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Mutinerie sur le front occidental

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Le mot « mutinerie » évoque des images de violence alcoolique et de descente dans l'anarchie. C'est un mot qui ferait tourner le sang des officiers en bloc de glace. Sans ordre et sans obéissance, un homme ne peut pas donner d’ordres à un autre homme pour effectuer des actions qui entraîneront la mort et des blessures d’autres êtres humains. La mutinerie rend une armée inefficace plus rapidement qu'un barrage de mitrailleuses ou même d'artillerie. Elle peut conduire à une défaite totale en quelques jours, c'est pourquoi ils elle est généralement punie avec une grande sévérité.

Dans la Rome antique, les mutins de l'armée qui revenaient au régime militaire étaient soumis à la décimation : un homme sur dix était arraché des rangs et exécuté publiquement. Qui aurait pu deviner que cette réaction antique et barbare serait à nouveau employée au XXème siècle pour rétablir l'ordre dans l'armée française.

Les mutineries françaises de 1917 trouvent leur origine dans la décision de l'armée allemande de mener la guerre en prenant des vies françaises plutôt que des territoires français. En février 1916, les Allemands avaient choisi la forteresse française de Verdun pour mettre leurs plans en action. Pendant 10 mois d’horreur, les Français et les Allemands s’affrontèrent pour le contrôle de la forteresse. La plupart des combats s’étaient déroulés dans des forts de béton humides, éclaboussés de sang, et respirant la terreur des hommes devant affronter le combat au corps à corps.

Lorsque la bataille se termine en décembre de la même année, plus de 350 000 soldats français et 330 000 soldats allemands auront été tués ou blessés.

Il n'y avait rien de satisfaisant dans ce massacre.

Aucun territoire n'avait été gagné ni perdu. Chaque camp avait perdu un nombre presque égal de troupes. Le commandement et les tactiques des Allemands avaient été quelque peu modifiés, mais leur stratégie qui consistait à saigner à blanc l'armée française avait eu plus d'effet qu'ils ne l'avaient réalisé.

Le peuple français est immensément fier du succès de son armée dans la défense de Verdun, et le cri de guerre des soldats « On ne passe pas » devient le slogan de l'estime nationale. Les généraux français deviennent des héros nationaux. Mais, après la bataille de Verdun, de nombreux soldats français ont l'impression qu'ils n’ont plus rien à donner.

Une autre grande offensive française est prévue au début du printemps 1917. Le haut commandement français promet à ses troupes une victoire rapide au Chemin des

Dames sur l’Aisne. On proclame aux soldats français que ce sera la bataille qui leur permettra de gagner la guerre. Le moral est au beau fixe, surtout que les soldats français ont appris que leurs généraux allaient essayer une nouvelle tactique pour épargner leurs vies. Ils marcheraient vers les tranchées allemandes sous la protection du barrage rampant, une grêle d'obus tombant devant eux, avançant comme un mur de feu protecteur.

Des chars seraient également utilisés, un nouveau type d'arme prometteur pour écraser la défense des barbelés et détruire les nids mortels des mitrailleuses, qui sans cela, balayerait des dizaines d'hommes d'une seule rafale.

Un million d'hommes participèrent à l'attaque du 16 avril. Elle échoua. Ce fut un autre massacre insensé. Les chars tombèrent en panne et les bombardements de l'artillerie ne réussirent pas à détruire les points forts de l'ennemi. Le temps n'avait pas aidé non plus. Les soldats français avaient dû avancer sous une pluie battante. Après 10 jours, plus de 30 000 hommes avaient été tués, et plus de 20 000 avaient disparus, presque certainement morts. 90 000 autres survivants avaient été blessés. Mais pourtant, les attaques continuèrent.

Tous les soldats ne croyaient pas aux promesses des généraux français d'une victoire facile lors d'une percée décisive. De nombreuses compagnies de soldats, y compris la mienne, marchaient au front en bêlant comme des moutons, criant à qui voulait l’entendre que nous étions des viandes de boucherie sur pied destinées à l'abattoir. C'était un signal d'alarme qui fut ignoré. Le Chemin des Dames devint le lieu où le moral de l'armée française s’effondra définitivement.

La première mutinerie eu lieu avec le deuxième bataillon du 18ème régiment d'infanterie. Sur 600 hommes, seulement 200 avaient survécu à l’offensive. Après un bref répit derrière les lignes de front françaises, ils reçurent à nouveau l'ordre de retourner dans les tranchées. C'était le 29 avril 1917, en début de soirée. De nombreux hommes étaient ivres du vin rouge bon marché qui était toujours fourni gratuitement aux troupes françaises. Presque tous les hommes refusèrent d’y retourner et se rassemblèrent en groupes protestant contre la guerre, mais tôt le lendemain matin, une fois dessoûlés, les soldats repartirent vers la ligne de front.

Alors que nous marchions, les officiers du bataillon décidèrent que cette insurrection devait être immédiatement punie. Au hasard, une douzaine d'hommes furent extirpés des rangs et accusés de mutinerie. Ils abattirent cinq d'entre eux. Un autre s’échappa miraculeusement. Alors qu'il était conduit au peloton d'exécution par un groupe de gardes, un bombardement d'artillerie allemand se mit à tomber autour d'eux. Il s’élança dans les bois voisins et ne fut jamais retrouvé.

Quelques jours plus tard, une autre mutinerie éclata. Cette fois, beaucoup plus importante car elle concernait l’intégralité de la deuxième division. Des milliers d'hommes, presque tous ivres, refusèrent de porter les armes et de se diriger vers les tranchées. Quand l'effet de la boisson se fut dissipé, la plupart des hommes cédèrent et repartirent au front. Ceux qui refusèrent toujours de partir furent rapidement arrêtés et les punitions n'épargnèrent personne d'autre dans la division.

Ce n'était que le début. Au début du mois de mai, cette rébellion alcoolique s'était répandue dans l'armée, c'était un autre genre de mutinerie. C'était une étrange sorte de mutinerie. Il n’y eu aucun rapport d'attaques ou de meurtres d'officiers ni de revendications politiques. Lorsque les officiers négocièrent avec l'homme qui avait été élu par ses camarades pour les représenter, il leur déclara que les soldats continueraient à défendre leurs tranchées des attaques des Allemands, mais qu’ils refusaient toute avancée vers l’ennemi.

Alors qu'une mutinerie à grande échelle balayait les rangs de l'armée française, des évènements extraordinaires se produisaient en Russie. Une mutinerie de même ampleur avait conduit au renversement du gouvernement tsariste, alarmant profondément les autres alliés. Les autorités françaises avaient de la chance de ne pas avoir d'équivalents de Lénine et de Trotsky parmi leurs troupes. S'il y en avait eu, l'histoire de la France au cours du XXème siècle, aurait pu être très différente. La rébellion française n'avait pas de chefs évidents, elle n'était dirigée par personne. Mais, malgré cela, la situation se dégradait si rapidement qu'en juin, 54 divisions, soit plus de la moitié de l’ensemble de l'armée française sur le front occidental, sont touchées. Plus de 30 000 hommes quittent leurs postes sur la ligne de front et essayent de rentrer chez eux à pied.

Les causes de la mutinerie étaient simples. Le simple soldat français avait perdu la foi en ses généraux. Il n’était plus d’accord pour donner sa vie en suivant des ordres auxquels il ne croyait plus. Il y avait également d'autres causes, et celles-ci étaient suffisamment sérieuses pour que l'on se demande pourquoi la mutinerie n'avait pas pris naissance plus tôt.

Par rapport à leurs homologues britanniques, les soldats français devaient supporter des conditions plus dures en matière de discipline militaire. Leur solde était une misère. La nourriture qui leur était offerte était souvent froide et de mauvaise qualité, ce qui était particulièrement troublant compte tenu de la réputation de gourmets de cette nation. L'armée britannique avait produit un grand effort logistique pour que ses soldats de métier soient approvisionnés en nourriture chaude de qualité raisonnable. Les soldats britanniques traversaient également régulièrement la Manche pour passer du temps avec leurs familles, loin des tranchées.

C'était particulièrement douloureux pour les Français, car beaucoup se battaient à moins d'une journée de voyage de leurs foyers et ils n’avaient pas le droit de quitter leurs bases. Il était rare qu’on leur propose des congés. Tous les camps avaient subi d'horribles pertes, mais de tous les alliés, ce sont les Français qui avaient perdu le plus d'hommes. Plus d’un jeune soldat sur quatre, entre 18 et 30 ans, allait mourir dans cette guerre. Plus d'un million et demi en tout. Avec des millions d'autres blessés et mutilés à vie.

Dans le haut commandement français, la mutinerie provoqua une panique. La France avait déjà tant souffert. Tant d'hommes avaient été sacrifiés pour empêcher l'armée allemande d'envahir ce beau pays. Comme ce serait terrible si les Français perdaient la guerre parce que ses soldats déprimés avaient tout laissé tomber pour rentrer chez eux. Pour ces raisons, le haut commandement français décida de répondre aux plaintes de ses soldats plutôt que de simplement réprimer brutalement la révolte.

Les dirigeants français devaient faire face à trois problèmes majeurs.

D'abord, ils devaient prendre des mesures immédiates pour introduire des réformes afin de rendre la vie de leurs hommes plus supportable. La plupart d'entre eux étaient des conscrits qui s’étaient engagés pour la durée de la guerre et n’étaient pas des soldats de carrière.

Ensuite, pour faire respecter ce plan, l'armée devait punir les responsables. Cette tâche se révélait difficile car les mutineries semblaient être spontanées et n’avaient pas de meneurs réels.

Troisièmement, et ce point était le plus important, il ne fallait pas que les Allemands sachent ce qui se passait dans les rangs Français. S'ils avaient vent des mutineries, ils pourraient percer les lignes françaises et être à Paris en une semaine. Alors la guerre serait perdue à coup sûr.

Plusieurs généraux plus âgés furent remplacés. La qualité de la nourriture distribuée aux troupes de première ligne fut considérablement améliorée. Un système de visites au foyer fut introduit, et les camps de repos derrière les lignes de front furent réaménagés pour être plus habitables. Les hauts gradés Français comprirent le message et donnèrent leurs ordres aux officiers subalternes et aux sous-officiers pour que la vie du troufion ne soit plus mise en danger par des attaques inutiles.

La punition pour mutinerie était cependant toujours aléatoire et injuste. Au début du mois de juin, 700 hommes d’un bataillon disparurent dans la forêt en bord de route alors qu’ils rentraient du front. Plus tôt dans la journée, la rumeur s'était répandue parmi les troupes qu’une grotte se trouvant dans la forêt était assez vaste pour qu’ils puissent tous s’y cacher. Un commandant voulant faire preuve de bravoure, se rendit à l’emplacement de la grotte pour négocier avec les mutins. Il leur dit de retourner au front avant l'aube ou bien, ils seraient tous massacrés. Les hommes sortirent de leur cachette. Une fois de retour au commandement de l'armée, 20 d'entre eux furent retirés des rangs et fusillés.

Le commandant français avait négligé de leur mentionner que cela se produirait. Mais, pour d’autres divisions, une fois l'ordre rétabli, la mutinerie momentanée était rapidement oubliée et personne n’était puni.

Au total, plus de 24 000 hommes avaient été arrêtés et traduits devant des tribunaux militaires. Parmi eux, 551 avaient été jugés comme étant des chefs de la révolte et condamnés à mort. Mais seulement 40 furent fusillés. Les autres furent envoyés au bagne de la Guyane française, un sort misérable pour des soldats conscrits qui s’étaient battus courageusement jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus. Les exécutés étaient abattus devant leurs camarades, qui devaient alors passer en file indienne devant les morts.

De nombreux autres soldats français avaient été fusillés au hasard et sans procès, mais le nombre de ces décès restait difficile à estimer. La mutinerie était un sujet sensible. Mais derrière la façade de la magnanimité, il y avait une main de fer déterminée à ce qu'une telle désobéissance généralisée ne puisse plus jamais se reproduire.

Parmi les divisions rebelles se trouvait un régiment de soldats russes, qui avait été envoyé sur le front occidental par le régime tsariste, comme un gage de bonne volonté, avant qu’il ne se trouve lui-même en difficulté et soit renversé. Ces soldats avaient enduré des conditions encore pires et un commandement encore plus incompétent que chez nos alliés français et britanniques. Ils n'étaient que trop prêts à suivre la mutinerie des camarades français rebelles. Leur sort fut pitoyable. Le commandement français avait dû traiter ses propres soldats avec une certaine indulgence, car il était impossible de tous les punir. Ils étaient trop nombreux à être réprimés. Une discipline sévère aurait pu provoquer de pires rébellions voire une révolution. Les Russes étaient remplaçables. Le régiment fut encerclé et mis en pièces par l'artillerie française.

La mutinerie avait duré six semaines. L'armée française avait échappé de justesse à une défaite cuisante. Mais les soldats avaient envoyé un message clair à leurs généraux. Désormais, il n'y aura plus d'attaques massives et les soldats français ne participeront qu'à des assauts de petite envergure sur les lignes allemandes. Ainsi l'horrible boucherie des trois années précédentes pris fin. Pour le reste de la guerre, la majeure partie des combats contre les puissances centrales sera laissée à la Grande-Bretagne et au Commonwealth, ainsi qu'aux troupes américaines fraîches et enthousiastes qui vont entrer en guerre juste à temps pour sauver les alliés d'une défaite presque certaine.

Derrière les lignes du front, le gouvernement réagit par la censure dans les journaux français et emprisonne ceux qui faisaient campagne pour la fin de la guerre par capitulation. De nos jours, ces personnes seraient appelées des militants de la paix. En 1917, ils étaient surnommés « agitateurs de guerre ».

Aujourd'hui encore, la mutinerie reste un sujet honteux et sensible en France. Lors de son 80ème anniversaire, en 1997, le Premier ministre français a suggéré que les mutins devaient être compris et pardonnés. Cette décision a été sévèrement dénoncée par le président français de l'époque, Jacques Chirac. Le simple fait d'exprimer sa sympathie pour ces hommes fatigués par la guerre était encore considéré comme un outrage.

Mais de nos jours, la plupart des gens s'accordent à dire que les mutins auraient mérité la pitié plutôt que la condamnation.

Ils étaient simplement des hommes comme les autres qui s’étaient trouvés perdus dans un enfer de feu et de sang.

La Première Guerre Mondiale

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