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II

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Les danseurs sortaient de la salle, Frome se rejeta en arrière de la double porte.

De sa cachette il assista à la séparation des groupes, emmitouflés de façon grotesque. De-ci, de-là, le reflet sautillant d'une lanterne éclairait un visage congestionné par la bonne chère et la danse. Les gens de Starkfield, venus à pied, étaient les premiers à gravir le raidillon qui menait à la Grande Rue, pendant que les fermiers des environs s'installaient dans leurs traîneaux.

– Vous ne voulez pas monter avec nous, Mattie? – cria une voix de femme dans la foule, sous le hangar.

Le cœur d'Ethan sursauta dans sa poitrine.

De l'endroit qu'il occupait, il ne pouvait voir ceux qui sortaient de la salle avant qu'ils eussent un peu dépassé le tambour de la porte. Il entendit répondre une voix claire:

– Eh! non, pas par une nuit pareille!…

Mattie était donc là, tout à côté de lui: une planche mince les séparait. Dans un instant elle allait paraître, elle aussi, et les yeux de Frome, accoutumés à l'obscurité, la discerneraient entre toutes, aussi aisément qu'en plein jour. Un mouvement de timidité le fit reculer, encore, dans l'ombre. Il demeura là en silence, invisible.

Il était lui-même tout surpris de cette gêne subite. Généralement, au contraire, bien qu'elle fût la plus vive, la plus fine, la plus «en dehors», elle lui avait communiqué un peu de son naturel et de son aisance. Mais ce soir il se sentait aussi gauche, aussi emprunté qu'au temps de ses études, lorsqu'il hasardait quelques plaisanteries timides avec les jeunes filles de Worcester, au bal.

Il hésita; Mattie sortit seule, puis s'arrêta à quelques pas de lui. Elle avait été à peu près la dernière à quitter la salle. Elle regardait autour d'elle avec inquiétude, étonnée qu'Ethan ne se montrât pas. Un homme se rapprocha d'elle, si près que sous leurs manteaux informes le groupe ne faisait plus qu'une lourde et noire silhouette.

– Est-ce que monsieur votre ami est parti sans vous? Dites, Mattie, ce serait un peu fort… Mais soyez tranquille, je ne le dirai pas à vos petites camarades: je ne suis pas assez méchant pour cela… Et puis, tenez, j'ai eu la bonne idée d'amener le cutter2 de mon vieux: il nous attend.

Frome était exaspéré par ce ton goguenard, mais la voix de la jeune fille répondit, incrédule et gaie:

– Bonté du ciel! qu'est-ce que vient faire ici le cutter de votre père?

– Mais il m'attend pour faire un tour. J'ai sorti le poulain rouan. Je me doutais bien que nous aurions à nous promener ce soir, – fit Eady, essayant de mettre une note sentimentale dans sa voix de jeune coq.

Mattie semblait balancer. Frome vit qu'elle roulait le bout de son écharpe autour de ses doigts. Pour rien qu monde il n'eût bougé, mais il sentait toute son existence suspendue au prochain geste de la jeune fille.

– Attendez une minute: je vais détacher le poulain, – lui dit Denis, se dirigeant vers le traîneau.

Elle demeura immobile, le regardant s'éloigner, dans une attitude si calme que Frome, dans sa cachette, en souffrait profondément. Il observa que pas une seule fois elle ne tournait la tête, pour découvrir dans la nuit noire une autre silhouette. Elle laissa Denis Eady sortir le cheval, monter sur le traîneau et relever la peau d'ours pour lui faire place. Puis, brusquement, elle fit volte-face et courut vers la montée, dans la direction du portail de l'église.

– Au revoir! bonne promenade! – cria-t-elle.

Denis se mit à rire. Il fouetta son cheval et rejoignit la jeune fille, qui avait pris de l'avance.

– Allons, voyons, grimpez vite! Ce coin glisse bigrement! fit-il, se penchant pour lui saisir la main.

Le rire de la jeune fille fusa de nouveau dans les ténèbres.

– Non, non, décidément!… Bonne nuit!

Pendant ce dialogue, ils avaient dépassé Frome, et celui-ci, ne pouvant plus entendre leurs propos, en était réduit à suivre la pantomime que jouaient leurs ombres sur la crête. Il vit Eady sauter de son cutter et s'avancer vers Mattie, en maintenant ses guides sur son bras: le jeune homme essaya d'atteindre une dernière fois Mattie. Mais elle l'évita par une retraite agile.

Le cœur de Frome, qu'avait secoué une crainte mortelle, se reprit à battre régulièrement. Quelques secondes plus tard, il entendit tinter les grelots de l'attelage, qui s'éloignait. Puis il vit une silhouette isolée traverser la neige, devant l'église.

Sous l'ombre épaisse que projetaient les sapins de Varnum, il rejoignit Mattie, qui se retourna.

– Oh! – fit-elle, surprise.

– Vous croyiez donc que je vous avais oubliée? – demanda-t-il avec une joie enfantine.

Gravement elle répondit:

– Je pensais qu'il vous avait sans doute été impossible de venir me chercher.

– Impossible?… Et pourquoi?

– Zeena était mal en train aujourd'hui…

2

Petit traîneau rapide à deux places.

Sous la neige

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