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III Gestation

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Macarée s'aperçut bientôt qu'elle avait conçu de Viersélin Tigoboth.

«C'est ennuyeux, pensa-t-elle d'abord, mais la médecine a fait beaucoup de progrès. Je me débarrasserai quand je voudrai. Ah! ce Wallon! Il aura travaillé en vain. Macarée peut-elle élever le fils d'un chemineau? Non, non, je condamne à mort cet embryon. Je ne veux même pas conserver dans l'esprit de vin ce fœtus de mauvaise famille. Et toi, mon ventre, si tu savais comme je t'aime depuis que je connais ta bonté. Quoi? tu acceptes de porter les fardeaux que tu trouves sur ta route? ventre trop innocent, tu es indigne de mon âme égoïste.

«Que dis-je, ô mon ventre? tu es cruel, tu sépares les enfants de leurs pères. Non! je ne t'aime plus. Tu n'es qu'un sac plein, à cette heure, ô mon ventre souriant du nombril, ô mon ventre élastique, barbu, lisse, bombé, douloureux, rond, soyeux, qui anoblis. Car tu anoblis, je l'oubliais, ô mon ventre plus beau que le soleil. Tu anoblirais aussi l'enfant du chemineau wallon et tu vaux bien la cuisse de Jupiter. Quel malheur! un peu plus, j'aurais détruit un enfant de race noble, mon enfant qui déjà vit dans mon ventre bien-aimé.»

Elle ouvrit brusquement la porte et cria:

«Madame Dehan! Mademoiselle Baba!»

Il y eut un fracas de portes, de serrures, et les propriétaires de Macarée arrivèrent en courant.

«Je suis enceinte, cria Macarée, je suis enceinte!»

Elle était assise sur son lit, les jambes écartées, sa chair était douillette. Macarée était étroite de ceinture et large de côté.

—Pauvre petite, dit Mme Dehan, qui était borgne, moustachue, déhanchée et boiteuse, pauvre petite, vous ne savez pas ce qui vous attend. Après l'accouchement, les femmes sont comme les dépouilles des hannetons qui craquent sous les pieds des passants. Après l'accouchement, les femmes ne sont plus que boîtes à maladies (regardez-moi!), coquilles d'œufs emplies de sorts, d'incantations et autres féeries. Ah! Ah! vous avez bien travaillé.

—Sottises! dit Macarée. Le devoir des femmes est d'avoir des enfants et je sais bien que généralement cela influe très heureusement sur leur santé autant physique que morale.

—De quel côté êtes-vous malade? demanda Mlle Baba.

—Taisez-vous, paraît! dit Mme Dehan. Allez plutôt chercher mon flacon d'élixir de Spa et apportez aussi des petits verres.

Mlle Baba apporta l'élixir. On en but.

«Ça va mieux, dit Mme Dehan; après une telle émotion, j'avais besoin de me remettre.»

Elle se reversa un petit verre d'élixir, le but et en recueillit avec la langue les dernières gouttelettes.

—Figurez-vous, dit-elle ensuite, figurez-vous, madame Macarée... Je le jure sur ce que j'ai de plus sacré au monde, Mlle Baba en peut témoigner comme moi-même, c'est la première fois qu'il arrive pareille chose à une de mes locataires. Et il y en a eu, paraît! Louise Bernier qu'on appelait la Plie, parce qu'elle était plate; Marcelle la Carabinière (dont l'insolence était épatante!); Josuette, qui est morte d'une insolation à Christiania, le soleil voulant ainsi se venger de Josué; Lili de Mercœur, un grand nom, paraît-il (pas le sien naturellement), et puis assez vilain pour une femme chic, ça s'écrit Mercœur: «Il faut prononcer Mercure», disait-elle la bouche en cul de poule. Et vous savez, elle a fini par là, on l'a remplie de mercure comme un thermomètre. Elle me demandait le matin: «Quel temps fera-t-il aujourd'hui?» Mais je lui répondais toujours: «Vous devez le savoir mieux que moi...» Jamais, au grand jamais, elles n'ont été enceintes chez moi.

—Voyons, c'est pas tout ça, dit Macarée. Je ne l'ai jamais été non plus. Donnez-moi des conseils, mais qu'ils soient courts.

À ce moment, elle se leva.

«Oh! s'écria Mme Dehan, que vous avez le derrière bien formé! Quel éclat! quelle blancheur! quel embonpoint! Mademoiselle Baba, Mme Macarée va mettre une robe de chambre. Servez le café et vous apporterez aussi la tarte aux myrtilles.»

Macarée mit une chemise et enfila une robe de chambre dont la ceinture était formée d'une écharpe écossaise.

Mlle Baha revint; elle apportait sur un grand plateau les tasses, la cafetière, le pot au lait, le pot à miel, les tartines beurrées et la tarte aux myrtilles.

—Vous voulez un bon conseil, dit Mme Dehan en essuyant du revers de sa main le café au lait qui coulait sur son menton. Vous ferez baptiser votre enfant.

—Je n'y manquerai pas, dit Macarée.

—Je pense même, dit Mlle Baba, qu'il serait bon de l'ondoyer le jour de sa naissance.

—En effet, marmotta Mme Dehan la bouche pleine, on ne sait jamais ce qui peut arriver. Puis vous le nourrirez vous-même, et si j'étais de vous, si j'avais de l'argent comme vous, je tâcherais d'aller à Rome avant d'accoucher et de me faire bénir par le pape. Il ne connaîtra jamais les caresses, ni les corrections paternelles, votre enfant; il ne prononcera jamais le doux nom de papa. Au moins que la bénédiction du pape le suive toute sa vie.

Et Mme Dehan se mit à sangloter comme un pot au feu qui déborde, Macarée versa des larmes aussi abondantes que celles d'une baleine qui souffle. Mais que dire de Mlle Baba? Les lèvres bleues de myrtilles, elle pleura tant et tant que, de la gorge, les sanglots se propagèrent jusqu'à son pucelage qui manqua s'étrangler.

Le poète assassiné

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