Читать книгу Ma conversion; ou le libertin de qualité - Gabriel-Honore de Mirabeau, Honoré-Gabriel de Riqueti Mirabeau - Страница 1

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Monsieur Satan,

Vous avez instruit mon adolescence; c'est à vous que je dois quantité de tours de passe-passe qui m'ont servi dans mes premières années.

Vous savez si j'ai suivi vos leçons, si je n'ai pas sué nuit et jour pour agrandir votre empire, vous fournir des sujets nouveaux.

Mais, Monsieur Satan, tout est bien changé dans ce pays; vous devenez vieux; vous restez chez vous; les moines même ne peuvent vous en arracher. Vos diablereaux, pauvres hères! n'en savent pas autant que des récits infidèles, parce que nos femmes les attrapent et les bernent.

Je trouve donc une occasion de m'acquitter envers vous; je vous offre mon livre. Vous y lirez la gazette de la cour, les nouvelles à la main des filles, des financiers et des dévotes. Vous serez instruit de quelques tours de bissac où, tout fin diable que vous êtes, vous auriez eu un pied de nez. Mais que votre chaste épouse n'y fourre pas le sien; car aussitôt cornes de licornes s'appliqueraient sur votre front séraphique.

Défiez-vous surtout de ces grandes manches à gros vit, et ne laissez pas aller votre femme en confrérie sans une ceinture. Cependant, que la jalousie ne trouble pas votre repos; car voyez-vous, Monsieur Satan, si elle le veut, cocu serez, et quand vous la mettriez en poche, s'y foutrait-elle par la boutonnière.

Puissent les tableaux que j'ai l'honneur de mettre sous vos yeux ranimer un peu votre antique paillardise. Puisse cette lecture faire branler tout l'univers!

Daignez recevoir ces voeux comme un témoignage du profond respect avec lequel je suis,

Monsieur Satan,

de votre altesse diabolique

le très humble, très obéissant

et très dévoué serviteur,

CON-DESIROS.

Jusqu'ici, mon ami, j'ai été un vaurien; j'ai couru les beautés, j'ai fait le difficile: à présent, la vertu rentre dans mon coeur; je ne veux plus foutre que pour de l'argent; je vais m'afficher étalon juré des femmes sur le retour, et je leur apprendrai à jouer du cul à tant par mois.

Il me semble déjà voir une dondon, qui n'a plus que six mois à passer pour finir sa quarantaine, m'offrir la molle épaisseur d'une ample fressure. Elle est fraîche encore dans sa courte grosseur; ses tétons rougissants d'une substance très abondante sont d'accord avec ses petits yeux pour exprimer tout autre chose que de la pudeur; elle me patine la main; car la financière, comme son mari, patine tout et toujours; je rougis: ah! voyez comme cela me va, comme mes yeux s'animent, comme mon pucelage m'étouffe; car vous noterez que j'ai mon pucelage et que je cherche à me faire élever. On m'offre plus que je ne veux; les agaceries sont de vraies orgies… Foin! je ne bande point… Je deviens triste; mes malheurs me tourmentent; des créanciers avides… Pendant ce temps-là, ma main erre; elle s'anime; quelle légèreté! comme la cadence est brillante! Ma voix exprime l'adagio d'un presto vigoureux et soutenu. Ah! mon ami, voyez cul de ma dondon, comme il bondit!… Sa poitrine siffle, son gosier se serre, son con décharge, elle est en fureur, elle veut m'entraîner… Là, là, tout doux… La douleur me ressaisit… On me fait des offres: hélas! comment se résoudre à accepter d'une femme à qui on voudrait témoigner le sentiment le plus pur! On redouble; je pleure: l'or paraît. L'or!… Sacredieu! je bande et je la fous.

Mais ma chaste dondon en paie plus d'un; aussi, bientôt après ma facile victoire, je me fais présenter chez Mme Honesta (famille presque éteinte). Tout y respire la pudeur et l'honnêteté; tout prêche l'abstinence, jusqu'à son visage, dont la tournure, quoique assez piquante, n'a cependant aucun de ces détails qui inspirent la tendresse.

Mais elle a des yeux, de la physionomie, une taille qui serait trop maigre, si toute l'habitude du corps ne s'y proportionnait pas. Je ne louerai pas sa gorge, quoiqu'une gaze qui s'est dérangée m'ait permis d'entrevoir du lointain; ses bras sont un peu longs, mais ils sont flexibles, on pourrait souhaiter une jambe plus régulière; telle qu'elle est, un joli pied la termine. Nous avons les grands airs, des nerfs, des migraines, un mari que l'on ne voit qu'à table, des gens discrets, de l'esprit bizarre, capricieux, mais vif, mais quelquefois ne ressemblant qu'à soi… Pardieu! allez-vous me dire, celle-là ne vous paiera pas… Oh! que si! parce qu'elle est vaniteuse, parce qu'elle se pique de générosité, parce qu'elle veut primer.

D'abord, vous imaginez bien que nous faisons du respect, de l'esprit, des pointes, des calembours; que madame a raison, que tout chez elle est au mieux possible… Irai-je à sa toilette? Pourquoi non?… Je placerai une mouche; je donnerai à cette boucle tout le jeu dont elle est susceptible… Un chapeau arrive… Bon dieu! les grâces l'ont inventé; le dieu du goût lui-même a placé les fleurs, et tous les zéphyrs jouent dans les plumes qui le couvrent. Comme cette gaze prune-de-monsieur coupe avec ce vert anglais… Mais qui l'a envoyé?… Vous sentez que je suis le coupable; et pourquoi un coupable ne rougirait-il pas?… Je suis trahi, déconcerté, boudé… Victoire, que son emploi de femme de chambre, quelques baisers des plus vifs et un louis ont mise dans mes intérêts, les plaide en mon absence… Ah! Madame, si vous saviez ce que l'on me dit de vous!… Combien ce monsieur est aimable! Il vaut bien mieux que votre chevalier, et je suis sûre qu'il ne vous coûterait qu'une misère… Il n'est pas joueur, je le sais de son laquais; c'est un coeur tout neuf. – Mais crois-tu que je sois assez aimable pour… – Ah! Dieu! Madame, comme ce chapeau est tourné! Vous voilà à l'âge de vingt ans. – Tais-toi, folle, sais-tu que j'en ai trente, et passés?… (Pardieu, oui, passés, et il y a dix ans que cela est public…) Je reviens l'après-midi; on est seule: pourquoi ne le serait-on pas? Je demande pardon en offensant davantage; on s'attendrit, je me passionne; on se… (foutre! attendez donc… cette femme-là est d'une précipitation à me faire perdre les frais de mon chapeau.) Vous sentez bien que mon laquais n'est pas assez bête pour ne pas me faire avertir que le ministre (ah! pardieu! tout au moins) m'attend. Je jette un coup d'oeil assassin; j'embrasse cette main qui tremble dans la mienne… Je me relève et je pars.

Pendant ce temps-là, je fais connaissance avec une de ces femmes qui, blasées sur tout, cherchent des plaisirs à quelque prix que ce soit. Elle me fait des avances, parce que son honneur, sa réputation, la bienséance… Tout cela est aussi loin que sa jeunesse. Nous sommes bientôt arrangés; elle me paie, je la lime; car je ne veux, sacredieu! pas décharger… Mon infante le sait; les tracasseries viennent. Ah! doux argent! je sens que ton auguste présence!… Enfin, on se détermine; il y a déjà quinze mortels jours qu'on languit. Je fais entendre, modestement, que la reconnaissance m'attache, que j'ai des obligations d'un genre… N'est-ce que cela?… On me paie au double; et dès lors je suis quitte avec ma messaline; je vole dans les bras qui m'ont comblé de bienfaits nouveaux, et je goûte… non pas du plaisir… mais la satisfaction de prouver que je ne suis pas ingrat.

Las! que voulez-vous? Quand on a engraissé la poule, elle ne pond plus; les honoraires se ralentissent, et je dors. – Comment! tu dors? – Oui, la nuit, et, qui plus est, le matin… Ce matin chéri qui anime l'espérance, qui éclaire les combats amoureux. On se plaint, je me fâche; on me parle de procédés, d'ingratitude, et je démontre que l'on a tort, car je m'en vais.

Dieu Plutus, inspire-moi!… Un dieu m'apparaît; mais il n'est point chargé de ses attributs heureux: c'est le dieu du conseil, le diligent Mercure, il me console et m'envoie chez M. Doucet. Vous ne le connaissez sûrement pas: or, écoutez.

Une taille qu'une soutane et un manteau long font paraître dégagée; un visage qui rassemble la maturité de l'âge, l'embonpoint et la fraîcheur; des yeux de lynx, une perruque adonisée; l'esprit en a tracé la coupe; sa physionomie ouverte, mais décente, répand l'éclat de la béatitude; il ne se permet qu'un sourire, mais ce sourire laisse voir de belles dents… Tel est le directeur à la mode; les troupeaux de dévotes abondent, les consultations ne tarissent pas.

Mais il existe des privilégiées, de ces femmes ensevelies dans un parfait quiétisme de conscience et dont la charnière n'en est que plus mobile. Le père en Dieu cache sous un maintien hypocrite une âme ardente et de très belles qualités occultes… Vous vous doutez bien que c'est à ces femmes qu'il faut parvenir. Je m'insinue donc dans la confiance du bonhomme, je lui découvre que je suis presque aussi tartuffe que lui: il m'éprouve; et quand toutes ses sûretés sont prises, il m'introduit chez Mme ***.

C'est là que la sainteté embaume, que le luxe est solide et sans faste, que tout est commode, recherché sans affectation… Mais, quoi! un jeune homme chez une femme de la plus haute vertu!… Eh! Justement; c'est afin de ne pas perdre la mienne; car vous noterez que je dois en avoir au moins autant que d'impudence. Mes visites s'accumulent, la familiarité s'en mêle, et voici une des conversations que nous aurons, j'en suis sûr.

A la sortie d'un sermon (car j'irai, non pas avec elle, mais je serai placé tout auprès, les yeux baissés, jetant vers le ciel des regards qui ne sont pas pour lui), à la sortie d'un sermon duquel elle m'a ramené, je commencerai par la critique de toutes les femmes rassemblées autour de nous. Notez que les questions viennent de ma béate. – Comment avez-vous trouvé Mme une telle? – Ah! Bon dieu! elle avait un pied de rouge. – Pourtant, elle est jolie. – Elle aurait de vos traits, si elle ne les défigurait pas; mais le rouge… cependant, je lui pardonne; elle n'a ni votre teint, ni vos couleurs… (croyez-vous qu'à ces mots elles n'augmenteront pas?) – Par exemple, la comtesse n'était pas habillée dûment. – Du dernier ridicule, elle montre une gorge! Et quelle gorge! Je ne connais qu'une femme qui eût le droit d'étaler de pareilles nudités. Au moins nous verrions des beautés. (remarquez ce coup d'oeil sur un mouchoir dont les plis laissaient passage à ma vue… Un autre coup d'oeil me punit, et je deviens timide, décontenancé.) – Que pensez-vous du sermon? – Moi, je vous l'avouerai, j'ai été distrait, inattentif. – Cependant, la morale était excellente. – J'en conviens; mais présentée d'une manière si froide! une belle bouche est bien plus persuasive. Par exemple, quel effet ne font pas sur moi vos exhortations! Je me sens plus animé, plus fort, plus courageux… hélas! vous me faites aimer la vertu parce que je vous aime… (Ah! mon cher ami, voyez-moi tremblant, interdit; la pâleur couvre mon visage… Je demande pardon… Plus on me l'accorde, plus j'exagère ma faute, afin de ne pas être coupable à demi…) Ma dévote se remet plus promptement; cependant, elle est encore émue, elle me propose de lire, et c'est un traité de l'amour de Dieu. Placé vis-à-vis d'elle, mon oeil de feu la parcourt et l'épie: je paraphrase, je compose; ce n'est plus un sermon, c'est du Rousseau que je lui débite… Je saisis l'instant, un oratoire est mon boudoir, et je suis heureux.

Mais l'argent! l'argent! – Foutre, un moment; laissez-nous décharger… Quelle jouissance qu'une dévote! Que de charmants riens! Comme cela vous retourne! Quel moelleux! Quels soupirs!… Ah! ma bonne sainte vierge!… ah! mon doux Jésus!… Ami, sens-tu cela comme moi?

Mais l'argent! Eh! me croyez-vous assez bête pour aller faire un mauvais marché? Nenni…

Quelque sot…

Je revois mon cafard, je lui raconte le tout; il est discret; il perdrait trop à ne pas l'être, et c'est lui qui va me servir; bien entendu qu'il aura son droit de commission.

Depuis trois jours, ma dévote, en abstinence, n'a eu pour ressource que son godemiché. Le père en Dieu arrive. —Hélas! ce pauvre jeune homme! il est encore retombé dans le vice! des femmes perdues l'entraînent… (Quel coup de poignard! ) – Ah! mon père, quel dommage! il a un bon fond! – Madame, ce n'est pas sa faute; il y a même en lui une espèce de vertu, car il est franc. "Monsieur, m'a-t-il dit, j'ai des dettes d'honneur, ma conscience me tourmente; je vais me perdre peut-être, je serai la victime de mon devoir… Hélas! ce qui me perce l'âme, c'est de quitter Madame. (Ici elle baisse les yeux.) Cette femme est adorable; elle possède mon coeur… N'importe, il faut la fuir… Etoile malheureuse! déplorable destin!" Voilà, madame, ce qu'il m'a dit les larmes aux yeux… On me plaint; on parle d'autre chose, on revient… – Mais à quoi montent ces dettes? – Trois cents louis…

Et vous croyez qu'une femme qui connaît mes caresses et mes reins, qui est sûre du secret, qui ne me trouve pas un butor, qui aime surtout les variantes, ne me les enverra pas le lendemain?

Je vous vois d'ici faire le moraliste: mais cela est odieux; l'amour pur est généreux; vous êtes un fripon… Foutre! vous badinez, vous gâteriez le métier; elle a trente-six ans, j'en ai vingt-quatre; elle est encore bien, mais je suis mieux; elle met de son côté du tempérament et de l'argent, moi de la vigueur et du secret… Ne voilà-t-il pas compensation?

D'ailleurs, voulez-vous que je m'acquitte? Je lui fais l'honneur de l'afficher. Elle quitte sa dévotion; je la rends à la société, à elle-même; elle change d'état, enfin… Non, je me trompe, elle ne change que de robe et de coiffure.

Voilà ma dévote dans le monde, et par mes soins. – Mais il valait bien mieux la laisser dans son obscurité: vous allez la perdre, on vous l'enlèvera. – J'ai d'autres projets peut-être; son argent est consommé, ses diamants sont vendus, mon caprice est passé… Vous verrez cependant que, pour me faire enrager, elle s'avisera d'être fidèle; il faut que je prenne la peine d'avoir des torts avec elle. – Vous en aurez bientôt. – Non; car voici ma conclusion: "Madame, je ne rappellerai point vos bontés, elles me sont chères, et mon coeur aime à vous avoir des obligations que toute autre ne m'eût pas fait contracter; mais plaignez-moi; c'est ma reconnaissance qui me coûtera la vie; c'est le soin de votre gloire qui va détruire mon bonheur. Je vous dois de cesser des visites qui vous compromettraient: hélas! je sais trop qu'en prononçant cette séparation funeste, je dicte mon arrêt."

Puissances du ciel! combien vous êtes attestées!

A force de singeries, je parviens à m'attendrir; ma dulcinée verse tour à tour les larmes de la douleur et celles du plaisir: ma fuite est combinée par des points d'arrêt sur tous les sophas des appartements, et c'est à sa dernière extase que je me sauve.

Parbleu! voilà bien des façons. – Pauvre sot tu ne vois donc pas que cette femme fait ma réputation pour l'éternité; je n'ai plus besoin de me vanter, je n'ai qu'à lui en laisser le soin, et je suis le phénix des oiseaux de ces bois. D'ailleurs, je n'ai pas perdu la tête; elle est amie intime de la présidente de ***, et depuis longtemps je lorgne cette riche veuve; elle ne manquera pas d'être la confidente de ma délaissée, et me croyez-vous assez novice pour n'avoir pas persuadé à celle-ci que ce serait un moyen de nous voir encore; à l'autre, que je ne quitte madame une telle que pour ses beaux yeux.

Tout réussit à mon gré… mais il faut que je les brouille… allons, discorde, vole à ma voix… On se pique, on se refroidit, les deux inséparables ne se voient plus; la présidente exige que j'embrasse son ressentiment; je me fais valoir, je deviens exigeant à mon tour. Que ne peut le désir de la vengeance! on se livre à moi pour faire pièce à sa bonne amie.

La présidente a trente-cinq ans, et n'en paraît pas plus de vingt-huit; elle est bien conservée, mais sans affectation. Ce serait une petite-maîtresse, si le jargon ne l'ennuyait pas. Elle a de l'esprit avec les femmes, de la gentillesse avec les hommes, beaucoup de retenue dans le public, un ton de femme de qualité et des dehors imposants.

Dans le particulier, je n'ai guère connu de tempérament plus vif, plus soutenu, et en même temps plus varié. Ses caresses sont séduisantes, parce qu'elles sont franches, et vingt fois j'ai été tenté de l'aimer. Au reste, elle n'est pas sans défaut: elle a une profonde vénération pour elle-même; ses décisions sont des oracles, ses préceptes, des lois; je n'ai rien vu de si impérieux. Il est vrai qu'elle y joint l'adresse et que souvent vous croyez faire votre volonté en ne suivant que la sienne.

Sa société, qui nous devine, ne tarde pas à me fêter, je suis le saint du jour; elle a de la confiance en moi: rien n'est bien si je ne l'ai conseillé. Nous passons ainsi six mortelles semaines. J'oubliais qu'elle veut être la confidente de mes affaires. Un jour, j'arrive chez elle; mon oeil est agité. – "Mais, qu'as-tu donc, mon ami? tu es bien sombre. – Quoi! dis-je (en m'efforçant de sourire), pourrais-je apporter chez vous de l'humeur?…" On me persécute, je m'obstine à me taire, j'ai des distractions que le monde qui abonde pour le souper ne saurait détruire: on me propose une partie, je la refuse, et je sors à minuit en m'échappant.

Voilà qui est bien simple, direz-vous; qui n'en ferait autant?… Je vous le donne en dix: écoutez seulement.

Est-ce que mon laquais, qui est un crispin des mieux dégourdis, n'a pas eu l'esprit de foutre la femme de chambre pour éviter l'ennui? Or, ce jour-là, il est presque aussi triste que moi; sa charmante le presse autant que la mienne, et comme il est d'un naturel confiant, il avoue que la nuit dernière j'ai soupé chez la duchesse une telle, que l'on m'a fait, malgré moi, tailler un pharaon; que le jeu était diabolique, que j'ai perdu énormément, et qu'étant peu riche, je suis étrangement incommodé; mais, ce qui me tourmente, c'est d'avoir été obligé de mettre en gage le diamant que m'a donné la présidente. Hélas! cette bague n'a pas même été suffisante avec tous mes bijoux pour dégager ma parole, et je suis sans un sou!

Il retombe ensuite sur lui-même, car le drôle est presque aussi coquin que moi: on l'a forcé aussi de jouer, et sa montre est avec mes effets chez Madame La Ressource. La pauvre Adélaïde, qui aime le pendard, tire de son armoire quarante écus, qui composent sa petite fortune et sont même le fruit de mes dons. Le scélérat les empoche; mais il y a bien un autre manège.

J'ai aperçu des chuchotages de la présidente à sa femme de chambre, des allées, des venues: c'est que l'on a conté tout cela à madame; que madame a fait répéter tout cela à mon bandit, et que sur-le-champ elle lui a remis cinq cents louis. – Douze mille francs? – En or, vous dis-je, pour aller tout dégager et fournir le supplément…

Quand je sors, je retrouve mon fourbe dans mon carrosse, et nous portons le magot en triomphe chez moi. – Comment! tout cela n'était pas vrai? – Mais d'où diable viens-tu donc? C'est incroyable! tu ne te formes point; mais aiguise donc ton intelligence.

Le lendemain, à sept heures, en déshabillé leste, je cours chez la présidente; une joie douce brille dans ses yeux; j'ai son diamant au doigt… Je veux la faire parler (car vous noterez que, sous peine de la vie, mon laquais ne doit m'avoir rien avoué), elle me fait un mensonge avec toute l'adresse, toute la noblesse de la générosité; mais elle voit bien, à la vivacité de mes caresses, que la reconnaissance les enflamme et que je ne suis pas sa dupe. Un peu remis de mes transports, je parle de bienfaits; on m'impose silence, en me disant que si l'on avait été assez heureuse pour me rendre un service, j'en ôterais tout l'agrément.

Dieu! comme ma voix est touchante!

Comment, monstre! tant d'amour et de générosité ne te touche pas? Si fait pardieu! et pour lui montrer ma gratitude (un peu aussi pour m'en débarrasser), je la marie avec un homme de ma connaissance qui la rend la femme la plus heureuse de Paris. D'amants que nous étions, nous devenons amis, et je vole, non pas à de nouveaux lauriers, mais à de nouvelles bourses.

Dégoûté de l'amour parfait, de la jouissance méthodique de la dévote et de la présidente, je languissais tristement, quand mon bon ange me conduisit chez Madame Saint-Just (fameuse maquerelle pour les parties fines, rue Tiquetonne); je lui annonce que je suis vacant et surtout que le diable est dans ma bourse; elle me présente sa liste; parcourons-la:

1 Mme La Baronne de Conbâille… Foutre! voilà un beau nom. Qui est-ce que cette femme-là? – C'est une petite provinciale qui est venue à Paris dépenser cinquante ou soixante mille francs qu'elle amassait depuis dix ans. – En reste-t-il encore beaucoup? – Non. – Passons; pourquoi cette bougresse-là s'avise-t-elle de prendre un nom de cour?

2 Mme de Culsouple. – Combien donne-t-elle? – Vingt louis par séance. – Paie-t-elle d'avance? – Jamais, et puis ce n'est pas votre affaire: elle est trop large.

3 Mme de Fortendiable. – Tenez, voilà ce qu'il vous faut. C'est une américaine, riche comme Crésus; et si vous la contentez, il n'y a rien qu'elle ne fasse pour vous. – Eh bien! tu me présenteras. – Demain, si vous voulez. – Ici? – Dans son hôtel même. – Ce nom-là a quelque chose d'infernal qui me divertit. – Je rends la liste, quand, d'un air de mystère, la bonne Saint-Just m'adresse cette exhortation: "Mon cher ami, vous avez beaucoup vu de jeunesses: qu'y avez-vous gagné? la vérole. Pourquoi ne pas écouter les conseils de la sagesse? J'ai dans ma maison une vraie fortune, une vieille. – Le diable te foute! – Eh! que votre souhait s'accomplisse! Encore mieux vaut lui que rien; mais il ne s'agit pas de cela, je vous parle d'un trésor: fiez-vous à moi, et nous la plumerons. – Allons, je le veux bien: je m'en rapporte à ta prudence." En attendant, je me rends le lendemain, à sept heures du soir, chez mon américaine. Je trouve de la magnificence, un gros luxe, beaucoup d'or placé sans goût, des ballots de café, des essais de sucre, des factures, enfin un goût de mariné que je n'ai, sacredieu! que trop reconnu dans mainte occasion.

Ce qui me tourmentait était d'entendre, dans un cabinet voisin, une voix d'homme dont les gros éclats me mettaient en souci; enfin, la porte s'ouvre: qui serait-ce? ma déesse… Mais, foutre! quelle femme!

Imaginez-vous un colosse de cinq pieds six pouces; des cheveux noirs et crépus ombragent un front court, deux larges sourcils donnent plus de dureté à des yeux ardents, sa bouche est vaste; une espèce de moustache s'élève contre un nez barbouillé de tabac d'Espagne; ses bras, ses pieds, tout cela est d'une forme hommasse, et c'est sa voix que je prenais pour celle du mari.

– Foutre! dit-elle à la Saint-Just, où as-tu pêché ce joli enfant? Il est tout jeune; mais qu'il est petit! N'importe, petit homme, belle queue… Pour faire connaissance, elle m'embrasse à m'étouffer. – Sacredieu! il est timide! Oh! c'est un garçon tout neuf. Nous le ferons… Mais est-ce que tu es muet? – Madame, lui dis-je, le respect… (j'étais abasourdi.) – Eh! tu te fous de moi avec ton respect… Adieu, Saint-Just. Ca, ça, je garde mon fouteur: nous soupons et couchons ensemble.

Nous restons seuls, ma belle se plonge sur un sopha; sans m'amuser à la bagatelle, je saute dessus; dans un tour de main, la voilà au pillage. Je trouve une gorge d'un rouge-brun, mais dure comme marbre, un corps superbe, une motte en dôme, et la plus belle perruque… Pendant la visite, ma belle soupirait comme un beugle; semblable à la cavale en furie, son cul battait l'appel et son con la chamade… Sacredieu! une sainte fureur me transporte; je la saisis d'un bras vigoureux, je la fixe un moment, je me précipite… O prodige!… Ma bougresse est étroite… En deux coups de reins, j'enfonce jusqu'aux couillons… Je la mords… Elle me déchire… Le sang coule… Tantôt dessus, tantôt dessous, le sopha crie, se brise, tombe… La bête est à bas; mais je reste en selle; je la presse à coups redoublés… Va, mon ami… va… foutre!… ah!… ah!… va fort… ah!… bougre!… ah!… que tu fais bien ça! Ah! Ah! Ah!… sacredieu! ne m'abandonne pas… ho, ho, ho, encore… encore!… v'là que ça vient… à moi, à moi… enfonce… enfonce!…

Sacrée bougresse! son jeanfoutre de cul, qui va comme la grêle, m'a fait déconner… Je cours après… mon vit brûle… Je la rattrape par le chignon (ce n'est pas celui du cou), je rentre en vainqueur. – Ah! dit-elle, je me meurs. – Foutue gueuse (je grince des dents!…) si tu ne me laisses pas décharger, je t'étrangle… Enfin, haletante, ses yeux s'amollissent; elle demande grâce. – Non, foutre!… point de quartier… Je pique des deux… ventre à terre… Mes couilles en fureur font feu; elle se pâme… Je m'en fous, et je ne la quitte que quand nous déchargeons tous deux le foutre et le sang ensemble…

Il est temps, je crois, de remettre sa culotte.

Un peu rendus à nous-mêmes, ma housarde me félicite en se congratulant; elle va faire bidet, et moi je relève le sopha du mieux que je puis. – Que fais-tu là? me dit-elle en rentrant. Mon ami, mes gens sont accoutumés à cela, et j'ai un valet de chambre tapissier qui fait la revue tous les matins. – Vous pensez bien que nous ne parlons pas sentiment. Est-ce qu'elle s'embarrasse de ces foutaises-là! Nous voyons sa maison, son magasin, qui est de l'or en barre; les trésors des trois parties du monde s'y rassemblent… Enfin, nous arrivons dans un cabinet; elle ouvre un coffre… Tiens, me dit-elle, prends ce portefeuille… (Je fais des façons…) Allons, foutre! quand on bande comme toi, on a le moyen d'acquitter ces bagatelles… Je le mets dans ma poche, non sans avoir remarqué qu'il contient pour cinq cents louis de bonnes lettres de change… Voilà ce qui s'appelle des douceurs.

Nous soupons: ma foi, j'en avais besoin. C'est elle qui me sert des morilles, des truffes au coulis de jambon, des champignons à la marseillaise; au dessert, les pastilles les plus échauffantes, sans oublier les liqueurs de Mme Anfou… De la table nous nous élançons au lit, et de la vie, je crois, on n'a vu pareille scène.

Rendez-vous pris au surlendemain, j'arrive… Madame est malade. Hélas! Et c'est tout simple; elle avait excessivement chaud quelque chose que j'aie dit, elle a voulu que j'ouvrisse la fenêtre au mois de janvier. Une fluxion de poitrine l'enterre en trois jours… O douleur!… Je vais lui dire un de profundis chez la Saint-Just.

Après avoir essuyé ses larmes et ses doléances (car elle me proteste que ma princesse était une de ses meilleures pratiques), je l'assure que, très touché de cet accident funeste, j'ai fait des réflexions, et qu'ayant toujours honoré la vieillesse, je viens lui demander ses bons offices pour me consacrer au service de la douairière dont elle m'a parlé. Nous prenons jour, et j'obtiens sous huitaine l'avantage d'être introduit chez Mme In Aeternum. On m'avait prévenu qu'elle était fort riche, en sorte que la grandeur de l'hôtel, la beauté des livrées et des ameublements ne me firent pas d'effet; au contraire, j'en dévorais d'avance la substance… Eh! sacredieu! la fée ne devait-elle pas s'alimenter de la mienne?

Le tête-à-tête était ménagé, l'on m'attendait, j'avais relevé mes appas: à force de vouloir réparer les siens, ma vieille était encore à sa toilette, asile impénétrable; je suis introduit, en attendant, dans un boudoir lilas et blanc; des panneaux placés avec art réfléchissaient en mille manières tous les objets, et des amours dont les torches étaient enflammées éclairaient ce lieu charmant. Un sopha large et bas exprimait l'espérance par les coussins vert anglais dont il était couvert; la vue se perdait dans les lointains formés par les glaces et n'était arrêtée que par des peintures lascives que mille attitudes variées rendaient plus intéressantes; des parfums doux faisaient respirer à longs traits la volupté; déjà mon imagination s'échauffe, mon coeur palpite, il désire; le feu qui coule dans mes veines rend mes sens plus actifs… La porte s'ouvre, une jeune personne s'offre à mes yeux; un négligé modeste, une simplicité naïve, des charmes qui n'attendent pour éclore que les hommages de l'amour, des détails délicieux… Telle se montre la jolie nièce de ma douairière, la belle Julie; elle m'offre les excuses de sa tante, qu'une affaire arrête, et me prie d'agréer qu'elle me tienne compagnie. Je réponds à ce compliment par les politesses d'usage, et nous nous asseyons sur des fauteuils dans un coin de la chambre; Julie s'éloignait du sopha (hélas! qu'il était bien plus à craindre pour moi! ), mes yeux erraient sur elle; je sentais toute la timidité d'un amour naissant, tous les combats de ma raison contre mon coeur; le feu de mes regards en imposait à Julie, notre conversation languissait en apparence, mais déjà nos âmes s'entendaient.

– Mademoiselle fait sûrement le bonheur de sa tante, puisqu'elle est sa compagne? – Monsieur, ma tante a de l'amitié pour moi. – La foule qui abonde chez elle a sans doute de quoi vous plaire, et vos plaisirs (Julie soupire)… mille adorateurs… (le feu me monte au visage). – Ah! Monsieur! combien de ces adorateurs méritent d'être évalués ce qu'ils sont en effet! – Quoi! vous n'en auriez pas trouvé dont l'hommage eût su vous intéresser? (elle se trouble…) Pardon… bon dieu! j'allais commettre une indiscrétion… Mais, mademoiselle, me condamnerez-vous à le désirer?

Nous entendons du bruit; un regard assez expressif est toute la réponse de Julie.

La tante avait fini sa toilette; elle s'avance… Peignez-vous, mon ami, un vilain enfant de soixante ans. Sa figure est un ovale renversé; une perruque artistement mêlée, avec un reste de cheveux, reteints en noir, en ombrage la pointe; des yeux rouges et qui louchent pour se donner un regard en coulisse; une bouche énorme, mais que Bourdet a fort bien meublée; du blanc, du rouge, du vermillon, du bleu, du noir, arrangés avec un art, une symétrie que des yeux connaisseurs et un odorat exercé peuvent seuls découvrir.

Une robe à l'anglaise puce et blanche se rattache par des noeuds de gaze, d'où s'échappent des coulants de perles, qui, retombant en ondes, se terminent par des glands d'un goût exquis; un coutil couvre la place où pouvait être une gorge il y a quarante ans; voilà ce que je démêlai au premier coup d'oeil… Heureux si je n'en eusse vu ni senti davantage!

– Mon dieu, mon cher coeur, me dit-elle en minaudant et se laissant aller sur le sopha où elle m'entraîne, je suis désolée de vous avoir laissé ennuyer avec une petite fille (Julie s'est éclipsée); c'est ma nièce, et cela connaît si peu le monde! – Comment, madame, votre nièce? Mais on ne le croirait pas à l'âge dont elle paraît. – Cela est vrai; mais sa mère est infiniment mon aînée… Puis saisissant une de mes mains… La Saint-Just, mon cher, m'a parlé de vous, mais d'une manière extraordinaire, elle raconte des choses!… Oh! pour cela, incroyables. – Ces sortes de femmes nous vantent quelquefois; mais si je lui eus jamais une obligation, c'est de m'avoir mis à portée de vous offrir mes hommages. – Tiens, mon coeur, bannissons la cérémonie; ton air me prévient; tu es joli, sois sage, et sûrement tu ne t'en repentiras pas. Il est temps de passer dans mon salon: j'ai du monde, tu souperas… Une révérence est ma réponse; un baiser me ferme la bouche… (Ah! sacredieu! c'est du vernis tout pur.) Ne joue pas, continua-t-elle; cause avec ma nièce, tu sembleras être son amant… (ah! charmante vieille, l'aurore de l'amour vient me luire! que je t'embrasse de bon coeur!… Mais, foutre! la peinture!)… et nous nous rejoindrons quand ces importuns seront bannis.

Mon supplice est donc retardé… Nous entrons au salon: nombreuse compagnie s'y rassemble, et pendant que Julie et sa tante arrangent les parties, moi je réfléchis.

Amour! amour! tu viens donc encore me décevoir, m'égarer, me percer! Dieu cruel! N'ai-je donc pas été assez longtemps ta victime? Veux-tu te venger? Quel rôle vas-tu m'imposer?… Objet du caprice d'une hideuse vieille, la beauté, les grâces feront mon tourment. Hélas!… enfant trop aimable! Si j'ai jamais su conquérir des coeurs, en soumettre à ton empire, si j'ai fait fumer sur tes autels un encens qui te fut agréable, ah! protège-moi!… Je suis exaucé; une ardeur nouvelle m'embrase; Julie, la belle Julie, recevra mon coeur, mes transports, et sa tante abusée n'aura de moi qu'un tribut chèrement acheté.

Le jeu fait régner le silence; tout le monde est occupé. Julie, au bout du salon, tient un ouvrage par convenance, et je suis auprès d'elle; – elle est inquiète, je suis timide. – Quoi! me dit-elle, on vous a déjà assigné votre personnage? – Ah! mademoiselle, si vous daignez lire dans mon coeur, vous verrez combien il m'est cher. – Je l'avoue, monsieur, quelque accoutumée que je sois à ces propos et au motif qui les fait tenir, j'aurais plus de peine à les supporter de vous que de tout autre. – Vous me les défendez donc, mademoiselle?… Ah! je ne le vois que trop, vous me confondez dans la foule des lâches que votre tante entretient à ses gages; vous me croyez revêtu d'un masque trompeur; je l'ai bien mérité!… N'importe, il faut vous délivrer d'un objet qui vous déplaît; peut-être vous ferai-je m'estimer… Ah! belle Julie! vous saurez un jour que je ne me suis exposé à votre haine… mais vous ne voudrez pas m'entendre vous m'abhorrez, me méprisez… et je ne pourrai pas soutenir longtemps vos dédains… (je me lève.) – Mon dieu! Monsieur, me dit-elle, tout effrayée, qu'allez-vous faire? Je serais perdue, ma tante m'accuserait… que sais-je?… peut-être de l'avoir trahie. – Non, non, elle aurait tort, vous la servez trop bien… Vous, la servir, Julie!… Dieu! quelle idée… Et pour votre amant! (Julie se trouble et fait un effort pour sourire…) – Mon amant, y pensez-vous? Vous êtes cependant arrivé sous des auspices… – Je vous entends, mademoiselle. Et si ce moyen eût été le seul pour parvenir auprès de vous, me trouveriez-vous si condamnable? Depuis six mois je vous adore (vous vous doutez, mon cher ami, que je n'en savais pas un mot); je suis partout vos pas, je brûle en secret, je m'informe, on m'instruit sur l'humeur de votre argus, et je suis obligé de couvrir du voile le plus déshonnête le sentiment le plus pur qui fût jamais. – (la pauvre petite, comme elle est oppressée! comme son sein s'élève! Quel sein, grand dieu!… chienne de vieille! il faudra donc que je te donne ce profit-là!…) – Vous ne répondez pas… De grâce, Julie, nous n'avons qu'un moment, décidez de mon sort. Pourquoi me rendre la double victime de vos rigueurs et des faveurs de votre tante? (ce mot faveurs fut prononcé d'un ton si triste qu'il était persuasif; la petite en sourit.) – Eh bien! je vous crois, me dit-elle; pourquoi me tromperiez-vous?… Je suis déjà si malheureuse! Hélas! il ne tient qu'à vous de me le rendre bien davantage…

Je ne vous détaillerai pas le reste d'une conversation gênée par les observateurs; mais, pour tout dire en un mot, nous convînmes que je serais l'amant de la tante et que nous saisirions tous les moments favorables pour nous voir, en affectant, la petite et moi, beaucoup d'indifférence l'un pour l'autre.

On soupe. Après souper, je fais un brelan avec ma chère tante; tout le monde défile. Julie, dès minuit, s'était retirée; je reste seul. C'est alors que la vieille, par ses tendres caresses, me montre toute la rigueur de mon sort; cependant j'y réponds en grimaçant; elle sort pour se rendre à sa chambre à coucher, et moi pour faire ma toilette de nuit. Enfin, l'heure du berger, l'heure fatale sonne; une femme de chambre m'appelle, j'arrive, cherchant partout ce que tu sais, et ne trouvant rien. – Rien? – Rien, ou le diable m'emporte: devine où il était allé se nicher. A côté d'une grosse bourse bien remplie, placée entre deux bougies sur la table de nuit de madame; je le repris en passant. Ma déesse était en cornette… Sacredieu! qu'elle avait d'appas! Son lit à la turque, de damas jonquille, semblait assorti à son teint (car celui du jour était répandu sur dix mouchoirs qui invoquaient la blanchisseuse); un sourire qu'elle grimace me fait apercevoir qu'elle ne mord point. Enfin, je grimpe sur l'autel. – Bandais-tu? – Hélas! il fallait bien bander de misère, ou renoncer à Julie et à cette bourse devenue nécessaire, car le maudit brelan m'avait arraché les derniers louis qui fussent en ma possession… Que parlai-je de possession!… J'en ai, sacredieu bien une autre. Regarde, mon cher ami, c'est pour toi que je n'abaisse pas la toile.

Je parcours des mains et des pieds les vieux charmes de ma dulcinée… De la gorge… je lui en prêterais au besoin… Des bras longs et décharnés, des cuisses grêles et desséchées, une motte abattue, un con flétri et dont l'ambre qui le parfume à peine affaiblit l'odeur naturelle… Enfin, n'importe, je bande; je ferme les yeux; j'arpente ma haridelle et j'enfourne. Ses deux jambes sont passées par-dessus mes épaules; d'un bras vigoureux, je la chausse sur mon vit. Une bosse de grandeur honnête que je viens de découvrir me sert de point d'appui pour l'autre main. Son cou tendu m'allonge un déplaisant visage qui, gueule béante, m'offre une langue appesantie, que j'évite par une forte contraction de tous les muscles de ma tête. Enfin, je prends le galop… Ma vieille sue dans son harnais; sa charnière enrouillée s'électrise et me rend presque coup sur coup; ses bras perdent de leur raideur, ses yeux se tournent; elle les ferme à demi, et réellement ils deviennent insupportables… Sacredieu! j'enrage, cela ne vient pas; je la secoue… Et tout à coup la bougresse m'échappe… Foutre! la fureur me prend, je m'échauffe; le talon tendu contre une colonne, je la presse, je l'enlève; la voilà qui marche… Ah! mon ami! mon petit! Ah! mon cher coeur!… je me meurs… Ah! je n'y comptais plus… Il y a si longtemps… Ah! Ah! Ah!… je décharge, mon cher ami, je décharge!… Le diable m'emporte! ses convulsions me tiennent cinq minutes dans l'illusion; la vieille coquine avait une jouissance comme à trente ans; elle fut longtemps à se remettre; elle était épuisée dans toute la force du terme. Moi, j'étais en eau… Mais voici une bien autre histoire. En m'essuyant je trouve une double perruque: c'était celle de ma ribaude qui, n'étant que collée, se joignait à la mienne par esprit de sympathie. Le désordre de la bonne dame était risible; son bonnet et la toison qui lui tenait lieu de chevelure, tout était au diable… Elle avait l'air honteux. – Tiens, ma bonne, lui dis-je, entre nous, point de façons; je t'aime mieux tout naturellement et, pour preuve de cela, je veux te recommencer. A ces mots, je la ressaute, et j'amène l'aventure à bien. Pour cette fois, elle n'avait point de dents, dieu merci! car j'eusse été dévoré.

Après cette seconde reprise, elle sonne… Mlle Macao, qui nous servait d'eunuque noir, lui arrange ses affaires. Tandis que je me rhabille, la bonne vieille ne tarissait pas sur mon éloge… Deux fois, ma chère… Deux fois! Oh! ce petit ange-là est un prodige; les autres me faisaient bien venir l'eau à la bouche; mais lui… Mets la main là, j'en suis pleine.

Il était quatre heures du matin, je m'approche pour prendre congé; la vieille, en m'embrassant (foutre! ce n'était pas là le plaisant de l'histoire), m'offre deux bourses au lieu d'une et m'accuse qu'elles contiennent deux cents louis, tandis qu'elle n'en donne ordinairement que cent. – Non, madame, lui dis-je avec générosité, si j'ai été plus heureux qu'un autre, je n'aspire point à une récompense double; j'accepte le témoignage ordinaire de vos bontés, mais je ne veux m'ôter ni la possibilité de revenir plus souvent, ni à vous celle de contenter un goût qui paraît vous satisfaire. – Ma foi! je l'aurais prise au mot. – Nigaud, qui ne sais pas que voilà comme on ruine ces bougresses-là… A la preuve: transportée, elle tire de son doigt un beau brillant (je l'ai, pardieu! vendu deux mille écus) et le met au mien; alors je me retire avec une permission indéfinie pour toutes les heures du jour et de la nuit, et la consigne de paraître amoureux de Julie, afin de cacher notre intrigue… Je fais le difficile; mais la sublime tante me démontre si bien cette nécessité que je me rends pour l'amour d'elle.

Revenu chez moi, dois-je y trouver du repos? Non, Julie… Julie, ton image me trouble; je te vois: hélas! Dans cet instant, en proie à des désirs inconnus jusqu'alors, tu m'accuses et tu gémis; moi-même je soupire… vile soif de l'or! A quelle horrible divinité me forces-tu de sacrifier du sang!… Bien plus encore, c'est la substance la plus pure qui s'épanchera sans fruit sur cet autel odieux… Mais ne suis-je pas dédommagé? Où trouverai-je une enfant plus jolie? Julie, que l'amour me peigne dans tes rêves, et que l'attrait d'un songe te prépare au charme de la réalité!… Allons, ma valeur, à mon secours, qu'êtes-vous devenue?… De l'or, morbleu! de l'or; c'est le nerf de la guerre: front partout; que les feux de l'amour embrasent mon courage, me rendent cette vigueur première qui fit tomber sous le couteau sanglant tant de vierges dans Israël… Et toi, Priape, patron des fouteurs! je t'invoque: qu'une ivresse lubrique me saisisse auprès de ma vieille! Je t'offre le sacrifice de toutes ses perfections… Qu'elle crève en foutant!… c'est un holocauste digne de toi.

On s'imagine bien que la matinée ne se passe pas sans que je me rende chez ma bonne. On m'introduit au petit jour. La fidèle Macao me donne des conseils pour plaire à madame, et je lui sacrifie une parcelle de mon or pour en gagner un monceau. Ma vieille me reçoit avec toutes les grâces possibles… Mais, ô surprise!… avez-vous jamais vu une pomme qu'on place sur le récipient d'une machine pneumatique? Chaque coup de piston semble lui rendre sa fraîcheur, sa peau ridée devient lisse, et les rayons du jour qui s'y réfléchissent lui donnent un vermeil qu'elle avait perdu… Voilà l'état de ma vieille; ses yeux sont dérougis, elle semble soufflée, et si elle avait des cheveux, de la gorge et des dents, elle serait foutable… Ma main batifole, un sourire enfantin la ranime… quand elle me chasse très sérieusement pour mettre ordre à ses affaires.

Mlle Macao est gouvernante en chef de ma Julie; son nom d'heureux présage n'est point démenti par son caractère; cette fille qui, dans sa jeunesse, a fréquenté les seigneurs dans les lieux où tout est égal, est compatissante pour l'innocence; elle a même fourni à Julie les éléments d'un jeu de mains, badinage renouvelé des grecs, et très utile, même aux françaises.

Somme toute, je lui fais comprendre que Julie est appelée à changer d'état, et je lui prouve par un argument irrésistible que je suis tombé de là-haut tout exprès pour opérer ce grand oeuvre: elle devient donc ma confidente, et j'entre chez Julie, que je trouve à sa toilette.

Ma foi! Je ne sais, mais la timidité me reprend… Qu'elle est belle! mon ami… De grands cheveux blond cendré, des yeux noirs et bien fendus, des traits que j'aimerais moins s'ils étaient plus réguliers… Nous restons seuls: pour débuter, je me prosterne et j'embrasse l'idole. – Foutre! quelle timidité! – Sûrement, en voilà la preuve… Quand j'ai bien peur, je me jette à corps perdu tout au milieu du danger. – Mais Julie doit se fâcher? – Oui, si elle en avait le temps… Et puis, Julie est franche, sa pudeur répugne sans doute à mes caresses; mais elle est bien aise de les recevoir. Enfin, après quelques petites façons, je reste en possession de ma place à ses genoux et de tous les petits larcins que me fournit le désordre d'une toilette et le dérangement d'un peignoir qui voile seul ses hémisphères enchanteurs, sur lesquels je n'ose encore voyager que des yeux.

Nos jours coulent ainsi pendant quelque temps dans la paix. J'avance en grade auprès de Julie. La tante me comble de bienfaits: cela veut dire que je les mérite. Enfin je me rends un samedi saint pour dîner. Ma chère tante m'annonce qu'elle est forcée de sortir et qu'elle ne reviendra qu'à huit heures et demie; qu'une assemblée de charité, un sermon, une quête et toute la simagrée sont pour elle d'une obligation indispensable (car, par contenance, la bonne dame place l'ordre dans le temple de Dagon). Je peste, je me fâche… On se flatte d'un jour de bonheur… On est cruellement abusé. – La bonne dame me console avec attendrissement… Eh bien! mon petit, ne te fâche pas; je m'arrangerai pour souper avec toi, et puis… Hein?… dis donc, petit fripon!… Mais je ne veux pas que tu sortes. Julie restera avec toi, et vous ferez de la musique… Mademoiselle, j'espère que vous ne laisserez pas ennuyer monsieur! – Non, ma tante (et l'embarras et la rougeur). Moi, je fronce le sourcil; j'ai des affaires… Bref, Mlle Macao est chargée très expressément de m'exécuter; la vieille part et nous laisse seuls, Julie et moi, dans le joli boudoir.

Puissances du ciel! Vous dont émane ce feu céleste qui nous élève au-dessus des mortels, vous vîtes mon bonheur!… Curieux, indiscret ami, tu veux donc aussi pénétrer les mystères de Paphos?… Eh bien! lis, dévore et branle-toi.

Tout favorisait mes feux; la beauté du jour, dont les rayons, amollis par une gaze diaphane, attendrissaient pour nous les objets; le printemps, son influence, l'innocence de Julie; mon expérience qui l'échauffe pour la détruire; des tableaux lascifs que je lui explique d'une manière plus lascive encore; des voeux prononcés à ses pieds, reçus par sa tendresse… Les désirs nous animent l'un et l'autre; un tact assuré, et qui ne me trompa jamais, redouble ma hardiesse; déjà la bouche de Julie est en proie à ma bouche qui la presse; son sein trop soulevé s'irrite contre les rubans qui le retiennent… Noeuds odieux, disparaissez!… Des larmes coulent de ses yeux, je les sèche par mes baisers; mon haleine s'embrase; le feu de nos coeurs s'exhale et se répand dans nos poitrines brûlantes; nos âmes se confondent… J'entreprends davantage; les bras de Julie ne semblent me repousser que pour m'attirer mieux; déjà elle ne se défend plus, son oeil se ferme à demi, sa paupière vacillante se fixe à peine… Que de trésors je découvre et je parcours!… – arrête!… téméraire! s'écrie la tendre Julie… Cher amant!… Dieu… je… je… meurs… Et la parole expire sur ses lèvres roses… L'heure sonne à Cythère; l'amour a secoué son flambeau dans les airs; je vole sur ses ailes, je combats, les cieux s'ouvrent… J'ai vaincu… O Vénus! couvre-nous de la ceinture des grâces!…

Peindrai-je ces extases voluptueuses où l'âme semble jouir du repos, alors même qu'elle se répand davantage au dehors!… Non, non, de telles délices ne s'expriment pas.

Loin de nous les reproches! Julie ne m'en fera pas; elle me voulait pour maître, elle désirait le bonheur, elle renaît pour le goûter encore… Mais quel prodige! Notre sopha s'anime! Une multitude de mouvements combinés avec art fait éclore pour la sensible Julie mille émotions plus vives, s'il est possible. Enfin, épuisés de plaisirs, de caresses, nous nous arrêtons… Et j'arrête aussi le diable de ressort qui m'avait prêté son secours d'une manière si peu attendue. Je ne connaissais pas le sopha, et Julie met tous ses plaisirs sur mon compte… Je me garde bien de la désabuser.

Je ne reste pas plus longtemps; ma toilette est diablement dérangée; d'ailleurs, ma vieille aurait une sotte offrande. – Sans répéter les détails monotones, notre commerce dura trois mois: Julie m'aima constamment; la tête tourna à la tante au point de déranger ses affaires pour moi. Une assemblée de famille la fit interdire et mettre dans un couvent. On arracha Julie à ma tendresse et comme on soupçonna qu'elle avait pu prendre certaines leçons chez sa tante, il y eut des explications dont le parlement se serait mêlé sans une protectrice que je trouvai dans la parenté même. Mme La Marquise de Vit-au-Conas, placée à la cour, accommoda toute l'affaire. C'est de mes arrangements avec elle qu'il me faut vous parler.

Un tendre engagement va plus loin qu'on ne pense. J'eus le bonheur d'intéresser Mme de Vit-au-Conas; elle me demanda les détails de mon affaire; je lui peignis mon aventure avec bonne foi; elle était femme, pouvait-elle être bien sévère pour un crime qui, dans le fond, n'était qu'un hommage à la beauté? Elle aimait le plaisir; mon double emploi lui parut être une preuve de solidité précieuse: – Mon dieu, me dit-elle, il y avait de quoi vous tuer. La modestie eût été hors de saison; je répondis tout bonnement que ma santé, loin d'être affaiblie, exigeait un service au moins aussi fort: ses yeux s'ouvrirent, les miens s'égarèrent, nous nous rencontrâmes; elle n'était pas novice; je lui avais des obligations qu'il m'était doux d'acquitter, c'est dire assez que nous nous entendîmes.

Son service la retenait souvent à Versailles; le mien, qui commençait à cette époque, me rendait assidu: à la cour on est si désoeuvré! Le mari de la marquise était à son régiment; il lui laissait du vide. Je m'offris à le remplir.

Les premiers jours de notre connaissance, j'allais passer chez elle quelques moments pour attendre le coucher du roi. Parmi les hommes qui composaient le cercle de la marquise, je remarquai un grand chevalier de Malte, fort maigre, fort pâle, mais qui se donnait des airs de privauté; le ton maussade de la marquise me convainquit que c'était mon devancier et qu'il allait être congédié. Pour aider à le pousser dehors, je l'attaquai, je le persiflai; il se défendit mal. Je sortis, il me suivit. Après le coucher, il me pria de gagner avec lui la pièce des suisses, m'assurant qu'il avait quelque chose à me confier. La nuit était belle, nous nous promenâmes; arrivés dans un lieu assez solitaire, il mit brusquement l'épée à la main; je la saisis, je l'enlève et la jette à vingt pas, du plus grand sang-froid du monde; mon homme, tout étonné, se fâche, et je n'en ris que davantage. Enfin, je lui dis: "Mon cher chevalier, je crois entrevoir vos motifs; vous êtes bien avec la marquise, elle vous rejette, vous pensez que je suis votre successeur, et vous n'avez pas tort; vous voulez vous couper la gorge avec moi, et je suis bien sensible à cette marque de votre amitié; mais je vous dirai franchement que je ne me battrai qu'après avoir vu si elle en vaut la peine; ma réputation est faite, on ne me soupçonnera pas; nous prendrons, vous, le temps de la réflexion, moi, le temps de coucher avec elle; ensuite, si le coeur vous en dit, nous nous amuserons…" Je cours ramasser son épée, je la lui présente, je lui souhaite le bonsoir, et je vais me coucher.

Le chevalier vint chez moi le lendemain; il convint de ses torts, nous nous embrassâmes, et je me rendis chez la marquise, qui, déjà instruite du fond de l'aventure, ne m'en fit pas plus mauvaise mine, parce qu'elle en ignorait les détails.

Enfin, les jours s'accumulaient, la marquise jouait la coquette, semblait vouloir irriter mes désirs et me donner un véritable amour. Nous étions dans la saison des petits voyages; nous ne nous voyions que des moments, et ces moments étaient perdus pour mes projets. Tout cela m'ennuya; j'étais oisif, je la pressai; j'obtins un rendez-vous pour le lendemain, et quelques gestes très significatifs, de part et d'autre, m'annoncèrent qu'il serait tout ce que je voulais qu'il fût. Je me rends à l'heure marquée; le roi était à la chasse; tout le monde dehors; le château semblait un désert. Mais l'appartement de la marquise n'est-il pas assez peuplé? Nous étions deux: les désirs accouraient en foule, ils appelaient les plaisirs… Ma foi! je ne sais pas où l'on aurait pu trouver meilleure compagnie.

Les feux du midi embrasaient l'atmosphère. Un jour à demi étouffé régnait dans le boudoir: on y respirait la fraîcheur, les parfums et la volupté. Représentez-vous sur une pile de carreaux une grande femme bien taillée, encore mieux découplée; quelques rubans galamment noués sont le seul lien qui retienne la gaze légère qui la voile; sa gorge est belle, sa figure assez commune, mais ses yeux disent ce qu'ils veulent; d'assez belles dents, des cheveux d'un noir admirable, tout m'invitait: les préliminaires commencèrent; les ménagements auraient ennuyé. Je détourne sur elle et sur moi des voiles importuns. En deux tours de mains, j'arrange la marquise; je me précipite… Dieu! le flot qui m'apporta recule épouvanté. – Eh! qu'as-tu donc? – Ce que j'ai… Le diable peut-être… Je me signe et je crois que M. Satan s'est venu planter là en propre personne. – Mais encore… est-ce une illusion? – Foutre! tu n'as qu'à juger… Un braquemart de huit pouces levait sa crête altière et défendait les approches. Le coquin avait pensé m'éventrer. La marquise, nullement déconcertée, riait aux larmes. Enfin, je me rassure, j'examine, puis adressant la parole au papelard: Hélas! lui dis-je, j'étais venu dans l'intention de le mettre à monsieur votre frère; mais, beau sire, à tout seigneur tout honneur… Alors, je me retourne et je lui présente, bien humblement, ce que Berlin révère et ce que l'italien encense. Sacredieu! de ma vie je ne l'ai échappé si belle. La marquise m'attire à elle… Un moment plus tard… – Hein?… – Oui, pardieu! je l'étais, et tout vivant.

Cependant, mon étonnement cesse, et après avoir rendu ce tribut d'admiration, je plaçai Vit-au-Conas de la manière qui nous convenait à tous deux. La marquise était vive sans être tendre; un tempérament ardent lui commandait, l'entraînait; elle croyait aimer l'objet qu'elle tenait dans ses bras, et, les sensations effacées, les désirs satisfaits, son coeur s'épuisait. Dix années de cour forment bien une femme: elle était intrigante, adroite, dissimulée; elle avait enfin le caractère de son état. Aussi jouissait-elle d'une considération que la crainte de son esprit malin et médisant lui avait attirée. Au reste, levant effrontément le masque sur le chapitre des moeurs, elle m'afficha avec une impudence qui m'eût fait rougir, si l'on rougissait encore. J'affectais de la discrétion, de la retenue. "Allons, me disait-elle… Mais tu es un enfant: tout cela est reçu, mon ami. Dans les commencements que j'ai habité ce pays-ci, tout me révoltait. Je sortais du couvent, j'étais jeune, assez jolie; j'avais de la pudeur, j'étais d'un gauche inconcevable. Les femmes m'ont formée; les hommes m'en ont trouvée mieux. J'ai gagné de tous côtés.

Ma conversion; ou le libertin de qualité

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