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Anatole France
L’ÎLE DES PINGOUINS
LIVRE II. LES TEMPS ANCIENS
CHAPITRE V. LES NOCES DE KRAKEN ET D’ORBEROSE

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En ce temps-là, vivait dans l’île d’Alca un homme pingouin dont le bras était robuste et l’esprit subtil. Il se nommait Kraken et avait sa demeure sur le rivage des Ombres, où les habitants de l’île ne s’aventuraient jamais, par crainte des serpents nichés au creux des roches et de peur d’y rencontrer les âmes des Pingouins morts sans baptême qui, semblables à des flammes livides et traînant de longs gemissements, erraient, la nuit, sur le rivage désolé. Car on croyait communément, mais sans preuves, que, parmi les Pingouins changés en hommes à la prière du bienheureux Maël, plusieurs n’avaient pas reçu le baptême et revenaient après leur mort pleurer dans la tempête. Kraken habitait sur la côte sauvage une caverne inaccessible. On n’y pénétrait que par un souterrain naturel de cent pieds de long dont un bois épais cachait l’entrée.

Or un soir que Kraken cheminait à travers la campagne déserte, il rencontra, par hasard, une jeune pingouine, pleine de grâce. C’était celle-là même que, naguère, le moine Magis avait habillée de sa main, et qui la première avait porté des voiles pudiques. En souvenir du jour où la foule émerveillée des Pingouins l’avait vue fuir glorieusement dans sa robe couleur d’aurore, cette vierge avait reçu le nom d’Orberose[3].

À la vue de Kraken, elle poussa un cri d’épouvante et s’élança pour lui échapper. Mais le héros la saisit par les voiles qui flottaient derrière elle et lui adressa ces paroles:

– Vierge, dis-moi ton nom, ta famille, ton pays.

Cependant Orberose regardait Kraken avec épouvante.

– Est-ce vous que je vois, seigneur, lui demanda-t-elle en tremblant, ou n’est-ce pas plutôt votre âme indignée?

Elle parlait ainsi parce que les habitants d’Alca, n’ayant plus de nouvelles de Kraken depuis qu’il habitait le rivage des Ombres, le croyaient mort et descendu parmi les démons de la nuit.

– Cesse de craindre, fille d’Alca, répondit Kraken. Car celui qui te parle n’est pas une âme errante, mais un homme plein de force et de puissance. Je posséderai bientôt de grandes richesses.

Et la jeune Orberose demanda:

– Comment penses-tu acquérir de grandes richesses, ô Kraken, étant fils des Pingouins?

– Par mon intelligence, répondit Kraken.

– Je sais, fit Orberose, que du temps que tu habitais parmi nous, tu étais renommé pour ton adresse à la chasse et à la pêche. Personne ne t’égalait dans l’art de prendre le poisson dans un filet ou de percer de flèches les oiseaux rapides.

– Ce n’était là qu’une industrie vulgaire et laborieuse, ô jeune fille. J’ai trouvé le moyen de me procurer sans fatigue de grands biens. Mais, dis-moi qui tu es.

– Je me nomme Orberose, répondit la jeune fille.

– Comment te trouvais-tu si loin de ta demeure, dans la nuit?

– Kraken, ce ne fut pas sans la volonté du Ciel.

– Que veux-tu dire, Orberose?

– Que le ciel, ô Kraken, me mit sur ton chemin, j’ignore pour quelle raison.

Kraken la contempla longtemps dans un sombre silence.

Puis il lui dit avec douceur:

– Orberose, viens dans ma maison, c’est celle du plus ingénieux et du plus brave entre les fils des Pingouins. Si tu consens à me suivre, je ferai de toi ma compagne.

Alors, baissant les yeux, elle murmura:

– Je vous suivrai, seigneur.

C’est ainsi que la belle Orberose devint la compagne du héros Kraken. Cet hymen ne fut point célébré par des chants et des flambeaux, parce que Kraken ne consentait point à se montrer au peuple des Pingouins; mais, caché dans sa caverne, il formait de grands desseins.

3

«Orbe, poétique, globe en parlant des corps célestes. Par extension toute espèce de corps globuleux.» (Littré.)

L'île des pingouins

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