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Michel Zévaco
BORGIA
IV. LES NUITS DE ROME

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À peu près au moment où le chevalier de Ragastens, se transformait en tailleur et s’occupait à recoudre à son pourpoint quelques passementeries destinées à en rehausser la bonne mine, César Borgia, escorté de quatre jeunes gens, pénétrait au Palais-Riant.

César et son escorte traversèrent rapidement ces magni-fiques salons où se trouvaient accumulées les merveilles de l’art italien. Ils arrivèrent à une porte de bronze doré que gardaient deux Nubiens, noirs comme la nuit, muets comme le silence.

César fit un signe. L’un des Nubiens posa le doigt sur un bouton et la porte de bronze s’ouvrit.

… Là commençait la partie intime du palais.

Dès que César et ses amis eurent franchi la porte, elle se re-ferma sans bruit. Ils se trouvèrent alors dans une sorte de vesti-bule, aux hautes murailles de jaspe.

Face à la porte de bronze se trouvait une porte en bois de rose incrusté de délicates orfèvreries d’argent…

Cette fois, c’étaient deux femmes qui gardaient la porte : deux femmes nues, d’une sculpturale beauté, assises ou plutôt à demi couchées sur d’épais coussins…

Cette porte s’ouvrit mystérieusement comme la première, sur un signe de César. Toujours suivi de son escorte, il pénétra alors dans une pièce de moindre dimension, mais d’un luxe plus raffiné, plus subtil.

Une musique douce où dominaient les accords d’harmonie de flûte, de viole et de guitare, se faisait entendre en un murmure à peine perceptible. Et cette musique, arrivant comme par bouf-fées mystérieuses, se mêlait de voix féminines qui chantaient la gloire et l’amour.

Il n’y avait pas de meubles dans cette salle, hormis un dres-soir et une immense table ; mais çà et là, une profusion de larges et moelleux coussins, des tapis épais, richement brodés, invitait au repos.

La table dressée supportait des plats d’une fabuleuse ri-chesse dans lesquels des fruits glacés, des confitures exotiques, des pâtisseries délicates dont Lucrèce avait seule la formule et qu’elle faisait pétrir dans son palais…

Autour de cette table, plusieurs hommes déjà avaient pris place. Ils n’étaient pas assis, mais à demi couchés sur une sorte de lit, à la mode des anciens Romains.

Parmi eux se trouvait une femme, une seule : la maîtresse du palais, la Circé de cette caverne enchantée, la prodigieuse ma-gicienne qui régnait sur les sens des hommes, la sœur de César, la fille du Pape, Lucrèce Borgia !

– Comme vous venez tard, mon frère !

– Excusez-nous, ma chère Lucrèce, répondit César, ces sei-gneurs et moi, nous sommes rentrés à la nuit, après une longue promenade sur la route de Florence…

– Vous êtes pardonné… mais vous ne dites rien à votre frère ?

César se tourna vers un homme qui, près de Lucrèce, avait tressailli d’inquiétude en voyant entrer César. C’était François Borgia, duc de Gandie, deuxième fils du pape, frère de César et de Lucrèce.

Les deux frères se tendirent la main avec un sourire. Mais chacun d’eux surveillait étroitement chaque mouvement de l’autre.

Lucrèce se pencha tout à coup vers François, saisit sa tête à pleines mains et l’embrassa sur la bouche.

– Voilà de l’amour fraternel, ricana César, ou je ne m’y con-nais pas ! Et pourtant, je suis expert en la matière…

– C’est vrai, fit Lucrèce, j’aime François… c’est le meilleur d’entre nous.

– Vous me comblez, ma sœur, dit avec inquiétude le duc de Gandie… vous oubliez que si notre maison est glorieuse, et le trône pontifical de notre père inébranlable, nous le devons à l’épée de notre cher César…

– C’est juste ! reprit César. J’ai assez joliment manié l’épée… L’arme blanche, c’est mon affaire…

En disant ces mots, il sortit son poignard et, d’un coup vio-lent, l’enfonça sur la table. Un frémissement parcourut les con-vives. François pâlit affreusement. Mais Lucrèce éclata de rire.

– Soupons ! fit-elle gaiement.

Elle avait jeté un rapide coup d’œil sur une portière en étoffe de brocard qui s’était agitée doucement.

Aussitôt les servantes commencèrent leur office.

Lucrèce Borgia était vêtue – mais juste assez pour appa-raître aux convives plus désirable encore. Une gaze légère recou-vrait sa nudité, sa beauté, un peu massive – des formes qui sem-blaient taillées en plein marbre.

De temps à autre, elle jetait un regard furtif vers la portière de brocard qui frémissait imperceptiblement. Mais si léger que fût ce frisson de l’étoffe, il suffisait à Lucrèce pour lui faire com-prendre que quelqu’un la regardait et l’écoutait.

– Que dit-on dans notre bonne ville de Rome ? demanda-t-elle.

– Parbleu, madame, on raconte une chose fabuleuse, inouïe, incroyable…

– Et que raconte-t-on, duc de Rienzi ?

– Duc ! interrompit François Borgia d’un ton presque sup-pliant.

– C’est une histoire d’amour ! reprit le duc.

– Voyons l’histoire… dit Lucrèce… L’amour… la seule chose vraie, la seule digne qu’on vive et qu’on meure pour elle !…

En même temps, elle enlaçait le cou de François…

– Racontez, duc ! ordonna-t-elle d’une voix pâmée.

– Oui, oui ! s’écrièrent les convives. De l’amour ! Ne parlons que d’amour !

– Oh ! continua le duc de Rienzi, c’est un amour pur et vir-ginal. J’ai presque de la honte à le dire ici…

– Parlez, fit César d’un ton bref.

– Puisque c’est vous-même qui l’ordonnez, monseigneur… On dit donc qu’un célèbre capitaine, le plus noble qui soit, se trouve amoureux…

Les regards convergèrent vers César.

– Mais, reprit le duc, amoureux comme il ne le fut jamais. Lui qui, assure-t-on, avait un cœur de bronze, a maintenant un cœur de colombe… il soupire, il gémit… Ce qu’il y a de plus cu-rieux, c’est que l’objet de sa flamme se trouve être une inconnue que nul n’a pu approcher… Et enfin, où l’histoire devient invrai-semblable, mais demeure pourtant véridique, c’est que l’inconnue loin d’accueillir avec transport et reconnaissance les offres de ce grand capitaine, les repousse et les dédaigne !…

– Et le nom du bel amoureux ? demanda Lucrèce.

– Cherchez ! bégaya le duc de Rienzi tout à fait ivre… Il est parmi nous…

– Inutile ! gronda César Borgia. L’amoureux, c’est moi !… Et malheur à qui trouverait à y redire !…

– Monseigneur !… Croyez…

– Quant à la femme je vous jure que, sous peu, elle aura ces-sé de me dédaigner !…

Lucrèce éclata de rire.

– Ainsi, mon cher César, fit-elle, vous me trahissez ?… Vous m’abandonnez ?…

– Non pas ! répondit César qui sentait son cerveau se trou-bler dans une ivresse envahissante, ivresse du vin, ivresse des sens, ivresse de l’orgueil.

Et il continua, balbutiant :

– Non, Lucrèce, je ne te trahis pas, tu es à moi ! Comme elle sera à moi, elle aussi !… Comme ta femme, Rienzi, a été à moi !… Comme tout doit être à moi ! à moi ! à moi seul ! Entendez-vous, vous tous !…

Il haletait. Son regard lançait des éclairs sanglants… Ce fut à cette minute précise que Lucrèce, se levant, saisit François, duc de Gandie, dans ses deux bras.

François subit ce baiser, avec une pâleur croissante. Il es-saya vainement de se dégager…

– Enfer ! rugit César Borgia qui, d’une poussée furieuse, re-poussa la table.

En même temps, il saisit son poignard qui était resté planté devant lui et, hagard, s’avança sur son frère François… D’un bond, il fut sur lui.

Son bras se leva, puis s’abaissa dans un geste foudroyant. L’arme pénétra tout entière dans la poitrine du duc de Gandie. Celui-ci tomba à la renverse. Sa bouche vomit un flot de sang.

Les spectateurs de cette scène, épouvantés, demeurèrent comme pétrifiés. Lucrèce s’était reculée, simplement, et un sin-gulier sourire vint errer sur ses lèvres.

– À moi, râlait l’infortuné duc de Gandie… à moi !… Oh !… je brûle… De l’eau !… par pitié !… Un peu d’eau…

– Ah ! tu veux de l’eau, fit César dans un ricanement si-nistre. Attends, mon frère, je vais te faire boire !…

Alors on vit une chose monstrueuse. César Borgia se baissa, saisit son frère par les pieds et, traînant ainsi le corps dont la tête livide s’ensanglantait sur les dalles, il l’emporta en hurlant :

– De l’eau pour mon frère François ! De l’eau pour l’amant de Lucrèce !… Toute l’eau du Tibre pour le duc de Gandie !…

César parcourut ainsi une enfilade de pièces et parvint enfin à une dernière porte. Il l’ouvrit lui-même… Le Tibre était là qui coulait dans la nuit. César souleva le corps et, d’une poussée vio-lente, le lança dans le fleuve.

Les témoins de cette scène s’étaient enfuis, blêmes d’horreur et d’effroi… Alors Lucrèce Borgia s’élança vers la portière de bro-card, la souleva et pénétra dans une sorte de cabinet à peine éclairé.

Là, un vieillard aux traits rudes et empreints d’une indéfi-nissable malice était assis dans une sorte de fauteuil. Ce vieillard avait tout entendu, tout vu !… C’était le père de François, duc de Gandie, le père de César, duc de Valentinois, le père de Lucrèce, duchesse de Bisaglia, c’était Rodrigue Borgia… C’était le pape Alexandre VI…

– Êtes-vous content, mon père ? demanda Lucrèce.

– Per bacco, ma fille, tu as été un peu loin… Ce pauvre François !… Enfin, je dirai moi-même une messe pour le repos de son âme !… C’est dommage, peccato !… C’était un bon diable, ce François… mais… mais le duc de Gandie gênait mes projets… Al-lons, adieu, ma fille… je te donne la bénédiction pontificale, que ce nouveau péché te soit entièrement remis…

Lucrèce s’inclina. Le pape se leva, étendit la dextre. Lorsque Lucrèce Borgia se releva, son père avait disparu.

Borgia

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