Читать книгу Observations d'un sourd et muèt sur un cours élémentaire d'éducation des sourds et muèts publié en 1779 par M. l'Abbé Deshamps, Chapelain de l'Église d'Orléans - Desloges Pierre - Страница 3

OBSERVATIONS

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SUR un Cours élémentaire d'éducation des Sourds & Muèts, par Mr. l'Abbé DESCHAMPS, &c

TOUT Paris, l'Europe entière, retentissoient des éloges justement dûs à Mr. l'Abbé de l'Épée & à sa méthode aussi simple qu'ingénieuse, d'instruire les sourds & muèts par le moyen du langage des signes. Ce respectable Instituteur done ses leçons publiquement: ainsi une foule de témoins pouvoit déposer de l'exèlence de cette méthode, qui conduit ses élèves avec une promptitude & une facilité incroyables à la lecture, à l'écriture & à la conoissance de plusieurs langues, ensuite à la prononciation de vive voix & à l'intelligence du langage par l'inspection des mouvemens des organes de la parole. Plusieurs Souverains avoient daigné vérifier par eux-mêmes les merveilles que la Renomée publioit de cette méthode. Un des premiers & des plus augustes Potentats de l'Europe avoit voulu entrer dans les plus petits détails à cet égard. Il s'étoit retiré de chez Mr. l'Abbé de l'Épée pénétré d'admiration, & en disant que de tout ce qu'il avoit vu dans ses nombreux voyages, rien ne l'avoit touché & satisfait autant que le spectacle qu'il venoit de voir. De retour dans ses États, il s'étoit ocupé des moyens d'y introduire un établissement semblable, & avoit envoyé à notre célèbre Instituteur, un Ecclésiastique, home de mérite, pour prendre de ses leçons, & se metre au fait de sa méthode.

Notre auguste Monarque, qui marche si glorieusement sur les traces du bon & grand Henri, n'a pas non plus regardé avec indiférence un art aussi précieux à l'Humanité: sur le compte qu'il s'en est fait rendre, il a pris cet établissement sous sa protection royale, lui a déja assigné des fonds certains, & a pris des mesures pour fonder, en faveur des sourds & muèts, une Maison d'éducation selon la méthode de Mr. l'Abbé de l'Épée…

C'est dans ce moment que paroît un Cours élémentaire d'éducation pour les sourds & muèts, dans lequel l'Auteur rejète ouvertement cette méthode, & prétend qu'on doit lui en substituer une autre qui consiste à rendre les sourds & muèts atentifs aux mouvemens divers des organes de la parole, & à leur aprendre à les imiter; c'est-à-dire, qu'on doit dans cette méthode, comencer avant tout, par aprendre au sourd & muèt, à proférer les diférens sons des langues, en l'habituant à exécuter le diférent mécanisme de ces sons: ensorte qu'il parle réèlement pour ceux qui entendent, & qu'il lise les sons des langues dans les divers mouvemens des organes de ceux qui lui parlent, comme s'il les lisoit dans un Livre. L'Auteur veut qu'on passe ensuite à la lecture & à l'écriture proprement dite; & de-là enfin à l'intelligence de la langue quelconque qu'on a choisie pour base de l'instruction. Voilà du moins l'idée la plus nète que j'aie pu me former de son sistème & de sa marche.

Voyons d'abord ce que l'Auteur pense lui-même de sa méthode: «Le plaisir, dit-il page 4 de son INTRODUCTION, n'acompagne pas nos leçons: loin de-là, elles semblent avoir pour apanage l'ennui & le dégoût; elles sont nuisibles à la santé… A ces désagrémens, ajoutez le dégoût naturel que cette éducation entraîne nécessairement après elle… L'impatience réciproque du Maître & des Elèves, en voyant le peu de progrès que produisent les efforts multipliés, l'atention la plus exacte, la meilleure volonté.»

Il dit ailleurs, page 155: «La répugnance que les sourds & muèts ont à soufrir que nous mètions nos doigts dans leur bouche, & à consentir de mètre les leurs dans la nôtre, ne peut se vaincre qu'avec beaucoup de peine, d'aplication & de patience… On doit y travailler avec d'autant plus de courage, qu'il est impossible de leur rendre autrement l'usage de la parole.» L'Auteur peint ensuite très-naïvement l'embaras extrème qu'on éprouve à leur persuader de se prêter à ces mouvemens, qui doivent leur paroître fort bisares, & auxquels ils ne peuvent absolument rien comprendre.

Enfin, il a la bone foi de représenter par-tout sa méthode come infiniment rebutante, tant pour le Maître que pour les Élèves. Il termine par ces mots sa Lètre préliminaire, page 31: «Ainsi peu à peu j'acoutume mes Élèves à parler & à écrire… Pour parvenir à ce degré de perfection, il faut trouver dans les Élèves un grand désir d'aprendre, de l'esprit, de la mémoire, du jugement; & dans le Maître, une douceur, une complaisance extrèmes… Il est impossible de doner une idée de la patience nécessaire dans les comencemens de l'instruction.»

Je doute qu'une méthode aussi rebutante, de l'aveu de son Auteur; qu'une méthode où l'on renverse visiblement l'ordre naturèl de l'instruction, puisqu'on comence par ce qu'il y a de plus dificile, & que les Élèves travaillent très-long-tems sans pouvoir rien comprendre à tout ce qu'on exige d'eux; qu'une méthode enfin, qui demande pour son succès des qualités extrèmement rares & dans les Maîtres & dans les Disciples, soit faite pour avoir beaucoup de partisans. Je ne suis donc pas surpris de voir l'Auteur désirer, page 4, «que la publication de son Ouvrage puisse procurer une autre méthode plus courte & plus facile».

Coment a-t-il pu s'aveugler au point de ne pas reconoître que cette méthode étoit toute trouvée: que c'étoit celle que Mr. l'Abbé de l'Épée pratique depuis long-tems avec tant de succès?

En effet, cet habile Instituteur ayant conçu le généreux projèt de se consacrer à l'instruction des sourds & muèts, a sagement observé qu'ils avoient une langue naturèle, au moyen de laquelle ils comuniquoient entr'eux: cette langue n'étant autre que le langage des signes, il a senti que s'il parvenoit à conoître ce langage, rien ne lui seroit plus facile que de réussir dans son entreprise. Le succès a justifié une réfléxion aussi judicieuse. Ce n'est donc pas Mr. l'Abbé De l'Épée qui a créé & inventé ce langage: tout au contraire, il l'a apris des sourds & muèts; il a seulement rectifié ce qu'il a trouvé de défectueux dans ce langage; il l'a étendu, & lui a doné des règles méthodiques.

Ce savant Instituteur s'est considéré come un home transplanté tout-à-coup au milieu d'une Nation étrangère, à qui il auroit voulu aprendre sa propre langue: il a jugé que le moyen le plus sûr pour y parvenir, seroit d'aprendre lui-même la langue du Pays, afin de faire comprendre aisément les instructions qu'il voudroit doner.

Je le demande à Mr. l'Abbé Deschamps lui-même: s'il avoit dessein d'aprendre l'Anglois ou quelqu'autre langue qu'il ignorât; coment s'y prendroit-il? Comenceroit-il par prendre une gramaire toute Angloise, dont il ne comprendroit pas un seul mot? Non, assurément: il choisiroit une gramaire Angloise écrite en François; & à l'aide de sa langue maternèle, il aprendroit aisément la langue qui lui est inconue.

C'est précisément la route qu'a pris Mr. l'Abbé De l'Épée. Pouvoit-il rien faire de plus sensé & de plus conséquent? Il ne lui a pas falu, come le croit Mr. l'Abbé Deschamps (page 37) beaucoup de tems, beaucoup de peine & de travaux, pour former son système d'éducation par le secours des signes naturèls. De l'ordre dans les idées, de la justèsse dans les observations, de l'atention à suivre en tout la nature pour guide; voilà les moyens dont il a fait usage, voilà toute la magie de son art.

JE n'ai pas moins que Mr. l'Abbé Deschamps, de vénération pour le langage de la parole, & je conçois parfaitement l'avantage dont il doit être pour les sourds & muèts: c'est pour cela même que je lui reproche de condamner & de proscrire le langage des signes; parce que je suis persuadé que c'est là le moyen le plus sûr & le plus naturèl de les conduire à l'intelligence des langues; la nature leur ayant doné ce langage, pour leur tenir lieu des autres dont ils sont privés.

Mais est il bien certain que le langage des signes soit naturèl aux sourds & muèts?

L'Auteur que je combats, entasse sur cette question les contradictions les plus révoltantes: il dit positivement le oui & le non. «Non-seulement, dit-il page première, un penchant comun porte les sourds & muets à faire des signes; mais tous les hommes en font usage naturellement: notre inclination à nous-mêmes nous détermine à nous en servir, sans que nous nous en appercevions, nous qui jouïssons de la parole & de l'ouïe». Deux pages plus bas on lit: «les signes sont naturels à l'homme: personne n'en disconviendra».

Après une décision aussi formèle; à la page suivante (page 4) il demande sérieusement si les signes sont l'ouvrage de la nature, ou celui de l'éducation. Il répète la même question, p. 8; & enfin, p. 12, il la résout gravement par ces mots: «ainsi donc ce penchant n'est que l'effet de l'éducation & non de la nature

Observations d'un sourd et muèt sur un cours élémentaire d'éducation des sourds et muèts publié en 1779 par M. l'Abbé Deshamps, Chapelain de l'Église d'Orléans

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