Le Journal Coronavirus de Lionel Rodrigues
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Victor Gomes. Le Journal Coronavirus de Lionel Rodrigues
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Mercredi 8 avril. Passé 08/04/2008, Madrid : Ma mère María vient me voir à Madrid. Elle prend le bus comme elle a extrêmement peur, non pas de l’avion, mais des différentes étapes avant d’arriver à l’engin volant. Tiens cela me rappelle quelqu’un deux ans plus tôt. Cela me provoque une certaine forme d’anxiété. Je ne peux évidemment pas boire et fumer devant elle, être tout à fait naturel avec mes amis. Je lui présente mes multiples amies, féminines bien sûr : la basque Victoria, la sud africaine Kendra et la française Carine qui lui plaisent toutes énormément. Carine est déjà prise, les deux restantes sont libres. Elle me fait savoir combien elles sont jolies et comment elles iraient tellement bien avec moi … Je fronce des sourcils, ouvre la bouche comme pour essayer d’émettre un quelconque son, fruit de la rage intérieure montant en moi. Je n’en ferais rien. Je commençais à analyser les faits de façon scientifique et posée comme je le fais au laboratoire d’étude des bétons. Je structure ma partition en octave :
Mardi 5 mai. Passé 05/05/1992, Riom : Je suis encore sous le choc des étamines d’hier. Je n’osais pas regarder dans les yeux mon professeur. Je l’ai forcément déçu. Toute la confiance qu’il avait déposée en moi, envolée, comme le pollen des étamines, tiens ! Sauf que celui des fleurs a une utilité de féconder le pistil. Chez moi c’est un gâchis total, une ruine stérile ! Eva et ma mère m’ont répété qu’il n’y avait rien de grave, que c’était un léger accident dans mon parcours exemplaire et qu’il arriverait bien pire dans une vie semée d’embûches et d’obstacles. “Si seulement le plus gros problème se résume à une faute sur l’organe reproducteur mâle des fleurs !” Je suis pleinement conscient qu’il y aura d’autres barrières dans le futur quand j’aurai grandi. Mais c’est moi ça, la réussite à l’école, je n’ai rien d’autres ! Eva me prend dans ses bras et pour me consoler, elle met une cassette avec comme chanson celle de “L’autre finistère” des Innocents. Je ne comprends pas trop la chanson, même si je connais pas coeur les paroles. C’est peut-être l’accordéon, la guitare, le refrain entraînant … “Il est un estuaire. Un long fleuve de soupirs. Où l’eau mêle nos mystères. Et nos belles différences. J’y apprendrai à me taire. Et tes larmes retenir. Dans cet autre Finistère. Aux longues plages de silence” … mais cela a le don de m’apaiser, d’être aussi avec ma grande soeur que j’adore tant ! Elle me voit rassurée. Je la remercie et lui dis que je veux monter sur le cerisier. Elle me laisse faire tout en vigilant depuis la fenêtre ouverte de la cuisine. Mon cerisier, autre figure vivante de la nature ! Mon cerisier, le véritable homme de la famille ! Au début du printemps, tu nous régales avec ces explosions de blanc qui constituent tes pétales et en été, tes fruits tout rouges délicieusement humectés. Je ne saurais nommer toutes les parties qui te composent mais je te connais par coeur, du moins la partie basse. Tu es tellement haut, tu dépasses la maison. Tu es infiniment grand. Tu as un tronc tellement fort aussi, j’adore ce tronc épais et long. Je n’arrive pas à faire le tour avec mes mains, tellement le cylindre est grand, mais je sais monter sur toi. Je n’ai rien d’un gymnaste mais je sais me faire bercer par tes grosses extrémités. La première grosse branche la plus basse, je l’atteins en sautant. J’attrape ta branche des deux mains et je mets mes pieds sur ton tronc imposant, déjà voletant en l’air et n’ayant plus de contact sur la Terre. Les jambes en l’air, j’aime lâcher mes bras et être pendu des pieds. Tu es tellement fort que tu ne me laisseras pas tomber. Je remets aussitôt mes mains sur ta grosse branche et fais remonter mes pieds sur la branche plus haute et plus fine. A partir de là, tu me fais tourner et voltiger en l’air pour retomber sur ta grosse branche. Tu me redresses et je peux tranquillement me reposer sur ta grosse branche qui est tellement énorme qu’elle peut s’occuper de mon corps entier. Là je peux dormir même, sous un ombrage de feuilles parfait, de temps à autre interrompu par de légers jets de lumière. Tu m’as remis les idées en place. Demain est un autre jour où tout sera effacé. Cerisier, il n’y a que toi pour me plonger dans un bonheur le plus total ! Présent 05/05/2020: L’Angleterre vient de dépasser l’Italie en nombre de morts, se situant à environ 29,500. Il y a un rebond des décès, 244, en Espagne. Ce relâchement de la part des citoyens pour pouvoir sortir est-il en train de se faire ressentir? Le Président Sánchez réussit in extremis à prolonger l’état d’urgence deux semaines de plus, mais avec une opposition féroce, prête à tout pour diviser la population. Je me mets à sa place et je ne saurais comment dormir dans une situation analogue. La population espagnole est particulièrement dure, lorsqu’il s’agit de l’autre parti de l’échiquier politique, quitte à en venir à des contradictions flagrantes. Le Président était critiqué pour son manque de réaction au début de la crise sanitaire, maintenant il est tout aussi spolié sur le maintien du confinement, alors que les décès ont diminué à des niveaux comparables des premiers reproches. Le découpage administratif en Comunidades souligne encore plus ces multiples oppositions. Encore un jour où la réalité a dépassé la fiction puisque Eleonora sort de dix heures à douze heures pour aller voir son prétendant dans la rue, mais juste lui dire bonjour à deux mètres de lui. Elle s’est faite toute belle grâce à la coupe de cheveux de Mateo de la veille et des ondulations et une couleur auburn qui lui rend quelques années de jeunesse. On dirait une petite adolescente qui a son premier rendez-vous avec son chérubin prépubère. Mateo n’est pas là non plus comme il travaille. Je suis donc tout seul depuis presque deux mois ! Tout seul enfin presque. Il y a un petit être tout noir de poils, le chat Max. Il est perdu au début et il se met à miauler de partout. C’est la première fois que je le vois aussi agité. Ce chat est incroyable. Il peut rester sur son lit superposé du haut toute la journée s’il est déplié de son armoire. Quand on mange, il ne bouge pas non plus. Les fois où il était couché sur les chaises d’à côté, il ne dit rien, il n’essaye même pas d’attraper quoi que ce soit qui pourrait lui plaire : du thon, une odeur de viande, rien ! Il est immuable ce chat ! Il se laisse caresser mais n’est pas très à l’aise non plus. Je ne l’ai jamais entendu ronronner. Il m’a adopté ces derniers jours, comme je lui donne une moitié de pâtée. Vers onze heures, il peut venir vers moi mais avec la distance sociale de mise, il se dandine et peut se frotter contre les coins des murs pour réclamer sa bectée. Apparemment il souffre de stress comme il n’a plus de poils au niveau de l’abdomen à force de se lécher. Je dis à Mateo qu’il faut vraiment qu’il l’amène chez le vétérinaire. Est-il stressé de nous voir tous les jours sans avoir de moment d’intimité ? Pourtant, il n’a pas l’air. Je lui donne sa pâtée et pour la première fois, il se laisse caresser en mangeant, me rappelant alors la chatte de Victoria, Sookie, qui avait besoin qu’on la caresse pour pouvoir s’atteler à la besogne d’alimentation. Max redevient tranquille et grimpe sur son lit personnel, en faisant son bond du sphynx depuis le lit de Mateo à l’autre extrémité. Les chats sont fascinants par leurs caractères. Il n’y en a pas un qui ressemble à un autre, avec leur côté affectueux mais leur indépendance essentielle à leur bien-être, leurs humeurs et leur jardin secret. Tiens, cela me rappelle quelqu’un ! Futur : Me voici dans mon propre chez moi ! Cela fait des années que je n’ose sauter le pas, tout en me disant que je n’investissais dans aucun bien immobilier avec l’argent du loyer mensuel. J’ai toujours vécu en location et les doutes de vouloir rester à Madrid ou bien de bouger dans le Nord de l’Espagne au Pays Basque ou en Asturies, ou carrément à l’autre extrémité, un autre pays, faisaient que je ne savais prendre de décision définitive. Il y a eu ma rupture avec David que j’assimilais plus ou moins bien au début, puis ma coupure à Bordeaux, le retour à Madrid comme une déchéance et un certain retour à la nostalgie de la vie en commun avec David. Ensuite j’ai connu Mateo et la crise du Coronavirus qui m’ont fait retrouver un pied à terre dans la région de Madrid. Enfin il y a eu Malmö, dernière étape internationale ou pas. Après tout mon entreprise donne la chance aux employés de se former localement mais aussi dans des contrées lointaines. Le choix entre Madrid et Malmö a été bien difficile. Choix résolu ! J’écarte toute idée utopique du style “Et si j’avais fait l’autre choix, que se serait-il passé ?” Le choix d’appartement ne fut pas difficile car je bénéficiais de grandes économies accumulées lors de mes années de travail. Il était spacieux pour moi tout seul et bien suffisant pour partager ma couette avec un gentleman. Il a un côté très épuré, des murs blancs et peu de fournitures. Je me vois déjà le décorer, moi qui ai toujours négligé cet aspect dans tous les appartements où j’ai pu vivre : rien d’encombrant, quelques cadres bien comptés sur les doigts d’une main, pas plus. Le petit bar dans le salon m’a complètement conquis. Lors de ma recherche, je n’avais pas de critères déterminants. Trois caractéristiques seulement étaient indispensables : que l’appartement comporte deux chambres, même si l’autre était plus petite, une cuisine spacieuse, mais aussi une terrasse. Deux chambres pour que mon petit copain puisse me rejoindre éventuellement dans le futur. La cuisine, il était évident que pour moi elle doive être ergonomique et avec un four en conditions, moi qui adore les bons plats chauds et consistants d’hiver, et pourquoi pas même en été. Et enfin une terrasse qui puisse me permettre de prendre l’air : durant le confinement du Coronavirus, j’ai pu voir à quel point c’était important de s’oxygéner, même si bien avant, je souhaitais en avoir une. Mais aussi parce que je veux me lancer dans le jardinage. En France, j’ai toujours pensé que j’aurais plus tard un grand jardin pour y passer des heures et des heures à faire pousser des plantes de toute sorte, des arbres comme un cerisier (comme par hasard !) et un potager même. Je me voyais aussi couper du bois pour la cheminée avec sur le côté de la maison une cabane remplie de bûches de bois. J’envie beaucoup mes amis qui ont un tel jardin comme Romain, mon meilleur ami depuis la Quatrième, gay aussi, qui en plus de ses passions infinies, avait travaillé un jardin aux allures orientales à Perpignan où il vit. Il excelle en botanique, lui qui est paysagiste. Au lieu des végétaux agrémentés de façon esthétique, l’Espagne s’est mise en plein milieu de mon bonheur champêtre pour m’offrir de l’alcool et du sexe ! Oui ce sont deux grandes passions pour moi, surtout ce dernier. J’ai toujours déploré qu’on ne puisse pas en parler dans son curriculum vitae dans la rubrique “Loisirs, Centres d’intérêt et Autres” du style :
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