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VI

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En entrant dans la gare d'Orléans, après une course d'une heure et demie faite à pied, sa petite valise à la main, il vit le rapide de Bordeaux partir devant lui.

Autrefois, quand de Paris il retournait au pays natal, c'était ce train qu'il prenait toujours ; une voiture l'attendait à la gare de Puyoo, et de là le portait rapidement à Ourteau où il arrivait assez à temps encore pour passer une bonne nuit dans son lit.

Maintenant au lieu du rapide, l'omnibus ; au lieu d'un confortable compartiment de première, les planches d'un wagon de troisième ; au lieu d'une voiture en descendant du train, les jambes.

Son temps heureux avait été celui de la jeunesse, le dur était celui de la vieillesse ; la ruine avait fait ce changement.

Il eût pu lui aussi mener la vie tranquille du gentilhomme campagnard, sans souci dans son château, honoré de ses voisins, cultivant ses terres, élevant ses bêtes, soignant son vin, car il aimait comme son frère les travaux des champs, et même plus que lui, en ce sens au moins qu'à cette disposition se mêlait un besoin d'améliorations qui n'avait jamais tourmenté son aîné, plus homme de tradition que de science et de progrès.

Avec une origine autre que la sienne, il en eût été probablement ainsi, et comme ils n'étaient que deux enfants, ils se fussent trouvés assez riches, la fortune paternelle également partagée entre eux, pour mener cette existence chacun de son côté : l'aîné sur la terre patrimoniale, le jeune dans quelque château voisin. Mais, bien que sa famille fut fixée en Béarn depuis assez longtemps déjà, elle était originaire du pays Basque, et comme telle fidèle aux usages de ce pays où le droit d'aînesse est toujours assez puissant pour qu'on voie communément les puînés ne pas se marier afin que la branche aînée s'enrichisse par l'extinction des autres.

Élevés dans ces principes ils s'étaient habitués à l'idée que l'aîné continuerait le père, avec la fortune du père, dans le château du père, et que le cadet ferait son chemin dans le monde comme il pourrait cela était si naturel pour eux, si légitime, que ni l'un ni l'autre, le dépouillé pas plus que l'avantagé, n'avait pensé à s'en étonner. A la vérité ils savaient qu'une loi, qui est le Code civil prohibe ses arrangements, mais cette loi bonne pour les gens du nord, n'avait aucune valeur dans le pays basque ; et Basques ils étaient, non Normands ou Bourguignons.

D'ailleurs, cette perspective de vie laborieuse n'avait rien pour effrayer le cadet, ou contrarier ses goûts qui dès l'enfance s'étaient affirmés tout différents de ceux de son aîné. Tandis que pour celui-là rien n'existait en dehors des chevaux, de la chasse, de la pêche, lui était capable de travail d'esprit et même de travail manuel ; s'il aimait aussi la chasse et la pêche, elles ne le prenaient pourtant pas tout entier ; il lisait, dessinait, faisait de la musique ; au collège de Pau il couvrait ses livres, ses cahiers et les murailles de bonshommes, à Ourteau pendant les vacances il construisait des mécaniques ou des outils qui par leur ingéniosité émerveillaient son père, son frère, aussi bien que les gens du village qui les voyaient.

N'était-ce pas là l'indice d'une vocation ? Pourquoi n'utiliserait-il pas les dispositions dont la nature l'avait doué ?

A quinze ans pendant les grandes vacances, tout seul, c'est-à-dire sans les conseils d'un homme du métier et en se faisant aider seulement par le maréchal-ferrant du village il avait construit une petite machine à vapeur qui, pour ne pouvoir rendre aucun service pratique n'en était pas moins très ingénieuse et révélait des aptitudes pour la mécanique. Il est vrai qu'elle coûtait vingt ou trente fois plus cher qu'une du même genre construite par un mécanicien de profession ; mais à cela quoi d'étonnant, c'était un apprentissage.

Il est assez rare que l'esprit de recherches et de découvertes se spécialise : inventeur, on l'est pour tout, les petites comme les grandes choses, on l'est spontanément, en quelque sorte sans le vouloir, et cela est vrai surtout quand dès la jeunesse on n'a pas été rigoureusement enfermé dans des études délimitées.

Il en avait été ainsi pour lui. Au lieu de le diriger son père l'avait laissé libre ; et puisqu'il paraissait également bien doué pour le dessin, la mécanique, la musique, qu'importait qu'il étudiât ceci plutôt que cela ? Plus tard il choisirait le chemin qui lui plairait le mieux, il n'y avait pas de doute qu'avec des aptitudes comme les siennes, il ne trouvât au bout la fortune et peut-être même la gloire.

Sans études préalables qui l'eussent guidé, sans relations qui l'eussent soutenu, sans camaraderies officielles qui l'eussent poussé, après des années de luttes, de déceptions, d'efforts inutiles, de fièvre, de procès, c'était la ruine qu'il avait trouvée.

Cependant ses débuts avaient été heureux ; pendant ses premières années à Paris, tout ce qu'il avait essayé lui avait réussi, et quelques-unes de ses inventions simplement pratiques, sans aucunes visées à la science, avaient eu assez de vogue pour qu'il pût croire qu'elles lui constitueraient de jolis revenus tant que durerait la validité de ses brevets.

Il n'avait donc qu'à marcher librement et à suivre la voie ouverte : il était bien l'homme que l'enfant annonçait.

C'est ce qu'à sa place un autre eût fait sans doute ; mais il y avait en lui du chercheur, du rêveur, l'argent gagné ne suffisait pas à son ambition, il lui fallait plus et mieux.

A la mort de son père, son frère et lui, fidèles à la tradition, avaient réglé leurs affaires de succession, non d'après la loi française mais d'après l'usage basque, c'est-à-dire en respectant le droit d'aînesse qui supprimait tout partage entre eux de l'héritage paternel : l'aîné avait gardé le château avec toutes les terres patrimoniales, le cadet s'était contenté de l'argent et des valeurs qui se trouvaient dans la succession ; l'aîné prendrait le nom de Saint-Christeau et le transmettrait à ses enfants quand il se marierait ; le cadet se contenterait de celui de Barincq qu'il illustrerait, s'il pouvait. Cela s'était fait d'un parfait accord entre eux, sans un mot de discussion, comme il convenait aux principes dans lesquels ils avaient été élevés, aussi bien qu'à l'affection qui les unissait. Pour l'aîné, il était tout naturel qu'il en fût ainsi. Pour le cadet qui avait des millions dans la tête, quelques centaines de mille francs étaient des quantités négligeables.

Mais ces millions ne s'étaient pas monnayés comme il l'espérait, car à mesure qu'il s'était élevé, les ailes lui avaient poussé ; par le travail, l'appétit scientifique s'était développé, et les petites choses qui avaient pu le passionner à ses débuts lui paraissaient insignifiantes ou méprisables maintenant. C'était plus haut qu'il visait, plus haut qu'il atteindrait, et au lieu de s'enfermer dans le cercle assez étroit où l'ignorance autant que la prudence l'avaient pendant quelques années maintenu, il avait voulu en sortir. Puisqu'il avait réussi alors qu'il était jeune, sans expérience, sans appuis, n'ayant que l'audace de l'ignorance, pourquoi ne réussirait-il pas encore, alors qu'on le connaissait, et que par le travail il avait acquis ce qui tout d'abord lui manquait ?

A son grand étonnement, il n'avait pas tardé à reconnaître l'inanité de ces illusions.

D'où venait-il donc, celui-là qui ne sortant d'aucune école se figurait qu'on allait l'écouter tout simplement par sympathie et parce qu'il avait la prétention de dire des choses intéressantes ? Tenait-il au monde officiel ? De qui était-il le camarade ? Qui le recommandait ? Il avait gagné de l'argent avec des niaiseries ; la belle affaire, en vérité !

Mais elles portaient témoignage contre lui, ces niaiseries, et plus elles lui avaient été productives, plus elles criaient fort contre son ambition. Pourquoi voulait-il qu'on comptât avec lui, quand lui-même ne comptait que par l'argent gagné ? Il voulait sortir du rang ; on l'y ferait rentrer.

Autant la montée avait été douce au départ, quand il marchait au hasard et à l'aventure, autant elle fut rude lorsqu'il eut la prétention de prendre rang parmi les réguliers de la science, qui, s'ils ne lui dirent pas brutalement : « Vous n'êtes pas des nôtres », le lui firent comprendre de toutes les manières !

Combien de banquettes d'antichambre avait-il frottées dans les ministères ; à combien d'huissiers importants avait-il souri ! combien de garçons de bureau l'avaient rabroué ! et quand, après des mois d'audiences ajournées, on le recevait à la fin, combien de fois ne l'avait-on pas écouté avec des haussements d'épaules, ou renvoyé avec des paroles de pitié : « Mais c'est insensé, ce que vous nous proposez là ! »

A côté des indifférents qui ne daignaient pas l'entendre, il avait aussi rencontré des avisés qui ne lui prêtaient qu'une oreille trop attentive ou des yeux trop clairvoyants ; plus dangereux ceux-là ; et ils le lui avaient bien prouvé en mettant habilement en œuvre ce qu'ils avaient qualifié d'insensé.

Avec les réclamations, les procès, il était descendu dans l'enfer, et désormais sa vie avait été faite d'attentes dans les agences, de visites chez les avoués, les agréés, les huissiers ; de conférences avec les avocats, de comparutions chez les experts, de fièvres, d'exaspérations, d'anéantissements aux audiences à Paris, en province, partout où on l'avait traîné.

Anie

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