Marquis de Sade: Juliette ou les Prospérités du vice
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Marquis de Sade. Marquis de Sade: Juliette ou les Prospérités du vice
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Juliette ou les Prospérités du vice
PREMIÈRE PARTIE
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Lorsque les lois se promulguèrent, lorsque le faible consentit à la perte d’une portion de sa liberté pour conserver l’autre, le maintien de ses possessions fut incontestablement la première chose dont il désira la paisible jouissance, et le premier objet des freins qu’il demanda. Le plus fort consentit à des lois auxquelles il était sûr de se soustraire: elles se firent. On promulgua que tout homme posséderait son héritage en paix, et que celui qui le troublerait dans la possession de cet héritage éprouverait une punition. Mais là il n’y avait rien à la nature, rien qu’elle dictât, rien qu’elle inspirât; tout était l’ouvrage des hommes, divisés pour lors en deux classes: la première, qui cédait le quart pour obtenir la jouissance tranquille du reste; la seconde, qui, profitant de ce quart, et voyant bien qu’elle aurait les trois autres portions quand elle voudrait, consentait à empêcher, non que sa classe dépouillât le faible, mais que les faibles ne se dépouillassent point entre eux, pour qu’elle pût seule les dépouiller plus à l’aise. Ainsi le vol, seule institution de la nature, ne fut point banni de dessus la terre, mais il exista sous d’autres formes: on vola juridiquement. Les magistrats volèrent en se faisant payer pour une justice qu’ils devaient rendre gratuitement. Le prêtre vola en se fanant payer pour servir de médiateur entre l’homme et son Dieu. Le marchand vola en accaparant, en faisant payer sa denrée un tiers de plus que la valeur intrinsèque qu’elle avait réellement. Les souverains volèrent en imposant sur leurs sujets des droits arbitraires de taxes, de tailles, etc. Toutes ces voleries furent permises, toutes furent autorisées sous le précieux nom de droits, et l’on n’imagina plus de sévir que contre les plus naturelles, c’est-à-dire contre le procédé tout simple d’un homme qui, manquant d’argent, en demandait, le pistolet à la main, à ceux qu’il soupçonnait plus riches que lui, et cela sans songer que les premiers voleurs, auxquels on ne disait mot, devenaient l’unique cause des crimes du second… la seule qui le contraignît à rentrer, à main armée, dans des propriétés que ce premier usurpateur lui ravissait si cruellement. Car, si toutes ces voleries ne furent que des usurpations qui nécessitaient l’indigence des êtres subalternes, les seconds vols de ces êtres inférieurs, rendus nécessaires par ceux des autres, n’étaient plus des crimes: ils étaient des effets secondaires nécessités par des causes majeures; et, dès que vous autorisiez cette cause majeure, il vous devenait légalement impossible d’en punir les effets; vous ne le pouviez plus sans injustice. Si vous poussez un valet sur un vase précieux, et que de sa chute il brise ce vase, vous n’êtes plus en droit de le punir de sa maladresse: vous ne devez vous en prendre qu’à la cause qui vous a contraint de le pousser. Lorsque ce malheureux cultivateur, réduit à l’aumône par l’immensité des taxes que vous lui imposez[12], abandonne sa charrue, s’arme, et va vous attendre sur le grand chemin, si vous punissez cet homme, certes, vous commettez une grande infamie; car ce n’est pas lui qui a manqué, il est le valet poussé sur le vase: ne le poussez pas, il ne brisera rien; et si vous le poussez, ne vous étonnez pas qu’il brise. Ainsi ce malheureux, en allant vous voler, ne commet donc point un crime: il tâche à rentrer dans des biens que vous lui avez précédemment usurpés, vous ou les vôtres; il ne fait rien que de naturel; il cherche à rétablir l’équilibre qui, en morale comme en physique, est la première des lois de la nature; il ne fait rien que de juste. Mais ce n’est point là ce que je voulais démontrer; il ne faut point de preuves, il n’est pas besoin d’arguments pour prouver que le faible ne fait que ce qu’il doit en cherchant à rentrer dans des possessions envahies: ce dont je veux vous convaincre, c’est que le fort ne commet lui-même ni crime, ni injustice, en tâchant de dépouiller le faible, parce que c’est ici le cas où je me trouve; c’est l’acte que je me permets tous les jours. Or, cette démonstration n’est pas difficile, et l’action du vol, dans ce cas, est assurément bien mieux dans la nature que sous l’autre rapport; car ce ne sont pas les représailles du faible sur le fort qui véritablement sont dans la nature; elles y sont au moral, mais non pas au physique, puisque, pour employer ces représailles, il faut qu’il use de forces qu’il n’a point reçues, il faut qu’il adopte un caractère qui ne lui est point donné, qu’il contraigne en quelque sorte la nature. Mais ce qui, vraiment, est dans les lois de cette mère sage, c’est la lésion du fort sur le faible puisque, pour arriver à ce procédé, il ne fait qu’user des dons qu’il a reçus. Il ne revêt point, comme le faible, un caractère différent du sien: il ne met en action que les seuls effets de celui qu’il a reçus de la nature. Tout ce qui résulte de là est donc naturel: son oppression, ses violences, ses cruautés, ses tyrannies, ses injustices, tous ces jets divers du caractère imprimé dans lui par la main de la puissance qui l’a mis au monde, sont donc tout simples, sont donc purs comme la main qui les grava; et lorsqu’il use de tous ses droits pour opprimer le faible, pour le dépouiller, il ne fait donc que la chose du monde la plus naturelle. Si notre mère commune eût voulu cette égalité que le faible s’efforce d’établir, si elle eût vraiment désiré que les propriétés fussent équitablement partagées, pourquoi aurait-elle créé deux classes, une de forts, l’autre de faibles? N’a-t-elle donc pas suffisamment prouvé, par cette différence, que son intention était qu’elle eût lieu dans les biens comme dans les facultés corporelles? Ne prouve-t-elle pas que son dessein est que tout soit d’un côté et rien de l’autre, et cela précisément pour arriver à cet équilibre, unique base de toutes ses lois? Car, pour que l’équilibre soit dans la nature, il ne faut pas que ce soient les hommes qui l’établissent; le leur dérange celui de la nature: ce qui nous paraît le contrarier à nos yeux est justement ce qui l’établit aux siens, et cela par la raison que, de ce défaut d’équilibre, selon nous, résultent les crimes par lesquels l’ordre s’établit chez elle. Les forts s’emparent de tout: voilà le défaut d’équilibre, eu égard à l’homme. Les faibles se défendent et pillent le fort: voilà des crimes qui établissent l’équilibre nécessaire à la nature. N’ayons donc jamais de scrupules de ce que nous pourrons dérober au faible, car ce n’est pas nous qui faisons le crime, c’est la défense ou la vengeance du faible qui le caractérise: en volant le pauvre, en dépouillant l’orphelin, en usurpant l’héritage de la veuve, l’homme ne fait qu’user des droits qu’il a reçus de la nature. Le crime consisterait à n’en pas profiter: l’indigent, qu’elle offre à nos coups, est la proie qu’elle livre au vautour. Si le fort a l’air de troubler l’ordre en volant celui qui est au-dessous de lui, le faible le rétablit en volant ses supérieurs, et tous les deux servent la nature.
En remontant à l’origine du droit de propriété, on arrive nécessairement à l’usurpation. Cependant le vol n’est puni que parce qu’il attaque le droit de propriété; mais ce droit n’est lui-même originairement qu’un vol: donc la loi punit le vol de ce qu’il attaque le vol, le faible de ce qu’il cherche à rentrer dans ses droits, et le fort de ce qu’il veut ou établir ou augmenter les siens, en profitant de ce qu’il a reçu de la nature. Peut-il exister au monde une plus affreuse inconséquence? Tant qu’il n’y aura aucune propriété légitimement établie (et il ne saurait y en avoir aucune), il sera très difficile de prouver que le vol soit un crime, car ce que le vol dérange d’un côté, il le rétablit de l’autre, et la nature ne s’intéressant pas plus au premier de ces côtés qu’au second, il est parfaitement impossible qu’on puisse constater l’offense à ses lois, en favorisant l’un de ces côtés plus que l’autre.
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