Lettres d'un voyageur

Lettres d'un voyageur
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Жорж Санд. Lettres d'un voyageur

PRÉFACE

I

II

III

IV. A JULES NÉRAUD

A ROLLINAT

AU MALGACHE

A ROLLINAT

V. A FRANÇOIS ROLLINAT

VI. A ÉVERARD

VII. A FRANZ LISTZ

VIII. LE PRINCE

IX. AU MALGACHE

X. A HERBERT

XI. A GIACOMO MEYERBEER

XII. A M. NISARD

Отрывок из книги

J'étais arrivé à Bassano à neuf heures du soir, par un temps froid et humide. Je m'étais couché, triste et fatigué, après avoir donné silencieusement une poignée de main à mon compagnon de voyage. Je m'éveillai au lever du soleil, et je vis de ma fenêtre s'élever, dans le bleu vif de l'air, les créneaux enveloppés de lierre de l'antique forteresse qui domine la vallée. Je sortis aussitôt pour en faire le tour et pour m'assurer de la beauté du temps.

Je n'eus pas fait cent pas que je trouvai le docteur assis sur une pierre, et fumant une pipe de caroubier de sept pieds de long qu'il venait de payer huit sous à un paysan. Il était si joyeux de son emplette, et tellement perdu dans les nuées de son tabac, qu'il eut bien de la peine à m'apercevoir. Quand il eut chassé de sa bouche le dernier tourbillon de fumée qu'il put arracher à ce qu'il appelait sa pipetta, il me proposa d'aller déjeuner à une boutique de café sur les fossés de la citadelle, en attendant que le voiturin qui devait nous ramener à Venise eût fini de se préparer au voyage. J'y consentis.

.....

… J'étais assis sur une roche un peu au-dessus du chemin. La nuit descendait lentement sur les hauteurs. Au fond de la gorge, en remontant toujours le torrent, mon œil distinguait une enfilade de montagnes confusément amoncelées les unes derrière les autres. Ces derniers fantômes pâles qui se perdaient dans les vapeurs du soir, c'était le Tyrol. Encore un jour de marche, et je toucherais au pays de mes rêves. – De ces cimes lointaines, me disais-je, sont partis mes songes dorés. Ils ont volé jusqu'à moi, comme une troupe d'oiseaux voyageurs; ils sont venus me trouver quand j'étais un enfant tout rustique, et que je conduisais mes chevreaux en chantant la romance d'Engelwald le long des traînes de la Vallée-Noire. Ils ont passé sur ma tête pendant une pâle nuit d'hiver, quand je venais d'accomplir un pèlerinage mystérieux vers d'autres illusions que j'ai perdues, vers d'autres contrées où je ne retournerai pas. Ils se sont transformés en violes et en hautbois sous les mains de Brod et de Urban, et je les ai reconnus à leurs voix délicieuses, quoique ce fût à Paris, quoiqu'il fallût mettre des gants et supporter des quinquets en plein midi pour les entendre. Ils chantaient si bien, qu'il suffisait de fermer les yeux pour que la salle du Conservatoire devînt une vallée des Alpes, et pour que Habeneck, placé, l'archet en main, à la tête de toute cette harmonie, se transformât en chasseur de chamois, Engelwald au front chauve, ou quelque autre. Beaux rêves de voyage et de solitude, colombes errantes qui avez rafraîchi mon front du battement de vos ailes, vous êtes retournés à votre aire enchantée, et vous m'attendez. Me voici prêt à vous atteindre, à vous saisir; m'échapperez-vous comme tous mes autres rêves? Quand j'avancerai la main pour vous caresser, ne vous envolerez-vous pas, ô mes sauvages amis? N'irez-vous pas vous poser sur quelque autre cime inaccessible où mon désir vous suivra en vain?

J'avais pris dans la journée, sous un beau rayon de soleil, quelques heures de repos sur la bruyère. Afin d'éviter la saleté des gîtes, je m'étais arrangé pour marcher pendant les heures froides de la nuit et pour dormir en plein air durant le jour. La nuit fut moins sereine que je ne l'avais espéré. Le ciel se couvrit de nuages et le vent s'éleva. Mais la route était si belle, que je pus marcher sans difficulté au milieu des ténèbres. Les montagnes se dressaient à ma droite et à ma gauche comme de noirs géants; le vent s'y engouffrait et courait sur leurs croupes avec de longues plaintes. Les arbres fruitiers, agités violemment, semaient sur moi leurs fleurs embaumées. La nature était triste et voilée, mais toute pleine de parfums et d'harmonies sauvages. Quelques gouttes de pluie m'avertirent de chercher un abri dans un bosquet d'oliviers situé à peu de distance de la route; j'y attendis la fin de l'orage. Au bout d'une heure, le vent était tombé, et le ciel dessinait au-dessus de moi une longue bande bleue, bizarrement découpée par les anfractuosités des deux murailles de granit qui le resserraient. C'était le même coup d'œil que nous avions en miniature à Venise, quand nous marchions le soir dans ces rues obscures, étroites et profondes, d'où l'on aperçoit la nuit étendue au-dessus des toits, comme une mince écharpe d'azur semée de paillettes d'argent.

.....

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