défendre la brèche, soit en remparant la gorge de L en M, soit en accablant les ennemis de projectiles lancés à travers le grand mâchicoulis ouvert au milieu du plancher du premier étage. Un comble, que nous avons supposé enlevé, afin de mieux faire voir le système de défense, était posé sur le vide supérieur et abritait le plancher du premier étage et le sol du rez-de-chaussée.

Déjà, au milieu du XIVe siècle, on commençait à faire usage de bouches à feu. Ces premiers engins, toutefois, n'ayant qu'un faible. calibre et une portée médiocre, ne pouvaient produire un effet sérieux sur des màçonneries quelque peu épaisses.

Les anciens grands engins de siége, pierrières, mangonneaux, trébuchets, envoyant des projectiles de pierre pesant 100 ou 150 kilogrammes, et quelquefois plus, suivant un tir parabolique, étaient plus redoutables que les premières pièces d'artillerie. Les projectiles lancés par ces grands engins ne pouvaient produire d'effet qu'autant qu'ils passaient par-dessus les défenses et qu'ils retombaient, soit sur les combles des tours, soit dans les places. Du Guesclin, bien qu'il ne fît pas trop usage de ces machines de guerre et qu'il préférât brusquer les attaques, les employa parfois, et lorsqu'il les mit en batterie devant une forteresse, ce fut toujours pour démoraliser les garnisons par la quantité de projectiles dont il couvrait les rues et les maisons 89.

Si les défenses étaient très-hautes, les projectiles ne faisaient que frapper directement leurs parements et ne pouvaient les entamer 90. Le trouvère Cuvelier, dans la Vie de Bertrand du Guesclin, raconte comment, au siége du château de Valognes, à chaque pierre que lançaient les engins des assiégeants, un homme de garde venait frotter les moellons, par dérision, avec une serviette blanche. Il a le soin de nous dire aussi, dans le même passage, comment la garnison avait fait blinder les tours avec du fumier, pour éviter l'effet des projectiles lancés à la volée:

«De fiens y ot. on mis mainte grande chartée.»

La grande puissance donnée alors aux engins obligeait les architectes militaires à surhausser les tours et les courtines. Mais s'il s'agissait d'une place couvrant une grande superficie, on ne pouvait donner à ces courtines un relief très-considérable sans de grandes dépenses; aussi sous Charles V prit-on de nouvelles dispositions. Jusqu'alors on n'avait songé qu'exceptionnellement à terminer les tours par des plates-formes propres à recevoir des engins. Ces machines étaient mises en position sur des plates-formes de bois charpentées intérieurement le long des courtines, ou même sur le sol, derrière celles-ci, lorsqu'elles n'avaient qu'un faible relief, ou encore le long des lices, quand les places possédaient une double enceinte, afin d'éloigner l'assaillant. Mais quand la première enceinte était prise, il ne s'agissait plus que de pourvoir à la défense très-rapprochée, et alors les machines de jet devenaient inutiles, les hourds ou les mâchicoulis suffisaient.

Sous Charles V, disons-nous, on modifia l'ancien dispositif défensif. On possédait déjà de petites pièces d'artillerie, qui permettaient d'allonger les fronts, d'éloigner les flanquements par conséquent. On avait reconnu que les fronts courts avaient l'inconvénient, si les deux flancs voisins avaient été détruits, de défiler l'assaillant et de ne lui présenter qu'un obstacle peu étendu, contre lequel il pouvait accumuler ses moyens d'attaque. Aussi était-ce toujours contre ces courtines étroites, entre deux tours, que les dernières opérations d'un siége se concentraient, dès qu'au préalable on était parvenu à ruiner les défenses supérieures des tours par le feu, si elles se composaient de hourds, ou par de gros projectiles, si les galeries des mâchicoulis étaient revêtues d'un manteau de maçonnerie. Vers 1360, les courtines furent donc allongées; les tours furent plus espacées, prirent une plus grande surface, eurent parfois des flancs droits,--c'est-à-dire que ces tours furent bâties sur plan rectangulaire,--et furent couronnées par des plates-formes. Le château de Vincennes est une forteresse type conforme à un nouveau dispositif. Le plan bien connu de cette place 91 présente un grand parallélogramme flanqué de quatre tours rectangulaires aux angles, d'une tour (porte) également rectangulaire au milieu de chacun des petits côtés, de trois tours carrées sur l'un des grands côtés, et par le donjon avec son enceinte sur l'autre.

Les courtines entre les tours ont environ 100 mètres de long, ce qui dépasse la limite des anciennes escarpes flanquées.

Les tours d'angle sont plantées de telle façon, que leurs flancs sont plus longs sur les petits côtés du parallélogramme que sur les grands, afin de mieux protéger les portes.



Voici en A (fig. 31) le plan d'une de ces tours d'angle, à rez-de-chaussée, c'est-à-dire au niveau du sol de la place. De gros contre-forts reposant sur un talus montent jusqu'à la corniche supérieure, qui n'est qu'une suite de larges mâchicoulis. Les trois étages étaient voûtés, et sur la dernière voûte reposait une plate-forme dallée, très-propre à recevoir, ou de grands engins, ou des bouches à feu. Un crénelage protégeait les arbalétriers. En B, est tracé le plan de cette plate-forme.



La figure 32 donne l'élévation de cette tour sur son grand côté, avec la courtine voisine. On reconnaît ici que vers la seconde moitié du XIVe siècle, on revenait aux commandements considérables des tours sur les courtines, avec l'intention évidente de faire servir ce commandement au placement d'engins à longue portée. La voûte supérieure, couverte d'un épais blindage de cran 92 sous le dallage, résistait à tous les projectiles lancés à la volée, en supposant que ces projectiles aient pu s'élever assez haut pour retomber sur la plate-forme.

La tour ne se défend absolument que du sommet, soit par les engins de position, soit, contre l'attaque rapprochée, par les crénelages et mâchicoulis 93.

Il est curieux de suivre pas à pas, depuis l'antiquité, ce mouvement d'oscillation constant, qui, dans les travaux de défense, tantôt fait donner aux tours ou flanquements un commandement sur les courtines, tantôt réduit ce commandement et arase le sommet des tours au niveau des courtines. De nos jours encore ces mêmes oscillations se font sentir dans l'art de la fortification, et Vauban lui-même, vers la fin de sa carrière, après avoir préconisé les flanquements de niveau avec les courtines, était revenu aux commandements élevés sur les bastions.

C'est qu'en effet, quelle que soit la portée des projectiles, ce n'est là qu'une question relative, puisque les conditions de tir sont égales pour l'assiégé comme pour l'assaillant. Si l'on supprime les commandements élevés, on découvre l'assaillant de moins loin, et on lui permet de commencer de plus près ses travaux d'approche; si l'on augmente ces commandements, on donne une prise plus facile à l'artillerie de l'assiégeant. Aussi voyons-nous, pendant le moyen âge, et principalement depuis l'adoption des bouches à feu, les systèmes se succéder et flotter entre ces deux principes 94. D'ailleurs une difficulté surgissait autrefois comme elle surgit aujourd'hui.

Le tracé d'une place en projection horizontale peut être rationnel, et ne plus l'être en raison des reliefs.

Avec les commandements élevés, on peut découvrir au loin la campagne, mais on enfile les fossés et les escarpes par un tir plongeant qui ne produit pas l'effet efficace du tir rasant. Il faut donc réunir les deux conditions.

Nous verrons tout à l'heure comment les derniers architectes militaires du moyen âge essayèrent de résoudre ce double problème. Le château de Vincennes n'en est pas moins, pour le temps où il fut élevé, une tentative dont peut-être on n'a pas apprécié toute l'importance. L'architecte constructeur des défenses a prétendu soustraire les tours à l'effet du tir parabolique, en leur donnant un relief considérable, et il a prétendu utiliser ce commandement, inusité alors, pour le tir des nouveaux engins à feu, et des grands engins perfectionnés, tels que les mangonneaux et trébuchets 95.

Sous le règne de Charles V, on ne trouve nulle part, en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre ou en Espagne, un second exemple de la disposition adoptée pour la construction du château de Vincennes. C'est une tentative isolée qui ne fut pas suivie; en voici la raison: Alors (de 1365 à 1370) 96on commençait à peine à employer des bouches à feu d'un assez faible calibre, ou des bombardes de fer courtes, frettées, propres à lancer des boulets de pierre à la volée, ainsi que pouvaient le faire les engins à contre-poids. On ne croyait pas que la nouvelle artillerie à feu remplacerait un siècle plus tard ces machines encombrantes, mais dont le tir était très-précis et l'effet terrible jusqu'à une portée de 150 à 200 mètres. L'artillerie à feu usitée vers la fin du XIVe siècle dans les places consistait en des tubes de fer qui envoyaient des balles de deux ou trois livres au plus, ou même des cailloux arrondis. Ces engins remplaçaient avec avantage les grandes arbalètes, et pouvaient être mis en batterie derrière les merlons des tours. Il y avait donc intérêt à augmenter le relief de ces tours, car le tir de plein fouet étant faible, plus on l'élevait, plus il pouvait causer de dommages aux assiégeants, D'ailleurs, ainsi que nous l'avons dit tout à l'heure, il était important de soustraire le sommet de ces tours aux projectiles lancés à la volée par les anciens engins. Les courtines devaient, relativement, n'avoir qu'un relief moindre, afin de poster les arbalétriers, qui envoyaient leurs carreaux de but en blanc à 60 mètres environ. Les machines et bouches à feu des plates-formes des tours couvraient la campagne de gros projectiles dans un rayon de 200 mètres, et tenant ainsi les assiégeants à distance, les courtines se trouvaient protégées jusqu'au moment où, par des travaux d'approche, les assaillants arrivaient à la crête du fossé. Dans ce dernier cas, les arbalétriers des courtines en défendaient l'approche, et ceux des tours prenaient en flanc les colonnes d'assaut par un tir plongeant. Mais bien que les progrès de l'artillerie à feu fussent lents, cependant, à la fin du XIVe siècle, les armées assiégeantes commençaient à mettre des bombardes en batterie. Celles-ci, couvertes par des épaulements et des gabionnades, n'avaient pas à redouter beaucoup les rares engins disposés au sommet des tours, concentraient leur feu sur les courtines relativement basses, écrêtaient leurs parapets, détruisaient leurs mâchicoulis, rendaient la défense impossible, et l'assiégeant pouvait alors procéder par la sape pour faire brèche. Les commandements élevés des tours devenaient inutiles dès que l'ennemi s'attachait au pied de l'escarpe. Vers 1400, on changea donc de système, on éleva les courtines au niveau des tours; la défense bâtie fut réservée pour l'attaque rapprochée, et en dehors de cette défense on éleva des ouvrages avancés sur lesquels on mit les bouches à feu en batterie. Celles-ci furent donc réservées pour garnir ces ouvrages bas, étendus, battant la campagne, et la forteresse ne fut plus qu'une sorte de réduit uniquement destiné à la défense rapprochée.

Nous voyons, en effet, que les châteaux bâtis à cette époque établissent les défenses des courtines presque au niveau de celles des tours, ne laissant à celles-ci qu'un commandement un peu plus élevé, pour la surveillance des dehors, et que beaucoup de vieilles courtines des XIIIe et XIVe siècles sont relevées jusqu'au niveau des chemins de ronde des tours 97. On renonçait complétement alors à mettre des pièces en batterie sur ces tours; les plates-formes disparurent pour un temps, et l'artillerie à feu ne fut employée par la défense que pour balayer les approches.

Le château de Pierrefonds, bâti entièrement par Louis d'Orléans, nous fournit à cet égard des renseignements précieux. Non-seulement les travaux de déblaiement et de restauration entrepris dans cette forteresse 98 ont permis de reconnaître exactement les dispositions des tours et courtines, c'est-à-dire de la défense rapprochée, mais ils ont mis en lumière une suite d'ouvrages avancés, de peu de relief, qui formaient une zone de défense faite pour recevoir de l'artillerie à feu. Ces ouvrages expliquent comment les troupes envoyées à deux reprises par Henri IV, avec de l'artillerie pour prendre ce château, ne purent s'en emparer, et comment il fallut, sous la minorité de Louis XIII, entreprendre un siége en règle pour le réduire.

Ces observations feront comprendre pourquoi les tours de Vincennes, qui datent du règne de Charles V, possèdent des plates-formes propres à placer de l'artillerie, et pourquoi elles ont sur les courtines un commandement considérable, tandis que les tours du château de Pierrefonds, bâties trente ans plus tard environ, ne présentent aucune disposition propre à recevoir des bouches à feu, et n'ont sur les courtines qu'un commandement insignifiant. Nous voyons qu'à partir de 1400, les architectes militaires suivent pas à pas les progrès de l'artillerie à feu, tantôt donnant à ces engins un commandement sur la campagne, tantôt les plaçant à la base des tours et les réservant pour battre la crête des fossés; tantôt les rendant indépendants des anciennes défenses conservées, et les employant à retarder les travaux d'approche au moyen d'ouvrages avancés, de boulevards, de cavaliers, etc. 99.



La figure 33 donne le plan du rez-de-chaussée de l'une des tours du château de Pierrefonds 100, au niveau du sol de la cour et au-dessus des deux étages souterrains par rapport à ce sol. En A, sont des bâtiments d'habitation adossés aux courtines B. Conformément à la disposition habituelle, il faut entrer dans la tour occupée par un poste pour arriver à l'escalier qui monte à tous les étages. La porte du poste est en a. Trois fenêtres éclairent cette salle, auprès de laquelle se trouvent, en b, des latrines. En c, est une cheminée.



La coupe sur fe (fig. 34) explique les divers services de cet ouvrage. Le niveau du chemin de ronde couvert des courtines est en N, et le crénelage supérieur de ces courtines, à la base des combles des bâtiments, est au niveau G du chemin de ronde des tours; donc ces tours n'ont sur les courtines que le commandement GK.

Les quatre étages supérieurs, compris le rez-de-chaussée, sont fermés par des planchers, mais les deux étages au-dessous du sol de la cour, qui est en L, sont voûtés. On remarquera même que la voûte V est couverte par une épaisse couche de blocage qui met celle-ci a l'abri des incendies ou chutes des parties supérieures.

L'escalier à vis s'arrête au niveau du sol A de la seconde cave, car la première cave B est un cachot dans lequel on ne descend que par l'oeil percé au milieu de la voûte ellipsoïde construite par assises horizontales posées en encorbellement. On ne peut douter que cette cave n'ait été destinée à servir de cachot, de chartre, puisqu'elle possède une niche avec siége d'aisances C et petite fosse.

Le sol des lices, ou du chemin militaire extérieur, est, le long de cette tour, au niveau P.

Le cachot B ne reçoit ni air ni lumière de l'extérieur. On observera que la maçonnerie du cylindre, au niveau P, a 5m,20 d'épaisseur (16 pieds), et que derrière les parements, intérieur et extérieur, en pierres d'appareil, cette maçonnerie est composée d'un blocage bien lité de gros moellons de caillasse d'une extrême dureté 101. Il n'était donc pas aisé de saper un ouvrage ainsi construit, défendu par la ceinture des mâchicoulis du chemin de ronde G. Cet ouvrage date de 1400. Nulle trace de plates-formes supérieures pour mettre de la grosse artillerie en batterie. Les bombardes, les passe-volants, veuglaires, basilics, coulevrines, étaient placés sur les ouvrages extérieurs, c'est-à-dire sur la crête du plateau qui sert d'assiette au château, de manière à battre les vallons environnants. Les chemins de ronde supérieurs n'étaient occupés, au moment de la construction du château de Pierrefonds, que par des arbalétriers ou des archers contre l'attaque rapprochée.

Cependant, du jour que les assiégeants possédaient des pièces d'artillerie d'un assez gros calibre pour pouvoir battre les ouvrages extérieurs et éteindre leur feu, il fallait que la défense dernière, le château, pût opposer du canon aux assaillants. Les architectes s'ingénièrent donc, dès l'époque de la guerre contre les Anglais, à trouver le moyen de placer des bouches à feu sur les tours 102. Pour obtenir ce résultat, on donna il celles-ci moins de relief, on augmenta l'épaisseur de leurs parois cylindriques, on les voûta pour porter une plate-forme; ou bien, conservant l'ancien système de la défense supérieure du XIVe siècle, destinée aux arbalétriers, on perça des embrasures pour du canon à la base de ces tours, si elles étaient bâties sur un lieu escarpé, afin de battre les approches 103.

Il faut dire qu'alors les bouches à feu, qui envoyaient des projectiles de plein fouet, n'avaient qu'un faible calibre; ces engins projetaient des balles de plomb, mais plus souvent des pyrites de fer ou de petites sphères de grès dur. Ces derniers projectiles ne pouvaient avoir une longue portée. Quant aux grosses bouches à feu réservées pour les dehors ou les plates-formes des tours, elles n'envoyaient guère, pendant le cours du XVe siècle, que des boulets de pierre à la volée, c'est-à-dire suivant une parabole. Les artilleurs d'Orléans, au moment du siége, en 1428, possédaient cependant des canons envoyant des balles de plein fouet à 600 mètres 104; ces canons furent tous placés sur les anciennes tours ou sur des boulevards 105; quant aux courtines, elles étaient garnies de mâchicoulis et de hourdis de maçonnerie ou de bois. Pendant long temps, en effet, l'artillerie à feu est mise en batterie sur les tours pour commander les approches, ou à la base Des tours pour enfiler les fossés, protéger les courtines, qui ne se défendent que contre l'attaque rapprochée à l'aide des anciennes armes. Ainsi le rôle des tours, à la fin du moyen âge, au lieu de diminuer, prend plus d'importance. Moins rapprochées les unes des autres, puisqu'elles sont munies d'engins à longue portée, elles se projettent davantage en dehors des courtines afin de les mieux flanquer; elles s'en détachent même parfois presque entièrement, surtout aux saillants; elles étendent considérablement leur diamètre, elles renforcent leurs parois et sont casematées. Souvent même la batterie supérieure, au lieu d'être découverte, est blindée au moyen d'une carapace de maçonnerie et de terre. Nous ne pourrions dire si cette innovation des batteries supérieures blindées est due à la France, à l'Allemagne ou à l'Italie. Francesco di Giorgio Martini, architecte de Sienne, qui vivait au milieu du XVe siècle, donne plusieurs exemples de ces tours avec batteries supérieures blindées dans son Traité de l'architecture militaire 106. Nous avons trouvé, en France, des traces de ces couvertures dans des ouvrages en forme de tours protégeant des saillants 107, ce qui n'interdisait pas l'emploi des anciens mâchicoulis et crénelages.



Voici (fig. 35) un exemple de ces sortes de tours. En A est tracé le plan de l'ouvrage au niveau du sol de la place. La salle D est percée d'embrasures pour trois pièces de canon; un escalier, ouvert au centre de cette salle, permet de descendre dans le moineau C', dont le plan est détaillé en C 108. La salle D, voûtée, est ouverte du côté de la place, tant pour aider à la défense que pour laisser échapper la fumée. La tour est munie d'un parapet crénelé avec mâchicoulis en forme de pyramides renversées pour faciliter le tir de haut en bas et mieux protéger le talus. Sur la plate-forme est établie une batterie casematée avec quatre embrasures, ainsi que l'indique le plan B. Ces embrasures commandent les dehors par-dessus la crête des merlons. Une traverse en maçonnerie E garantit les hommes postés derrière le parapet des coups d'enfilade et de revers. La voûte de la batterie et celle du moineau sont couvertes de cran et de terre battue et gazonnée. Le système défensif de cette tour est facile à comprendre. La batterie basse, avec les deux pièces a, enfile les courtines, bat le fossé; et flanque les tours voisines; avec sa pièce b elle défend la contrescarpe du fossé en face du point mort. La batterie haute protége les dehors; le moineau empêche le passage du fossé; les crénelages et mâchicoulis protégent la base de l'ouvrage contre l'attaque rapprochée et la sape.

L'incertitude qui apparaît dans les ouvrages défensifs de la seconde moitié du XVe siècle est ici évidente. On n'ose pas abandonner entièrement la forme et la destination de l'ancienne tour. Les tours étaient les parties fortes des places du moyen âge avant l'emploi des bouches à feu. On ne cherchait point, pendant un siége, à entamer une forteresse par ses tours, mais par ses courtines. Les architectes militaires du XVe siècle n'avaient d'autre préoccupation que d'approprier les tours aux nouveaux engins, de les rendre plus épaisses pour résister aux coups de l'assaillant et à l'ébranlement causé par l'artillerie qu'elles devaient contenir, de les garantir contre les feux courbes et de leur donner un flanquement plus efficace. On voulait leur conserver un commandement sur les dehors et même sur les courtines, et l'on craignait, en les élevant, de les exposer trop aux coups de l'ennemi. On sentait que ces crénelages et ces mâchicoulis étaient, contre les boulets, une faible défense, facilement bouleversée bien avant le moment où l'on en avait le plus besoin, et cependant on ne pensait pas pouvoir les supprimer, tant on avait pris l'habitude de considérer cette défense rapprochée comme une garantie sérieuse. Toutefois ce furent ces mâchicoulis et crénelages qui disparurent les premiers dans les défenses fortement combinées vers la fin du XVe siècle. Le crénelage supérieur, destiné à empêcher l'approche, descendit au niveau du fossé, devint une fausse braie couvrant la base des tours. Le tir à ricochet n'était pas encore employé. Les batteries de l'assiégeant ne pouvaient détruire ce qu'elles ne voyaient pas; or la fausse braie primitive, étant couverte par la contrescarpe du fossé, restait intacte jusqu'au moment où l'assaillant s'apprêtait à franchir ce fossé pour s'attaquer aux escarpes et aux tours. Elle devenait ainsi un obstacle opposé à l'attaque rapprochée, et qui restait debout encore quand toutes les défenses supérieures étaient écrêtées. Mais déjà, vers le milieu du XVe siècle, les armées assiégeantes traînaient avec elles des pièces de bronze sur affûts, qui envoyaient des boulets de fonte 109. Ces projectiles, lancés de plein fouet contre les tours, couvraient les fausses braies d'éclats de pierre et comblaient l'intervalle qui séparait ces fausses braies de la défense, si l'on ruinait celle-ci. Les tours à court flanquement et de faible diamètre devenaient plus gênantes qu'utiles; on songea à les supprimer tout à fait, du moins à les appuyer par de nouveaux ouvrages disposés pour recevoir de l'artillerie, indépendamment des boulevards de terre que l'on élevait en avant des points faibles. Ces nouveaux ouvrages tenaient au corps de la place. Bâtis à distance d'une demi-portée de canon, ils affectaient la forme de grosses tours cylindriques, recevaient des pièces à longue portée à leur sommet pour battre les dehors et enfiler les fronts et les fossés, à leur pied pour la défense rapprochée et pour envoyer des projectiles rasants sur les boulevards de terre qui couvraient les saillants ou les portes 110. Alors, à la fin du XVe siècle, le château féodal ne pouvait avoir assez d'étendue pour se défendre efficacement contre l'artillerie à feu. Le canon acheva la ruine de la féodalité. Il fallait, pour pouvoir résister à l'artillerie à feu, des fronts étendus; les villes seules comportaient ce genre de défenses. Étendant les fronts, il fallait les flanquer. On ne pourvut d'abord à cette nécessité, indiquée par la nature des choses, qu'au moyen de boulevards de terre établis en dehors des saillants et des portes, lesquels boulevards croisaient leurs feux; puis comme il faut, en toute fortification, que ce qui défend soit défendu, on ne trouva rien de mieux que d'établir le long des vieilles enceintes, en arrière des boulevards, de grosses tours ayant assez de relief pour commander ces boulevards et les dehors par-dessus leurs parapets. Les systèmes trouvés par les ingénieurs militaires depuis le XVIe siècle jusqu'à nos jours sont donc en germe dans ces premières tentatives faites à la fin du XVe siècle en Italie, en France et en Allemagne. Les Allemands, conservateurs par excellence, possèdent encore des exemples intacts de ces ouvrages, transition entre l'ancien système de la fortification du moyen âge et le système moderne. Nuremberg est, à ce point de vue, la ville la plus intéressante à étudier.

Le plan général de Nuremberg affecte la forme d'un trapèze arrondi aux angles, possédant un point culminant près de l'un des angles, occupé par un ancien château. Une double enceinte des XIV et XVe siècles avec tours carrées flanquantes et large fossé extérieur plein d'eau, avec contrescarpe, entourait entièrement la cité, traversée par une rivière dans sa largeur. À chaque angle, Albert Dürer éleva une grosse tour, et une cinquième auprès du château, sur le point culminant de la ville. Des portes sont percées dans le voisinage des quatre tours, lesquelles sont protégées par des ouvrages avancés. Du haut de chacune des cinq tours, on découvre les quatre autres. Celles de l'enceinte protégent les saillants, flanquent deux fronts, commandent les portes, enfilent les lices entre les deux enceintes, et découvrent la campagne par-dessus les boulevards des portes. Ces tours ont environ 20 mètres de diamètre à 5 mètres du sol, sont bâties en fruit par assises de grès dur, avec bossages en bas et près du sommet. Au rez-de-chaussée elles possèdent une chambre voûtée, mais tracée de manière à laisser à la maçonnerie une épaisseur considérable du côté extérieur (voyez le plan, fig. 36 111).



L'intérieur de la ville est en A; en B sont les lices, entre la porte de l'enceinte extérieure et celle C de l'enceinte intérieure; la poterne D permet de descendre dans le fossé. En a est pratiqué un large mâchicoulis qui défend l'entrée dans la salle basse, et en b un oeil carré, ouvert dans la voûte, met le premier étage, également voûté, en communication avec ce rez-de-chaussée. On ne monte à la plate-forme supérieure que par un escalier pris dans l'épaisseur du mur et partant du niveau du chemin de ronde des courtines. En d sont deux chambres avec embrasures pour des pièces d'artillerie.



La figure 37 donne la vue perspective de cette tour 112. Les remparts datent du XVe siècle; Albert Dürer n'a bâti, dans cet ouvrage, que la tour et la porte qui s'y réunit. La salle du premier étage était destinée à loger le poste, car elle ne possède aucune embrasure.

Sa voûte épaisse porte la plate-forme circulaire supérieure entourée d'un masque de gros bois de charpente, avec créneaux à volets 113 pour du canon. Un blindage, également de charpente, reçoit la toiture conique qui autrefois était surmontée d'une guette 114. En A nous avons tracé le profil de cette plate-forme supérieure.

Ces commandements élevés furent rarement adoptés en France à dater de la fin du XVe siècle. Les ingénieurs français cherchaient plutôt à élargir les fronts, à étendre le champ de tir, qu'à obtenir des commandements considérables. Ils préféraient les batteries à barbette à ces batteries blindées où le service était gêné et où l'on était étouffé par la fumée, comme dans l'entrepont d'un vaisseau de guerre. D'ailleurs, en supposant ces tours battues par de l'artillerie, même à grande distance, les feux convergents de l'ennemi devaient promptement détruire ces masques de bois qui, pareils à des bordages de gros vaisseaux, n'avaient pas l'avantage de la mobilité que donne la mer et servaient de points de mire. Si longue que fût la portée des pièces mises en batterie sur la plate-forme, ces pièces ne pouvaient opposer qu'un tir divergent à l'artillerie de l'assiégeant et recevaient dix projectiles pour un qu'elles envoyaient 115.

Quelques tentatives en ce genre furent cependant faites de ce côté-ci du Rhin, mais les tours françaises du commencement du XVIe siècle ont un plus grand diamètre, moins de hauteur et étaient couronnées par des batteries à barbette avec gabionnades, ou par des caponnières, comme celle présentée dans l'exemple précédent. Le plus souvent on fit de ces tours de véritables porte-flancs, c'est-à-dire qu'on leur donna, en plan horizontal, la forme d'un fer à cheval, et leurs batteries supérieures ne dépassèrent guère le niveau de la crête des courtines (fig. 38).



Il y a toujours un avantage cependant, pour l'assiégé, à obtenir des commandements élevés, ou tout au moins des guettes qui permettent de découvrir au loin les travaux d'approche de l'assiégeant, à établir sur les bastions retranchés des réduits à cheval sur le fossé du retranchement, de manière à rendre l'occupation du bastion difficile. C'est ce besoin qui explique pourquoi on maintint si tard les vieilles tours des places du moyen âge en arrière des bastions ou des demi-lunes; pourquoi Vauban, dans sa troisième manière, tenta de revenir à ces tours dominant les bastions, et pourquoi aussi Montalembert fit de ces tours dominantes en capitales un des principes de son système défensif. De nos jours et depuis les progrès merveilleux de l'artillerie, la question est de nouveau posée, d'autant que ces tours peuvent servir de traverses pour garantir les défenseurs des coups de revers et défier les effets du tir en ricochet. La difficulté est de recouvrir ces tours d'une cuirasse capable de résister aux projectiles modernes, car, si épaisse que soit leur maçonnerie, celle-ci serait bientôt bouleversée par les gros boulets creux de notre artillerie, et un de ces projectiles pénétrant dans une casemate y causerait de tels désordres, que la défense deviendrait impossible. Ce n'est donc pas seulement la cuirasse qu'il s'agit de trouver, mais aussi, pour les embrasures, un masque qui arrête complétement le projectile de l'ennemi, tout en permettant de pointer les pièces.

Il existe encore un exemple à peu près intact du système défensif de transition où l'emploi des tours (non point d'anciennes tours conservées, mais des tours construites pour recevoir de l'artillerie à feu) entre dans le plan général d'une place forte suivant une donnée méthodique: c'est la place de Salces, commencée en 1497 et terminée vers 1503 environ, sous la direction d'un ingénieur nommé Ramirez.

Voisine de Perpignan, la place de Salces est située entre l'étang de Leucate et les montagnes; elle commande ainsi le passage du Roussillon en Catalogne. Bâtie avec un grand soin, elle consiste en un parallélogramme flanqué aux angles de quatre tours. Deux demi-lunes couvrent deux des fronts. Un donjon occupe le troisième, et une demi-lune forme saillant sur un des angles. Les ouvrages sont casematés; les tours et demi-lunes couronnées par des plates-formes pour recevoir de l'artillerie. De petites bouches à feu étaient en outre mises en batterie dans les étages inférieurs des tours pour enfiler les fossés. Les ouvrages que nous désignons comme des demi-lunes sont de véritables tours isolées porte-flancs, ouvertes à la gorge et réunies aux casemates des courtines par des caponnières, ou galeries couvertes, percées d'embrasures pour de la mousqueterie 116. Un fossé de 15 mètres de largeur environ sur 7 mètres de profondeur circonscrit tout le château. Ce fossé, qui peut être inondé jusqu'au niveau de la cour du château et même au-dessus, est mis en communication avec le château par des poternes étroites. En outre, d'autres issues ouvertes dans la contrescarpe donnaient vraisemblablement sur les dehors, car dans la légende jointe au plan du château de Salces donné par le chevalier de Beaulieu 117, on lit: «Il y a plus de logement soubs terre, dans ce château, qu'il n'y en a dehors; car il est casematé et contre-miné partout, et l'on passe par dessoubs les fossés pour aller dans les dehors...» On ne passait certainement pas sous la cunette des fossés qui étaient inondés, mais on passait au fond du fossé, dans des galeries casematées qui communiquaient à un chemin couvert pratiqué derrière la contrescarpe; chemin couvert dont on retrouve certaines galeries creusées sur le fossé et de là sur les dehors, protégés par des ouvrages de terre avancés.

Mais ce qui donne à l'étude des tours du château de Salces un intérêt marqué, c'est la manière dont elles sont disposées pour abriter les défenseurs. En effet, la place de Salces, barrant la route entre l'étang de Leucate et les derniers contre-forts des Corbières, est dominée par ces hauteurs. Les tours, les courtines, les demi-lunes sont soumises à des vues de revers et d'enfilade.

C'est en exhaussant les parapets des tours du côté dangereux et en établissant à la gorge des tours opposées des parados, que l'ingénieur a couvert les plates-formes. L'exhaussement des parapets du côté de la montagne met les embrasures à couvert, tandis que celles du côté opposé sont à ciel ouvert.



La figure 39 présente à vol d'oiseau la perspective d'une de ces tours. On voit en A le parapet exhaussé défilant les canonniers et les pièces placés sur la plate-forme, ainsi que le ferait un cavalier ou une traverse. Les courtines, construites seulement pour de la mousqueterie, ne sont pas munies d'embrasures, mais possèdent une banquette B et relèvent leurs parapets en face des terrains élevés qui ont des vues sur le château. Des échauguettes C occupent les angles rentrants des tours avec les courtines, et peuvent recevoir des arquebusiers dont le tir flanque les escarpes. De plus, de petites pièces placées dans des étages voûtés et suffisamment aérés enfilent les fossés à la base et vers le sommet des talus des tours.



La figure 40 donne la perspective d'une des demi-lunes avec son parapet relevé en E pour couvrir la plate-forme contre les vues d'enfilade des hauteurs voisines. On observera, dans cette figure, le bec saillant qui renforce la demi-lune sur sa face, et qui couvre une partie de l'angle mort dont l'assiégeant pourrait profiter, car ces demi-lunes sont incomplétement flanquées par les tours d'angle.

Les plates-formes ne sont pas assez spacieuses pour pouvoir garnir à la fois toutes les embrasures par de grosses pièces de canon. L'ingénieur comptait, ou ne mettre en batterie que des fauconneaux, ou changer les pièces de place au besoin.

«De grandes précautions sont prises contre la mine, dit M. le capitaine Ratheau 118; une galerie règne le long des quatre courtines, en avant des souterrains, et de distance en distance sont des amorces de galerie d'écoute ingénieusement disposées.»

TOURS-RÉDUITS tenant lieu de donjons ou dépendant de donjons.--Les plus anciens donjons ne sont guère que de grosses tours voisines de l'un des fronts du château féodal, commandant les dehors du côté attaquable et tous les ouvrages de la forteresse, avec sortie particulière sur les dehors et porte donnant dans la cour du château (voyez ARCHITECTURE MILITAIRE, CHÂTEAU, DONJON). Mais certaines places fortes possédaient des réduits qui doivent être plutôt considérés comme des tours dominantes et indépendantes que comme des donjons. Puis, vers la fin du XIIIe siècle, les donjons devenant de véritables logis, renfermant les services propres à l'habitation, sont renforcés souvent de tours formidables qui commandent les dehors, protégent ces logis et deviennent au besoin des réduits pouvant tenir encore, si le donjon était en partie ruiné par la sape ou l'incendie.

On voit encore à Compiègne les restes d'une grosse tour du commencement du XIIe siècle, voisine de l'ancien pont sur lequel passa Jeanne Darc le jour où elle fut prise par les Anglais, et qui est un de ces ouvrages servant de réduit le long d'une enceinte. À Villeneuve-sur-Yonne il existe également, sur le front opposé à la rivière, une grosse tour cylindrique indépendante, qui servait de réduit et commandait la campagne. Cette tour appartient au XIIIe siècle. Le château de Carcassonne possède, sur le front qui fait face au dehors, du côté de la Barbacane et de l'Aude, deux tours sur plans quadrangulaires presque juxtaposées, qui tenaient lieu de donjon; ces tours datent du XIIe siècle et furent encore surélevées à la fin du XIIIe (voyez ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 12 et 13). Le château (palais) des papes, à Avignon, ne possède pas, à proprement parler, de donjon, mais plusieurs tours-réduits qui commandent les dehors et la forteresse et qui datent du XIVe siècle. Il est donc nécessaire de distinguer, dans cet article, les tours-réduits tenant à des enceintes, des tours-réduits tenant à des châteaux et des tours tenant à des donjons. Nous nous occuperons d'abord des premières.

C'est encore à l'enceinte de la cité de Carcassonne qu'il faut recourir pour trouver les exemples les mieux caractérisés de ces tours, sortes de donjons appuyant un front. Le long de la première enceinte de cette cité, vers le sud-est, il existe une grosse tour cylindrique presque entièrement détachée de cette enceinte, et qui a nom, tour de la Vade ou du Papegay 119. Elle est bâtie sur un saillant et en face de la partie la plus élevée du plateau qui, de ce côté, fait face aux remparts. Sa base est flanquée par un redan de la courtine et par la tour que nous avons donnée dans cet article 120. Elle domine de beaucoup les alentours, est complétement fermée, et n'était commandée que par la tour qui, derrière elle, appartient à l'enceinte intérieure. Elle renferme cinq étages, dont trois sont voûtés. Son crénelage supérieur était, en cas de guerre, garni de hourds 121. Le sol de l'étage inférieur est un peu au-dessus du niveau du fond du fossé. Cet étage inférieur possède un puits.



Nous donnons les plans des étages de cette tour figure 41.

L'étage A est à rez-de-chaussée pour le chemin militaire des lices L, entre les deux enceintes de la cité. Le chemin de ronde des courtines de l'enceinte extérieure est en c, le fossé en F. De la route militaire L, on monte sur le chemin de ronde par un degré d'une dizaine de marches d, puis on se trouve en face de l'unique porte de la tour e qui donne entrée dans la salle voûtée S. En prenant l'escalier f, on descend à l'étage inférieur B, également voûté. Cet escalier débouche en g'. Une trémie, établie de g' en g, permet de monter, au moyen d'un treuil de l'eau ou des provisions au niveau du sol du rez-de-chaussée. Le puits est en p. Cette cave n'est éclairée que par deux soupiraux relevés i. De la salle du rez-de-chaussée S, en prenant l'escalier k, on monte à la salle du premier étage S', où l'on débouche en l. Cette salle S', voûtée, possède une cheminée m et est éclairée pàr quatre meurtrières et une baie relevée. De cette salle S'', en prenant l'escalier n, on monte à la salle du second étage S'', couverte par un plancher; cet escalier débouche en o. En reprenant le degré q, on arrive au crénelage supérieur. Ce second étage possède quatre fenêtres et des latrines en t. On remarquera que la salle du rez-de-chaussée S est percée de sept meurtrières qui enfilent la crête de la contrescarpe du fossé. Si nous faisons une section sur ab, et que nous prenions la partie de cette section du côté des lices, nous obtenons la coupe figure 42, coupe qui permet de se rendre compte de la disposition de toutes les issues des escaliers.



Le niveau du fond du fossé est en N et les niveaux des crénelages des courtines en R. En E est tracé le plan du crénelage supérieur, au sol duquel on arrive par l'escalier h. Des hourds étaient disposés tout autour de ce crénelage, ainsi que nous l'avons indiqué partiellement en VV'. Par les fenêtres rr (voyez en D, fig. 41), le poste enfermé dans la tour voyait les parties supérieures de l'enceinte intérieure et communiquait ou recevait des avis. Trente hommes pouvaient facilement loger dans cette tour, y amasser des provisions pour longtemps, avoir de l'eau et faire la cuisine. C'était donc un réduit se défendant encore si l'enceinte extérieure tombait au pouvoir de l'assiégeant. La seule entrée, étroite, était barricadée et fermée avec des barres épaisses.

La tour du Trésau, de la même cité de Carcassonne, attachée à l'enceinte intérieure et qui dépend des ouvrages dus à Philippe le Hardi, est aussi un réduit. Nous donnons cette belle tour à l'article CONSTRUCTION fig. 149, 150, 151, 152, 153 et 154.

La tour du Trésau domine de beaucoup les courtines, et, de plus, elle est munie de deux guettes qui permettaient de découvrir tous les abords de la cité de ce côté, le château, la tour du coin ouest au saillant opposé, et tout le front du nord (voyez le plan de la cité, ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 11 122).

Il serait superflu de fournir un grand nombre d'exemples de ces tours, qui ne diffèrent des tours flanquantes fermées que par leur hauteur et leur diamètre relativement plus fort. Les enceintes bien défendues possédaient toujours un certain nombre de tours-réduits plus ou moins considérable, en raison de leur étendue; quelques enceintes d'un développement peu considérable n'en possédaient parfois qu'une seule. Telle est l'enceinte de Villeneuve-sur-Yonne. Cette tour remplaçait alors le château et était entourée d'une chemise. Les tours dépendant de châteaux et tenant lieu de donjons présentent, au contraire, comme les donjons eux-mêmes, une grande variété de formes. Les unes sont indépendantes, peuvent au besoin s'isoler, possèdent une chemise, ont leur porte relevée au-dessus du sol extérieur; les autres sont comme le réduit du donjon et y tiennent par un point: elles sont au donjon ce que celui-ci est au château. Il ne faut pas perdre de vue la véritable fonction du donjon, qui est l'habitation du seigneur; or il est fort rare de trouver des donjons qui, comme ceux du Louvre et de Coucy, ne se composent que d'une grosse tour sans aucune dépendance. Nous voyons que les donjons normands, par exemple ceux du Berry, du Poitou, consistent habituellement, jusqu'au XIIIe siècle, en un gros logis quadrangulaire divisé à chaque étage en deux salles. Ce donjon était toujours l'habitation seigneuriale. Les donjons du Louvre et de Coucy sont des exceptions, et ne servaient de logis seigneurial qu'en temps de guerre (voy. DONJON).

Dans tous les châteaux de quelque importance, il est une partie plus forte, dont les murailles sont plus épaisses, qui domine les autres ouvrages; partie qui est réellement le donjon. Ou ce donjon est renforcé d'une tour plus haute et plus forte que les tours de flanquements; ou bien, à côté de la partie du château qui était le plus spécialement réservée à l'habitation du seigneur, est une tour isolée qui devient, en cas de siége, le réduit dans lequel le seigneur se retire avec ses fidèles, sa famille et ce qu'il possède de plus précieux. Enfermé dans cette tour, il surveille les dehors (car ces ouvrages sont élevés sur le point le plus accessible); il contient sa garnison et peut soutenir un second siége lorsque le château proprement dit est pris. Si le château n'occupait pas une assez grande surface de terrains propres à recevoir des bâtiments pour les gens de la garnison, une cour, un logis pour le seigneur ou donjon complet, s'il avait peu d'étendue, en temps ordinaire le seigneur et les siens occupaient le logis; en temps de guerre, il appelait les hommes liges, ceux qui lui devaient le service militaire, il recrutait des gens de guerre soldés, et se retirait, lui et ses proches, dans une tour, la plus forte, qui devenait ainsi le donjon. Nous trouvons la trace bien évidente de cet usage jusqu'au XIVe siècle, dans les places fortes intéressantes, mais petites, de la Guyenne. Plus anciennement, dans des châteaux de l'Île-de-France d'une médiocre étendue, nous pouvons également reconnaître cette disposition. À peine si les caractères effacés de notre siècle nous permettent de comprendre la vie, en temps de guerre, d'un seigneur possesseur de fiefs considérables et d'une belle et grande habitation seigneuriale; mais combien nous sommes loin de nous représenter exactement l'énergie morale et physique de ces châtelains possesseurs de forteresses peu étendues, et dans lesquelles, cependant, ils n'hésitaient pas, au besoin, à se défendre contre des voisins dix fois plus puissants qu'eux. Dans ces places resserrées, le châtelain, entouré d'un petit nombre de vassaux sur la fidélité desquels il pouvait toujours compter, s'enfermait dans la tour maîtresse, et de là devait pourvoir à la défense extérieure, prévoir les trahisons, et inspirer assez de crainte et de respect à sa garnison pour qu'elle ne fût pas tentée de l'abandonner. Alors (ce fait se présentait-il souvent) le châtelain et quelques fidèles, les ponts coupés, les herses baissées, les portes et fenêtres barricadées, enclos dans ce dernier refuge, se défendaient à outrance jusqu'à ce que les vivres vinssent à manquer.

Ce système de réduit, propre à une défense extrême, est adopté d'une manière absolue dans la grosse tour éventrée du château de Montépilloy, près de Senlis. D'un côté, cette tour donnait sur la baille du château, de l'autre sur le château lui-même, qui avait peu d'étendue 123. Nous parlons ici du château tel qu'il existait au XIIe siècle avant les adjonctions et modifications que lui fit subir Louis d'Orléans.



Nous donnons (fig. 43) le plan du premier étage de cette tour, au niveau duquel s'ouvrait la seule poterne donnant entrée dans l'intérieur. En A est la porte qui permet de descendre, par un escalier voûté, dans l'épaisseur du cylindre, à l'étage inférieur; en B, la porte qui, par un long degré, également voûté, donne accès au second étage en C, et à la chambre D de la herse et du mâchicoulis de la poterne. En continuant l'ascension par le degré, on arrive au troisième étage. La poterne P est donc relevée au-dessus du sol extérieur de toute la hauteur du rez-de-chaussée. On n'y arrive que par une passerelle de bois facile à détruire. Cette poterne était fermée au moyen d'une grille, d'une herse, d'un mâchicoulis et d'un vantail barré. Une petite chambre E, propre à contenir deux hommes, est percée d'une meurtrière oblique qui enfile le tablier de la passerelle. Ce tablier était percé d'une trappe, par laquelle, au moyen d'une échelle, on descendait, défilé par la pile du pont, sur le chemin de ronde de la chemise G. L'intervalle entre cette chemise et la tour formait donc comme un fossé 124.



La coupe faite sur ab (fig. 44) montre en A la tour de Montépilloy telle qu'elle existait au XIIe siècle, et en B avec les modifications qui furent apportées aux défenses, en 1400, dans les parties supérieures 125. On voit en C la coupe de la chemise, en P la coupe de la poterne, et en D celle de la chambre de la herse et du mâchicoulis au-dessus de cette poterne. On observera que le rez-de-chaussée est voûté, ainsi que l'étage au-dessus, au moyen d'arcs ogives à section rectangulaire reposant sur cinq piles. Cette salle voûtée supérieure est divisée par un plancher, c'est le second étage. Le troisième étage, dans lequel on débouche par la porte I, est resté tel qu'il était au XIIe siècle, seulement au XVe siècle on entailla sa muraille sur un point pour y loger un escalier à vis qui était destiné à monter au quatrième étage et à l'étage crénelé, avec mâchicoulis, M. La hauteur de l'ancienne tour ne dépassait pas le niveau N. Alors les hourds H donnaient une plongée en dehors de la chemise, comme l'indique la ligne ponctuée. Ce quatrième étage était destiné à l'approvisionnement des projectiles et à la défense supérieure qui se faisait par une série d'arcades dont on distingue quelques restes englobés dans la maçonnerie de 1400; arcades qui mettaient la salle supérieure en communication avec les hourds. Cette défense n'ayant pas paru avoir un commandement suffisant, en 1400 on suréleva cet étage à arcades; on le voûta en V, et l'on établit sur cette voûte une plate-forme avec crénelage et mâchicoulis M dont la plongée permettait de battre le pied de l'escarpe de la chemise, ainsi que l'indique, de ce côté, la ligne ponctuée. Il est clair que les passerelles S qui mettaient la tour en communication avec le château pouvaient être enlevées facilement. En E est figurée l'échelle qui, de la trappe de cette passerelle, permettait de descendre derrière la pile par le chemin de ronde de la chemise.



La figure 45 donne le développement de l'intérieur de la tour de Montépilloy de e en f (voyez au plan, fig. 43). Les escaliers, pris aux dépens de l'épaisseur du mur cylindrique, sont indiqués par des lignes ponctuées. En A est la poterne, et en B, au-dessus, la chambre de la herse et du mâchicoulis. En C, les arcades qui, de l'étage supérieur, donnaient sur la galerie des hourds avant la sur-élévation du XVe siècle.

Cette construction est bien faite, en assises réglées de 0m,32 de hauteur (un pied), et tout l'ouvrage serait intact si l'on n'avait pas fait sauter à la mine la moitié environ du cylindre. Heureusement la partie conservée est celle qui présente le plus d'intérêt, en ce qu'elle renferme les escaliers de la poterne. Naturellement on a fait sauter de préférence les parties qui regardaient l'extérieur, lorsqu'on a voulu démanteler le château.

On comprend, quand on visite le château de Montépilloy, pourquoi Louis d'Orléans jugea nécessaire de surélever la tour et de la terminer par une plate-forme.

Possesseur du duché de Valois, prétendant faire de ce territoire un vaste réseau militaire propre à dominer Paris, il était important d'avoir près de Senlis, sur la route de la capitale, un point d'observation qui pût découvrir le parcours de cette route depuis sa sortie de Senlis jusqu'à Crespy. Or, on ne pouvait mieux choisir ce point d'observation qui, occupé par une garnison sur une hauteur, permettait de couper le passage à tout corps d'armée débouchant de Senlis. Cette garnison avait d'ailleurs la certitude d'être soutenue par les troupes enfermées dans Crespy, Béthisy, Vez et Pierrefonds, si ce corps d'armée tentait de forcer le passage. Les gens sortis de Montépilloy n'avaient point à s'inquiéter s'ils étaient coupés eux-mêmes de leur château, puisqu'ils pouvaient battre en retraite jusqu'à Crespy, et plus loin encore, en défendant pied à pied la route qui pénètre au coeur du Valois. Mais pour que ces obstacles fussent efficaces, il fallait avoir le temps: 1º de se mettre en travers de la route ou sur ses flancs, au moment où une armée envahissante sortait de Senlis; 2º de prévenir par des signaux ou des émissaires les garnisons des châteaux de Crespy et de Béthisy situés chacun à huit kilomètres de Montépilloy, afin de se faire appuyer sur les flancs.

Or, pour prendre ces dispositions militaires, il était d'une grande importance de donner à la tour de Montépilloy la hauteur que nous lui connaissons.

Il faut considérer que l'élévation de ces sortes de tours tenait bien plus de leur situation stratégique que de leur défense propre. On fait habituellement trop bon marché des dispositions stratégiques dans les forteresses du moyen âge. On les étudie séparément, avec plus ou moins d'attention, mais on tient peu compte de l'appui qu'elles se prêtaient pour défendre un territoire appartenant à un même suzerain ou à des seigneurs alliés en vue d'une défense commune, fait qui se présentait souvent. La fréquence des luttes entre châtelains n'empêchait point qu'ils ne se réunissent, à un moment donné, contre un envahisseur; et ce fait s'est présenté notamment lors du voyage de saint Louis dans la vallée du Rhône pour se rendre à Aigues-Mortes. Ce prince réduisit les petites forteresses qui commandaient le fleuve, et dont les possesseurs se défendirent tous contre son corps d'armée, bien que ces châtelains fussent perpétuellement en guerre les uns avec les autres.

Pour ne parler que d'une contrée qui a conservé un grand nombre de restes féodaux, le Valois, on remarquera que les postes militaires éiaient disposés en vue d'une défense commune au besoin, bien avant la suzeraineté de Louis d'Orléans, et que ce prince ne fit qu'améliorer et compléter une situation stratégique déjà forte.

Le Valois était borné au nord-ouest et au nord par les cours de l'Oise, de l'Aisne et de la Vesle, au sud-est par la rivière d'Ourcq, au sud par la Marne. Il n'était largement ouvert que du côté de Paris, au sud-ouest, de Gesvres à Creil. Or, le château de Montépilloy est placé en vedette entre ces deux points, sur la route de Paris passant par Senlis; il s'appuyait sur le château de Nanteuil-le-Haudouin, sur la route de Paris à Villers-Cotterets, et qui se reliait au château de Gesvres, sur l'Ourcq. C'était une première ligne de défense couvrant les frontières les plus ouvertes du duché. En arrière, était une seconde ligne de places s'appuyant à l'Oise et suivant le petit cours d'eau de l'Automne: Verberie, Béthisy, Crespy, Vez, Villers-Cotterets, la Ferté-Milon sur l'Ourcq, et Louvry au delà. Derrière ces deux lignes, Louis d'Orléans établit, comme réduit seigneurial, la place de Pierrefonds, dans une excellente position. Des tours isolées furent élevées ou d'anciens châteaux augmentés sur les bords de l'Aisne et de l'Ourcq. Le passage de la Champagne en Valois, entre ces deux rivières, était commandé par les châteaux d'Ouchy, sur l'Ourcq, et de Braisne, sur la Vesle, couverts par la forêt de Daule.

Au nord, en dehors du Valois, dans le Vermandois, Louis d'Orléans avait acheté et restauré la place de Coucy, qui couvrait le cours de l'Aisne. Tous ces châteaux (Coucy excepté) étaient mis en communication par les vues directes qu'ils avaient les uns sur les autres au moyen de ces hautes tours, ou par des postes intermédiaires. C'est ainsi, par exemple, que le château de Pierrefonds était mis en communication de signaux avec celui de Villers-Cotterets par la grosse tour de Réalmont, dont on voit encore les restes sur le point culminant de la forêt de Villers-Cotterets.

Les expéditions tentées par Louis d'Orléans, et qui n'eurent qu'un médiocre succès, ne prouveraient pas en faveur des talents militaires de ce prince, mais il est certain que lorsqu'il résolut de s'établir dans le Valois de manière à se rendre maître du pouvoir et à dominer Paris, il dut s'adresser à un homme habile, car ces mesures furent prises avec une connaissance parfaite des localités et le coup d'oeil d'un stratégiste. Aussi le premier acte du duc de Bourgogne, après l'assassinat du duc d'Orléans, fut-il d'envoyer des troupes dans le Valois, pour mettre la main sur ce réseau formidable de places fortes.

Ainsi donc il ne faut pas confondre le donjon proprement dit, ou habitation seigneuriale, dernier réduit d'une garnison, avec ces tours qui, indépendamment de ces qualités, ont été élevées suivant une disposition stratégique, afin d'établir des communications entre les diverses places d'une province, et de fournir les moyens à des garnisons isolées de concerter leurs efforts.

La féodalité en France et en Angleterre possède ce caractère militaire particulier; caractère que nous ne voyons pas exprimé d'une manière aussi générale en Allemagne et en Espagne, si ce n'est, dans cette dernière contrée, par les Maures. Il semble chez nous que ces dispositions défensives d'ensemble soient dues plus particulièrement au génie des Normands, qui, au moment de leur entrée sur le sol des Gaules, comprirent la nécessité de concerter les moyens défensifs pour assurer leur domination. Aussi ne les voyons-nous jamais perdre du terrain dès qu'ils ont pris possession d'une contrée; et, de toutes les conquêtes enregistrées depuis l'époque carlovingienne, celles des Normands ont été à peu près les seules qui aient pu assurer une possession durable aux conquérants: la noblesse française profita, pensons-nous, de cet enseignement, et, malgré le morcellement féodal, comprit de bonne heure cette loi de solidarité entre les possesseurs d'un pays. L'unité que put établir plus tard la monarchie avait donc été préparée, en partie, par un système de défense stratégique du sol, par provinces, par vallées ou cours d'eau. Philippe-Auguste paraît être le premier qui ait compris l'importance de ce fait, car nous le voyons rompre méthodiquement ces lignes ou réseaux de forteresses, en s'attaquant toujours, dans chaque noyau, avec la sagacité d'un capitaine consommé, à celle qui est comme la clef des autres; Saint Louis continua l'oeuvre de son aïeul moins en guerrier qu'en politique.

Quand les Anglais furent en possession de la Guyenne, ils suivirent avec méthode ce principe de défense, et tous les châteaux qu'ils ont élevés dans cette contrée ont, indépendamment de leur force particulière, une assiette choisie au point de vue stratégique. Nous trouvons en Bourgogne l'influence de la même pensée. Nulle contrée peut-être ne présentait un système de défense solidaire plus marqué. Les cours d'eau, les passages, sont hérissés d'une suite de châteaux ou postes dont l'emplacement est merveilleusement choisi, tant pour la défense locale que pour la défense générale contre une invasion. Ces points fortifiés se donnent la main comme le faisaient nos tours de télégraphes aériens; et la preuve en est que la plupart de ces postes télégraphiques, en Bourgogne, s'établirent sur les restes des forteresses des XIIIe et XIVe siècles. Considérant donc les châteaux à ce point de vue, on comprend l'importance des tours dont nous nous occupons; elles constituaient une défense sérieuse par elles-mêmes, et assuraient d'autant mieux ainsi la communication entre les garnisons féodales, leur action commune. Il importait surtout, si l'un de ces châteaux était pris par trahison ou par un coup de main, que des hommes dévoués pussent tenir encore quelques jours ou seulement quelques heures dans ces réduits, du haut desquels il était facile de communiquer, par signaux, avec les forteresses les plus rapprochées; car, alors, les garnisons voisines pouvaient, à leur tour, envahir la place tombée et mettre l'agresseur dans la plus fâcheuse position. C'est ce qui arrivait fréquemment. En France, les cours d'eau ont un développement considérable, les bassins sont parfaitement définis; il s'établissait ainsi forcément, par la configuration même du terrain, de longues lignes de forteresses solidaires qui préparaient merveilleusement l'unité d'action en un moment donné. Ce sont là des vues qui nous semblent n'avoir pas été suffisamment appréciées dans l'histoire de notre pays, et qui expliqueraient en partie certains phénomènes politiques que l'on énonce trop souvent sans en rechercher les causes diverses. Mais toute notre histoire féodale est à faire, et, pour l'écrire, il serait bon, une fois pour toutes, de laisser de côté ces lieux communs sur les abus du régime féodal. Il est bien certain que nous ne pourrons posséder une histoire de notre pays que du jour où nous cesserons d'apprécier notre passé avec les partis pris qui nous troublent l'entendement, du jour où nous saurons appliquer à cette étude l'esprit d'analyse et de méthode que notre temps apporte dans l'observation des phénomènes naturels, du jour, enfin, où nous comprendrons que l'histoire n'est pas un réquisitoire ou un plaidoyer, mais un procès-verbal fidèle et impartial dressé pour éclairer des juges, non pour faire incliner leur opinion vers tel ou tel système.

Mais laissons là ces considérations un peu trop générales relativement à l'objet qui nous occupe, et revenons à nos tours.

Parmi ces tours de la Bourgogne dont la destination est bien marquée, c'est-à-dire qui servaient à la fois de réduits au besoin et de postes d'observation, il faut citer la tour de Montbard, du sommet de laquelle on aperçoit la tour du petit château qui domine le village de Rougemont, sur la Brenne, et le château de Montfort, qui, par une suite de postes, mettait Montbard en communication avec le château de Semur en Auxois, sur l'Armançon.

Montbard était un point très-fort; le château occupait un large mamelon escarpé, de roches jurassiques, à la jonction de trois vallées. De ce château il ne reste que l'enceinte, et la grosse tour à six pans, qui occupe un angle de cette enceinte au point culminant, de telle sorte qu'elle donne directement sur les dehors, au-dessus de roches abruptes.



La figure 46 donne les plans de cette tour, qui date de la fin du XIIIe siècle. Le rez-de-chaussée A se compose d'une salle dans laquelle on n'entre que par la porte a, percée au niveau du sol du terre-plein; en b et c sont les deux courtines. L'angle d profite d'une saillie du rocher et contient des latrines. Un caveau est creusé dans le roc, au-dessous de cette salle; son orifice est en e. La salle basse est éclairée par deux fenêtres et possède une meurtrière sur les dehors; elle est voûtée en arcs d'ogive et n'est pas mise en communication avec les étages supérieurs. On ne peut pénétrer dans la salle du premier étage que par les chemins de ronde des courtines (voyez en B). L'angle g est couvert par un talus de pierre; puis, à partir de ce niveau, un pan coupé h correspond au pan coupé i. Le pan coupé h est porté sur l'arc inférieur j. La salle du premier étage est éclairée par deux fenêtres donnant sur les dehors. Un escalier, pratiqué dans l'épaisseur du mur, du côté du terre-plein, monte au deuxième étage, semblable en tout au troisième, dont nous donnons le plan (voyez en C). Ce troisième étage possède trois fenêtres et deux armoires k qui n'existent pas dans l'étage du dessous, à cause du passage de l'escalier. Ces pièces sont voûtées comme le rez-de-chaussée.



Un escalier à vis monte à la plate-forme, dont nous donnons le plan figure 47. Cette plate-forme est défendue par un crénelage, et, sur chaque face, par un mâchicoulis avec meurtrière 126.



La figure 48 donne la coupe de cet ouvrage sur la ligne op. Des pinacles, dressés sur le crénelage supérieur, font reconnaître au loin le sommet de la tour. Le couronnement du donjon de Coucy présente une disposition analogue 127. Ces pinacles pouvaient d'ailleurs faciliter l'intelligence des signaux, puisqu'une bannière posée au droit de tel pinacle indiquait un mouvement de l'ennemi, ou les dispositions prises par la garnison, ou la nature des secours qu'elle attendait.

La porte A de l'étage inférieur était masquée par le terre-plein du château, dont le niveau s'élevait au-dessus de son linteau. Les défenseurs préposés à la garde de la tour, postés dans les étages supérieurs, commandaient les deux courtines, et tous les efforts d'un assaillant qui, après s'être emparé du château, aurait cherché à pénétrer dans l'étage inférieur de la tour,--ce qui était difficile, puisque sa porte est percée dans un angle rentrant,--n'auraient abouti qu'à le faire tomber dans une véritable souricière, puisque cet étage n'a pas de communication avec les salles supérieures. D'ailleurs, un mâchicoulis est directement placé au-dessus de cette porte et en rendait l'accès fort périlleux. Si, du dehors, l'assaillant, au moyen d'échelles, gravissant le rocher à pic sur lequel la tour est bâtie, parvenait à attacher le mineur au pied de cette tour et pénétrait dans la salle du rez-de-chaussée,--opération qui n'était guère praticable,--il n'était pas pour cela maître de l'ouvrage. Ici le système angulaire est adopté pour le plan de la tour, conformément à la méthode admise vers la fin du XIIIe siècle pour les tours-réduits couronnées par des plates-formes, particulièrement dans les provinces méridionales. Cette configuration se prêtait mieux au logement des hommes et aux dispositions d'habitation que la forme circulaire; elle donnait des faces inabordables, et l'on comptait sur la force passive des saillants pour résister aux attaques. Ceux-ci étaient d'ailleurs flanqués par des échauguettes supérieures, ou, vers le milieu du XIVe siècle, dominés par des mâchicoulis.

C'est en 1318 que l'archevêque Gilles Ascelin construisit la grosse tour quadrangulaire du palais archiépiscopal de Narbonne. Cet ouvrage est un réduit, en même temps qu'il commande la place de la ville, les quais de l'ancien port, les rues principales et tous les alentours. Bâti à l'angle aigu formé par les bâtiments d'habitation, il peut être isolé, puisqu'il n'avait, avec ces corps de logis, aucune communication directe 128. Cette tour renferme quatre étages et une plate-forme ou place d'armes, en contre-bas du crénelage, bien abritée du vent, terrible en ce pays, et pouvant contenir une masse considérable de projectiles. Trois échauguettes flanquent, au sommet de la tour, les angles vus, et le quatrième angle, qui est engagé dans le palais, contient l'escalier couronné par une guette.



Voici (fig. 49) les plans de cette tour, en A, au niveau du sol extérieur, et en B, au niveau du premier étage. L'étage A n'est qu'une cave circulaire voûtée en calotte hémisphérique, ne prenant pas de jour à l'extérieur. Le premier étage, de forme octogone à l'intérieur, se défend par des meurtrières sur chacune des trois faces vues du dehors. On observera que les chambres de tir de ces meurtrières sont séparées de la salle centrale, qui est voûtée en arête. Au-dessus (fig. 50) est élevée une salle quadrangulaire destinée à l'habitation (plan C).



Cette salle était la seule qui possédât une cheminée. Elle était éclairée par trois fenêtres et couverte par un plafond de charpente. Le quatrième étage présente également une salle carrée, voûtée en arcs d'ogive, possédant trois petites fenêtres et des meurtrières dont les chambres de tir sont, de même qu'au premier étage, séparées de la salle centrale (plan D). Puis, sur la voûte est disposée la plate-forme, dont la figure 51 donne le plan.



La partie centrale, immédiatement sur la voûte, est en contre-bas du chemin de ronde, dont le parapet n'est point percé de créneaux, mais seulement de longues meurtrières. Les échauguettes flanquantes possèdent trois étages de meurtrières. Les défenseurs pénètrent dans l'étage inférieur par les portes a, percées un peu au-dessus du niveau de la place d'armes, dans le premier étage par les portes b, et arrivent au troisième étage, à ciel ouvert, par les baies d. De l'escalier à vis on arrive à la place d'armes par la porte c, et au chemin de ronde du crénelage par la porte e. Les chemins de ronde pourtournent en f les échauguettes.



Une coupe faite sur gh (fig. 52) explique cette intéressante disposition. En A est la salle destinée à l'habitation du seigneur, tous les autres étages étant aménagés pour la défense. Cette tour ne possédait ni hourds ni mâchicoulis; elle se défendait surtout par sa masse, composée d'une excellente maçonnerie de pierre de taille dure de Sainte-Lucie. Les faces étaient à peine flanquées par les échauguettes. Aussi pensons-nous qu'en cas de siége, des mâchicoulis de bois étaient disposés au-dessus du parapet, ou peut-être seulement au-dessus des échauguettes, pour pouvoir découvrir la base de la tour et la défendre. Ce magnifique réduit est un chef-d'oeuvre de structure; les assises, réglées de hauteur, sont choisies dans le coeur de la pierre et reliées par un excellent mortier. Dans cette masse nul craquement, nulle déchirure; c'est un bloc de maçonnerie homogène. Cette place d'armes, pratiquée à un niveau inférieur à celui du chemin de ronde, servait à plusieurs fins. C'était une excellente assiette pour établir des engins à longue portée, mangonneaux ou pierrières, un abri pour les défenseurs et un magasin à projectiles.

Vers le même temps, c'est-à-dire de 1320 à 1325, était élevée, au château de Curton, en Guyenne (arrondissement de Libourne), une tour-réduit dont le plan présente certaines particularités remarquables. Ce château était plutôt défendu par sa position et son double fossé que par ses ouvrages; seule, la tour principale avait de l'importance 129. Cette tour, dont la figure 53 présente les plans, contenait cinq étages et un cachot, tous voûtés en berceaux chevauchés.



La seule entrée b, dans la tour, était pratiquée du logis voisin au niveau du second étage A. Par l'escalier à vis on descendait à l'étage au-dessous B, percé de deux meurtrières. Par une trappe c on descendait dans le cachot C, composé de deux étroites galeries se coupant à angle droit et contenant un siége d'aisances. L'escalier à vis montait du second étage A aux trois salles supérieures, bâties sur le même plan, et à la plate-forme D, munie d'un crénelage et de mâchicoulis. Les contre-forts qui épaulent les quatre angles n'avaient d'autre fonction que de donner des flanquements, car les murs de la tour sont assez épais pour n'avoir pas besoin de ces appendices. Si l'on examine le plan général du château 130, on verra en effet que l'angle G forme un saillant que flanquent (incomplétement, il est vrai) les échauguettes voisines. Ce renfort avec saillant avait encore l'avantage de rendre la tâche du mineur beaucoup plus longue et plus difficile. La tour de Curton a d'ailleurs 33 mètres de hauteur, du niveau du sol du cachot à la plate-forme supérieure, et les quatre contre-forts augmentent singulièrement son assiette. Dans la même contrée, il faut citer la tour carrée du château de Lesparre, qui était un réduit couronné par une plate-forme sur voûte 131, un véritable poste, car la surface de ce château en dehors de la tour carrée n'est que de 700 mètres. Beaucoup de ces châteaux de la Guyenne anglaise du XIVe siècle n'ont qu'une très-médiocre étendue, et paraissent plutôt être des forteresses propres à garder le pays que des habitations seigneuriales telles qu'étaient nos châteaux du Nord. Ce n'est pas qu'alors la population de la Gascogne ne fût complétement soumise à la domination anglaise, dont elle n'avait pas à se plaindre et qui fut pour ce pays une ère de prospérité, mais il s'agissait de protéger la Guyenne contre les attaques presque continuelles du roi de France, et ces petits châteaux, nombreux, bien établis au point de vue stratégique, commandant le cours de la Garonne et les débouchements des vallées latérales, étaient plus propres à garder la campagne que ne l'eussent été de vastes forteresses séparées par de grandes distances. Aussi la plupart de ces petits châteaux, bâtis ou restaurés à cette époque, se défendent-ils par leur assiette même, quelques ouvrages peu importants et par des tours-réduits, où des troupes d'hommes d'armes isolées pouvaient se retirer et attendre en sûreté qu'on les vînt dégager; d'où elles pouvaient sortir et surveiller la contrée.

En Normandie, où la domination anglaise, au commencement du XVe siècle, fut contestée par une grande partie de la population, où il s'agissait non-seulement de protéger le pays contre des ennemis du dehors, mais de se garder contre ceux du dedans, les rares fortifications que les Anglais ont élevées ont un tout autre caractère. Elles tendent à augmenter et à renforcer les places importantes, afin d'avoir des garnisons nombreuses centralisées sur certains points stratégiques. C'est ainsi que le château de Falaise, dont la position était si importante, fut renforcé pendant la domination anglaise, c'est-à-dire de 1418 à 1450, par une grosse tour cylindrique qui formait une annexe au donjon normand du XIIe siècle (fig. 54).



Le château de Falaise couvre une surface d'un hectare et demi 132; le donjon, composé de bâtiments quadrangulaires juxtaposés, suivant l'habitude normande, était peu élevé et ne commandait pas suffisamment les dehors: les Anglais y ajoutèrent la grosse tour A, dite tour de Talbot, qui renferme six étages, dont un cachot et l'étage de combles. Cette grosse tour-réduit est couronnée par des mâchicoulis avec chemin de ronde. Le crénelage supérieur et le comble n'existent plus depuis les guerres de religion du XVIe siècle. Plusieurs anciens donjons carrés de l'époque romane furent simplement considérés comme des logis à la fin du XIVe siècle et au commencement du XVe siècle, logis que l'on renforçait au moyen de grosses tours annexes. Cette disposition motiva un nouveau programme qui fut suivi, à cette époque, dans des constructions élevées d'un seul jet. On se mit à bâtir des donjons qui consistaient en un logis spacieux habitable pour le seigneur, en tout temps, et l'on flanqua ce logis de fortes et hautes tours commandant les dehors. C'est suivant cette donnée qu'a été conçu le donjon du château de Pierrefonds 133. Sur les dehors, ce donjon est en effet protégé par deux grosses tours cylindriques dont le diamètre est de 15 mètres 50 centimètres hors oeuvre. Ces deux tours, pleines dans la hauteur du talus, pouvant par conséquent défier la sape, renferment trois étages destinés aux provisions et à l'habitation, et un étage supérieur de défenses très-important, couronné par un crénelage double 134.

Des deux tours, à peu près pareilles dans leurs distributions intérieures, nous donnons celle d'angle, dite tour de Charlemagne 135. Elle contient, au niveau de la cour du château, une cave voûtée, éclairée par deux meurtrières (fig. 55, en A).



Un couloir B permet de communiquer des salles basses du donjon à cette cave. Par l'escalier C, on monte à la vis qui dessert tous les étages et la guette. En E, est une fosse pratiquée sous les garde-robes voisines de cette tour. Au-dessus de la cave A est une salle voûtée en arcs ogives surbaissés, qui est de plain-pied avec le premier étage du logis et dont le plan est semblable à celui de la salle G du second étage, laquelle salle est de même voûtée en arcs ogives et se trouve de plain-pied avec le deuxième étage du logis. Ces pièces hexagones sont éclairées chacune par trois fenêtres, possèdent une cheminée K et un couloir I communiquant aux garde-robes M. En O, est la cour des provisions 136. L'escalier de la guette N met ce couloir I, et par conséquent la salle G, en communication avec le chemin de ronde P du mur de garde de la cour aux provisions, qui lui-même communique aux défenses supérieures du château.



Au-dessus de cette salle voûtée G est l'étage particulièrement réservé à la défense et dont nous traçons le plan (fig. 56). On monte à cet étage par l'escalier à vis. Une première porte L donne entrée de plain-pied sur l'aire S dallée sur la voûte de la salle du deuxième étage. Une seconde porte percée au niveau de la révolution supérieure de la vis donne accès sur le chemin de ronde R des mâchicoulis. Des arcades percées dans le mur cylindrique donnent, au moyen d'emmarchements en façon de gradins d'amphithéâtre; du chemin de ronde R sur l'aire S placée à 3 mètres au-dessous. L'escalier à vis permet d'atteindre, au-dessus de cette salle, un balcon circulaire intérieur ayant vue sur les dehors par un grand nombre de créneaux.



La coupe faite sur ab (fig. 57) explique l'importance de cet étage, au point de vue de la défense. Sur l'aire A étaient accumulés les projectiles propres à être lancés par les mâchicoulis, pierres rondes, cailloux de toutes grosseurs, jusqu'à 40 centimètres de diamètre, puisque les trous des mâchicoulis ont 42 centimètres environ. Cet amas de projectiles pouvait, à la rigueur, atteindre le niveau du chemin de ronde B, en laissant un vide dans le milieu pour le service et pour le passage des hommes par la porte C.

Les servants des mâchicoulis se tenaient sur le chemin de ronde B, ainsi que les arbalétriers. Des manoeuvres passaient les projectiles aux servants, suivant les ordres donnés par le capitaine de la tour, qui était posté sur le balcon D dont nous avons parlé plus haut. Par les créneaux nombreux donnant sur le balcon, le capitaine découvrait tous les dehors, et les gens postés dans la galerie, non plus que ceux préposés aux projectiles, n'avaient point à s'enquérir des mouvements de l'ennemi, mais seulement à exécuter les ordres qui leur étaient donnés. L'étage crénelé supérieur E était en outre garni d'arbalétriers chargés du tir dominant et éloigné. Suivant que l'assiégeant se portait vers un point, le capitaine faisait accumuler les projectiles sur ce point sans qu'il pût y avoir de confusion. Si l'assaillant abordait le pied du talus de la tour, par les trous des mâchicoulis les servants le voyaient et n'avaient qu'à laisser tomber des moellons pour l'écraser. Le tir par les créneaux découverts E ne pouvait être qu'éloigné, ou au plus suivant un angle de 60 degrés, à cause du défilement produit par la saillie de la galerie. Le tir par les créneaux du balcon D était ou parabolique, ou suivant un angle de 30 et de 60 degrés. Il en était de même du tir des arbalétriers, postés sur le chemin de ronde B. Puis, par les mâchicoulis on obtenait un tir très-plongeant et la chute verticale des projectiles, qui, ricochant sur le talus, prenaient les assaillants en écharpe. Ainsi, dans un rayon de 150 à 200 mètres, les défenseurs pouvaient couvrir le terrain d'une quantité innombrable de carreaux, de viretons et de pierres. Le sommet de la guette dépasse de plusieurs mètres le sommet du comble de la tour, et son escalier à vis possède un noyau à jour de manière à permettre au guetteur de se faire entendre des gens postés dans le chemin de ronde, comme s'il parlait à travers un tube ou porte-voix.

En G, est tracée la coupe sur le milieu des côtés de l'hexagone intérieur, c'est-à-dire suivant l'axe des fenêtres.

C'est là un des derniers ouvrages qui précèdent de peu l'emploi régulier des bouches à feu, puisque le château de Pierrefonds était terminé en 1407; aussi ces belles tours, élevées suivant l'ancien système défensif perfectionné, sont-elles très-promptement renforcées d'ouvrages de terre avancés propres à recevoir des bouches à feu. À Pierrefonds comme autour des autres places fortes, au commencement du XVe siècle, on retrouve des traces importantes et nombreuses de ces défenses avancées faites au moment où les assiégeants traînent avec eux du canon. La plate-forme qui précède ces tours vers le plateau est disposée pour pouvoir mettre en batterie des bombardes ou coulevrines.

La célèbre tour de Montlhéry, sur l'ancienne route de Paris à Orléans, est à la fois réduit du donjon et guette. Ce qu'on désigne aujourd'hui sous le nom de château de Montlhéry n'est, à proprement parler, que le donjon, situé au point culminant de la motte. Le château consistait en plusieurs enceintes disposées en terrasses les unes au-dessus des autres, et renfermant des bâtiments dont on découvre à peine aujourd'hui les traces. Chacune de ces terrasses avait plus de cent pieds de longueur, et c'était après les avoir successivement franchies qu'on arrivait au donjon ayant la forme d'un pentagone allongé (fig. 58). Lorsqu'on avait gravi les terrasses, on se trouvait devant l'entrée A du donjon, dont la construction appartient à la première moitié du XIIIe siècle.



Du château où résida Louis le Jeune en 1144, il reste peut-être des substructions, mais toutes les portions encore visibles du donjon, et notamment la tour principale, réduit et guette, ne remontent pas au delà de 1220, bien qu'elle passe généralement pour avoir été construite par Thibaut, forestier du roi Robert, au commencement du XIe siècle.

Cette tour B, plus grosse et plus haute que les quatre autres qui flanquent le donjon, a 9m,85 de diamètre au-dessus du talus (30 pieds); le niveau de sa plate-forme était à 35 mètres environ au-dessus du seuil de la porte du donjon. Son plan présente des particularités curieuses. Une poterne relevée, fermée par une herse, donne sur les dehors indépendamment de la porte qui s'ouvre sur la cour. Deux étages étaient voûtés, trois autres supérieurs fermés par des planchers. Une ceinture de corbeaux, comme ceux du donjon de Coucy, recevait des hours à double étage; une porte s'ouvrait aussi sur le chemin de ronde de la courtine C. Cette entrée passait à travers la cage d'un escalier à vis qui, inscrit dans une tourelle cylindrique, partait du niveau de ce chemin de ronde pour arriver à tous les étages supérieurs. Du rez-de-chaussée on montait au premier étage par un degré pris dans l'épaisseur du mur du côté intérieur. En D, il existait un bâtiment d'habitation assez vaste, dont on aperçoit aujourd'hui seulement les fondations. On sait quel rôle important joua le château de Montlhéry pendant le moyen âge.

Cette valeur tenait plus encore à sa position stratégique qu'à la puissance de ses ouvrages; et la grosse tour B du donjon était bien plus un point d'observation qu'une défense. Il est évident que pour la garnison de Montlhéry, l'essentiel était d'être prévenue à temps, car alors il devenait impossible à des assaillants d'aborder la motte élevée sur laquelle s'étageaient les défenses; quelques hommes suffisaient à déjouer un coup de main.

TOUR DE GUET (guettes).--Les châteaux, les donjons, avaient leur guette mais aussi les villes. Dans l'état présent de l'Europe, on ne saurait comprendre l'importance de ces observatoires élevés sur les points dominants des châteaux et des villes.

Si nous avons encore conservé les voleurs qui cherchent à s'introduire la nuit dans les habitations des cités et des campagnes, du moins cette corporation n'exécute-t-elle ses projets qu'en se cachant du mieux qu'elle peut. Mais il n'en était pas ainsi depuis l'empire romain jusqu'au XVIIe siècle. Pendant l'administration des derniers empereurs, les villæ et même les bourgades n'étaient pas toujours à l'abri des expéditions de bandes d'aventuriers qui, en plein jour, rançonnaient les particuliers et les petites communes, ainsi que nous voyons encore la chose se faire parfois en Italie, en Sicile et sur une partie du territoire de l'Asie. Le brigandage (pour nous servir d'un mot qui ne date que du XVe siècle) existait à l'état permanent sous l'administration romaine, aux portes mêmes de la capitale de l'empire, et il n'est pas équitable de faire remonter cette institution au moyen âge seulement; elle appartient un peu à tous les temps, et aux sociétés particulièrement qui inclinent vers la dissolution. Le moyen âge féodal ne pratiqua pas le brigandage et ne l'éleva pas à la hauteur d'une institution, ainsi que plusieurs feignent de le croire pour arriver à nous démontrer que l'histoire de la civilisation ne date que du XVIe siècle.

La féodalité entreprit au contraire de détruire le brigandage qui, après la chute de l'empire romain, était passé dans les moeurs et s'étendait à l'aise sur toute l'Europe occidentale. La féodalité fut une véritable gendarmerie, une magistrature armée, et malgré tous les abus qui entourent son règne, elle eut au moins cet avantage de relever les populations de l'affaissement où elles étaient tombées à la fin de l'empire et sous les Mérovingiens. Ces premiers possesseurs terriens, ces leudes, surent grouper autour de leurs domaines les habitants effarés des campagnes, et si des colons romains ils ne firent pas du jour au lendemain des citoyens (tâche impossible, puisque à peine les temps modernes ont pu la remplir), du moins leur enseignèrent-ils par l'exemple à se défendre et à se réunir au besoin, à l'ombre du donjon, contre un ennemi commun. Que des châtelains aient été des voleurs de grands chemins, le fait a pu se présenter, surtout au déclin de la féodalité; mais il serait aussi injuste de rendre l'institution féodale responsable de ces crimes qu'il serait insensé de condamner les institutions de crédit, parce qu'il se rencontre parfois des banqueroutiers parmi les financiers. Les Assises de Jérusalem, ce code élaboré par la féodalité taillant en plein drap, est, pour l'état de la société d'alors, un recueil d'ordonnances fort sages, et qui indique une très-exacte appréciation des conditions d'ordre social; et les barons, guerriers et légistes qui ont rédigé ce code, eussent été fort surpris si on leur eût dit qu'un siècle comme le nôtre, qui se prétend éclairé sur toutes choses, les considérerait comme des détrousseurs de pèlerins; des soudards, pillards sans vergogne.

La guette, ou la tour de guet, est le signe visible du système de police armée établi par la féodalité. La tour de guet du château n'a pas seulement pour objet de prévenir la garnison d'une approche suspecte, mais bien plus d'avertir les gens du bourg ou du village de se défier d'une surprise et de se prémunir contre une attaque possible. Il n'était pas rare de voir une troupe de partisans profiter de l'heure où les gens étaient aux champs pour s'emparer d'une bourgade et la mettre à rançon. À la première alarme, le châtelain et ses hommes avaient bientôt fait de relever le pont et de se mettre à l'abri des insultes; mais ces garnisons, très-faibles en temps ordinaire, n'eussent pas pu déloger des troupes d'aventuriers et empêcher le pillage du bourg; il fallait avoir le temps de rassembler les paysans dispersés dans la campagne: c'est à cette fin que les tours de guet étaient élevées. Aux premiers sons du cor, aux premiers tintements du beffroi, les populations rurales se groupaient sous les murs du château et organisaient la défense, appuyées sur la garnison de la forteresse. Les villes possédaient, par le même motif, des tours de guet sur les points qui découvraient la campagne au loin. Ces tours de guet établies le long des remparts devinrent, vers le XIVe siècle, le beffroi de la ville; outre les guetteurs, elles renfermaient des cloches dont les tintements appelaient les habitants aux points de leurs quartiers désignés d'avance, d'où les quarteniers les dirigeaient d'après les instructions qui leur étaient transmises par les chefs militaires.

1

Outil dont le taillant est dentelé (voyez BRETTURE).

2

Ces neuf chevaliers sont: Hugues de Payens, Godefroy de Saint-Omer, André de Montbard, Gundomar, Godefroy, Roral, Geoffroy Bisol, Payen de Montdésir, Archambaud de Saint-Aignan, ou, suivant Lejeune, Hugues, comte de Champagne, fondateur de Clairvaux.

3

Voyez l'Histoire des chevaliers templiers, par Élizé de Montagnac. Paris, 1864.

4

Voyez Dubreul, Théâtre des antiquités de Paris, livre III.

5

C'est dans ce donjon que Louis XVI fut détenu en 1792.

6

C'est en 1317 que par une transaction passée entre les chevaliers hospitaliers et Philippe le Long, il est démontré que le séquestre des biens des templiers s'était prolongé jusqu'en 1313. Donc la couronne avait perçu, pendant une période de six ans, les énormes revenus de ces biens; de plus, tous les biens meubles et les trésors étaient restés entre les mains du roi.

7

Livre IV, p. 454.

8

Antiquitez de Paris, G. Corrozet Parisien, 1586, part. I, p. 108.

9

Voyez le plan de Paris de Verniquet, le grand plan de Mérian, les gravures d'Israël Sylvestre, l'oeuvre de Marot: l'Architecture françoise.

10

Voyez les gravures de Marot et d'Israël Sylvestre.

11

Hist. des chevaliers templiers, par Élizé de Montagnac. Paris, A. Aubry, 1864. Les francs-maçons ont prétendu continuer l'ordre du Temple, et posséder même un testament ou charte de transmission d'un grand maître dont le pouvoir secret avait été reconnu par les frères postérieurement à la mort de Jacques de Molay.

12

Une des tombes de la chapelle de la commanderie, près du hameau de Creac'h, présente une croix ancrée, accostée à gauche d'une épée, à droite d'un écusson à sept macles trois, trois, un, qui est Rohan ancien. (Hist. des chevaliers templiers, ouvr. déjà cité, p. 135.)

13

Parmi les châteaux importants que les templiers avaient élevés en Syrie, nous citerons ceux de Tortose (Antarsous) de Safita, d'Areymeh, de Toron et d'Athlit. Ces châteaux renferment habituellement un gros donjon carré ou sur plan barlong et leurs enceintes sont également flanquées de tours quadrangulaires. «Les châteaux de Safita, d'Areymeh, d'Athlit, et surtout la forteresse de Tortose», dit M. G. Rey, dans son Essai sur la domination française en Syrie, «nous fournissent une série de types permettant de donner une étude aussi complète que possible de cet art, dont les meilleures productions se trouvent dans les principautés d'Antioche et de Tripoli, si riches, la première particulièrement, en monuments byzantins.» Tortose, adossée à la mer, fut la dernière place qu'occupèrent les templiers en Orient. Ils n'évacuèrent cette forteresse que le 5 juin 1291. En Occident, les templiers adoptèrent également, pour la construction de leurs donjons, le plan carré ou barlong. C'est sur cette donnée qu'était bâtie la tour dite de Bichat, à Paris, et qui ne fut détruite qu'en 1855. (Voy. TOUR.)

14

La Normandie souterraine, par M. l'abbé Cochet. Paris, 1855.

15

L'évêque Aravatius «s'étant rendu dans la ville de Maestricht, y fut attaqué d'une fièvre légère dont il mourut. Son corps, lavé par les fidèles, fut enterré près de la voie publique.» (Hist. franç., liv. II, chap. V.)

16

«Un sarkeu fist apareillier (Richard)

Lez la meisiere del mustier (contre le mur de l'église),

A metre emprès sa mort sun core

Suz la gutiere de defors

. . . . . . . . . . .»


(Le roman de Rou, vers 5879 et suiv.)

17

Nous avons trouvé, dans l'église abbatiale de Saint-Denis, au-dessous du pavé de la basilique de Dagobert, plusieurs sarcophages de pierre, plus larges d'un bout que de l'autre. Sur le couvercle et l'un des bouts d'un seul de ces sarcophages sont gravées grossièrement des croix pattées; les autres sarcophages sont unis. Ils contenaient des ossements complétement réduits en poussière, des traces d'étoffes et des fils d'or qui entraient dans le tissu, quelques bouts de courroie de bronze (déposés au musée de Cluny). Plusieurs de ces corps avaient été ensevelis sans la tête, ce qui ferait supposer que les chefs étaient placés à part dans des reliquaires.

18

A, dessus et bout d'un des sarcophages mérovingiens de Saint-Denis; B, sarcophage de saint Andoche (dom Planchet, Hist. de Bourgogne, t. II, p. 520); C, couvercle d'un sarcophage dans l'église de Saint-Hilaire de Poitiers, VIIIe siècle.

19

Sur les sarcophages des derniers temps de l'empire romain, on voit très-souvent des représentations sculptées de chasses. Cette tradition se retrouve encore dans des monuments funéraires du XIIe siècle. Il existe au musée de Niort, entre autres, un sarcophage de cette époque, sur le couvercle duquel sont représentés un seigneur et sa femme, à cheval, chassant au faucon, puis, au milieu d'arbres, un homme qui tend des panneaux propres à prendre des oiseaux, un archer, des chiens et des lièvres.

20

Sur le sarcophage de saint Hilaire le Grand, de Poitiers, est représenté de même le corps du saint posé sur une sorte de lit de parade; l'archange Michel est placé d'un côté, un second ange de l'autre; puis viennent divers personnages, saints et assistants. Dans la crypte d'Aix-la-Chapelle, le corps de Charlemagne, embaumé, était placé dans une chaire, revêtu de ses habits, la couronne en tête, l'épée à son côté.

21

Grâce aux soins de M. Durand, architecte à Bordeaux, qui a fait estamper cette inscription, il a été possible de la lire.--Voyez la Notice qu'a publiée M. Durand sur ce monument (Bordeaux, 1844).

22

Cette statue, mutilée, est celle de saint Paul, patron du défunt probablement.

23

«Parler vueil de la saincte terre,

De lesglise, ou lon enterre

Riches, pouvres, communement;

Elle se vent moult chierement

A tous ceulx qui ont de lavoir

Pour deux ou trois pas en avoir

Et toujours la terre demeure

Pour aultre fois mettre en euvre.

Chiere terre se peut nommer

Sans riens la saincteté blasmer.

Grans debas souventes fois ont

Les paroisses, dont se meffont,

Pour les corps mors mettre en terre.

Ils sen playdoyent et font guerre.

Helas ce nest pas pour le corps

Dont est issue l'ame hors,

Cest pour avoir la sepulture;

Du corps aultrement ils nont cure

...»


(Complainte de François Garin, XVe siècle, édit. de 1832. Impr. Crapelet, p. 32.)

24

Le sceau d'argent de cette princesse était déposé dans le cercueil. Conservé pendant quelques années dans le trésor de la cathédrale, il a été volé.

25

«À l'entrée de cette porte» (celle du transsept donnant au midi, dans le cloître des religieux), «entrant en iceux cloistres, à main droite, se voit l'effigie du très chrestien Roy Dagobert, d'une grandeur extraordinaire, assise en une chaire, la couronne sur la teste et une pomme en la main droite; ayant à ses deux costez les effigies de ses deux enfans Clovis et Sigebert, de pierre de liais...» (Dom Doublet, Antiq. et recherches de l'abbaye de Sainct-Denis en France, liv. I, chap. XLIV.)

26

Ce tombeau est aujourd'hui replacé en ce même endroit, après avoir été transporté au musée des monuments français, puis de là rendu à l'église, où les deux faces, séparées pour faire pendants, avaient été placées des deux côtés du narthex.

27

Ce sarcophage était feint, car le corps du roi Dagobert avait été déposé sous le maître autel de l'église primitive; peut-être était-il enfermé dans le cercueil dont nous avons donné le couvercle et un bout, ornés de croix pattées (fig. 1, A). Cependant la pierre replacée sous le règne de saint Louis avait été creusée comme pour y déposer un corps, et des restes d'ossements y furent trouvés lors de la violation des sépultures en 1793.

28

Ce sarcophage a dû être refait, ainsi que la statue couchée et celle de Sigebert, qui, dans les transports successifs qu'avait subis ce monument, furent perdues. D'ailleurs le sarcophage et les deux statues ont été copiés aussi fidèlement que possible sur les dessins (minutes) que Percier avait faits de ce tombeau avant sa translation au musée des Petits-Augustins. Le sarcophage primitif était, au dire de dom Doublet, de porphyre gris, mais les fragments que nous en avons eus entre les mains étaient d'un grès tendre, grisâtre.

29

Il faut noter que cette statue, ainsi ridiculement défigurée, a été moulée, réduite, vendue partout comme une des oeuvres remarquables du moyen âge.

30

Ce tombeau datait des premières années du XIIIe siècle.

31

Nous avons très-fréquemment trouvé, sous les restes des personnages ensevelis pendant les XIIe, XIIIe et XIVe siècles, des litières encore visibles d'herbes et de fleurs, notamment des roses facilement reconnaissables à leurs tiges garnies d'épines. N'était-il pas plus sensé de porter ainsi une personne regrettée, à son dernier séjour, que de placer son corps dans ces chars noirs et blancs dont les formes sont ridicules, les décorations du plus mauvais goût, conduits par des cochers vêtus d'une façon burlesque?

32

Collect. Gaignères, Bibl. Bodléienne d'Oxford.

33

L'architecture et les arts qui en dépendent.

34

Voyez, dans les Annales archéol., Didron, la notice de M. l'abbé Texier sur ce monument, et la gravure de M. Gaucherel, t. IX, p. 193.

35

Voyez l'intéressante Notice de M. le colonel de Morlet sur ces monuments (Strasbourg, 1863).

36

Voyez, entre autres, les beaux exemples de ces tombeaux déposés au British Museum.

37

Le texte 5e dit: «Si quelqu'un a détruit le petit édifice, qui est le petit pont, tel qu'on le fait suivant l'usage de nos pères...»

38

Lib. VI, cap. X.

39

Voyez l'ouvrage du docteur Rock: The Church of our fathers, et la notice de M. Ernest Feydeau, Annales archéol., t. XV, p. 38,--Voyez le monument de Beauchamp.

40

Voyez du Cange, Gloss.

41

Voyez les portefeuilles de Gaignères, Bibl. Bodléienne.

42

Annales archéol., t. XVIII; p. 49.

43

Voyez, dans les Annales archéol., la gravure de ce tombeau, t. XIX, p. 315.

44

Voyez l'ouvrage de M. le comte Melchior de Vogüe, Syrie centrale.

45

Toutes les effigies de ces tombeaux replacés depuis peu dans le transsept, où ils se trouvaient avant 1793, sont anciennes. Les socles, dossiers et colonnettes, ont été rétablis d'après les dessins de Gaignières et sur des fragments déposés dans les magasins de l'abbaye.

46

L'effigie de l'arbre blanc existe encore à Saint-Denis. C'est une statue d'un admirable travail.

47

Voyez les portefeuilles de Gaignières, Bibl. Bodléienne d'Oxford.

48

Ce tombeau n'existe plus, mais il est reproduit par Gaignières; et bien que celui-ci n'en donne pas l'épitaphe, les armoiries (fascé de vair et de gueules) ne laissent aucun doute sur la qualité du personnage.

49

Voyez la collection de Gaignières, Bibl. Bodléienne d'Oxford.

50

Parmi ces ornements, d'un goût déplorable, qui vinrent remplacer de précieux monuments que leur caractère, sinon leur valeur comme art, eût dû au moins faire respecter, il faut signaler une certaine Gloire, de bois doré, qui vient étaler ses rayons de charpente et ses nuages de plâtre sur les piliers de l'abside jusqu'à la hauteur de la galerie, et détruit ainsi l'effet merveilleux de ce rond-point avec sa chapelle absidale.

51

Voyez, pour de plus amples détails sur ces tombeaux, la Monographie de l'église royale de Saint-Denis, par M. le baron de Guilhermy, 1848.

52

Voici ce qu'en dit dom Doublet (Hist. de l'abb. de Saint-Denys en France), 1625, liv. IV. «Son effigie (du roi Charles VIII) revestue à la royalle, et de genoux au-dessus du tombeau, est représentée après le naturel, laquelle est de fonte; le haut du dit tombeau couvert de cuivre doré, et au devant de l'effigie il y a un oratoire, ou appuy, et couvert de cuivre doré, sur lequel est posée une couronne avec un livre ouvert, aussi de cuivre doré. Pareillement y a aux quatre coins quatre anges de fonte bien dorez et eslabourez, lesquels tiennent les armoiries des royaumes de Naples et Sicile, aussi de fonte, dorées et peintes. Aux costés du tombeau y a des niches rondes, et au dedans, des bassins de cuivre bien doré, et en iceux bassins de basses figures de fonte bien dorées.»

D. Millet, dans son Trésor sacré de l'abbaye royale de Saint-Denys en France, 1640, dit: «Son sepulchre (du roi Charles VIII) est le plus beau qui soit dans le choeur, sur lequel on voit son effigie représentée à genouil près le naturel, une couronne et un livre sur un oratoire (prie-Dieu), et quatre anges à genoux aux quatre coings du tombeau, le tout de cuivre doré, sauf l'effigie dont la robe est d'azur, semée de fleurs de lys d'or.»

53

De la Bibl. Bodléienne. Voyez la gravure de l'ouvrage de Félibien, Abbaye royale de Saint-Denis.

54

Voyez CATHÉDRALE, fig. 49. Le tombeau de Pierre de Roquefort est placé contre le mur occidental de la chapelle du nord. Ce prélat est mort en 1321.

55

Histoire de l'abbaye royale de Saint-Germain des Près. Paris, 1724.

56

Cette tombe a été souvent reproduite par la gravure et la chromolithographie (voyez la Statistique de Paris, par M. Alb. Lenoir; l'ouvrage de M. Gailhabaud, l'Architecture et les arts qui en dépendent; D. Bouillard, Hist. de l'abbaye de Saint-Germain des Près; Alex. Lenoir, Musée des monuments français; de Guilhermy, Monographie de l'église royale de Saint-Denis).

57

Voyez l'ouvrage cité de M. Gailhabaud.

58

Ce monument a été envoyé à la fonte en 1793.

59

L'une d'elles est gravée dans la Monographie de l'église royale de Saint-Denis par M. le baron de Guilhermy.

60

Voyez Gaignières, Bibl. Bodléienne, et la Monographie de saint Yved de Braisne, par Stanislas Prioux (Paris, 1859, Didron, édit.).

61

Voyez Gaignières, Bibl. Bodléienne.

62

Nous aurons l'occasion, dans le tome II du DICTIONNAIRE DU MOBILIER FRANÇAIS, de donner un grand nombre de ces gravures tombales si précieuses pour l'étude des habillements; c'est pourquoi nous n'en donnons point d'exemple ici: d'ailleurs ces objets sortent du domaine de l'architecture.

63

«Castra extollens altius et castella, turresque adsiduas per habiles locos et opportunos, quà Galliarum extenditur longitudo; nonnunquam etiam ultra flumen ædificiis positis snbradens barbaros fines.» (Ammien Marcellin, lib. XXVIII, cap. II.)

64

C'est ainsi que sont construites les tours romaines de Besigheim, au confluent du Necker et de l'Enz.

65

Voyez Essai sur le système défensif des Romains dans le pays éduen, par M. Bulliot, p. 26.

66

Lib. I, cap. V.

67

Voyez La fortification déduite de son histoire, par le général Tripier. Paris, 1866.

68

Tours visigothes de Carcassonne; tours d'Autun, de Cologne, de Dax; tours de Rome du temps de Bélisaire.

69

La tour dite du Four Saint-Nazaire.

70

Voyez HOURD.

71

Mosaïque gallo-romaine, musée de Carpentras.

72

Voyez HOURD, fig. 1.

73

Quant au plomb fondu, à l'huile bouillante, ce sont là des moyens de défense un peu trop dispendieux pour qu'on les puisse prendre au sérieux. D'ailleurs le plomb fondu, tombant de cette hauteur, serait arrivé en bas en gouttes froides, ce qui n'était pas très-redoutable. Ce n'était que par exception qu'on avait recours à ces moyens de défense. De simples cailloux du poids de 8 à 10 kilogrammes, tombant d'une hauteur de 20 mètres, étaient les projectiles les plus dangereux pour des hommes armés et pavaisés.

74

Il n'est question, bien entendu, que des constructions du commencement du XIIIe siècle, dues à Enguerrand. Les courtines du château de Coucy furent encore exhaussées vers 1400 par Louis d'Orléans.

75

Voyez, pour le système de structure de ces tours, à l'article CONSTRUCTION, la figure 144.

76

Ces escaliers ont été surélevés, sous Louis d'Orléans, jusqu'au niveau des combles.

77

Voyez LATRINES, fig. 1.

78

Voyez DONJON, HOURD, MÂCHICOULIS.

79

Voyez HOURD, PORTE (la porte de Laon à Coucy-le-Château).

80

La partie supérieure du crénelage, détruite aujourd'hui, est restaurée à l'aide des gravures de du Cerceau et de Châtillon.

81

Voyez CHÂTEAU.

82

Voyez ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 11, et SIÉGE, fig. 2.

83

Tour dite de la Peyre, à la gauche de la barbacane de la porte Narbonnaise.

84


Ce nombre était plus que suffisant, puisque les deux enceintes n'avaient pas à se défendre simultanément, et que les hommes de garde, dans l'enceinte intérieure, pouvaient envoyer des détachements pour défendre l'enceinte extérieure, ou que celle-ci étant tombée au pouvoir de l'ennemi, ses défenseurs se réfugiaient derrière l'enceinte inférieure. D'ailleurs l'assiégeant n'attaquait pas tous les points à la fois. Le périmètre de l'enceinte extérieure est de 1400 mètres en dedans des fossés, donc c'est environ un homme par mètre de développement qu'il fallait compter pour composer la garnison d'une ville fortifiée comme l'était la cité de Carcassonne.

85

Voyez le plan général de la cité de Carcassonne, ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 11, B, et les archives des Monuments historiques.

86

Les meurtrières du rez-de-chaussée sont hachées, ainsi que la porte qui, de cet étage, donne dans l'escalier à vis.

87

Voyez ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 24 bis.

88

La plupart des ouvrages militaires des ordres du Temple et de Malte présentent des tours carrées. (Voyez Essai sur la dominat. franç. en Syrie durant le moyen âge, par E. G. Rey, 1866.)

89

«Et... (du Guesclin) prit son chemin et son retour, et tous les seigneurs de France en sa compagnie, pour venir de rechef devant la cité d'Usson, en Auvergne, et l'assiégèrent; et firent là le duc de Berry, le duc de Bourbon et le connétable, amener et charrier grands engins de Riom et de Clermont, et dresser devant ladite forteresse, et avec tout ce appareiller grands atournemens d'assaut.» (Froissart, Chron., CCCXXIX.)

90

Encontre Bertran a la deffense levée:

N'i avoit sale amont qui ne fust bien semée;

De fiens y ot. on mis mainte grande chartée,

Par coi pierres d'engien, qui laiens soit getée,

Ne mefface léons une pomme pelée.

Car Bertran ot mandé par toute la contrée

Pluseurs engiens, qu'il fist venir en celle anée,

De Saint-Lo en y vint, cette ville alozée;

Bertran les fist lever sans point de l'arrestée.

Pardevant le chastel (de Valognes), dont je fuis devisée

Ont dréciez. VI. engiens getans de randonnée,

Mais en son de la tour, qui fu haulte levée,

Il avoit une garde toute jour ajournée,

Qui sonnoit. I. becin, quant la pierre est levée;

Et quant la pierre estoit au chastel assenée,

D'une blanche touaille (serviette), qui li fut présentée,

Aloit frolant les murs, faisait grande risée;

De ce avoit Bertran forment la chière irée.»


(La Vie vaillant Bertran du Guesclin, par Cuvelier, trouvère du XIVe siècle, v. 5076 et suiv.)

91

Voyez ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 41.

92

Le cran est la poussière que produit la taille de la pierre, et que l'on recueille sur les chantiers. On s'en servait beaucoup, pendant le moyen âge, pour charger des voûtes que l'on voulait mettre à l'abri des projectiles ou des incendies.

93

Ces tours ont été dérasées au niveau des courtines en 1814. (Voyez les grandes gravures d'Israël Sylvestre, Les plus excellens bastimens de France de du Cerceau, etc.)

94

De notre temps nous avons vu la fortification allemande revenir aux commandements élevés, aux tours bastionnées.

95

Voyez ENGIN.

96

Le château de Vincennes, dont il existe des restes considérables que nous voyons aujourd'hui, fut commencé par le roi Jean, sur de nouveaux plans; mais si l'on considère le style de l'architecture, il ne paraît pas que les prédécesseurs de Charles V aient élevé l'ouvrage au-dessus du sol de la place; si même Charles V n'a pas entièrement repris l'oeuvre.

97

Ce fait est bien visible dans les ouvrages entrepris par Louis d'Orléans, au château de Coucy, de Montépilloy près de Senlis.

98

Ces travaux ont été commencés en 1858 par ordre de l'Empereur, et en grande partie au moyen des crédits ouverts sur la cassette de Sa Majesté.

99

Voyez ARCHITECTURE MILITAIRE, BOULEVARD.

100

Tour Hector.

101

Il a fallu vingt-sept jours à un ouvrier habile pour pratiquer un trou d'un mètre carré environ dans l'un de ces murs, au-dessus du talus, c'est-à-dire au point où la maçonnerie n'a que 4 mètres d'épaisseur.

102

Au siége d'Orléans, plusieurs des anciennes tours de l'enceinte furent terrassées pour recevoir des pièces d'artillerie.

103

Voyez à l'article CHÂTEAU, la description des défenses du château de Bonaguil (fig. 28 et 29).

104

Voyez SIÉGE, page 426.

105

Voyez BOULEVARD.

106

Trattato di architettura civile e militare di F.G. Martini, publié pour la première fois par les soins du chevalier César Saluzzo. Turin, 1861. Voyez l'atlas, pl. V, XXII, XXIII et suiv.

107

À Langres, à Dijon, ancien château, XVe siècle; à Marseille, fin du XVe siècle (front démoli du Nord); peut-être au château de Ham, avant la reconstruction de la plate-forme de la grosse tour, bâtie par le comte de Saint-Pol, et dont les murs ont 10 mètres d'épaisseur.

108

On donnait le nom de moineau à un petit ouvrage saillant bas, placé au fond du fossé, le défendant et pouvant contenir des arquebusiers ou même des arbalétriers. On croyait ainsi protéger le point mort des tours circulaires. (Voyez à l'article BOULEVARD le grand ouvrage de Schaffhausen, les défenses circulaires qui remplissaient exactement dans le fossé d'office de moineaux.)

109

On donne généralement, à l'invention du boulet de fonte de fer, une date trop récente. Déjà, vers 1430, l'artillerie française et allemande s'en servait. Les inventaires d'artillerie de Charles VII en font mention. Des vignettes de manuscrits de 1430 à 1440 figurent des projectiles de fer. Au musée d'artillerie il existe un canon de 1423, de bronze, provenant de Rhodes, fondu en Allemagne, qui ne pouvait servir qu'à envoyer des boulets de fonte. À la défense d'Orléans, en 1428, les artilleurs orléanais avaient des boulets de fonte.

110

Plus tard Castriotto (1584) adopte de nouveau les tours rondes au milieu des bastions, en capitales, et au milieu des courtines. Vauban lui-même, dans sa dernière manière (1698), établit des tours bastionnées formant traverses en capitales, entre les bastions retranchés d'une façon permanente et le corps de la place, sortes de réduits qui devaient inévitablement retarder la reddition de la place, puisque la chute du bastion non-seulement n'entraînait pas celle des défenses voisines, mais exigeait des travaux considérables pour prendre la tour bastionnée formant saillant porte-flancs. Montalembert (1776) plaça également en capitales, à la gorge des bastions, des caponnières élevées en maçonnerie, à plusieurs étages, qui ne sont autre chose que des tours casematées ayant un commandement considérable sur les dehors. À la base, la caponnière de Montalembert est entourée d'une série de moineaux qui donnent en plan une suite d'angles saillants en étoile, se flanquant réciproquement, pour poster des fusiliers. Les Allemands de nos jours en sont revenus aux tours possédant un commandement sur les ouvrages. Mais en présence des effets destructifs de la nouvelle artillerie, ce système ne peut être d'une grande valeur, à moins qu'on ne puisse revêtir ces tours casematées d'une cuirasse assez forte pour résister aux projectiles. Ces tentatives répétées sans cesse depuis le moyen âge prouvent seulement que les commandements sur les dehors sont toujours considérés comme nécessaires, et que la fortification du moyen âge (eu égard aux moyens d'attaque) avait sur la nôtre un avantage.

111

Cette tour est celle qui commande la porte Laufer.

112

Les cinq tours sont bâties sur le même modèle.

113

Voyez CRÉNAUX, fig. 19.

114

Sauf ces guettes, les tours de Nuremberg sont intactes. Les guettes sont indiquées dans d'anciennes gravures (voyez Mérian, Cosmogr. univers.).

115

De notre temps, la fumeuse tour Malakof, qui était un ouvrage à commandement élevé, fut détruite dès les premiers moments du siége, et la résistance de ce point dépendit des ouvrages de terre qui furent élevés autour de la première défense.

116

Voyez la Monographie du château de Salces par M. le capitaine Ratheau (Paris, 1860, Tanera). Cette étude, très-bien faite, de cette ancienne place en donne l'idée la plus complète.

117

Plans et profils des principales villes et lieux considérables de la principauté de Catalogne. Paris, 168...

118

Monogr. du château de Salces.

119

Voyez ARCHITECTURE MILITAIRE, fig. 11. C'est la tour marquée O sur le plan.

120

Tour de la Peyre, fig. 13, 14, 15, 16 et 17.

121

Cet ouvrage dépend de l'enceinte bâtie sous le règne de saint Louis.

122

La tour du Trésau est marquée M sur ce plan. (Voyez aussi l'article PORTE, fig. 18.)

123

Ce château, qui dépendait du Valois, fut rebâti en partie par Louis d'Orléans, quand ce prince fortifia son duché pendant la maladie de Charles VI. Le château de Montépilloy, situé sur une hauteur, commandant la route de Senlis à Crespy, servit de point d'appui aux armées des partis qui manoeuvrèrent dans cette contrée pendant les guerres du XVe et du XVIe siècle. Il fut démantelé après l'entrée de Henri IV à Paris.

124

Plus tard Louis d'Orléans fit détruire une partie de cette chemise, et bâtir u

125

Pour plus de clarté, nous n'avons pas présenté la passerelle avec ses piles en coupe, mais en élévation latérale.

126

Voyez MÂCHICOULIS, fig. 6 et 7.

127

Beaucoup de ces tours étaient couronnées de pinacles isolés les uns des autres.

128

Voyez le plan du palais archiépiscopal de Narbonne à l'article PALAIS, fig. 11, 12 et 13.

129

Voyez la Guyenne militaire, par M. Léo Drouyun, t. II, p. 158 et suiv.

130

Voyez la Guyenne militaire, t. II, p. 162. M. Léo Drouyn donne, sur cette petite place, de curieux détails auxquels nous engageons nos lecteurs à recourir.

131

Voyez la Guyenne militaire, pl. 132.

132

Voyez CHÂTEAU, fig. 7.

133

Voyez CHÂTEAU, fig. 24, et DONJON, fig. 41, 42, 43 et 44.

134

Ces deux tours avaient été renversées par la mine. Leurs fragments, en quartiers énormes, gisaient sur le sol; c'est à l'aide de ces débris que ces ouvrages ont été restaurés. Les hauteurs d'étages étaient d'ailleurs indiquées par les amorces sur les bâtiments voisins conservés.

135

Chacune des huit tours du château de Pierrefonds portait le nom du preux dont la statue est placée sur le parement extérieur. La statue de Charlemagne remplissait la niche pratiquée au sommet du cylindre de la tour d'angle du donjon. (Voyez la Notice sur le château impérial de Pierrefonds, 4e édition.)

136

Voyez DONJON, fig. 41, 42 et 43.

Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 9 - (T - U - V - Y - Z)

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