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Gustave Aimard
JIM L’INDIEN
Présentation de l’œuvre
ОглавлениеJim l’Indien est paru sous la double signature de Gustave Aimard et Jules Berlioz d’Auriac. Il n’est pas le seul. Douze romans en tout, publiés chez Degorce-Cadot, ont eu droit à cette double signature. En 1866 et 1867, ils sont pourtant parus une première fois chez Brunet, sous la seule signature de Jules Berlioz d’Auriac : ce sont d’abord, en 1866 L’Esprit blanc, L’Aigle noir des Dacotahs, Les Pieds Fourchus, Le Mangeur de poudre, Rayon de Soleil et Les Scalpeurs des Ottawas ; en 1867, ce sont Les Forestiers du Michigan, Œil de Feu, Cœur de Panthère, Les Terres d’or, Jim l’Indien et La Caravane des sombreros. Ce n’est qu’en 1878 et 1879 que ces œuvres reparaissent sous la double signature d’Aimard et de Jules Berlioz d’Auriac. Il y aurait donc eu accaparement des œuvres par Aimard, offrant en échange sa célébrité à un Jules Berlioz d’Auriac qui n’avait pas la sienne. Une telle interprétation paraît convaincante si l’on observe la lettre même des œuvres. Le style, plus descriptif que celui de Gustave Aimard, la description d’une Amérique plus réaliste que la prairie abstraite d’Aimard, la vision des Indiens et de leurs oppositions assez éloignée de celle que l’on retrouve généralement, le choix même d’une région qui n’est pas celle que préfère l’écrivain, bien des traits semblent confirmer qu’il n’est pas l’auteur véritable de ces œuvres.
Les choses se compliquent lorsqu’on découvre, avec Simon Jeune (Les types américains dans le roman et le théâtre français), que les romans de Jules Berlioz d’Auriac sont sans doute dus en réalité à la plume d’auteurs américains que Simon Jeune ne nomme pas. Nous n’avons pu le vérifier, mais le cadre et le titre laissent à penser que Jim l’Indien soit en réalité la traduction – ou l’adaptation – d’un dime novel de Edward Stewart Ellis, Indian Jim. A Tale of the Minnesota Massacre, publié chez Beadle and Adams en 1864 dans la revue Beadle’s Dime Novel, puis dans divers dime novels, la texte ayant connu un succès certain aux États-unis (il a même été publié en Grande-Bretagne dans un penny dreadful). Nous n’avons pu vérifier la relation, mais il y a de fortes chances qu’il s’agisse de l’œuvre originale. L’attention aux settlers et aux colons, la référence implicite aux massacres de 1862, la haine pour les Indiens et la volonté de mettre en cause la vision angélique des « sauvages » (à travers l’expérience de Halleck) telle qu’elle avait prévalu à l’époque de Fenimore Cooper renvoie nettement aux œuvres du second roman de l’Ouest écrit par les Américains, celui qui a fait les beaux jours des dime novels. Le rythme de la colonisation américaine a exacerbé les affrontements entre les Blancs et les autochtones : à force de voir leurs terres progressivement confisquées par les nouveaux colons, les Indiens se sont révoltés de plus en plus fréquemment ; les incidents se sont multipliés, et les Indiens apparaissent désormais comme une menace permanente. En parallèle, la pression constante des nouveaux immigrés américains impose une politique de dévalorisation du « sauvage » afin de justifier la politique d’annexion des terres indiennes. Edward S. Ellis a été l’un des principaux auteurs de cette seconde vague, et il a en particulier écrit une série d’ouvrages consacrés aux massacres opérés par les Indiens dans les années 1860.
Edward Sylvester Ellis (1840-1916) fut l’un des plus fameux auteurs de dime novels, ces fascicules bon marchés qui firent les beaux jours des lecteurs américains avant d’être remplacés par les pulps. Il est l’auteur du premier dime publié par la maison Beadle, Seth Jones, or The Captives of the Frontier, qui a sans doute connu le plus gros succès de l’histoire du dime puisqu’il s’est vendu à près de 600 000 exemplaires. Ses autres œuvres fameuses sont The Life of Colonel David Crockett, qui contribua fortement à la légende du pionnier, Bill Biddon, Trapper (1860), ou encore The Lost Trail (1864). Outre ces récits de l’Ouest américain, Ellis a également écrit de nombreux romans d’aventures géographiques, à cette époque où le western ne s’était pas encore bien différencié du roman d’aventures géographiques. Ellis était enseignant, et avait en partie construit sa fortune littéraire en disant utiliser, pour écrire ses récits, ses souvenirs des exploits d’un oncle coureur des bois. En réalité, il s’inspirait largement de l’œuvre de Fenimore Cooper, qu’il adaptait à la jeunesse et aux goûts du public populaire. Son personnage le plus fameux, l’Indien Deerfoot (Hunters of the Ozark, The Camp in the Mountains et The last War Trail, republiés avec les titres Deerfoot in the Forest, Deerfoot in the Prairie, Deerfoot in the Mountains) rappelle d’ailleurs Les compagnons de Deerslayer de Cooper. À partir des années 1890, Ellis s’est mis à écrire des ouvrages historiques, parmi lesquels une fameuse biographie de Jefferson.
Que Jim l’Indien appartienne aux œuvres d’Aimard, de Jules Berlioz d’Auriac, à celles d’Edward Sylvester Ellis ou d’un mystérieux quatrième écrivain, il s’agit d’un exemple intéressant de la vision populaire de l’Amérique qui prévalait avant l’avènement du western cinématographique.
Ces informations sont en partie tirées de l’excellent numéro 13 du Rocambole consacré à Gustave Aimard.