Читать книгу Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 4 - Féval Paul - Страница 4

VII
LE DESSERT

Оглавление

Le nabab traitait magnifiquement. Il avait pour chef un de ces hommes choisis qui portent notre glorieux nom français jusqu'au fin fond des cuisines russes, anglaises et autrichiennes. Son repas était au-dessus de toute description, et la plume de faisan des poëtes culinaires qui continuent Antonin Carême se fût émoussée devant tant de splendeur.

Par exemple, il faut bien l'avouer, les convives assis autour de cette table éblouissante étaient un peu mêlés. Nous parlons seulement de la première table, car il y en avait deux, et la seconde, réservée aux dames, n'était pas mêlée du tout.

Dans ce monde errant et bien titré qui se groupe autour d'une maison de jeu, dès qu'une maison de jeu s'ouvre, il est vraiment bien difficile de distinguer l'aventurier du gentilhomme. En effet, l'aventurier se frotte si aisément au gentilhomme, et le gentilhomme si fatalement à l'aventurier, qu'ils déteignent l'un sur l'autre, si bien que tel vrai marquis, possédant un nombre rond de quartiers sincères, vous fait l'effet d'un aigrefin, tandis que tel bachelier ès tours d'adresse, cachant soigneusement ses diplômes, vous miroite à l'œil comme le plus pailleté des marquis.

Il y a longtemps que la mode française est à l'anglomanie. Montalt avec ses millions, sa romanesque histoire où il n'y avait pas un seul mensonge, sa grande mine et la haute distinction de sa personne, n'aurait eu qu'à se laisser faire pour devenir le lion des salons aristocratiques.

On eût abaissé à plaisir les roides barrières de l'étiquette devant ses fantaisies, et, de par l'audace même de ses caprices, il eût conquis la royauté de la mode.

Mais il n'en voulait pas. Il lui plaisait, par exemple, d'attirer chez lui le faubourg Saint-Germain et de ne point lui rendre sa visite.

Il lui plaisait d'amuser tout ce monde orgueilleux, mais en l'humiliant à sa manière.

Chez lui, le plaisir ne s'arrêtait jamais avant d'atteindre aux folles nuances de l'orgie; on le savait. Il se divertissait à voir les puritains passer le seuil de son enfer.

Autour de la table de Berry Montalt, il y avait assurément de vrais grands seigneurs, mais on y voyait aussi, à part même nos gentilshommes de l'hôtel des Quatre Parties du Monde, un nombre assez notable de chevaliers d'industrie. Les uns et les autres, du reste, s'emboîtaient passablement et formaient un très-noble ensemble.

On voyait là, réunis, des représentants de trois ou quatre aristocraties, et la crème de cinq ou six tripots.

Le Cercle des Étrangers surtout, alors dans toute sa gloire, fournissait un contingent remarquable. Tous les pays du globe étaient représentés. Les plus minces convives se nommaient pour le moins M. le chevalier. Il y avait des quantités de comtes… trois marquis et un duc. Il y avait même cet illustre et trop infortuné polonais le prince Bottansko, dont les affidés de la Russie parlaient avec mépris, mais qui était, en réalité, un ancien modèle d'atelier, honorablement connu parmi les rapins de l'empire.

C'était merveille de voir l'élégante et spirituelle courtoisie qui se dépensait autour de la table. Montalt donnait le ton, et il était en veine de charmantes saillies. Ce qu'il y avait d'alliage dans cette noble réunion disparaissait vraiment sous l'or pur.

D'ailleurs, les grecs de 1820, bien que cette appellation antique ne fût pas encore retrouvée, valaient nos grecs de 1847. Ce genre est évidemment d'élite et donne à ses adeptes un vernis inappréciable.

Entre les plus élégants, M. le chevalier de las Matas se faisait remarquer; il méritait à tous égards l'honneur que lui avait fait milord en le plaçant auprès de lui. Nos deux autres gentilshommes ne brillaient pas à beaucoup près autant, mais le Portugal et l'Allemagne sont des pays où l'esprit de conversation ne croît pas en pleine terre. M. le comte de Manteïra et le bon baron Bibander étaient, en somme, convenables: c'était tout ce qu'il fallait exiger d'eux.

En arrivant à l'hôtel du nabab, nos trois gentilshommes avaient eu une alerte assez vive. Ils n'avaient vu jusqu'alors Montalt qu'au Cercle des Étrangers, et ils ignoraient entièrement la composition de son intérieur.

Lola était bien venue à l'hôtel, comme tant d'autres femmes; mais, comme toutes les autres, elle n'avait fait que passer.

En entrant, ce soir, les premières figures aperçues par Bibandier, Blaise et Robert, avaient été justement deux visages de connaissance, qu'ils ne s'attendaient certes point trouver là; nous voulons parler d'Étienne et de Roger.

Les deux jeunes gens étaient aux côtés de Montalt, et faisaient avec lui les honneurs.

La surprise de nos trois gentilshommes fut si grande, qu'ils pensèrent se trahir au premier moment.

Mais ils étaient bien déguisés; l'aplomb leur revint d'autant mieux qu'ils purent voir tout de suite qu'on ne les reconnaissait point.

Par le fait, Étienne et Roger étaient à cent lieues de songer à M. Robert de Blois, à Blaise, son domestique, ou même au pauvre fossoyeur Bibandier.

L'alerte était passée depuis longtemps. Le dîner marchait suivant les règles de l'art. Le sommelier de milord, personnage classique et nourri des traditions les plus respectables, dirigeait avec méthode et sang-froid son bataillon de porte-bouteilles; les vins étaient non-seulement choisis, ce qui est beaucoup, mais servis selon le code de la gastrologie, ce qui est davantage.

Il faut ici le coup d'œil et la science. Il faut savoir alterner le chaud madère avec le bordeaux, ce roi des vins; il faut placer à propos le chambertin généreux, le porto, cher aux palais britanniques, le syracuse, le chypre et le lacryma-christi, ces vins romantiques, que l'on boit au théâtre dans des coupes de carton doré; le constance, fouetté par les tempêtes, et le johannisberg, diplomatique ambroisie, qu'on n'achète, dit-on, qu'avec de l'esprit ou de la gloire.

Quant au champagne, cette pâle et froide potion qui met les collégiens en goguette et fait chanter les étudiants à la barrière, nous aurions pudeur de prononcer son nom bourgeois parmi tant de noms illustres.

On causait fort gaiement déjà. Le baron Bibander, une fois la glace rompue, se prenait à baragouiner d'une si triomphante façon, que le bon Graff était tout fier de son élève.

Montalt avait des prévenances pour chacun, mais il donnait la principale part de son attention à M. le chevalier de las Matas, qui l'entretenait avec une rare vivacité.

Montalt lui répondait, lui souriait, et ne laissait jamais son verre vide.

Le moyen de ne pas boire quand on avait milord lui-même pour échanson! M. le chevalier, bonne tête pourtant, était déjà un peu exalté au commencement du second service.

Mais cela ne tirait point à conséquence, attendu que les trois quarts des convives marchaient en avant de lui. Le prince Bottansko, surtout, afin de faire honneur à sa nationalité, buvait avec une vigueur au-dessus de tout éloge.

Dans la galerie voisine, un brillant orchestre exécutait tantôt des airs à la mode, tantôt des mélodies indiennes, fournies par Mirze, l'ancienne esclave du nabab.

Au bout de la galerie s'ouvrait une seconde salle, décorée exactement comme la première, et au milieu de laquelle se dressait aussi une table servie.

Cette table était entourée par un cercle de charmantes femmes qui buvaient, ma foi, le mieux du monde.

Mirze présidait au banquet féminin, Mirze que nous avons vue toujours mélancolique et muette.

Mais le nabab lui avait dit d'être gaie, de chanter, de sourire…

Elle était gaie, la pauvre âme esclave, elle chantait, elle souriait.

Presque toutes ces dames avaient obéi, du reste, à la fantaisie de Montalt; elles avaient, pour la plupart, des costumes asiatiques, et douze ou quinze d'entre elles, sous la direction de Mirze, s'étaient déguisées en bayadères de Mysore.

Bien entendu, autour de cette table, on n'eût pas trouvé une seule femme laide. Ceci était la moindre chose. Mais il y en avait de ravissantes et qui faisaient le plus grand honneur au goût de M. Smith, le galant distributeur d'aumônes.

Parmi les plus charmantes, il fallait distinguer deux petites danseuses de l'Académie royale de musique, qui venaient pour la première fois à l'hôtel. M. Smith, on peut le dire, avait eu ici la main particulièrement heureuse. C'étaient deux petits lutins au sourire naïf et mutin, toutes jeunes, gracieuses comme des fées.

Des bijoux, enfin!

Ces deux demoiselles avaient été convoquées en vue d'Étienne et de Roger. Le nabab voulait en finir une bonne fois avec la chevaleresque niaiserie de ses deux favoris; et vraiment, pour opérer une tentation efficace, on ne pouvait trouver mieux que mesdemoiselles Delphine et Hortense, les deux plus nouvelles acquisitions du corps de ballet de l'Opéra.

Étienne et Roger n'avaient qu'à se bien tenir!

De temps en temps, pendant le dîner, Montalt les regardait en souriant à l'idée de sa victoire prochaine, et tout en écoutant les discours animés du chevalier de las Matas, qui lui soumettait peut-être, en ce moment, le plan de sa fameuse martingale, Montalt faisait de loin aux deux jeunes gens des signes de joyeuse menace.

Étienne et Roger comprenaient parfaitement, et levaient leurs verres en signe de bataille acceptée.

Malgré l'incontestable talent de M. Smith, les délicieuses pensionnaires de l'Académie royale de musique n'étaient cependant pas précisément ce que Montalt aurait voulu.

Il s'agissait de convertir les deux jeunes gens à sa manière de voir, et, sur ce sujet, la fantaisie de Montalt s'était développée outre mesure. La résistance de Roger et d'Étienne l'avait piqué au vif. C'était désormais une gageure qu'il prétendait gagner à tout prix.

Les belles-de-nuit; ou, les anges de la famille. tome 4

Подняться наверх