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III

Table des matières

Si l’on comptoit toutes les souffrances que, depuis des siècles et des siècles, le peuple a endurées sur la surface du globe, non par une suite des lois de la nature, mais des vices de la société, le nombre en égaleroit celui des brins d’herbe qui couvrent la terre humectée de ses pleurs,

En sera-t-il donc toujours ainsi?

Cette multitude est-elle destinée à parcourir perpétuellement le cercle des mêmes douleurs? N’a-t-elle rien à attendre de l’avenir? Sur tous les points de la route tracée pour elle à travers le temps, ne sortira-t-il jamais de ses entrailles qu’un lamentable cri de détresse? Y a-t-il en elle ou hors d’elle quelque nécessité fatale qui doive jusqu’à la lin lui interdire un état meilleur? Le Père céleste l’a-t-il condamnée à souffrir également toujours?

Ne le pensez pas; ce seroit blasphémer en vous-même.

Les voies de Dieu sont des voies d’amour. Ce qui vient de lui, ce ne sont pas les maux qui affligent ses pauvres créatures, mais les biens qu’il répand autour d’elles avec profusion.

Le vent doux et tiède qui les ranime au printemps est son souffle, et la rosée qui les rafraîchit durant les feux de l’été est sa moite haleine.

Quelques-uns disent: Vous êtes en naissant destinés au supplice; ici-bas, votre vie n’est que cela et ne doit être que cela. Mais le supplice, ce sont eux qui le font, et parce qu’ils ont fondé leur bien à eux sur le mal des autres, ils voudroient persuader à ceux-ci que leur misère est irrémédiable, et qu’essayer seulement d’en sortir seroit une tentative aussi criminelle qu’insensée.

N’écoutez pas cette parole menteuse. La félicité parfaite, à laquelle tout être humain aspire, n’est pas, il est vrai, de ce monde. Vous y passez pour atteindre un but, pour remplir des devoirs, pour accomplir une œuvre; le repos est au-delà, et c’est maintenant le temps du travail. Ce travail néanmoins, selon le dessein de celui qui l’impose, n’est point un châtiment continuel à subir; mais, autant que le permet l’effort qu’il nécessite, un bien réel quoique mélangé, un commencement de la joie qui, dans sa plénitude, en est le terme.

Nous ressemblons au laboureur; il sème à l’entrée de l’hiver et ne recueille qu’en automne. Toutefois sa fatigue est-elle sans douceur, et le contentement ne germe-t-il pas avec l’espérance dans ses sillons?

La misère, qu’on vous dit être irrémédiable, vous avez au contraire à y emédier. Et puisque l’obstacle n’est pas dans la nature, mais dans les hommes, vous le pourrez sitôt que vous le voudrez; car ceux dont l’intérêt, tel qu’il le comprennent faussement, seroit de vous en empêcher, que sont-ils près de vous? quelle est leur force? Vous êtes cent contre chacun d’eux.

Si jusqu’ici vous n’avez recueilli que si peu de fruit de vos efforts, comment s’en étonner? Vous aviez en main ce qui renverse, vous n’aviez pas dans le cœur ce qui fonde. La justice vous a manqué quelquefois, la charité toujours.

Vous aviez à défendre votre droit: vous avez, ou l’on a souvent attaqué en votre nom le droit d’autrui. Vous aviez à établir la fraternité sur la terre, le règne de Dieu et le règne de l’amour: au lieu de cela, chacun n’a pensé qu’à soi, chacun n’a eu en vue que son intérêt propre. La haine et l’envie vous ont animés. Sondez votre âme, et presque tous vous y trouverez cette pensée secrète: «Je travaille et je souffre, celui-là est oisif et regorge de jouissances. Pourquoi lui plutôt que moi?» Et le désir que vous nourrissez seroit d’être à sa place, pour vivre comme lui et agir comme lui.

Or, ce ne seroit pas là détruire le mal, mais le perpétuer. Le mal est dans l’injustice, et non en ce que ce soit celui-ci plutôt que celui-là qui profite de l’injustice.

Voulez-vous réussir? faites ce qui est bon par de bons moyens. Ne confondez pas la force que dirigent la justice et la charité avec la violence brutale et féroce.

Voulez-vous réussir? pensez à vos frères autant qu’à vous. Que leur cause soit votre cause, leur bien votre bien, leur mal votre mal. Ne vous voyez vous-mêmes et ne vous sentez qu’en eux. Que votre insouciance se transforme en sympathie profonde, et votre égoïsme en dévouement. Alors vous ne serez plus des individus dispersés dont quelques-uns mieux unis font tout ce qu’ils veulent. Vous serez un, et quand vous serez un, vous serez tout; et qui désormais s’interposera entre vous et le but que vous voulez atteindre? Isolés à présent parce que chacun ne s’occupe que de soi, de ses fins personnelles, on vous oppose les uns aux autres, on vous maîtrise les uns par les autres: quand vous n’aurez qu’un intérêt, une volonté, une action commune, où est la force qui vous vaincra?

Mais comprenez bien quelle tâche est la vôtre, sans quoi vous échoueriez toujours.

Ce n’est point de vous faire individuellement un sort meilleur; car la masse resteroit également souffrante, et rien ne seroit changé dans le monde. Le bien et le mal y subsisteroient en même proportion; ils y seroient seulement, quant aux personnes, distribués différemment. L’un monteroit, l’autre descendroit, et ce seroit tout.

Ce n’est point de substituer une domination à une autre domination. Qu’importe qui domine? Toute domination implique des classes distinctes, par conséquent des privilèges, par conséquent un assemblage d’intérêts qui se combattent, et, en vertu des lois faites par les classes élevées pour s’assurer les avantages de leur position supérieure, le sacrifice de tous ou de presque tous à quelques-uns. Le peuple est comme l’engrais de la terre où elles prennent racine.

Votre tâche, la voici; elle est grande. Vous avez à former la famille universelle, à construire la Cité de Dieu, à réaliser progressivement, par un travail ininterrompu, son œuvre dans l’humanité.

Lorsque, vous aimant les uns les autres comme des frères, vous vous traiterez mutuellement en frères; que chacun, cherchant son bien dans le bien de tous, unira sa vie à la vie de tous, ses intérêts à l’intérêt de tous, prêt sans cesse à se dévouer pour tous les membres de la commune famille, également prêts eux-mêmes à se dévouer pour lui, la plupart des maux sous le poids desquels gémit la race humaine disparoîtront, comme les vapeurs qui chargent l’horizon se dissipent au lever du soleil; et ce que Dieu veut s’accomplira, car sa volonté est que l’amour unissant peu à peu, d’une manière toujours plus intime, les éléments épars de l’humanité, et les organisant en un seul corps, elle soit une comme lui-même est un.

Le livre du peuple

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