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Guy de Maupassant
MONSIEUR PARENT
Monsieur Parent
II. Parent vécut seul, tout à fait seul…

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Parent vécut seul, tout à fait seul. Pendant les premières semaines qui suivirent la séparation, l’étonnement de sa vie nouvelle l’empêcha de songer beaucoup. Il avait repris son existence de garçon, ses habitudes de flânerie, et il mangeait au restaurant, comme autrefois. Ayant voulu éviter tout scandale, il faisait à sa femme une pension réglée par les hommes d’affaires. Mais, peu à peu, le souvenir de l’enfant commença à hanter sa pensée. Souvent, quand il était seul, chez lui, le soir, il s’imaginait tout à coup entendre Georges crier «papa». Son coeur aussitôt commençait à battre et il se levait bien vite pour ouvrir la porte de l’escalier et voir si, par hasard, le petit ne serait pas revenu. Oui, il aurait pu revenir comme reviennent les chiens et les pigeons. Pourquoi un enfant aurait-il moins d’instinct qu’une bête?

Après avoir reconnu son erreur, il retournait s’asseoir dans son fauteuil, et il pensait au petit. Il y pensait pendant des heures entières, des jours entiers. Ce n’était point seulement une obsession morale, mais aussi, et plus encore, une obsession physique, un besoin sensuel, nerveux de l’embrasser, de le tenir, de le manier, de l’asseoir sur ses genoux, de le faire sauter et culbuter dans ses mains. Il s’exaspérait au souvenir enfiévrant des caresses passées. Il sentait les petits bras serrant son cou, la petite bouche posant un gros baiser sur sa barbe, les petits cheveux chatouillant sa joue. L’envie de ces douces câlineries disparues, de la peau fine, chaude et mignonne offerte aux lèvres, l’affolait comme le désir d’une femme aimée qui s’est enfuie.

Dans la rue, tout à coup, il se mettait à pleurer en songeant qu’il pourrait l’avoir, trottinant à son côté avec ses petits pieds, son gros Georget, comme autrefois, quand il le promenait. Il rentrait alors; et, la tête entre ses mains, sanglotait jusqu’au soir.

Puis, vingt fois, cent fois en un jour il se posait cette question: «Était-il ou n’était-il pas le père de Georges?» Mais c’était surtout la nuit qu’il se livrait sur cette idée à des raisonnements interminables. À peine couché, il recommençait, chaque soir, la même série d’argumentations désespérées.

Après le départ de sa femme, il n’avait plus douté tout d’abord: l’enfant, certes, appartenait à Limousin. Puis, peu à peu, il se remit à hésiter. Assurément, l’affirmation d’Henriette ne pouvait avoir aucune valeur. Elle l’avait bravé, en cherchant à le désespérer. En pesant froidement le pour et le contre, il y avait bien des chances pour qu’elle eût menti.

Seul Limousin, peut-être, aurait pu dire la vérité. Mais comment savoir, comment l’interroger, comment le décider à avouer?

Et quelquefois Parent se relevait en pleine nuit, résolu à aller trouver Limousin, à le prier, à lui offrir tout ce qu’il voudrait, pour mettre fin à cette abominable angoisse. Puis il se recouchait désespéré, ayant réfléchi que l’amant aussi mentirait sans doute! Il mentirait même certainement pour empêcher le père véritable de reprendre son enfant.

Alors que faire? Rien!

Et il se désolait d’avoir ainsi brusqué les événements, de n’avoir point réfléchi, patienté, de n’avoir pas su attendre et dissimuler, pendant un mois ou deux, afin de se renseigner par ses propres yeux. Il aurait dû feindre de ne rien soupçonner, et les laisser se trahir tout doucement. Il lui aurait suffi de voir l’autre embrasser l’enfant pour deviner, pour comprendre. Un ami n’embrasse pas comme un père. Il les aurait épiés derrière les portes! Comment n’avait-il pas songé à cela? Si Limousin, demeuré seul avec Georges, ne l’avait point aussitôt saisi, serré dans ses bras, baisé passionnément, s’il l’avait laissé jouer avec indifférence, sans s’occuper de lui, aucune hésitation ne serait demeurée possible: c’est qu’alors il n’était pas, il ne se croyait pas, il ne se sentait pas le père.

De sorte que lui, Parent, chassant la mère, aurait gardé son fils, et il aurait été heureux, tout à fait heureux.

Il se retournait dans son lit, suant et torturé, et cherchant à se souvenir des attitudes de Limousin avec le petit. Mais il ne se rappelait rien, absolument rien, aucun geste, aucun regard, aucune parole, aucune caresse suspects. Et puis la mère non plus ne s’occupait guère de son enfant. Si elle l’avait eu de son amant, elle l’aurait sans doute aimé davantage.

On l’avait donc séparé de son fils par vengeance, par cruauté, pour le punir de ce qu’il les avait surpris.

Et il se décidait à aller, dès l’aurore, requérir les magistrats pour se faire rendre Georget.

Mais à peine avait-il pris cette résolution qu’il se sentait envahi par la certitude contraire. Du moment que Limousin avait été, dès le premier jour, l’amant d’Henriette, l’amant aimé, elle avait dû se donner à lui avec cet élan, cet abandon, cette ardeur qui rendent mères les femmes. La réserve froide qu’elle avait toujours apportée dans ses relations intimes avec lui, Parent, n’était-elle pas aussi un obstacle à ce qu’elle eût été fécondée par son baiser!

Alors il allait réclamer, prendre avec lui, conserver toujours et soigner l’enfant d’un autre. Il ne pourrait pas le regarder, l’embrasser, l’entendre dire «papa» sans que cette pensée le frappât, le déchirât: «Ce n’est point mon fils». Il allait se condamner à ce supplice de tous les instants, à cette vie de misérable! Non, il valait mieux demeurer seul, vivre seul, vieillir seul, et mourir seul.

Et chaque jour, chaque nuit recommençaient ces abominables hésitations et ces souffrances que rien ne pouvait calmer ni terminer. Il redoutait surtout l’obscurité du soir qui vient, la tristesse des crépuscules. C’était alors, sur son coeur, comme une pluie de chagrin, une inondation de désespoir qui tombait avec les ténèbres, le noyait et l’affolait. Il avait peur de ses pensées comme on a peur des malfaiteurs, et il fuyait devant elles ainsi qu’une bête poursuivie. Il redoutait surtout son logis vide, si noir, terrible, et les rues désertes aussi où brille seulement, de place en place, un bec de gaz, où le passant isolé qu’on entend de loin semble un rôdeur et fait ralentir ou hâter le pas selon qu’il vient vers vous ou qu’il vous suit.

Et Parent, malgré lui, par instinct, allait vers les grandes rues illuminées et populeuses. La lumière et la foule l’attiraient, l’occupaient et l’étourdissaient. Puis, quand il était las d’errer, de vagabonder dans les remous du public, quand il voyait les passants devenir plus rares, et les trottoirs plus libres, la terreur de la solitude et du silence le poussait vers un grand café plein de buveurs et de clarté. Il y allait comme les mouches vont à la flamme, s’asseyait devant une petite table ronde, et demandait un bock. Il le buvait lentement, s’inquiétant chaque fois qu’un consommateur se levait pour s’en aller. Il aurait voulu le prendre par le bras, le retenir, le prier de rester encore un peu, tant il redoutait l’heure où le garçon, debout devant lui, prononcerait d’un air furieux: «Allons, monsieur, on ferme!»

Car, chaque soir, il restait le dernier. Il voyait rentrer les tables, éteindre, un à un, les becs de gaz, sauf deux, le sien et celui du comptoir. Il regardait d’un oeil navré la caissière compter son argent et l’enfermer dans le tiroir; et il s’en allait, poussé dehors par le personnel qui murmurait: «En voilà un empoté! On dirait qu’il ne sait pas où coucher».

Et dès qu’il se retrouvait seul dans la rue sombre, il recommençait à penser à Georget et à se creuser la tête, à se torturer la pensée pour découvrir s’il était ou s’il n’était point le père de son enfant.

Il prit ainsi l’habitude de la brasserie où le coudoiement continu des buveurs met près de vous un public familier et silencieux, où la grasse fumée des pipes endort les inquiétudes, tandis que la bière épaisse alourdit l’esprit et calme le coeur.

Il y vécut. À peine levé, il allait chercher là des voisins pour occuper son regard et sa pensée. Puis, par paresse de se mouvoir, il y prit bientôt ses repas. Vers midi, il frappait avec sa soucoupe sur la table de marbre, et le garçon apportait vivement une assiette, un verre, une serviette et le déjeuner du jour. Dès qu’il avait fini de manger, il buvait lentement son café, l’oeil fixé sur le carafon d’eau-de-vie qui lui donnerait bientôt une bonne heure d’abrutissement. Il trempait d’abord ses lèvres dans le cognac, comme pour en prendre le goût, cueillant seulement la saveur du liquide avec le bout de sa langue. Puis il se le versait dans la bouche, goutte à goutte, en renversant la tête; promenait doucement la forte liqueur sur son palais, sur ses gencives, sur toute la muqueuse de ses joues, la mêlant avec la salive claire que ce contact faisait jaillir. Puis, adoucie par ce mélange, il l’avalait avec recueillement, la sentant couler, tout le long de sa gorge, jusqu’au fond de son estomac.

Après chaque repas, il sirotait ainsi, pendant plus d’une heure, trois ou quatre petits verres qui l’engourdissaient peu à peu. Alors il penchait la tête sur son ventre, fermait les yeux et somnolait. Il se réveillait vers le milieu de l’après-midi, et tendait aussitôt la main vers le bock que le garçon avait posé devant lui pendant son sommeil; puis, l’ayant bu, il se soulevait sur la banquette de velours rouge, relevait son pantalon, rabaissait son gilet pour couvrir la ligne blanche aperçue entre les deux, secouait le col de sa jaquette, tirait les poignets de sa chemise hors des manches, puis reprenait les journaux qu’il avait déjà lus le matin.

Il les recommençait, de la première ligne à la dernière, y compris les réclames, demandes d’emploi, annonces, cote de la Bourse et programmes des théâtres.

Entre quatre et six heures il allait faire un tour sur les boulevards, pour prendre l’air, disait-il; puis il revenait s’asseoir à la place qu’on lui avait conservée et demandait son absinthe.

Alors il causait avec les habitués dont il avait fait la connaissance. Ils commentaient les nouvelles du jour, les faits divers et les événements politiques: cela le menait à l’heure du dîner. La soirée se passait comme l’après-midi jusqu’au moment de la fermeture. C’était pour lui l’instant terrible, l’instant où il fallait rentrer dans le noir, dans la chambre vide, pleine de souvenirs affreux, de pensées horribles et d’angoisses. Il ne voyait plus personne de ses anciens amis, personne de ses parents, personne qui pût lui rappeler sa vie passée.

Mais comme son appartement devenait un enfer pour lui, il prit une chambre dans un grand hôtel, une belle chambre d’entresol afin de voir les passants. Il n’était plus seul en ce vaste logis public; il sentait grouiller des gens autour de lui; il entendait des voix derrière les cloisons; et quand ses anciennes souffrances le harcelaient trop cruellement en face de son lit entr’ouvert et de son feu solitaire, il sortait dans les larges corridors et se promenait comme un factionnaire, le long de toutes les portes fermées, en regardant avec tristesse les souliers accouplés devant chacune, les mignonnes bottines de femme blotties à côté des fortes bottines d’hommes; et il pensait que tous ces gens-là étaient heureux, sans doute, et dormaient tendrement, côte à côte ou embrassés, dans la chaleur de leur couche.

Cinq années se passèrent ainsi; cinq années mornes, sans autres événements que des amours de deux heures, à deux louis, de temps en temps.

Or un jour, comme il faisait sa promenade ordinaire entre la Madeleine et la rue Drouot, il aperçut tout à coup une femme dont la tournure le frappa. Un grand monsieur et un enfant l’accompagnaient. Tous les trois marchaient devant lui. Il se demandait: «Où donc ai-je vu ces personnes-là?» et, tout à coup, il reconnut un geste de la main: c’était sa femme, sa femme avec Limousin, et avec son enfant, son petit Georges.

Son coeur battait à l’étouffer; il ne s’arrêta pas cependant; il voulait les voir; et il les suivit. On eût dit un ménage, un bon ménage de bons bourgeois. Henriette s’appuyait au bras de Paul, lui parlait doucement en le regardant parfois de côté. Parent la voyait alors de profil, reconnaissait la ligne gracieuse de son visage, les mouvements de sa bouche, son sourire, et la caresse de son regard. L’enfant surtout le préoccupait. Comme il était grand, et fort! Parent ne pouvait apercevoir la figure, mais seulement de longs cheveux blonds qui tombaient sur le col en boucles frisées. C’était Georget, ce haut garçon aux jambes nues, qui allait, ainsi qu’un petit homme, à côté de sa mère.

Comme ils s’étaient arrêtés devant un magasin, il les vit soudain tous les trois. Limousin avait blanchi, vieilli, maigri; sa femme, au contraire, plus fraîche que jamais, avait plutôt engraissé; Georges était devenu méconnaissable, si différent de jadis!

Ils se remirent en route. Parent les suivit de nouveau, puis les devança à grands pas pour revenir et les revoir, de tout près, en face. Quand il passa contre l’enfant, il eut envie, une envie folle de le saisir dans ses bras et de l’emporter. Il le toucha, comme par hasard. Le petit tourna la tête et regarda ce maladroit avec des yeux mécontents. Alors Parent s’enfuit, frappé, poursuivi, blessé par ce regard. Il s’enfuit à la façon d’un voleur, saisi de la peur horrible d’avoir été vu et reconnu par sa femme et son amant. Il alla d’une course jusqu’à sa brasserie, et tomba, haletant, sur sa chaise.

Il but trois absinthes, ce soir-là.

Pendant quatre mois, il garda au coeur la plaie de cette rencontre. Chaque nuit il les revoyait tous les trois, heureux et tranquilles, père, mère, enfant, se promenant sur le boulevard, avant de rentrer dîner chez eux. Cette vision nouvelle effaçait l’ancienne. C’était autre chose, une autre hallucination maintenant, et aussi une autre douleur. Le petit Georges, son petit Georges, celui qu’il avait tant aimé et tant embrassé jadis, disparaissait dans un passé lointain et fini, et il en voyait un nouveau, comme un frère du premier, un garçonnet aux mollets nus, qui ne le connaissait pas, celui-là! Il souffrait affreusement de cette pensée. L’amour du petit était mort; aucun lien n’existait plus entre eux; l’enfant n’aurait pas tendu les bras en le voyant. Il l’avait même regardé d’un oeil méchant.

Puis, peu à peu, son âme se calma encore; ses tortures mentales s’affaiblirent; l’image apparue devant ses yeux et qui hantait ses nuits devint indécise, plus rare. Il se remit à vivre à peu près comme tout le monde, comme tous les désoeuvrés qui boivent des bocks sur des tables de marbre et usent leurs culottes par le fond sur le velours râpé des banquettes.

Il vieillit dans la fumée des pipes, perdit ses cheveux sous la flamme du gaz, considéra comme des événements le bain de chaque semaine, la taille de cheveux de chaque quinzaine, l’achat d’un vêtement neuf ou d’un chapeau. Quand il arrivait à sa brasserie coiffé d’un nouveau couvre-chef, il se contemplait longtemps dans la glace avant de s’asseoir, le mettait et l’enlevait plusieurs fois de suite, le posait de différentes façons, et demandait enfin à son amie, la dame du comptoir, qui le regardait avec intérêt: «Trouvez-vous qu’il me va bien?»

Deux ou trois fois par an il allait au théâtre; et, l’été, il passait quelquefois ses soirées dans un café-concert des Champs-Élysées. Il en rapportait dans sa tête des airs qui chantaient au fond de sa mémoire pendant plusieurs semaines et qu’il fredonnait même en battant la mesure avec son pied, lorsqu’il était assis devant son bock.

Les années se suivaient, lentes, monotones et courtes parce qu’elles étaient vides.

Il ne les sentait pas glisser sur lui. Il allait à la mort sans remuer, sans s’agiter, assis en face d’une table de brasserie; et seule la grande glace où il appuyait son crâne plus dénudé chaque jour reflétait les ravages du temps qui passe et fuit en dévorant les hommes, les pauvres hommes.

Il ne pensait plus que rarement, à présent, au drame affreux où avait sombré sa vie, car vingt ans s’étaient écoulés depuis cette soirée effroyable.

Mais l’existence qu’il s’était faite ensuite l’avait usé, amolli, épuisé; et souvent le patron de sa brasserie, le sixième patron depuis son entrée dans cet établissement, lui disait: «Vous devriez vous secouer un peu, monsieur Parent; vous devriez prendre l’air, aller à la campagne, je vous assure que vous changez beaucoup depuis quelques mois».

Et quand son client venait de sortir, ce commerçant communiquait ses réflexions à sa caissière. «Ce pauvre M. Parent file un mauvais coton, ça ne vaut rien de ne jamais quitter Paris. Engagez-le donc à aller aux environs manger une matelote de temps en temps, puisqu’il a confiance en vous. Voilà bientôt l’été, ça le retapera».

Et la caissière, pleine de pitié et de bienveillance pour ce consommateur obstiné, répétait chaque jour à Parent: «Voyons, monsieur, décidez-vous à prendre l’air! C’est si joli, la campagne quand il fait beau! Oh! moi! si je pouvais, j’y passerais ma vie!»

Et elle lui communiquait ses rêves, les rêves poétiques et simples de toutes les pauvres filles enfermées d’un bout à l’autre de l’année derrière les vitres d’une boutique et qui regardent passer la vie factice et bruyante de la rue, en songeant à la vie calme et douce des champs, à la vie sous les arbres, sous le radieux soleil qui tombe sur les prairies, sur les bois profonds, sur les claires rivières, sur les vaches couchées dans l’herbe, et sur toutes les fleurs diverses, toutes les fleurs libres, bleues, rouges, jaunes, violettes, lilas, roses, blanches, si gentilles, si fraîches, si parfumées, toutes les fleurs de la nature qu’on cueille en se promenant et dont on fait de gros bouquets.

Elle prenait plaisir à lui parler sans cesse de son désir éternel, irréalisé et irréalisable; et lui, pauvre vieux sans espoirs, prenait plaisir à l’écouter. Il venait s’asseoir maintenant à côté du comptoir pour causer avec Mlle Zoé et discuter sur la campagne avec elle. Alors, peu à peu, une vague envie lui vint d’aller voir, une fois, s’il faisait vraiment si bon qu’elle le disait, hors les murs de la grande ville.

Un matin il demanda:

– Savez-vous où on peut bien déjeuner aux environs de Paris?

Elle répondit:

– Allez donc à la Terrasse de Saint-Germain. C’est si joli!

Il s’y était promené autrefois au moment de ses fiançailles. Il se décida à y retourner.

Il choisit un dimanche, sans raison spéciale, uniquement parce qu’il est d’usage de sortir le dimanche, même quand on ne fait rien en semaine.

Donc il partit, un dimanche matin, pour Saint-Germain.

C’était au commencement de juillet, par un jour éclatant et chaud. Assis contre la portière de son wagon, il regardait courir les arbres et les petites maisons bizarres des alentours de Paris. Il se sentait triste, ennuyé d’avoir cédé à ce désir nouveau, d’avoir rompu ses habitudes. Le paysage changeant et toujours pareil le fatiguait. Il avait soif; il serait volontiers descendu à chaque station pour s’asseoir au café aperçu derrière la gare, boire un bock ou deux et reprendre le premier train qui passerait vers Paris. Et puis le voyage lui semblait long, très long. Il restait assis des journées entières pourvu qu’il eût sous les yeux les mêmes choses immobiles, mais il trouvait énervant et fatigant de rester assis en changeant de place, de voir remuer le pays tout entier, tandis que lui-même ne faisait pas un mouvement.

Il s’intéressa à la Seine cependant, chaque fois qu’il la traversa. Sous le pont de Chatou il aperçut des yoles qui passaient enlevées à grands coups d’aviron par des canotiers aux bras nus; et il pensa: «Voilà des gaillards qui ne doivent pas s’embêter!»

Monsieur Parent

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