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I
LA MARCHE DES BÛCHERONS

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Le soleil déclinait. Le vent d'est mouillait la crête des mottes, activait la moisissure des feuilles tombées, et couvrait les troncs d'arbres, les baliveaux, les herbes sans jeunesse et molles depuis l'automne, d'un vernis résistant comme celui que les marées soufflent sur les falaises. La mer était loin cependant, et le vent venait d'ailleurs. Il avait traversé les forêts du Morvan, pays de fontaines où il s'était trempé, celles de Montsauche et de Montreuillon, plus près encore celle de Blin; il courait vers d'autres massifs de l'immense réserve qu'est la Nièvre, vers la grande forêt de Tronçay, les bois de Crux-la-Ville et ceux de Saint-Franchy. L'atmosphère semblait pure, mais dans tous les lointains, au-dessus des taillis, à la lisière des coupes, dans le creux des sentiers, quelque chose de bleu dormait, comme une fumée.

– Tu es sûr, Renard, que le chêne a cent soixante ans?

– Oui, monsieur le comte, il porte même son âge écrit sur son corps: voilà les huit traits rouges; je les ai faits moi-même, au moment du balivage.

– Eh! oui, tu l'as sauvé, et maintenant on veut que je le condamne à mort! Non, Renard, je ne peux pas! Cent soixante ans! Il a vu cinq générations de Meximieu…

– Ça fait tout de même le trente-deuxième bisancien qu'on épargne! A ces âges-là, en terre médiocre, comme chez nous, le chêne ne grossit plus, il ne fait que mûrir. Enfin, monsieur le comte est libre; il s'arrangera avec monsieur le marquis.

Le garde se tut. Sa figure rougeaude et rasée exprimait le dédain d'un sous-ordre qui fut omnipotent, pour l'administration qui lui a succédé. Il était debout, un peu en arrière, coiffé d'une cape de velours vert, au chaud et à l'aise dans un complet de velours de même nuance que la cape; ses mains, croisées sur son ventre, tenaient un carnet entr'ouvert: «État des arbres anciens du domaine de Fonteneilles», et ses jambes, trop grêles pour ce gros corps, lui donnaient l'air d'une marionnette allemande posée sur des crins. Il considérait le patron. Le patron souriait au chêne et lui disait tout bas: «Allons! mon bel ancien, te voilà sauvé; je reviendrai te voir, quand tes feuilles auront poussé.» L'arbre montait, effilé, élégant, laissant tomber l'ombre vivante de ses branches sur les taillis dévastés.

– Vois-tu, Renard, reprit Michel de Meximieu, qui suivait sa pensée, je les aime bien, mes arbres: ils ne me demandent rien, je les connais de longue date, je vois leur pointe de la fenêtre de ma chambre, ils sont des amis plus sûrs que ceux qui les abattent.

– Race de fainéants, les bûcherons, monsieur le comte, de bracos, de propres à rien, de…

– Non, mon ami, non! S'ils ne faisaient que tuer mon gibier, je leur pardonnerais volontiers. Tout ce que je veux dire, c'est que ce sont des âmes diminuées, comme tant d'autres.

– Parbleu! les braconniers ne gênent pas ceux qui ne chassent pas: mais moi, je chasse! dit Renard à demi-voix.

Son maître n'eut pas l'air d'entendre. Il tenait dans sa main gauche, pendante le long du corps, une hachette à marteau pour marquer les arbres. Après un instant, il remit l'instrument dans la gaine de cuir pendue à sa ceinture. Il considérait maintenant le vaste chantier qu'il était venu inspecter, dix hectares de taillis presque entièrement coupé, où les bûcherons travaillaient encore, chacun dans sa ligne balisée, dans «son atelier», parmi les stères de bois empilé et les tas de ramille. A l'angle de cette coupe, vers l'est, une autre coupe s'amorçait, et il y avait entre elles un détroit sinueux, une gorge comme entre deux plaines.

– Allons! Renard, assez de cette vilaine besogne! Retourne au château! Tu diras à mon père que je reviendrai par le carrefour de Fonteneilles.

– Bien, monsieur le comte.

– Tu diras aussi à Baptiste d'atteler la victoria, pour conduire le général au train de Corbigny.

Le garde fit demi-tour à gauche, s'éloigna d'un pas vigoureux et relevé, et l'on entendit quelque temps le bruit de ses brodequins, qui heurtaient les cépées et brisaient les ronces.

Michel de Meximieu venait d'obéir à un ordre qui lui avait semblé dur et même humiliant. En mars, et plusieurs mois après la vente des bois, consentie à un marchand du pays, il avait dû, sur l'ordre de son père, sacrifier un grand nombre d'arbres primitivement réservés, les désigner lui-même à la cognée et, pour cela, les «contremarquer» en effaçant les traits rouges et en donnant un coup de marteau dans le flanc de l'arbre. Peut-être en avait-il trop épargné, comme disait Renard; mais lui, il s'accusait et il souffrait d'avoir trop bien obéi.

Michel était un homme jeune, vigoureux et laid. Sa laideur venait d'abord d'un défaut de proportions. Il était de taille moyenne, mais les jambes étaient longues, et le buste était court et la tête massive. Aucune régularité, non plus, aucune harmonie, dans ce visage qu'on eût dit sculpté par la main réaliste et puissante d'un ouvrier du moyen âge: un front bas sous des cheveux châtains, durs, qui faisaient éperon au milieu, sur la peau mate; des yeux bleus, enfoncés et légèrement inégaux; un nez large; de longues lèvres, – le plus expressif de ses traits, lèvres rasées, lèvres d'orateur peut-être, si l'occasion et l'éducation avaient servi le fils du marquis de Meximieu; – enfin une mâchoire carrée, que les mots desserraient à peine, et que le silence fermait tout de suite comme un étau. Il manquait de charme et de beauté, mais la physionomie exprimait une qualité maîtresse: la volonté. Elle témoignait, non pas d'une énergie en réserve et inactive encore, mais exercée et déjà victorieuse. De quelles tentations? De quelles révoltes? Le visage est un livre où les causes ne sont pas toutes écrites. On lisait seulement sur celui de Michel de Meximieu: «J'ai lutté»; on devinait que ce jeune homme n'était pas, comme tant d'autres, ébloui par la vie, et qu'il l'avait jugée. Deux rides légères bridaient la bouche, comme un mors. Le sourire seul, chez lui, demeurait jeune et cordial: mais il était rapide.

En ce moment, Michel ne souriait pas. Les sourcils rapprochés, les paupières abaissées par l'effort de ses yeux qui s'adaptaient aux lointains, il étudiait les ouvriers répandus au loin dans la coupe, cherchant à reconnaître l'un d'entre eux, auquel il voulait parler. Il allait aborder un bûcheron socialiste, et l'idée ne lui serait pas venue de quitter ses gants. Il savait que ce ne sont pas les différences qui blessent, mais l'orgueil qui les porte. Quand il eut parcouru du regard le vaste chantier forestier, et constaté que Gilbert Cloquet ne s'y trouvait pas:

– Je vais demander au gendre, pensa-t-il, où est Gilbert.

Et, enjambant les branches abattues, tournant les longues piles de rondin ou de charbonnette encordée, il s'avança vivement jusqu'au milieu de la coupe.

Un homme jeune travaillait là, et relevait des brins de moulée qu'il empilait entre des pieux. Il entendait venir le patron. Il l'avait aperçu de loin. Mais il le laissa approcher jusqu'à trois pas, sans le saluer. Michel de Meximieu a l'habitude. Il parlera le premier. La petite blessure, faite d'amour-propre et d'amitié méconnue, saigne intérieurement. Mais la voix ne trahit rien.

– Eh bien! Lureux, il va geler cette nuit, si le vent cède?

Une voix jeune aussi, plus sèche, répond:

– Il ne cédera pas.

Et dans le ton de ces paroles, dans la façon d'appuyer sur le mot «céder», dans le rapide sourire qui relève les moustaches tombantes à la gauloise, on peut deviner que Lureux, en parlant du vent, pense à une autre force qui, elle non plus, ne cédera pas.

Le bûcheron, qui venait de répondre cette phrase à double sens, était un homme à peine plus âgé que Michel, de taille au-dessus de la moyenne, au teint clair, et dont le visage, barré en diagonale d'une moustache fauve, toute mince et toute jeune, n'exprimait déjà plus que le contentement de soi-même et la résolution de ne point parler. Ses yeux, un instant animés et railleurs, avaient retrouvé tout de suite, entre les paupières à moitié closes, le regard simple des primevères jaunes qu'on voit luire entre deux feuilles. Il avait jeté sa jaquette sur un tas de ramilles. Sa chemise à carreaux violets, son pantalon de gros drap brun, laissaient voir un corps admirablement fait, souple et exercé.

Autour de l'ouvrier, dans la coupe, des stères de bois empilé s'alignaient comme des murs, jetés dans toutes les directions, et sur l'un de ces murs, à l'extrémité d'un tas de «moulée blanche» qui est le bois de tremble et de bouleau, un petit gars rose et frisé, enfant de quelqu'un de travailleurs égaillés dans la forêt, était assis, les jambes pendantes, les sabots pendants aussi et tenus en équilibre sur le bout des orteils. Lureux le considérait, pour ne pas regarder le patron, et pour marquer sa volonté de ne pas continuer la conversation. Les camarades, au loin, devaient l'observer, et il tenait à se montrer impoli, moins par la haine personnelle que par crainte qu'on ne l'accusât de causer avec les bourgeois. Michel comprit, et demanda:

– Où est donc votre beau-père, je ne le vois pas?

– Par là, dit l'homme en désignant la gauche; il abat un ancien, il a fini le taillis.

– Merci, Lureux, au revoir!

– Au revoir, monsieur!

Et il suivit d'un regard dédaigneux le patron qui s'éloignait.

Celui-ci sortit de la clairière et entra sous bois. A moins de cent mètres, il aperçut l'homme qu'il cherchait. Le bûcheron abattait un «ancien» marqué au flanc. Il frappait obliquement. Le fer de la cognée s'enfonçait plus avant, à chaque coup, dans le pied palmé de l'arbre, faisait voler un copeau, humide et blanc comme une tranche de pain, et se relevait pour retomber. Il luisait, limé et mouillé de sève par le bois vivant. Le corps de l'ouvrier suivait le mouvement de la hache. Tout l'arbre frémissait, même les radicelles dans le profond de la terre. Une chemise, un pantalon usé, collé aux jambes par la sueur, décalquaient le squelette de l'homme, les omoplates saillantes, les côtes, le bassin étroit, les longs fémurs à peine recouverts de muscles, et pareils à des cotrets vêtus d'écorce molle. L'ombre enveloppait les yeux clairs; l'orbite était creuse, blessure élargie par la souffrance du cœur. Deux entailles dans la chair, deux coups de pouce, appuyés par un autre modeleur au bas des pommettes, disaient: «Celui-là, dans les jours de moisson, dans les forêts en coupe, a lui-même fondu sa graisse et sculpté son corps.» Le maigre cou disait: «La bise a raboté l'aubier, et n'a laissé que le bois dur.» Ses mains, paquets de veines, de tendons, de muscles secs, maladroites pour les petits travaux et sûres pour les efforts vigoureux, disaient: «Toute une vie de hardiesse et d'endurance s'est exprimée par nous; nous témoignons qu'elle fut rude, et qu'elle fit bonne mesure aux labeurs commandés.»

– Bonjour, Gilbert!

– Bonjour, monsieur Michel!

La cognée reposait à terre; une main soulevait la casquette à oreilles, l'autre se tendait; la figure lasse du bûcheron se pencha, et s'éclaira, comme la hache, d'un rayon. Et c'était un visage qui avait été beau. Cinquante années de misère l'avaient émacié, mais les traits étaient demeurés droits et fins, et la barbe encore blonde l'allongeait noblement et donnait à Gilbert Cloquet l'air d'un homme du Nord, Scandinave ou normand, descendu parmi les herbages et les forêts du Centre.

– Eh bien! Gilbert, je suppose que tu n'es pas satisfait de ce qui se passe? J'ai entendu encore le clairon hier soir. Ce n'est pas la grève déclarée, mais une menace pour nous, et, pour vous, une répétition. Crois-tu à une nouvelle grève?

Le bûcheron, passant la main sur sa barbe longue, cligna les yeux et considéra les taillis qui commençaient à brunir.

– Je n'y crois pas, dit-il d'une voix mesurée; ils veulent faire peur, comme vous dites, pour que les prix ne baissent pas. Mais ça ne recommencera pas tout de suite… Il faut l'espérer, monsieur Michel, car j'ai bien besoin de travailler, plus que d'autres…

Il se tut, et Michel comprit que Gilbert Cloquet faisait allusion à cette coquette et dépensière Marie Lureux, «La Lureuse» sa fille, qui avait mangé, peu à peu, tout le bien de ce pauvre. Les coups sourds des haches coupant le taillis passaient dans le vent. Le jeune homme reprit:

– Tu es du syndicat, toi aussi, et tu payes tes cinq sous par mois: ça m'a toujours étonné.

– Oui, je suis avec eux par le cœur, pas toujours par la tête.

– Et tu obéis pourtant à tout ce qu'ils commandent! Un homme de ton âge!

– Ça, c'est le parti qui le veut, monsieur Michel. Mais il y a des fois où je prends sur moi pour rester avec eux.

– Quels maîtres vous vous donnez, mes pauvres!.. Vous ne gagnez pas au change! Enfin, ce n'est pas cela que je venais te dire. J'ai, près du château, une petite coupe de bois que je n'ai pas vendue au marchand. C'est ma provision pour l'hiver prochain. Veux-tu l'entreprendre? Je te donne la préférence, parce que tu es un vieil ami de la maison.

– Combien de journées à peu près?

– Une quinzaine. Peut-être plus. Tu as fini ton travail ici?

– Oui. Les camarades ont encore besoin d'une journée, pour finir. Mais moi, mon atelier s'est trouvé plus court, et vous voyez, j'abattais un des anciens qui ont été marchandés à Méhaut. Je peux aller dès demain matin dans votre réserve. C'est dit.

– Tu y seras seul, et je suis sûr que le travail sera bien fait. N'en parle pas, cela vaut mieux!

– Bien sûr!..

Le bûcheron tendit sa large main, pour sceller le contrat. Puis, gêné, hochant la tête à cause du déplaisir qu'il éprouvait:

– Monsieur Michel, puisque me voilà engagé, si vous vouliez m'avancer vingt francs sur le travail? Je ne sais pas comment je fais, pour tant dépenser!..

Michel tira un louis de son porte-monnaie, et le remit à Gilbert.

– Je le sais, moi, mon brave: tu es trop bon avec quelqu'un qui ne l'est guère. Adieu!

A ce moment, une sonnerie de clairon, aiguë, retentit au loin, à droite dans la forêt. Elle était militaire, et rappelait celle du couvre-feu. Rapide, pressée, impérative, elle finissait sur une note prolongée qui commandait le silence, la cessation, le repos. Elle fut répétée à quelques secondes d'intervalle, et cette fois, le pavillon du clairon devait être dirigé du côté où se trouvaient les deux hommes, car elle arriva plus nette et plus forte. Aussitôt, Gilbert Cloquet se détourna, pour prendre la vieille veste pendue à un arbre, et qu'il voulait jeter sur ses épaules pour le retour.

D'un mouvement prompt, avec une irritation non contenue, Michel se baissa, saisit la cognée tombée à terre, et, la levant sur le tronc du chêne:

– Tu laisses la besogne à moitié faite! En voilà une lâcheté! Je vais finir, moi!

Avec la sûreté d'un homme habitué aux exercices violents, il frappa dix fois, vingt fois, trente fois, sans se reposer. Les copeaux volaient. Cloquet riait. Une voix haletante cria, à la lisière du taillis:

– Qui est-ce qui cogne après le signal? Est-ce que tu n'entends pas?

Un coup, deux coups, trois coups de cognée plus forts que les autres lui répondirent seuls. L'arbre, tailladé tout autour du pied, porté sur un paquet de fibres, rompit cette amarre trop faible, se pencha, s'élança dans le vide, les branches en avant, rebondit sur ses membres brisés, fit un demi-tour sur lui-même et demeura étendu.

– Toute la forêt n'a pas obéi! dit Michel en jetant l'outil.

Il fouilla des yeux le taillis d'où la voix avait appelé. Mais il ne vit personne. L'homme, ayant constaté sans doute que l'infraction au pacte de servitude ne venait pas d'un syndiqué, avait rejoint les compagnons.

– Sans rancune, n'est-ce pas, Cloquet?

– Bien sûr, monsieur Michel! Ce n'est pas à moi que vous en voulez… Mais comme vous êtes blanc de figure!.. Ç'a été trop fort pour vous, ce travail-là… On dirait que vous êtes malade?..

– Non, ce n'est rien.

Le jeune homme avait mis une main sur son cœur qui battait trop vite. Il demeura un moment immobile, un peu troublé, les lèvres entr'ouvertes, respirant en mesure pour calmer son cœur. Puis le sourire parut, et effaça l'inquiétude.

– A demain?

Michel descendit la pente, boisée également, qui commençait près de là, sauta par-dessus le ruisseau, remonta l'autre pente, et entra dans une piste qui serpentait parmi de hauts taillis de dix-huit ans. Le soleil, à travers les branches, jetait sous bois une averse d'or rouge. Par moments, on voyait le haut des collines, qui sont au delà de l'étang de Vaux, tout empourpré. La forêt, anxieuse, sentait mourir en elle le soleil et la vie. Des millions de touffes d'herbes agitaient vers lui leurs bras souples. Les gros oiseaux s'effaraient. Déjà les merles, avec un cri de peur fanfaronne, avaient glissé, à mi-hauteur des baliveaux, vers les parties les plus fourrées du bois. Les dernières grives s'agitaient en criant à la pointe des chênes. Trois fois, Michel avait frémi au passage d'une bécasse qui «croûlait».

– Bonsoir, monsieur le comte!

Celui-ci, qui s'était arrêté au carrefour de deux sentiers et levait la tête pour écouter le soir, tressaillit au son de la voix gutturale qui le saluait. Mais, tout de suite maître de sa peur, il reconnut, presque à ses pieds, assis sur une pierre et tenant sa besace entre les jambes, un coureur de bois, barbu comme un griffon, et que les gens du pays craignaient sans qu'on pût dire pourquoi. Le mendiant n'avait ni âge certain, ni domicile connu. On l'appellait Le Grollier, à cause des poils aussi noirs que les plumes de grolle qui couvraient son visage, et au milieu desquels étincelaient deux yeux presque blancs, phosphorescents comme ceux d'un chien de berger ou d'un geai en maraude. Michel lui frappa sur l'épaule.

– Hé, Grollier, dit-il, je ne m'attendais pas à vous voir!

– On ne s'attend jamais à moi, répondit l'homme en soufflant la fumée de sa pipe. Vous écoutiez les oiseaux: eh oui! ce sont les plus petits qui chantent les derniers…

Puis, regardant fixement Michel, qui cherchait dans son porte-monnaie une pièce de dix sous, et la mettait sur la manche immobile de Grollier:

– Défiez-vous de Lureux, monsieur le comte; défiez-vous de Tournabien et de Supiat, si vous achetez des faucheuses…

– Je n'ai peur ni des uns ni des autres, Grollier, et personne ne sait ce que je ferai… Adieu!

Il porta la main à son feutre, et continua sa route.

– Qui diable a pu savoir que je pense à acheter des faucheuses pour mes prés?..

Il se rappela qu'à la foire de Corbigny, deux semaines plus tôt, il avait demandé des prix à un constructeur de machines. Et il se mit à rire. Puis l'autre propos du Grollier: «Les plus petits oiseaux sont ceux qui chantent les derniers», le ramena aux pensées qui l'occupaient avant cette rencontre.

En effet, c'était l'heure des chants menus qui décroissent. Les bouvreuils qui voyagent en mars, les pinsons, les verdiers qui ont jeûné l'hiver, sifflaient, mais sans changer leur chanson du jour, avec la confiance que demain serait bon, serait meilleur encore. «Au revoir, soleil, merci pour les premiers bourgeons picorés. Sous nos pattes, nous sentons déjà battre le torrent de jeunesse, les feuilles du printemps futur qui montent vers la lumière, toute la sève en mouvement dans les galeries secrètes, et qui va aux fenêtres, tout là-haut. Au revoir, soleil! Demain, quand tu renaîtras, que de parfums, que de bourgeons nouveaux, et que de moucherons pour nous!» Ils se laissaient glisser, un à un, vers les fourrés d'épines. Ils se turent; le soleil était descendu au-dessous de l'horizon. Alors les derniers oiseaux dirent leur adieu au jour. Ce furent les rouges-gorges, puis les mésanges, toute la tribu des grimpeuses, des fouilleuses de lichens, des exploratrices d'écorces, petits paquets de plumes grises qui ne prennent point de repos tant qu'il y a de la lumière, et dont le cri aigu achève la chanson des bêtes diurnes.

Michel connaissait toutes ces choses. Il sentit accourir, de l'extrême horizon, cette haleine de vent tiède, ce baiser qui remonte chaque soir les vagues de l'air, traverse les bois, roule sur les prés, se répand en douceur vivifiante sur toute la campagne, et touche la vie au passage, partout où elle est. Il ouvrit les lèvres et la poitrine à ce souffle unique, dont son sang fut renouvelé. Puis il continua sa route.

La lumière, maintenant, passait au-dessus des forêts. Un moment, par la percée d'un sentier, il aperçut l'eau encore éclatante de l'étang de Vaux, qui a cinq branches comme une feuille d'érable, et qui fait une étoile dans le sombre de la forêt. Puis il quitta la piste qu'il avait suivie jusque-là, se jeta à gauche dans une taille qu'il traversa rapidement, et, escaladant un haut remblai de terre moussue, se trouva à la lisière d'une des lignes principales du bois de Fonteneilles.

– Ah! vous voici, père! Je ne suis pas en retard?

– A l'heure militaire, mon ami, comme moi: j'arrive.

Sur la bande de terre caillouteuse et bombée entre les pentes d'herbe, le général attendait Michel, au rendez-vous que celui-ci avait fixé. Ayant été séparés toute l'après-midi, ils se retrouvaient à ce carrefour de deux chemins forestiers, dont l'un conduisait au château, tandis que l'autre, inclinant à l'ouest, menait droit au village de Fonteneilles: le père et le fils reviendraient ensemble, et M. de Meximieu partirait aussitôt pour Corbigny. Le général, debout à la lisière d'un de ses taillis, élégant, hautain, aisé, rappelait ces portraits de gentilshommes que les peintres, pour symboliser la richesse et la gloire, enveloppent volontiers d'un décor ample et négligé. Il était de la plus grande taille, très svelte encore malgré ses soixante-trois ans, le plus bel officier général de l'armée, disait la légende: tête petite, moustaches noires, barbiche grise, cheveux en brosse et presque blancs, des traits fermes et nets d'arêtes, un nez vigoureux, sec et légèrement courbé, à l'espagnole, la poitrine bombée, les jambes fines et droites, «pas une once de graisse et pas un rhumatisme», affirmait le général. Comme il avait monté à cheval après le déjeuner, il portait encore le costume que les Parisiens, habitués des promenades matinales au Bois, connaissent bien: le chapeau rond, la cravate bleue à grandes ailes, la jaquette et la culotte de drap anglais gris et les bottes demi-vénerie, la seule note brillante dans le ton mat de la tenue et du paysage. Ses mains étaient gantées de rouge; sa cravache d'osier tordu, à bout d'or, était enfoncée dans la botte droite. Le général laissa son fils s'approcher de lui, sans faire lui-même un mouvement: il était préoccupé; il tournait le dos au château et regardait obstinément, d'un air de défi et de mépris, dans la direction du sud-est, dans l'ogive formée par les chênes sans feuilles au-dessus du chemin forestier.

– Tu as entendu? demanda-t-il.

– Quoi?

– Ce qu'ils chantent? Écoute, ils viennent!

La force du vent, les accidents de terrain avaient empêché Michel d'entendre. Il entendit cette fois. Dans les bois, à gauche, de fortes voix, ardentes, musicales, chantaient l'Internationale. Les paroles, presque toutes, se noyaient dans les solitudes boisées; quelques-unes arrivaient, distinctes, aux oreilles des deux hommes debout, côte à côte, dans la ligne du bois, face au bruit qui grandissait.

– Les canailles! dit le général. Peut-on chanter ces horreurs-là!

– Ils sont ivres.

– C'est un vice de plus.

– De la haine qu'on leur a versée à pleine bouteille. Mais combien n'ont vu d'abord que l'étiquette! Elle était belle…

– Tu trouves? Le meurtre des officiers?

– Non, la fraternité.

– Écoute!

Les bûcherons approchaient. Le vent, sur ses ailes froides, portait leurs cris. Par moment, on eût dit des cantiques. Ils en avaient l'ampleur et la longue résonance à travers la forêt. La nuit commençante rendait l'espace attentif. Tout à coup, un groupe d'hommes déboucha par la gauche, dans l'étroite ligne, presque perpendiculaire à celle où se tenaient M. de Meximieu et son fils. Ils marchaient sans ordre; l'un d'eux portait un clairon en sautoir; plusieurs avaient sur l'épaule une perche, la «lance» qu'ils rapportaient de la coupe et dont l'extrémité, flexible, battait en arrière les feuilles du chemin. Le premier, en tête, c'était Ravoux, le président du syndicat des bûcherons de Fonteneilles, un pâle à la barbe noire, un théoricien, un exalté froid, qui ne chantait pas et dont les yeux avaient dû déjà découvrir les bourgeois. A côté de lui, deux jeunes gens tendaient leur poitrine au vent et riaient en chantant. Puis venait Lureux, avec une lance énorme, puis une dizaine d'autres, visages frustes, éveillés ou ternes, mouillés de sueur, poudrés de morceaux de feuilles, jeunes gens, hommes mûrs, tous vêtus de sombre, coiffés de casquettes ou de chapeaux de feutre mou, tous portant la carnassière ou la musette, que gonflaient d'un seul côté un litre vide et le reste de pain qu'on n'avait pas mangé. Quand ils débouchèrent sur le carrefour et qu'ils aperçurent les deux bourgeois immobiles à l'entrée du chemin de Fonteneilles, ils hésitèrent. La chanson s'arrêta dans la bouche ouverte des jeunes qui marchaient en avant. Mais Ravoux, qui ne chantait pas jusque-là, reprit le couplet d'une voix cuivrée, et noueuse comme un brin de frêne.

Les compagnons l'imitèrent. Une étincelle de joie illumina les yeux des hommes, la joie malsaine de vexer et d'injurier impunément l'adversaire. Ils passèrent. Presque tous cependant soulevèrent leur chapeau, et Ravoux fut du nombre. Plusieurs dirent, s'interrompant de chanter: «Bonsoir, messieurs.» Ils s'éloignèrent dans la direction du village. Une autre troupe arrivait, plus nombreuse.

– Ils reviennent de mes bois, dit M. de Meximieu, et ils insultent celui qui leur donne du pain! Tu les connais, ces gaillards?

Les têtes sortaient de l'ombre, une à une.

– Tous, répondit Michel.

Les hommes s'avançaient, criant ou muets, levant leur chapeau ou restant couverts.

Le jeune homme les nommait à mesure: Lampoignant, Trépard, Dixneuf, Bélisaire Paradis, Supiat, Gilbert Cloquet, – celui-là détournait la tête vers l'autre côté du bois, et saluait quand même, – Fontroubade, Méchin, Padovan, Durgé, Gandhon…

– Gandhon? mais, je le connais moi aussi! C'est un de mes cavaliers d'il y a cinq ans! Tu vas voir ce que je sais en faire! Gandhon?

De la bande un homme se détacha, un grand roux aux yeux rieurs et mobiles, qui avait, malgré le froid, les poignets de sa chemise relevés jusqu'au-dessus du coude et sa veste attachée au cou par un bouton et flottant en arrière.

– C'est bien toi, Gandhon, le cavalier de 1re classe du 3e escadron, à Vincennes, hein, je te reconnais?

En approchant, l'homme s'était découvert.

– Oui, mon général.

– A la bonne heure, tu ne restes pas coiffé comme ces malappris qui passent devant moi comme devant une borne. Tu es donc devenu amateur de grèves?

– Non, je sommes pas en grève, pour le moment.

– Comprends bien, ce n'est pas la grève que je te reprocherais; c'est ton droit; ma famille aussi est en grève.

Le bûcheron haussa les épaules, en riant.

– Vous voulez plaisanter, mon général!

– Mais non. La seule différence avec vous autres, c'est qu'elle est en grève depuis quatre cents ans, ma famille, et qu'elle en a profité pour servir le pays à peu près gratuitement dans l'armée, dans le clergé, dans la diplomatie. Nous n'avons pas changé de maître, nous autres, ni de chanson: c'est toujours la France. Mais toi, voyons, tu te souviens encore du régiment?

– Oui, mon général.

– Tu te rappelles nos manœuvres, en septembre? Et les charges? Et la revue?

– Oui, mon général.

– Est-ce qu'on était mal commandé, mal nourri, mal traité?

L'homme mit une seconde de réflexion avant de répondre, car il sentait que la «politique» allait être en cause. Il répondit: – Mon général, on était bien, je n'ai pas eu à me plaindre.

– Tu vois, Michel, tu vois: il a été formé à mon école, celui-là; il a du bon sens! Dis-moi, Gandhon, tu as tort de te mettre avec ces révoltés-là.

– C'est le parti.

– Du désordre.

– Possible!

L'homme s'était mis en garde, et son visage, qui jusque-là souriait avec embarras, devenait dur et défiant. Le général se redressa. Entre son fils et le bûcheron, il ressemblait à un chêne de futaie à côté de deux baliveaux. Le bras tendu, comme s'il donnait un ordre dans la cour du quartier:

– Je ne veux pas que tu te perdes avec ce monde-là, Gandhon! Je te connais, tu as mauvaise tête, mais, en cas de mobilisation, nous marcherons tous deux, et ce que tu chantais là, tu n'en penses pas un mot!

Il n'y eut pas de réponse.

Le général blêmit. Il s'avança.

– Ce n'est pas possible! Toi, mon soldat! Viens serrer la main de ton général!

Le bûcheron se reculait en ricanant. On l'attendait, on le surveillait. Tout à coup il tourna lentement sur lui-même, et courut en avant, dans la ligne déjà piétinée par les camarades.

– Dites donc, mon général, le règlement défend de tutoyer les soldats!

– C'est par amitié, tu le sais bien!

– Je n'en veux pas!..

Gandhon courait, à grandes enjambées, maladroites à cause des sabots, vers un groupe de camarades arrêtés à cinquante mètres de là. Ils reprirent leur marche. Une voix jeune lança de nouveau un des couplets haineux de la chanson haineuse. Dans l'immense paix trompeuse des bois, les mots passaient, et s'en allaient apprendre au loin que les pires passions politiques avaient envahi les campagnes.

Quand le bruit des pas et des voix eut cessé, M. de Meximieu cessa de regarder l'ombre bleue où tout ce mauvais songe avait disparu, et il regarda son fils, qui était debout à sa droite, son fils moins grand que lui, moins beau, moins bien taillé, semblait-il, pour la vie de lutte, d'audace et de défi. Quoique les ténèbres fussent lourdes déjà, Michel sentit la compassion dédaigneuse, l'espèce de désaveu dont toute sa jeunesse avait été accablée.

– Dis donc, mon petit, ton métier n'est pas drôle avec des brutes comme ces gens-là!

– Que voulez-vous, c'est l'aboutissement…

– De quoi?

– De bien des fautes… Aucun de nous n'est sans responsabilité.

– Ah! mais non! Moi, je n'en ai pas! Je n'en veux pas, de tes responsabilités! Dis-moi donc celle que j'ai eue?.. Quelle misérable espèce! Plus rien! Pas plus de cœur pour la France que mes Arabes de Blida! Et tu les défends!

Une seconde fois, Michel se sentit enveloppé de ce dédain qui s'étendait à tout, aux idées de Michel, à la profession de Michel, au corps médiocre de Michel, au silence que Michel avait gardé tout à l'heure, et que le général avait dû prendre pour de la peur. Il ne retrouva plus la force qu'il s'était promis d'avoir toujours, de discuter, de réfuter, d'expliquer, et de se montrer à la fois respectueux avec son père et conséquent avec soi-même. Il dit:

– Venez, mon père. Puisque vous devez être demain à Paris, venez…

Il releva le col de sa veste. Le général aussitôt déboutonna sa jaquette. Tous deux se mirent à marcher dans le chemin forestier qui ramenait au château. Il faisait très froid; le vent avait déjà bu, sur les branches, la tiédeur amassée pendant le jour; il rebroussait les brindilles, courbait les gaulis et leur arrachait une plainte monotone, comme celle des vies pauvres. L'odeur des feuilles mortes montait plus vive dans l'ombre. Au-dessus des branches, les hauteurs du ciel étaient pâles, et des étoiles commençaient à poindre.

– Reviendrez-vous? demanda Michel. J'ai à peine eu le temps de vous voir.

– Mon commandement à Paris est terriblement assujettissant, mon ami. Et puis il y a le monde, les relations. J'hésite toujours à prendre une permission. Cependant, tu m'as bien dit que le marchand de bois acceptait de payer les chênes nouvellement marqués, avant l'abatage?

– Oui.

– Je reviendrai alors pour l'échéance du 31. Tu as marqué tous les anciens des deux coupes?

– Presque tous.

– Comment, presque? Il me faut les trente mille francs que je t'ai demandés, en quatre termes, et, s'il est possible, en deux. Y sont-ils?

Michel fit un geste évasif.

– Je te dis qu'il me les faut! reprit M de Meximieu en haussant la voix: c'est à toi de les trouver; tu retourneras dans les coupes, dès demain; à défaut d'anciens, tu feras tomber des soixantes, et, à défaut de cadettes, des modernes.

– Non, mon père.

Les deux hommes s'arrêtèrent en plein bois, dans le vent, oublieux l'un et l'autre de l'heure qui pressait le départ. La main du marquis de Meximieu, – un paquet de fils d'acier où passait un courant électrique, – s'abattit sur l'épaule de Michel.

– Dis donc, qui est le maître ici? Je n'ai pas l'habitude de répéter mes ordres.

M. de Meximieu put entrevoir, levé vers lui, un visage aussi ferme, aussi rude d'expression que pouvait être le sien.

– Ce n'est pas possible, mon père. Qu'est-ce que vous faites de l'avenir du domaine?

– Il est à moi, je suppose.

– Vous oubliez que c'est aussi mon avenir, et que ma vie est ici, et que je ne peux pas ravager les bois…

Pour toute raison, le général reprit sa route, en disant:

– Je n'ai qu'une raison à te donner, mon ami, elle vaut toutes les autres: j'ai besoin d'argent.

Ils continuèrent à marcher, vite et sans plus parler, dans les ténèbres. Après quelques minutes la forêt s'ouvrit, les futaies s'écartèrent en ailes géantes hérissées tout au bout par le vent, et entre elles, sur le sol renflé qu'elles avaient dû longtemps occuper, Fonteneilles apparut dans le crépuscule, au milieu des champs libres et montants. C'était un château du XVIIIe siècle, élevé sur une terrasse: un seul étage au-dessus du rez-de-chaussée ayant sept fenêtres de façade; un toit de tuiles incliné et deux tours rondes, coiffées d'un toit pointu, mais qui ne dépassaient point en hauteur le reste de l'habitation. Ces tours formaient avant-corps aux deux extrémités; elles n'allongeaient point la façade, qui gardait son aspect austère, serré et tassé. Les deux hommes traversèrent une pelouse de peu d'étendue, montèrent les marches du petit escalier de pierre qui conduisait sur la terrasse où s'alignaient, en été, les orangers en caisses, et, tournant à droite, aperçurent dans la cour les lanternes de la victoria qui attendait.

M. de Meximieu qui, en marchant, avait changé non pas d'idée, mais d'humeur, s'arrêta. Il avait si peu vu son fils, pendant ces vingt-quatre heures de séjour à Fonteneilles! Tout un arriéré de questions se présenta à son esprit, en peloton. A l'angle du château dont le mur descendait en oblique et pénétrait dans le sol mouillé, il retint Michel.

– Tu es toujours bien avec tes voisins?

– Ni bien, ni mal, je les rencontre aux foires.

– Drôles de fêtes; pas mondaines. Tu vois Jacquemin, l'ancien lieutenant qui a servi sous mes ordres?

– Je le rencontre; la Vaucreuse est si près. Je suis même allé lui faire visite.

– Il paraît qu'il fait de l'agriculture qui rapporte? C'est un malin.

– C'est un simple.

– Il a une fille, qu'on dit jolie. Est-ce vrai?

– Une enfant: dix-sept ou dix-huit ans.

– Blonde comme la mère, n'est-ce pas?

– Oui, d'un blond rare: des gerbes d'or rouge et d'or jaune assemblées.

– Tiens! tu es connaisseur, mon petit? Sapristi, que la mère était jolie! Pauvre femme! Je me la rappelle, un soir, chez les Monthuilé. Elle n'était pas tout à fait belle, mais elle était la grâce, la joie, la vie.

– Vous l'avez beaucoup connue?

– Non, admirée au passage, saluée, retenue dans mes songes… comme tant d'autres. Et ton nouvel abbé, comment l'appelles-tu?

– Roubiaux.

– Il ne doit pas avoir eu d'agrément, depuis six mois qu'il est ici? Mais je parie que vous vous entendez bien, toi et lui. Tu es peut-être le plus clérical des deux?

– J'ignore, dit Michel sérieusement; nous n'avons jamais causé à fond. Mais il m'a fait bonne impression.

– Allons, tant mieux. Un petit Morvandiau, tout brun?

– Oui.

– Qui a les oreilles sans ourlet et la peau tannée? Timide en diable?

– Pas quand il faut être crâne.

– Oui, c'est lui que j'ai dû croiser hier en venant ici. Il a de fichus paroissiens.

Le général chercha son porte-monnaie, et en tira un billet de cent francs.

– Dis-moi, Michel, ça te fera plaisir de lui remettre cela pour ses œuvres. Ne me nomme pas, c'est inutile. Mais je viens si rarement à Fonteneilles que c'est bien le moins que j'y laisse une aumône.

En prenant le billet, Michel serra la main de son père, qui reprit aussitôt:

– Tu sais que je n'aime pas les effusions. Il est inutile de me remercier… Quoi encore? les réparations? Je n'ai plus le temps de t'en parler. Il y en a d'urgentes…

– Hélas! oui, je vous l'ai écrit…

– Mais je l'ai vu, mon ami, j'ai tout vu!.. le toit, l'écurie, la sellerie, les toits à porcs, la chambre du bassecourier, tout. Il faut remettre cela à la fin du mois. Adieu.

M. de Meximieu s'avança rapidement, sauta dans la voiture.

– Menez bon train, Baptiste… A la gare de Corbigny!

Il se pencha en dehors.

– Dis donc, Michel, est-ce qu'on trouve à louer des autos, à Corbigny?

– Oui.

– J'en louerai une, la prochaine fois. L'âge de la victoria est passé. Adieu!

La voiture était déjà engagée dans l'avenue montante. L'un après l'autre, sous le feu des lanternes, les hêtres au tronc tigré sortirent de l'ombre et y rentrèrent. Puis la victoria tourna à droite, et roula invisible derrière les haies de la route.

Aussitôt après le dîner, très court, – un seul couvert au milieu de la salle à manger, au-dessous des deux lustres voilés de gaze jaune qui avaient éclairé autrefois cinquante convives, – Michel monta dans sa chambre. Il suivit le corridor du premier étage, jusqu'au bout, et poussa la dernière porte à droite. Il était venu à tâtons. Il traversa de même la chambre, et alla s'accouder à la fenêtre, qui ouvrait sur la courte prairie en demi-cercle et sur la forêt.

Le froid semblait avoir diminué, parce que le vent avait faibli. La lune décroissante allait se lever, et déjà sa lumière devait se mêler dans le ciel à celle des étoiles, car les écharpes de brume, étendues au-dessus des futaies, des étangs et des prés, luisaient comme une neige blonde, comme des sillons nouveaux saisis par le givre du matin.

La jeunesse s'émut dans les veines de Michel. Il frissonna de l'amour qui naît de la rencontre de l'âme avec la vie éparse et faite pour elle. Sans ouvrir les lèvres et sans que personne pût l'entendre, il cria à la forêt: «Je suis triste, va, d'avoir diminué ta beauté!» Et son cœur, fermé aux hommes, fut enfin libre de se plaindre. «Abattre des chênes, encore, encore! Des anciens, des cadettes, des modernes! Je ne peux pas refuser. Je ne suis pas le maître. La forêt ne peut cependant pas suffire à ce perpétuel besoin d'argent. Elle est sacrifiée, elle est déshonorée; tout l'avenir, je le détruis… Ce ne sera bientôt plus la forêt, mais le taillis sans une tête qui dépasse l'autre, sans seulement un haut perchoir de bois mort qui arrête un faucon qui passe! Et voilà mon métier! Tout le reste, effort, améliorations, méthodes nouvelles, multiplication des pâtures, machines, mon père ne s'en informe pas. Informé, il oublie de remercier ou d'approuver simplement. Je lui parlerai, quand il reviendra… S'il pouvait me dire alors qu'il m'abandonne une part du domaine, en toute propriété, comme il me l'avait laissé entendre, lorsque je suis venu m'établir ici! La ferme de Fonteneilles, par exemple! Je vivrais, je serais sûr de réussir, je m'engagerais, si l'on veut, à réparer le château! Mais, me faire écouter de mon père! Réussirai-je?.. Peut-être… Voici ce que je ferai…»

Le jeune homme continua de rêver, et de bâtir son projet d'avenir. Il avait raison d'y penser. Personne n'y pensait pour lui. Et il savait que, pour exposer son plan, pour recevoir une réponse, bonne ou mauvaise, il n'aurait qu'une minute ou deux. On trouvait rarement le moyen de discuter, sur quelque sujet que ce fût, avec le général de Meximieu. Ni militaire, ni civil, ni supérieur, ni parent, ne pouvait se flatter d'avoir exposé sa pensée librement et complètement devant cet homme toujours pressé, qui comprenait trop vite, qui marchait en parlant, interrompait, se souvenait, trouvait une formule heureuse et d'ailleurs souvent juste, s'en contentait et s'y tenait. Chez lui aucune économie, d'aucune sorte, mais l'élan, la brusquerie, l'habitude de ruer, de galoper, puis de tourner court. Ceux qui le connaissaient peu croyaient que c'était là de sa part une habileté; ceux qui le connaissaient bien savaient que c'était une nature, une façon vagabonde et pour lui-même tyrannique de dépenser la force d'un corps qui ne vieillissait pas et d'un esprit qui n'avait pas mûri. Il était l'être en perpétuel mouvement, fait pour agir et pour entraîner, mais il n'était pas le juge qui pèse deux opinions. La faculté d'examen était demeurée, chez lui, rudimentaire; le délai qu'elle suppose lui paraissait une faiblesse; le goût de la vie intérieure lui faisait défaut, et de même tout sentiment d'intimité. C'était une des raisons qui l'avaient empêché de bien connaître Michel et d'être connu de lui.

Une seconde raison avait, il est vrai, fait de ce père et de ce fils des esprits étrangers l'un à l'autre, et irrités par ce sentiment de la distance et de l'inconnu qui les séparaient. Plusieurs fois, en ces dernières années, les journaux avaient publié les états de service du général de Meximieu. Carrière rapide, où la faveur n'avait eu qu'une part secondaire. Ils étaient les suivants: «Philippe de Meximieu, né à Paris le 15 novembre 1843; – sorti de l'école de Saint-Cyr en 1864 et nommé sous-lieutenant au 5e dragons, à Pont-à-Mousson; – lieutenant au même régiment, à Maubeuge, en 1870; – blessé pendant la guerre, cité à l'ordre du jour et décoré; – capitaine au 2e dragons, à Chartres, en 1871; – chef d'escadrons au 5e chasseurs d'Afrique, à Blida, en 1881; – lieutenant-colonel au 6e cuirassiers à Cambrai, en 1887; – colonel du 1er cuirassiers à Paris, en 1892; – général commandant la brigade de dragons, à Vincennes, en 1897; – général de division, commandant la 1re division de cavalerie à Paris, en 1901.»

C'est à Chartres, en 1879, que le capitaine de Meximieu épousait Benoîte de Magny. Il avait plus de trente-cinq ans. Elle en avait vingt-sept, Michel naissait l'année suivante, et, peu après, le capitaine, nommé chef d'escadrons, était envoyé à Blida. Il avait «demandé l'Afrique» autrefois. On la lui donnait au moment où il ne la désirait plus. Il n'hésita pas un instant à partir. Mais madame de Meximieu refusa de le suivre. Elle donna pour raison la santé de l'enfant. Il n'y eut pas de discussion. «Comme vous voudrez; je suis soldat; je marche au clairon, comme vous au piano,» Mais le ménage avait vécu. Madame de Meximieu s'installa à Paris, dans la même maison où habitait sa mère, madame de Magny, à l'étage au-dessus. Six années passèrent ainsi, après lesquelles M. de Meximieu, ayant pris garnison à Cambrai, elle obtint plus aisément encore, comme une chose désormais indifférente, ce qu'elle appelait «une prolongation de congé».

L'habitude était prise, de part et d'autre. Quand l'officier revint à Paris pour commander le 1er cuirassiers, il trouva que son fils n'était plus un enfant, et qu'il n'était plus temps de faire des rêves d'éducation. La période décisive était déjà close. Onze ans ne font pas un homme, mais ils le destinent: ils font pour lui de l'irrévocable. Michel ne serait, ni physiquement, ni moralement, le soldat qui continuerait la tradition de la race. Une sorte de mélancolie, une sensibilité muette et hautaine, et déjà le pouvoir de souffrir à l'écart, accusaient entre le fils et le père, entre le fils et la mère, une différence de caractère que l'éducation première avait accrue. Michel, confié d'abord à des gouvernantes, venait d'être placé, comme externe surveillé, à l'Institution Chaperot, «vieille maison de famille», disait le prospectus, établie dans le quartier des Ternes, et dirigée par une association de professeurs et de répétiteurs laïques. Le choix de cette maison neutre, à égale distance du collège catholique et du lycée, avait été arrêté de commun accord entre monsieur et madame de Meximieu. Celle-ci avait elle-même désigné l'Institution Chaperot, dont elle connaissait l'aumônier, externe également et surveillé. Michel partait de bonne heure de la maison paternelle, et rentrait pour trouver sa mère qui s'apprêtait pour sortir, cinq jours sur sept. Le colonel dînait plus tard, ou dînait au cercle. L'enfant avait eu, dès ses premières années, le sentiment qu'il était de trop. Cette pensée continua de peser sur sa jeunesse. A dix-huit ans, la douleur s'était précisée. Au lendemain du baccalauréat, un soir, – comme il se rappelait nettement les détails: l'heure que marquait la pendule de Boulle; le demi-cercle des sièges orientés par les visiteuses qui avaient défilé toute l'après-midi; le père debout et appuyé à la cheminée; la mère assise dans une bergère bleue! – il avait subi un autre examen plus court, plus dur; «Eh bien! Michel, quelle carrière choisis-tu? Il n'y en a qu'une seule que je t'interdise: l'armée. – Pourquoi! – Elle n'est plus ce qu'elle était, et puis tu n'es pas taillé pour être soldat.» Un coup d'œil avait complété la pensée, la pensée cruelle. L'enfant n'était pas devenu le demi-dieu qu'on avait rêvé. Il ne semblait pas appartenir à la race légendairement belle des Meximieu; il ne serait pas le cavalier élégant, l'homme de guerre né, orgueil des soldats et fierté secrète des foules, comme était le général Philippe de Meximieu, comme l'avaient été le grand-père, l'arrière-grand-père, et le maréchal auquel Louis XIV avait dit: «Meximieu, il n'y a qu'une seule des filles d'honneur de la reine qui ait la taille mieux faite que vous». Michel avait deviné le commentaire. «Rassurez-vous, avait-il répondu, je serai laboureur.»

Il s'y était résolu, bien avant qu'on lui demandât une réponse. Il aimait, d'un amour hérité sans doute de lointains aïeux, de l'amour aussi d'un enfant dont le monde a souri, les bois, les herbages, la solitude que la rencontre des paysans ne détruit pas, le château où survivaient quelques souvenirs du passé familial. Il voulait reprendre la tradition d'une partie des siens, le rôle noble et utile de terrien libéral et savant, refaire les forêts, repeupler les étables, introduire les modes de culture nouveaux, servir la terre et par elle la France. Les seuls beaux jours qu'il se rappelât, c'étaient, au retour de la saison de Trouville, chaque année, les trois ou quatre semaines du début de l'automne passées à Fonteneilles.

Très peu de temps après cette conversation qui décidait de sa vie, Michel partait pour le Nord, et suivait les cours de l'école d'agriculture que dirigeaient les Frères de la Doctrine chrétienne à Beauvais. L'année suivante, il faisait son service militaire à Bourges. Et enfin, au milieu de novembre 1900, il arrivait à Corbigny. Par un jour languissant et doré, il traversait la forêt de Fonteneilles; il se découvrait en apercevant les toits du château abandonné; il écoutait avec ravissement le bruit des contrevents, que la main du garde Renard poussait, l'un après l'autre; il entrait; il caressait la pierre des murs; il était chez lui.

Cinq ans passés! Que d'efforts! Que de projets! Quelle intimité consolatrice entre la terre et l'enfant d'ancienne race qui lui était revenu! Cinq ans très rapides, très remplis, sans événement, le temps de connaître son métier, de diminuer, chez quelques hommes, les préjugés et les inimitiés grandis pendant l'absence, de préparer des plans d'avenir, de goûter tout le soleil et toute l'ombre de chez soi. Et voici que M de Meximieu menaçait de tout compromettre, avec ses demandes d'argent. C'est le domaine qui aurait eu besoin de ce capital, c'est le château…

La lumière augmentait au-dessus de la forêt, et les franges flottantes de la brume devaient voir déjà le globe rouge de la lune entre les collines. Un chien «criait au perdu», très loin, vers le lac de Vaux. Des vols légers, oiseaux de passage ou de maraude, chuchotaient dans la nuit.

Comment faire, pour obtenir que le général assurât l'avenir de son fils? Qui pourrait lui parler? Qui? Peut-être, tout simplement madame de Meximieu. Elle était bonne cette mère toujours blonde malgré la cinquantaine, très bonne. Sans doute il ne dépendait pas d'elle de constituer en dot la ferme et le château, qui ne lui appartenaient pas. Mais elle ne refuserait pas d'intervenir, de solliciter, de plaider. Elle recommandait habilement les jeunes officiers qui lui confiaient leurs intérêts; n'était-ce pas le tour de Michel à présent? Elle ne ferait point d'objections. Elle aimait son fils d'une affection déconcertante et cependant véritable. Longtemps, elle lui en avait voulu de ne pas être une fille, une fille qu'elle eût gâtée, adulée, gardée près de soi. Mais depuis que Michel habitait la Nièvre, elle était venue deux fois à Fonteneilles, par tendresse, par besoin de revoir son fils et de l'encourager. Les forêts ni les prés ne l'attiraient; elle avait horreur de la campagne: quelles bonnes promenades cependant, quel empressement à s'informer des choses rurales! «Tu vas me montrer ton bélier de Rambouillet!.. Fais-moi voir la différence entre un chêne et un hêtre?.. Peux-tu faire semer du blé devant moi, à la volée? Il paraît que c'est très joli…»

Oui, elle serait une alliée, à l'occasion. Par elle ou autrement il fallait défendre le domaine et s'y maintenir. Là était peut-être la richesse à venir, peut-être le bonheur; là était sûrement la vie utile. La vision des bûcherons en troupe, chantant l'Internationale et provoquant le général de Meximieu, le chef militaire, le descendant d'une race féodale, le riche, traversa l'esprit du jeune homme. Ses lèvres s'allongèrent, et il regarda dans la nuit, avec un sourire triste, ces fumées onduleuses des futaies paternelles, sous lesquelles avait couru tantôt le chant de la haine.

«Utile à quoi? murmura-t-il. Je n'ai pas voulu venir ici pour m'y enfermer, y vivre et y mourir pour moi seul; j'ai voulu, je veux toujours le relèvement de ces hommes de la terre. Quel bien moral ai-je fait jusqu'à présent? Quelle influence ai-je acquise? Quelle amitié, d'un seul d'entre eux?.. Ce défilé de ce soir! Ces mots, si nobles en somme de mon père, et cette réponse de Gandhon, d'un soldat d'hier!.. Ah! je sais bien que ce n'est pas toute la France, que c'est un coin de la France plus travaillé que d'autres par le mal, plus abaissé par la passion jalouse, mais tout de même!.. Quelle joie ce devait être, autrefois, de vivre dans une nation saine!.. La même foi! Les mêmes fêtes! Des mots qui signifiaient pour tous la même chose! Quelle source d'intelligence et d'amour perdue! Et ils ne le comprennent pas! Je les vois avaler le poison, et rire, et chanter, et ils sont déjà tout pâles du voisinage de la mort! Ah! les pauvres gens, qui célèbrent leur mal comme une victoire!»

Michel se redressa, écouta un moment; quelque chose en lui parlait, et disait:

«Quand même! Je leur appartiens pour toujours! Il le faut! Je les aime!»

La nuit augmentait de douceur, et une paix inconnue au jour était bue par les champs déserts…

A quelques centaines de mètres de cette fenêtre où Michel songeait, dans un pli d'ombre et de brume, un hameau dormait, les feux éteints: cinq maisons en tout, trois à gauche de la ligne forestière et deux à droite. Dans l'une d'elles, un pauvre songeait aussi. C'était Gilbert Cloquet, et le songe qui le tenait était celui de la misère. Couché dans un lit de noyer, entre le mur et l'âtre, il pensait à «ses affaires» qui allaient mal. Il gagnait moins qu'il n'eût fallu. «C'est vrai, disait-il, que j'ai ma suffisance de pain, et même de fricot pour mettre dessus; c'est vrai que j'achète toujours mon vin à l'éclusier du canal, – l'odeur aigrelette du petit baril, calé dans un coin de la chambre, flottait à travers la pièce, avec un reste de fumée; – mais mon vêtement des dimanches, il faudrait le remplacer… Je ne peux pas… Le malheur n'est pas grand. Mais le chagrin vient d'ailleurs. Il vient de Marie. Elle est dépensière; elle est toujours revenue: – Père, je n'ai plus de grain pour la volaille!.. Père, le boulanger nous refuse crédit… Nous sommes en retard pour les fermages. Le propriétaire de l'Épine va nous saisir!.. Saisir la fille de Gilbert Cloquet! Non, je ne verrai pas ça… D'abord, j'irai demain porter à Marie la moitié des vingt francs que j'ai reçus, pour mon travail qui n'est pas commencé dans les bois… Et puis, quand l'herbe deviendra haute, j'irai me louer pour les foins chez monsieur Michel…»

Le journalier se retourna dans le lit, essayant de chasser les idées sombres qui le tenaient depuis des heures éveillé… Il entendit le roquet des Justamond, ses voisins, qui aboyait aux feuilles mortes roulées par le vent, ou au passage d'une bête rôdeuse… Un silence absolu suivit… La rosée froide, dehors, relevait les herbes. Le pauvre continua de penser: «Il n'y a personne qui prenne garde à moi, excepté monsieur Michel, qui m'embauche le plus qu'il peut; et encore, c'est un noble, et ils disent que les nobles ne valent rien.»

Le Blé qui lève

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