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LA JALOUSIE

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Table des matières

Angélique était le premier enfant, l’enfant chéri de M. et Mme Aubert; sa figure charmante, ses grâces ingénues, l’expression de son âme aimante, qui apparaissait dans ses doux regards, dans ses moindres mots, dans ses incessantes caresses, tout les ravissait en elle. Trop jeunes tous deux pour savoir modérer leur satisfaction, leur bonheur de posséder une si intéressante petite fille, ils en faisaient l’objet unique de leur joie et de leur amour. Tout ce qu’elle disait ou faisait en l’absence de l’un était répété par l’autre avec admiration; tous deux en jouissaient avec un plaisir indicible, et ces récits valaient à l’enfant des millions de caresses.

La petite n’en paraissait que plus aimante et que plus aimable; aussi quand des personnes sensées les engageaient à modérer cette exaltation, qui pouvait nuire un jour à leur fille, ils ne comprenaient rien à ces remontrances; et, persuadés que la nature l’avait comblée de ses dons les plus parfaits, ils continuaient de la considérer comme leur bien le plus précieux. «Jamais, jamais, se disaient-ils, nous ne pourrons aimer de même un autre enfant.»

Ils ne savaient pas encore que l’amour paternel ou maternel est le sentiment par excellence; qu’il s’étend à tous les êtres qui en sont les objets, sans perdre de sa force par l’habitude ni par les soins multipliés qu’il impose. Cela est si vrai que de vieux parents, à l’âge où les autres sentiments semblent s’assoupir, retrouvent encore tout le feu, toute l’activité de leur jeunesse pour. chérir leurs petits-enfants.

Angélique avait quatre ans lorsque madame Aubert lui donna une petite sœur; et quoique cet événement lui fût présenté d’avance sous le jour le plus agréable, la petite fille ne put voir avec plaisir un autre enfant presque toujours dans les bras de sa mère, y usurpant ses droits, et lui ravissant ainsi une partie de la sollicitude maternelle.

Était-elle sur les genoux de son père, il interrompait ses ris, ses jeux et les baisers qu’il lui donnait pour regarder avec intérêt cet autre petit être qui dormait dans son berceau ou sur le sein de sa mère. Leur jeune Hélène faisait-elle entendre l’un de ces cris si communs à cet âge, tous deux pressaient ses petites mains, touchaient son front avec inquiétude. Angélique ne connaissait pas toutes les maladies qui peuvent atteindre la première enfance; elle ne savait pas deviner ce qui pouvait ainsi préoccuper ses parents; tout ce qu’elle comprenait, c’est qu’elle n’était plus l’objet unique de leur affection; et dès lors son amabilité, si charmante, se changea en pleurs, en bouderies, en inégalité continuelle de caractère.

Sa sœur, d’une complexion plus délicate que la sienne, réclama longtemps les soins les plus empressés de ses parents: nouveaux sujets de larmes pour la petite jalouse, qui, par un instinct machinal d’amour d’elle-même, contractait un défaut dangereux, une maladie de l’âme qui pouvait y dessécher la source du bien et le germe des plus doux sentiments de la nature.

Ses parents s’affligeaient du changement survenu en elle; mais ils espéraient qu’à mesure que la raison éclairerait son esprit, elle guérirait la plaie de son cœur, et lui rendrait ce qu’elle annonçait de bon et d’aimable dans sa première enfance.

Cependant le temps, en développant les facultés de la petite Hélène, la rendait aussi gracieuse, aussi charmante que l’avait été sa sœur. Sa gaîté, sa vivacité, sa douceur, sa précoce intelligence enchantaient son père et sa mère. Une cruelle expérience leur ayant appris qu’il est nuisible de faire voir toute la tendresse qu’on porte à un enfant, ils restreignaient l’effusion de leur amour; ils craignaient d’ailleurs d’irriter la susceptibilité d’Angélique, qu’ils aimaient également, et tâchaient d’être extrêmement circonspects dans les marques d’affection qu’ils donnaient à sa sœur.

Celle-ci était si gentille pourtant par ses aimables reparties, si intéressante par son heureux naturel, que le sourire de leurs lèvres ou les larmes qui brillaient dans leurs yeux, ou seulement leurs regards approbatifs, apprenaient à leur autre malheureuse enfant ce qui se passait dans leurs cœurs. C’étaient autant de traits aigus qui perçaient le sien et qui lui faisaient connaître tous les tourments de la haine et de l’envie.

Les amis intimes de la famille, s’apercevant de la tristesse, du dépérissement d’Angélique, ne tardèrent pas à en deviner la cause. «Mettez cette enfant en pension, dirent-ils, cela changera ses idées, portées douloureusement sur un seul objet. — C’est ce que nous avons l’intention de faire, répondaient les trop faibles parents; mais elle est encore si jeune; comment nous en séparer?»

Un mal inquiétant survenu aux yeux d’Angélique, et augmenté par les pleurs qu’elle répandait souvent, les força d’ajourner la détermination qu’ils auraient dû prendre plus tôt. Pendant ce temps leurs soins redoublèrent en raison de leur inquiétude, et leur fille put reconnaître combien elle leur était chère.

Cette pensée lui venait quelquefois, et la rendait honteuse de son injustice à leur égard. Quand, un bandeau sur les yeux, elle était conduite par son père ou sa mère, quand elle entendait leur douce voix la questionner sur ses souffrances, qu’elle sentait leurs mains mettre des compresses rafraîchissantes sur ses yeux en feu; quand elle les entendait refuser toute partie de plaisir pour rester auprès d’elle, quand ils lui racontaient ou lui lisaient des histoires propres à l’égayer, elle les bénissait dans son cœur et rendait grâces à Dieu de lui avoir donné de si bons parents.

Mais sitôt que sa jeune sœur venait détourner pour un instant leur attention des soins qu’elle croyait lui être exclusivement dus, lois même qu’elle entendait le faible bruit du baiser qu’ils lui donnaient, le feu du dépit couvrait son visage et lui enflammait de nouveau les yeux, puis les larmes amères qui en sortaient lui causaient des douleurs inouïes.

Pour lui éviter de nouvelles souffrances et la guérir de la cruelle maladie morale qui aggravait ses maux physiques, ses parents se déterminèrent à envoyer pendant quelque temps la petite Hélène chez une de leurs parentes, dans une campagne éloignée de Paris, leur résidence habituelle. Ainsi, par amour pour une enfant qui ne leur causait le plus souvent que des peines, ils se privaient de la vue de celle qui par sa gentillesse enchantait leurs regards, et par son heureux naturel charmait à tout instant leurs cœurs.

Telle est la tendresse d’un bon père et d’une bonne mère; c’est un désintéressement généreux et héroïque, une abnégation continuelle de ce qui leur plaît pour l’utilité de ce qu’ils aiment. Oh! qu’ils sont ingrats les enfants qui ne savent pas comprendre tant d’amour!

Quand Angélique n’eut plus près d’elle un objet de comparaison de ce que peut un attachement si parfait, elle jouit avec délices de celui de ses parents, et la paix rentra dans son âme.

Cet état de calme lui rendit peu à peu la santé et l’usage de ses yeux; cependant il resta sur l’un d’eux une petite taie qui, en grandissant, pouvait avoir des suites fâcheuses.

Lorsque Angélique ne laissa plus d’autre inquiétude à ses parents que cette tache à peine visible encore, ils songèrent à rappeler près d’eux leur autre fille; qui avec les bons paysans au milieu desquels elle se trouvait, devait prendre un jargon et des manières tout à fait opposés aux leurs.

Ils crurent de leur devoir, auparavant, de parler raison enfin à leur fille aînée. «Ma chère enfant, lui dit son père, je suis persuadé que tu ne peux douter de notre tendresse pour toi; c’est toi qui la première a fait battre notre cœur d’un amour tellement grand, tellement profond, que je ne saurais te le dépeindre, mais dont nos soins si tendres et si constants ont pu te fournir la preuve. — Ah! oui, s’écria Angélique en serrant la main de son père et de sa mère, je vous dois pour ainsi dire deux fois la vie, et je ferai tous mes efforts pour embellir à mon tour la vôtre. — Je ne doute pas de tes bons sentiments, ma bien-aimée; pourtant, il est en toi une funeste disposition qui nous fait gémir chaque jour et empoisonne notre bonheur de famille. Tu comprends de quoi je veux parler, mon Angélique; ne feras-tu nul effort sur toi-même pour chasser de ton cœur la honteuse jalousie qui s’en est emparée pour ton malheur et pour le nôtre?

«— O papa! ô maman! suis-je maîtresse de moi-même quand je vous vois prodiguer à ma sœur les mêmes caresses et les mêmes soins qu’à moi? Je vous aime tant, que je voudrais vous voir m’aimer par-dessus tout!

«— Tant que tu n’as été qu’une enfant! interrompit sa mère, tu ne pouvais comprendre les devoirs, les obligations d’un père et d’une mère, et je conçois que lorsque, toute petite, tu nous a vus nous occuper d’un autre être que toi, tu as pu en éprouver du déplaisir; mais à présent que tu as du jugement, tu dois comprendre que si de bons parents sont l’image de Dieu sur la terre, ils doivent, comme lui, répandre leurs bienfaits et étendre leur amour sur tous ceux qui leur doivent l’existence. En agir autrement, ne serait-ce pas s’aliéner le cœur même des plus favorisés de leurs enfants, s’il était possible qu’il y en eût? car la justice est l’aliment de tout ce qui est beau, de tout ce qui est bien. Comment, si l’on ne les estimait pas, chérir ses parents autant qu’ils doivent être aimés?

«— Tiens, ma chère fille, reprit M. Aubert en conduisant Angélique près d’une cage qui renfermait une couple de serins; examinons ces oiseaux: tant que leurs petits seront tout jeunes, tu verras leur père et leur mère voler constamment à leur nid, soit pour leur donner la becquée, soit pour les réchauffer sous leurs ailes; mais lorsque ceux-ci pourront se passer de tous ces soins, et qu’il surviendra une autre couvée, le serin et la serine les reporteront sur les autres objets de leur tendresse, qui les réclameront à leur tour. Ceci est une loi immuable de la nature: il ne faut donc pas que parmi les enfants des hommes les aînés s’étonnent et s’affligent de l’affection de leurs parents pour les plus petits. Mais l’amour paternel dans les hommes, bien plus perfectionné, bien plus durable que l’instinct, néanmoins si touchant, des animaux, s’étend, se propage à tous les êtres qui réclament leurs soins, en demeurant toujours aussi fort, aussi grand, aussi invariable pour ceux même à qui ils deviennent inutiles. Que dis-je! inutiles; si les bons parents n’éprouvent plus une aussi grande préoccupation pour les besoins matériels de leurs premiers-nés, que de sollicitude, que de sacrifices pour leur instruction! Que de travail, de privations ils s’imposent pour leur assurer une existence heureuse, indépendante! Je ne citerai que nous, mon amie: ta mère et moi nous pourrions vivre à l’aise avec le bien que nous avons; mais tu grandis, ainsi que ta sœur: il nous faut les moyens de payer ta pension, et ensuite la sienne, dans une bonne institution, de vous y donner à grand prix des maîtres distingués, de vous amasser à chacune une dot; je vais pour cela me livrer à des spéculations commerciales, qui me raviront peut-être mon repos de corps et d’esprit; qui m’exileront souvent de mes foyers, et priveront ta mère de sa sécurité, de ses douces habitudes de famille, etc. Crois-tu qu’elle et moi, en agissant ainsi, nous ferons moins pour nos chères filles que nous ne l’avons fait dans leurs premières années? Et s’il nous survenait un troisième enfant, faudrait-il que toutes deux vous fussiez jalouses des soins assidus qu’il réclamerait à son tour, et dont vous n’auriez plus besoin?

» — Je comprends cela, répondit Angélique; si j’avais à présent un petit frère ou une petite sœur, je crois que je l’aimerais beaucoup, et que je prendrais plaisir à vous seconder pour l’élever; mais je n’ai pas été maîtresse de mes premières impressions, quand j’étais petite, et ce n’est pas ma faute si je ne puis chérir ma sœur. — C’est que tu n’as jamais réfléchi au bonheur que tu as de posséder une compagne, une amie, une compagne de tes peines et de tes plaisirs, ni au devoir que t’impose le titre de sœur.

«Dans peu la religion t’apprendra à la connaître, et tu sauras que le Seigneur commande à tous les hommes de se chérir comme des frères, à plus forte raison il impose cet amour fraternel à ceux qui le sont en effet.

«Mais, sans cette obligation que nous fait la charité, un penchant naturel attire ordinairement les uns vers les autres tous ceux qui sont issus de mêmes parents, élevés sous le même toit, avec les mêmes soins et le même amour. Ce sentiment rend plus vifs les plaisirs de l’enfance, et plus douces ou moins amères les joies ou les adversités qui peuvent survenir dans un autre âge.

«Tiens, lis ces vers de la Morale de l’Enfance, ils semblent faits exprès pour te développer la pensée que je cherche à t’exprimer:

Combien on doit aimer ses frères et ses sœurs!

Que ces liens sont doux! Ensemble dès l’enfance,

Unis par le devoir, unis par la naissance,

Où trouver des amis, et plus sûrs et meilleurs?

«— Ah, papa! ah, maman! je sens toute mon injustice à l’égard d’Hélène, je tâcherai de la réparer; il me semble même que je désire revoir ma petite sœur, pour m’habituer à l’aimer, comme j’aurais dû toujours le faire.

«— Bien! bien? dirent ses parents émus, sois toujours ainsi, telle que tu dois l’être, et tu redeviendras notre fille bien-aimée, comme tu l’étais dans ton enfance»

Le désir de satisfaire ces tendres parents et de corriger son cœur du défaut qu’elle commençait à reconnaître en elle lui fit souhaiter en effet le retour de la jeune exilée. Il fut convenu qn’Angélique accompagnerait sa mère, qui devait l’aller chercher.

Madame Aubert ne retrouva plus Hélène ce qu’elle était en partant, c’est-à-dire une petite Parisienne blanche, mignarde, élégante dans sa tournure; mais une petite paysanne hâlée, joufflue et costumée comme les gens du pays (car la bonne parente chez qui elle était, soit pour conserver ses vêtements intacts, soit pour la mettre plus à l’unisson de ses compagnes de jeu, l’avait fait habiller à neuf, à la manière des enfants du pays. Madame Aubert n’en eut pas moins de plaisir à la revoir, car elle lui parut très-bien portante, ainsi que toujours bonne et gentille. Angélique rit beaucoup de la métamorphose: l’aspect de sa sœur lui donna d’autant moins d’ombrage, que son amour-propre lui disait qu’elle-même était alors beaucoup plus jolie et avait l’air beaucoup plus distingué qu’Hélène. Mais quand elle entendit leur cousine faire à sa maman l’éloge du caractère de cette bonne petite, devenue le bijou de tous les habitants du village, à commencer par M. le curé, qui s’était fait un plaisir de lui apprendre à lire et à écrire; quand elle vit sa mère pleurer de joie à ce discours, se récrier sur les progrès rapides de l’enfant; quand elle comprit que sa cadette de quatre années en savait presque autant qu’elle, car son mal d’yeux avait ralenti ses progrès, elle sentit les tourments de la jalousie rentrer dans son cœur.

Honteuse d’un tel sentiment, elle s’efforça de le cacher; mais sa souffrance intérieure altérait ses traits, ôtait à son esprit sa vivacité, et la rendait si différente d’elle-même, que plusieurs gens de la ferme ne purent s’empêcher de dire, avec leur grosse franchise: «Oh! pour c’t’elle-là, elle n’est pas si gentille, si avisée que l’autre. Comme elle est soucieuse et peu avenante!»

Madame Aubert leur fit signe de se taire; mais le coup était porté. Angélique avait entendu ce propos, et ne s’en montrait que plus triste et moins aimable. Ces bonnes gens la regardaient d’un air curieux, qui semblait interroger sa conscience pour savoir le sujet de son mépris. Ils ne tardèrent pas à le deviner; ils se firent signe d’un air d’intelligence et de chagrin. Un vieillard respectable, le patriarche du hameau, crut même devoir lui adresser ces mots: «C’n’est pas bien, mam’selle, vous avez de l’envie. C’est un grand péché devant Dieu, ça, ça vous perdra... Croyez-moi, chassez c’te mauvaise pensée... J’ons huit enfants qui s’aiment tretous; vous n’êtes que deux, et vous ne vous aimeriez pas! fi-donc...» L’humiliation accrut la douleur d’Angélique. Dès lors elle ne fit plus que tourmenter sa mère pour revenir à Paris, malgré la beauté de la campagne, qui d’abord l’avait charmée. Ainsi le trait aigu qu’on porte dans l’âme empoisonne tous les plaisirs qu’on pourrait goûter.

A peine de retour à là maison paternelle, elle fut placée dans un bon pensionnat; car il était plus que temps de s’occuper de son instruction. Le désir qu’elle avait de se distinguer par quelque savoir et quelques talents l’empêcha de trop s’affliger de quitter son père et sa mère. Un autre sentiment moins louable servit à rendre son œil sec en se séparant d’eux: elle n’allait plus être témoin de leur affection pour Hélène...

Elle-même fut surprise de se trouver si peu sensible à cette séparation, et quand elle en reconnut la principale cause, elle rougit de comprendre combien sa fatale passion altérait dans son cœur les affections de la nature.

Le soir, à genoux auprès de son lit, pour la première fois hors du toit paternel, elle fit amende honorable devant le Seigneur d’un si coupable sentiment, lui promit de s’efforcer de le déraciner de son cœur, lui demanda la grâce de persévérer dans ses bonnes résolutions et de lui faire commencer une nouvelle ère d’innocence et de bonheur.

Le remède le plus efficace contre les maladies de l’âme, c’est la ferme volonté de s’en guérir. Dès cet instant la cure semble presque opérée dans le cœur d’Angélique.

Le désir de faire une bonne première communion vint encore redoubler son désir de ne plus retomber dans le malheureux penchant qui l’avait maîtrisée jusqu’alors.

«Non, je ne veux pas être un ange rebelle, s’écriait-elle quelquefois dans son profond repentir; c’est parce qu’ils enviaient le pouvoir du Seigneur qu’ils se sont révoltés contre lui; je ne veux pas être un Caïn, effrayant le monde par son crime épouvantable, ni ressembler aux frères de Joseph, qui auraient pu être bons et ne sont devenus méchants que par leur affreuse jalousie.»

Le cœur rempli d’une crainte si salutaire d’un désir si fervent de devenir juste et bonne, elle parut se corriger tout à fait tant que durèrent les exercices relatifs à sa première communion, si bien que ses parents eurent le bonheur de la lui voir faire avec la piété convenable.

Heureux jour, qui grava profondément le désir du bien dans son âme et pouvait par la suite le lui faire accomplir! pourquoi ne fus-tu pas de plus longue durée que toutes les autres journées! Hélas! incompréhensible fragilité du cœur humain! à mesure qu’Angélique s’éloigna de cette époque remarquable et qu’elle eut encore le bonheur de s’approcher de la sainte table, sa ferveur, son humilité furent moins grandes, elle se montra moins en garde contre l’esprit malin, qui lui suscita de nouveaux accès de jalousie.

Si ce ne fut pas toujours contre sa sœur qu’elle ressentit cet injuste sentiment, puisqu’elle en fut longtemps séparée, et que lorsque Hélène entra en pension, cette petite ne put être de sa classe, ce fut aux compagnes de son âge, à celles qui lui disputaient ou lui enlevaient des succès, qu’elle porta envie.

La tendresse même qu’elle avait pour ses parents, et qui lui faisait désirer de leur causer de la joie pour les distraire de leurs affaires, dont ils lui paraissaient fort attristés, lui donnait une émotion très-vive. Malheureusement ce n’était pas le seul désir d’apprendre qui l’animait; elle voulait obtenir les meilleures notes, les premières places et les prix les plus marquants. A mesure qu’elle voyait les années se succéder, ce désir de succès devenait plus poignant et dégénérait en jalousie s’ils n’étaient pas tous pour elle.

Bien des fois son institutrice la reprit de ce sentiment si bas, qui lui aliénait le cœur de ses émules et la privait du doux plaisir d’avoir une amie. Angélique, qui en faisant sa première communion avait promis à Dieu de se corriger de son défaut, sentait aussitôt son tort d’y être retombée, faisait quelques avances à ses compagnes, redevenait pour quelques jours d’accord avec elles; mais au premier échec qu’elle éprouvait, son front s’assombrissait, elle perdait la gaîté de son âge, et des paroles aigres, qu’elle ne cherchait plus à retenir, sortaient de sa bouche.

Il résulta de cette funeste disposition d’esprit qu’aucune de ses compagnes n’aimait à concourir avec Angélique; toutes savaient d’avance que si elle n’avait pas l’avantage, elle aurait de l’humeur et chercherait à déprécier leurs compositions: on peut penser s’il leur était possible de l’aimer et de se réjouir une autre fois de ses succès!

C’est surtout à l’approche des prix que ces petites guerres d’amour-propre avaient lieu, et qu’elles empoisonnaient pour chaque professeur le plaisir qu’il aurait eu à voir l’application de ses élèves.

La maîtresse de l’institution éprouvait un vif chagrin de ces semences d’animosité que le funeste caractère d’Angélique répandait dans la classe de ses élèves; aussi à l’une des distributions de prix de sa pension elle essaya de faire comprendre à toutes ses élèves rassemblées la différence qui existe entre la véritable émulation et la jalousie.

«Je ne saurais trop, dit-elle, dans le discours qu’elle prononça pour cette solennité, vous exhorter, mes bonnes amies, à avoir de l’émulation: ce véhicule des progrès a sa source dans l’amour même des sciences ou des arts que l’on cultive. Elle fait étudier avec ardeur pour égaler ceux ou celles qui s’y distinguent, mais sans envie, sans déplaisir de les y voir exceller; car on jouit de leurs succès comme de la propagation de la science ou du talent qu’on aime, comme de l’espoir d’y réussir à son tour. Mais la jalousie, qui se glisse quelquefois parmi des condisciples, est un sentiment bas, haineux, qui n’a sa source que dans l’égoïsme, qui arrête les progrès pour soi ou pour autrui par la triste préoccupation qu’elle porte avec elle, par les altercations qu’elle amène à sa suite, par le sombre voile qu’elle jette sur l’entendement, sur les nobles qualités de l’âme qui peuvent agrandir l’esprit et le rendre apte à tout ce qui est bien, beau, utile.

«L’envie de ce vice odieux n’aurait pas ce triste inconvénient pour les progrès des élèves, que j’en déplorerais les cruels résultats dans toute institution: elle détruit les plus belles qualités du cœur, la justice, la bienveillance, la charité. Puissent, ajouta l’institutrice émue, puissent les jeunes filles qui me sont confiées rester des ignorantes plutôt que de devenir jalouses entre elles! Je veux, pour leur bonheur, pour celui de leurs familles, qu’elles soient bonnes, douces, gaies, aimantes avant tout, et qu’elles craignent de déplaire à celui qui punit jusqu’aux moindres pensées de haine et d’envie. »

Pendant cette allocution, presque tous les regards des compagnes d’Angélique se tournèrent instantanément vers elle, ce qui affligea extrêmement M. et Mme Aubert; ils virent par là qu’elle n’était point encore guérie de son fatal penchant. Elle éprouva elle-même une si grande humiliation de cette accusation muette, que lorsqu’elle fut de retour chez ses parents, elle leur demanda de ne plus retourner à la pension.

Ils consentirent à sa demande d’autant plus volontiers que plusieurs revers de fortune leur rendaient pesante la charge qu’ils s’étaient imposée pour l’éducation de leurs filles; car la plus jeune n’étant que depuis deux ans dans la même institution, ils tenaient à ce qu’elle y restât aussi longtemps que l’aînée.

Celle-ci, qui avait encore versé bien des larmes, et dans toutes les altercations que son malheureux caractère lui avait suscitées, et à la distribution des prix, où elle avait été si fort humiliée, eut un nouveau mal d’yeux, qui suspendit les études qu’elle s’était promis de continuer; la seule chose qu’elle put faire, tant pour se distraire que pour ne point oublier tout ce qu’elle avait appris, fut d’exercer ses doigts sur le clavier de son piano. Sitôt qu’elle pouvait détacher le bandeau qui couvrait le plus ordinairement sa vue, elle s’appliquait à déchiffrer les morceaux les plus difficiles, et les répétait à satiété sitôt que la lumière lui était de nouveau ravie. Il résulta de cet exercice continuel qu’elle devint d’une très-grande force sur l’instrument qui faisait sa seule étude et sa seule distraction.

Il était heureux qu’elle pût acquérir ainsi une fortune indépendante des événements, car son père éprouva plusieurs déceptions dans les spéculations qu’il avait cru devoir entreprendre pour augmenter son aisance et celle de sa famille. De la fortune qu’il avait eue autrefois, il ne lui restait que la plus modique rente et quelques faibles capitaux, qu’il résolut enfin d’utiliser par un commerce à l’étranger, qu’on lui dit être productif. Avant de s’expatrier et de quitter sa femme et ses filles, qu’il ne voulait pas exposer à l’inclémence d’un autre climat, il retira Hélène de pension. En peu d’années elle y avait fait de rapides progrès, car le désir de ne pas être longtemps une charge onéreuse à ses parents avait stimulé son courage, son application; et cette louable émulation, pure de tout sentiment étranger qui eût pu la distraire, avait rendu son esprit docile à toutes les sciences qu’on avait voulu lui enseigner.

Elle rentra dans la maison paternelle escortée des regrets de ses compagnes, des bénédictions de sa maîtresse et de l’affection de tous les membres de l’institution, portant sur son visage la sérénité que donne une bonne conscience et le plaisir d’être aimée.

Qu’elle était belle cette jeune fille, dont aucun penchant répréhensible n’avait détruit la paix de l’âme ni assombri les idées! Que les yeux se reposaient avec plaisir sur son aimable figure! Sa vue dissipa pour un instant la tristesse que ses parents éprouvaient à la veille d’une cruelle séparation. La pauvre angélique fut la seule qui n’éprouva pas cette joie que cause la vue d’une personne bien aimée et digne de l’être.

Du bon œil qui lui restait, car l’autre était couvert d’une épaisse taie, elle se considéra dans la glace, et vit le contraste qui existait entre ses traits, si souvent altérés par la souffrance et le chagrin, et ceux si calmes et si agréables de sa sœur. Cette comparaison n’était pas faite pour rendre à son âme la satisfactien qui aurait pu embellir sa physionomie.

Remarquant avec douleur la nouvelle teinte de tristesse qui s’y répandait, M. Aubert pressa les mains de ses filles dans les siennes, et leur dit: «Bientôt je vais m’éloigner de vous, mes amies; laissez-moi espérer que votre tendresse réciproque, et celle que vous avez pour votre mère, les regrets que va vous faire éprouver mon départ, la nécessité de vous voir roidir contre l’adversité qui va peut-être vous atteindre, vont resserrer les liens du sang qui vous unissent. Ma chère femme, mes chers enfants, que votre amour mutuel vous soutiennent contre les maux de l’absence et de l’infortune.

«Rappelez-vous toujours la morale d’une fable de La Fontaine, que vous ne sauriez relire trop souvent: Les plus faibles mortels sont forts s’ils sont unis.»

Angélique comprit bien que cette exhortation s’adressait particulièrement à elle; elle en rougit de honte, et une plus profonde altération se manifesta sur son visage. «Que je suis différente de ma sœur, et au physique et au moral, se dit-elle; moi seule je donne des inquiétudes à mon père sur l’union qui doit exister entre nous et consoler notre mère. O Seigneur! pourquoi m’avez-vous faite ainsi?...»

Hélas! elle oubliait, la pauvre enfant, que si Dieu permet que de funestes penchants s’emparent quelquefois de notre cœur, il nous donne la raison pour les connaître et la force pour les maîtriser dès que nous voulons prendre la résolution de le faire. La vertu du repentir lui plaît autant que l’innocence, et, comme elle, sera couronnée dans le ciel.

Si elle ne fit pas encore toutes ces réflexions, elle sentit du moins la justesse des paroles de son père, et s’efforça de cacher le sentiment d’envie qui la dominait, aussi bien que le découragement qui en était la suite.

Le bon père parti, les deux jeunes filles commencèrent à s’entendre sur ce qu’elles devaient faire pour entourer leur mère de plus de soins et de plus d’aisance. La domestique de la maison fut congédiée et toutes deux prirent les rênes du petit ménage.

Angélique, en sa qualité d’aînée, garda pour elle la plus forte partie des soins qu’il réclamait; ceux surtout qu’exigeait la santé de sa mère, devenue faible et maladive, furent particulièrement de son ressort; elle voulait être tout pour elle en cette circonstance, et ce désir, peut-être un peu injuste, mais qui était sanctifié par l’amour filial, la portant à une vigilance active, empêchait son esprit de nourrir des pensées contraires à la tranquillité de leur intérieur.

Seulement quand Hélène, inquiète aussi de quelques symptômes alarmants qu’aurait manifestés la santé de sa mère, entrait la première dans la chambre de cette dame pour lui offrir ses services, Angélique en montrait de l’humeur. «Crois-tu que je ne sois pas bonne pour soigner maman? lui disait-elle avec colère. Ne suis-je pas assez attentive pour qu’on puisse s’en fier à moi?»

Madame Aubert, affligée de ces petites scènes, qui lui prouvaient que sa fille aînée n’était pas encore guérie de son triste défaut, lui dit un jour avec douceur: «Ma bien-aimée, je ne saurais trop te louer et te remercier de tes soins, qui me rendent la plus heureuse des mères; mais pourquoi veux-tu empêcher ta sœur de s’initier, par ton exemple, à tous les devoirs d’une bonne fille? Si tu venais à te marier.....

«— Me marier! Ah, ma mère! qui voudrait épouser une personne disgraciée comme moi?» Et son regard, dirigé vers la glace, indiquait sa pensée.

«Mais, chère enfant, si tu tombais malade toi-même, ne serait-il pas bon que ta jeune sœur fût habituée comme toi à tous les soins intérieurs dont tu t’acquittes si bien? Je ne veux pas d’ailleurs que tu cesses de t’occuper d’un talent qui peut t’être utile un jour ainsi qu’à moi-même.»

Cette dernière raison était la plus forte pour déterminer Angélique à laisser quelquefois Hélène s’occuper de sa mère. Le plus souvent, néanmoins, cette bonne petite renonçait à l’office qui lui était si cher, pour ne pas troubler la paix de la maison, car plus que tout le reste elle était utile à madame Aubert. Mais ces nombreux instants de loisir n’étaient perdus ni pour la jeune fille, ni pour elle, ni pour satisfaire son désir de contribuer un jour au bien-être de ses parents. Souvent sa maîtresse de pension, eu admirant son zèle, son intelligence, la douceur et la patience avec lesquelles elle répétait quelquefois les leçons des professeurs à des compagnes moins avancées qu’elle, lui avait dit: «Oh! pour toi, tu serais une bonne institutrice. Si jamais tu as besoin d’exercer une profession, suis cette carrière, mon enfant.» Ayant su les revers de fortune survenus à M. et à Mme Aubert, elle avait dit à Hélène, quand celle-ci l’avait quittée: «Si tu as besoin de quelques conseils pour suivre tes études et te disposer à passer les examens qu’il faut subir pour entrer dans l’enseignement, viens me trouver, ma chère fille, je serai toujours disposée à t’être utile.» Toutes les personnes qui la secondaient avaient offert la même assistance à l’intéressante élève: il lui fut donc facile, avec du travail et leur secours, de s’ouvrir une carrière honorable qui pût lui donner de la sécurité pour son avenir et celui des êtres qui lui étaient si chers.

Inexplicable injustice du cœur humain, quand il est dominé par une passion condamnable! Quand Angélique la vit travailler avec ardeur à l’accomplissement d’un désir si louable, elle en éprouva du déplaisir; elle se plaignait qu’on lui laissait tout le fardeau du ménage, comme si elle n’était faite que pour être la servante de la famille, etc., etc.

Elle songea qu’elle avait aussi en elle les moyens de lutter contre l’infortune, et résolut d’aller voir toutes ses anciennes compagnes, dont la plupart étaient mariées et mères de famille, pour les engager à la prendre pour la maîtresse de piano de leurs enfants. Mais peu souscrivirent à sa demande: toutes se souvenaient de leurs diverses altercations, et, sans lui en vouloir précisément de ces querelles de jeunes filles, que pourtant Angélique avait toujours excitées, elles n’éprouvaient point pour leur ancienne émule de classe cette sympathie, cette confiance que toute mère aime à ressentir pour celle qui doit la remplacer souvent auprès de ses filles.

Ces déceptions lui causèrent un vif chagrin. Il fut encore augmenté par l’empressement que toutes les amies d’Hélène mirent à la complimenter sitôt qu’elles la surent munie de son diplôme: «Va, ne crains rien, établis-toi, lui dirent-elles; madame a quitté son établissement, ainsi, c’est toi qui lui succéderas pour l’éducation de nos jeunes sœurs et de nos autres parentes, en attendant que nous puissions te confier nos enfants. Celle qui fut si bonne, si obligeante pour nous, le sera encore pour ce qui nous appartiendra. Sois tranquille, sois tranquille, nous parlerons de toi à tous nos amis, à toutes nos connaissances, et tu ne manqueras pas d’élèves.»

Ce contraste dans sa position et celle de sa sœur augmenta la jalousie qu’Angélique avait toujours ressentie contre elle; dès lors les injustes reproches vinrent souvent troubler la tranquillité du logis. Après l’une de ces scènes fâcheuses, elle surprit madame Aubert et Hélène dans les bras l’une de l’autre, essuyant mutuellement leurs larmes.

Angélique n’était pas méchante, elle chérissait sa mère, elle ne pouvait s’empêcher de rendre justice à sa sœur; cette scène l’affecta beaucoup. «Hélas! je suis un monstre, dit-elle, je voudrais être utile à maman, et c’est moi qui augmente ses peines.» Mais que devint-elle quand elle reçut de son père la lettre que voici?

«Ma fille, votre pauvre mère, qui aurait tant besoin de consolations, m’écrit que votre injuste caractère lui cause de nouvelles peines. Quoi! malheureuse enfant, l’infortune qui pèse sur nous ne peut vous rapprocher de votre sœur, afin que vous serviez toutes deux d’égide à votre mère contre les peines de la vie!

«Qu’est donc devenu cet amour filial sur lequel je comptais pour me suppléer auprès d’elle, cette affection fraternelle qui devait soutenir mes enfants dans la pratique du plus saint devoir?

«Tout s’est donc évanoui comme les espérances de fortune qui m’avaient séduit, et qui sans cesse s’enfuient loin de moi? O malheureuse destinée! qui fait qu’une union aussi belle que l’était celle que j’avais contractée avec ma digne compagne, s’est vue troublée par la naissance de deux êtres qui devaient augmenter notre félicité !

«Mais pourquoi revenir sur le passé ? songeons au présent; au présent qui s’échappe à chaque instant pour moi au milieu des larmes et des déceptions.

«Hélène est sur le point de prendre un établissement qui peut lui être utile ainsi qu’à sa mère; sa grande jeunesse a besoin, d’ailleurs, de s’étayer de son appui pour inspirer de la confiance. Il est impossible, pour l’intérêt de toutes deux, pour le vôtre même, ma fille, qu’elles se séparent; mais vous, Angélique, vous qui ne pouvez vivre en paix avec elles, il faut prendre un parti, qui vous sera pénible sans doute, mais qui est commandé par les circonstances et par votre funeste penchant.

«Retirez-vous dans quelque institution, où votre habileté sur le piano vous fera admettre sans peine. Vous pourrez voir de temps en temps votre mère et votre sœur; mais votre présence continuelle dans leur pensionnat ne pourrait que nuire à sa prospérité.

«Vous concevez, ma fille, que ce qui peut particulièrement inspirer de la confiance, c’est une parfaite harmonie entre toutes les personnes qui concourent à l’éducation de la jeunesse. Si des sœurs ne sont pas bien unies, si une mère pleure de leurs discordes, quelle sécurité peuvent avoir des parents qui leur confient leur bonheur dans l’éducation de leurs enfants!

«Hélas! ma pauvre Angélique, si tu avais voulu écouter la raison qui souvent t’a reproché ta coupable jalousie; si tu t’étais plus souvent rapprochée de la religion, qui t’a toujours commandé de faire tout pour chasser cet injuste sentiment de ton âme, j’aurais encore plus d’espérance de voir prospérer un établissement qui peut vous préserver toutes de l’infortune, qui peut même être pour moi un refuge contre le malheur qui me poursuit. Ton zèle, tes talents, joints à ceux de ta sœur, formeraient un capital capable de vous procurer les plus sûrs intérêts, et ta mère, ta bonne mère auprès de vous deux, coulerait encore des jours doux et paisibles. Si tu ne peux rien faire pour lui procurer cette félicité, aie du courage, malheureuse enfant, et par amour pour elle et pour moi, qui ne désire que sa tranquillité, prive-toi de sa présence. C’est le vœu de ton père, qui regrette beaucoup de n’avoirpas d’autre conseil à te donner, et de ne pouvoir faire autre chose pour votre bonheur à toutes, que de vous exhorter à cette triste, mais utile séparation.»

Angélique, à la lecture de cette lettre, éprouva une douleur qu’il est impossible de décrire: «Je suis devenue un objet de réprobation pour ma famille, s’écria-t-elle. Loin d’être utile à ceux que j’aime, il faut que je fasse scission avec eux tous, que je vive pour moi seule, que je ne puis plus souffrir. A quoi sert mon existence ici-bas?» Et les plus funestes idées roulèrent dans sa tête en feu.

Personne n’était là pour la consoler, car sa mère et sa sœur, respectant son désir de prendre elle-même connaissance de la lettre qui lui était adressée, l’avaient laissée seule dans sa chambre, où elle s’était retirée.

Elle y passa la nuit la plus cruelle, en proie aux regrets, aux sombres pensées de tous genres. Le matin elle relut encore cette épître qui l’avait tant affectée, et la fin de la missive provoqua ses larmes. Elle comprit toute la justesse des reproches de son père. Ces mots: «Si tu t’étais rapprochée de la religion, etc.,» furent comme un ordre du Tout-Puissant de revenir à lui. «Que de fois, dit-elle, n’ai-je pas été pressée du désir de recourir au médecin de mon âme, à celui qui m’avait donné de si bons conseils dans le temps de ma première communion! Hélas! la honte de lui avouer que j’étais retombée dans mes fautes, de lui en confier l’énormité, m’a toujours retenue; il faut que je lui ouvre mon cœur, qu’il en extirpe le cruel venin qui le ronge, qu’il mette sur mes plaies le baume salutaire des consolations, qu’il donne du calme à mes idées. Je sens que je pourrais devenir folle, folle de jalousie, de repentir, de désespoir de m’être montrée si dénaturée. O mon Dieu! préservez-moi, sauvez-moi du sort affreux que je présage!»

Angélique, de grand matin, se dirigea vers l’église; elle y trouva le pieux confident qu’elle y cherchait, lui découvrit son âme tout entière, reçut ses exhortations avec humilité, lui promit de faire tout pour se corriger, et dès lors se sentit soulagée.

«Mon enfant, lui dit ce digne prêtre, persuadée que votre funeste passion était indépendante de vous, vous n’avez pas fait depuis longtemps vos efforts pour la réprimer. Vous devez savoir pourtant que l’effet de la vertu est de savoir se dompter soi-même, et que ce courageux sentiment plaît à Dieu et efface les fautes commises. Ne perdez donc pas l’espoir de rentrer en grâce avec le Souverain Juge, et de recouvrer la tendresse de vos parents, que votre injustice continuelle a dû affliger. Faites souvent de pieuses lectures, ma fille, elles détourneront votre esprit de tous les sentiments d’orgueil qui entretiennent votre coupable jalousie; elle ramèneront votre cœur vers la charité, ce doux penchant de notre âme appelé vertu divine, puisqu’elle nous porte à aimer Dieu et tous nos frères, qu’il a créés.

«Oui, retournez à lui du fond du cœur, et vous ne vous effraierez plus de toutes vos erreurs passées; car Jésus-Christ, après avoir laissé approcher de lui une pécheresse, a dit: «Elle aime

«beaucoup, parce qu’on lui a beaucoup par-

«donné.» Vous ne craindrez pas non plus les fautes à venir, car si vous vous habituez à aimer Dieu par-dessus tout, vous n’aurez plus ce trop grand amour pour vous-même qui vous a portée à désirer que tout amour se rapportât à vous. Vous chérirez vos parents, votre sœur, en vue de lui plaire et d’entretenir cette paix qu’il a re- commandée aux hommes quand il leur a adressé ces paroles: «Je vous laisse ma paix, je vous

«donne ma paix, qu’elle soit toujours avec vous.» Il leur avait annoncé auparavant que celui qui profère des paroles haineuses contre son frère, qui l’appelle seulement un fou, serait jeté dans les ténèbres extérieures, c’est-à-dire dans le lieu de réprobation, loin du séjour des bienheureux où le Dieu des bontés reçoit tous ceux qui sont charitables les uns envers les autres par amour pour lui.

«Oh! que le sentiment de la charité est doux, ma fille! il assure notre bonheur dans ce monde, en attendant celui qui nous est réservé dans le cièl. Quiconque persévère à le méconnaître est ennemi de soi-même: il se prive de la paix intérieure, le gage le plus assuré de notre félicité présente et future.»

Angélique, l’âme remplie de toutes les bonnes pensées que lui avaient suggérées l’homme de Dieu et ses propres réflexions, rentra au logis tout autre que par le passé ; elle courut se jeter aux pieds de sa mère, lui demanda pardon des chagrins qu’elle lui avait causés jusqu’à ce jour, embrassa sa sœur avec larmes, lui promettant d’abjurer à jamais sa coupable jalousie, et se trouva presque entièrement consolée par la tendresse que toutes deux lui témoignèrent, et ainsi par l’affection qu’elle commença à ressentir pour Hélène, si douce, si bonne, si affectueuse, sitôt qu’elle ne voulut plus la repousser.

Cependant l’affreuse nuit qu’elle avait passée, les pleurs amers qu’elle avait versés, renouvelèrent l’inflammation de ses yeux. C’est alors qu’elle put sentir le bonheur d’avoir une sœur, une amie, un second elle-même qui pouvait la suppléer auprès de sa mère et veiller à ses propres besoins. Quand du sein des ténèbres, où elle était souvent plongée, elle entendait sa douce voix lui adresser des consolations, lui parler, ainsi qu’à sa mère, des motifs d’espérance que lui donnait la profession qu’elle avait embrassée, elle ne pouvait comprendre comment son cœur avait repoussé quelquefois l’amitié d’un être maintenant si chéri, comment elle avait pu regretter que ses parents lui eussent donné une telle compagne.

L’espoir d’Hélène se réalisa: sa mère ayant vendu ses bijoux et ce qu’elle avait de plus précieux, pour lui procurer les premiers fonds nécessaires, elle put louer et meubler une maison, qui se remplit peu à peu de bonnes pensionnaires, que toutes ses jeunes amies trouvèrent le moyen de lui procurer. Aimée, estimée, pour sa conduite exemplaire, pour son zèle infatigable, pour sa piété filiale et son affection pour sa sœur, elle aurait mené une existence bien douce au milieu de ses élèves, qui la chérissaient, si quelquefois des nouvelles affligeantes de son père n’étaient venues interrompre sa tranquillité.

En vain elle lui écrivait de venir se réunir à sa femme et à ses filles: il répondait que mille affaires à régler avec honneur le retenaient encore, qu’il voulait d’ailleurs, avant de rentrer dans sa famille, être bien assuré que rien n’en viendrait plus troubler la paix.

Elle lui avait annoncé la conversion d’Angélique, que sa femme avait confirmée; mais depuis les premières nouvelles qu’on lui en avait données, leurs lettres en parlant de la pauvre demoiselle n’avaient plus fait mention du premier fait, si capable de lui plaire: c’est que ces dames commençaient elles-mêmes à douter de sa réalité.

En effet, quoique mademoiselle Aubert ne souffrît plus de ses yeux, elle était restée sombre et peu communicative; une inquiétude profonde, une appréhension cruelle la minaient: bientôt elle ne pourrait plus donner sa part de soin et de travail dans l’établissement de sa sœur, qui était pourtant aussi le sien; bientôt elle y serait un membre inutile, onéreux: les leçons de piano, devenues son partage, commençaient à la fatiguer extrêmement, bientôt il faudrait prendre un autre professeur: une nouvelle tache, s’élargissant sur son bon œil, lui présageait la cécité.

Cependant, soumise maintenant à la volonté de Dieu, et disant comme Job: «Dieu me l’avait

» donné, Dieu veut me l’ôter: que son saint

» nom soit béni!» elle ne montrait aucun signe d’humeur et d’impatience; seulement, elle était mélancolique, et la crainte d’affliger sa mère et sa sœur l’empêchait de leur communiquer son appréhension, et de leur dire combien elle avait peine à distinguer les objets. Ne trouvant de consolation que dans la religion, elle passait à l’église les moments où elle n’était pas nécessaire près des élèves; et comme c’étaient ceux où elle aurait pu se rapprocher de sa mère et de sa sœur, constamment occupées dans la semaine et se livrant seulement au bonheur d’être ensemble les jours de congé, elle paraissait les fuir, comme ne trouvant aucun plaisir dans leur compagnie.

«Jamais Angélique ne m’aimera, disait quelquefois Hélène avec amertume à madame Aubert; que lui ai-je fait pour avoir encouru son inimitié ? Hélas! si je vois avec plaisir notre établissement prospérer, c’est surtout parce qu’il est aussi le sien, parce qu’il la préserve ainsi que moi de toute inquiétude pour l’avenir; et pourtant je crois que la confiance qu’on m’accorde blesse son cœur et excite son envie. Oh! que ne peut-elle lire dans mon âme! elle verrait toute l’affection que je lui porte; mais lui en parler, ne serait-ce pas lui faire des reproches de sa froideur? Chère maman, si je ne vous avais pas près de moi, que je serais malheureuse! Et pourtant notre parfaite union la rend peut-être jalouse encore! Elle vous aime beaucoup, mais vous fuit vous-même, parce que je suis toujours avec vous.

«— Patience, mon enfant, lui répondait sa mère, Angélique est déjà beaucoup mieux: vois! jamais une parole aigre ne sort à présent de sa bouche; elle est devenue aussi pieuse que je le désirais, et cette heureuse vertu lui fera abjurer tout sentiment condamnable. Fais tout de ton côté pour ramener son cœur à toi: les rayons du soleil fondent la glace, l’ardeur de ton amitié, le feu de ta charité produiront le même effet sur son àme, j’en suis sûre. Souviens-toi que Jacob ne parvint à faire cesser l’animosité de son frère Ésaü qu’en accablant celui-ci de dons et de marques de bienveillance. Rappelle-toi aussi ces belles paroles d’Henri IV: quelqu’un l’informant que quoiqu’il eût accordé plusieurs grâces à un ancien officier de la Ligue, celui-ci ne lui était pas attaché : «Je lui ferai tant de bien,

«répondit ce bon prince, que je le forcerai à

«m’aimer.»

«— O maman! s’écria Hélène, combien je serais heureuse d’acquérir ainsi des titres à l’affection de ma sœur!»

L’occasion ne tarda pas à s’en présenter. Angélique, désespérée un jour du nuage qui s’appesantissait sur sa vue, et qui l’empêchait de pouvoir déchiffrer les morceaux qu’elle devait faire jouer à ses élèves, vint trouver Hélène, et lui dit: «Ma sœur, appelle un professeur de musique: il m’est impossible de remplir la charge que tu m’as confiée; c’est conscience à moi de t’en avertir. Maintenant je ne vais plus être qu’une charge pour toi. Dieu le veut ainsi, sans doute pour me punir de l’injustice dont j’ai si souvent usé à ton égard. — Chère amie, répondit Hélène en la serrant dans ses bras, voilà donc la cause de ta mélancolie; oh! console-toi, console-toi, jamais tu ne peux être une charge pour moi: n’es-tu pas une autre moi-même, pour qui je sacrifierais ma vie s’il le fallait! D’ailleurs, ma bien-aimée, tout espoir n’est pas perdu: un célèbre oculiste que j’ai consulté dernièrement m’a dit que le voile qui couvre tes yeux pourra bientôt être enlevé. — Eh! les fonds nécessaires pour acquitter un aussi grand bienfait! — Nous les trouverons, ma sœur, sois tranquille; maman a déjà une petite réserve qui pourra s’augmenter. — Dépenser pour moi le produit de tes peines! Jamais.... — Angélique, dit Hélène tout en larmes, tu me regardes comme une étrangère; tu ne veux pas que je partage avec toi ce qui nous appartient à toutes deux, puisque nous sommes sœurs et que tout doit être commun entre nous. Ah! que tu me fais de mal!» Et les sanglots l’empêchèrent de continuer. Mais sa douleur était si vraie, l’expression de sa voix avait été si pénétrante en disant ces mots, qu’Angélique en fut extrêmement touchée. «O sœur chérie, s’écria-t-elle, j’ai trop longtemps méconnu ton bon cœur; pardonne, pardonne, et fais de moi ce que tu veux: je suis à toi à la vie, à la mort!»

Depuis ce temps les deux sœurs furent étroitement unies. L’aînée, quoique plus aveugle que jamais, cessa d’être mélancolique: une tendre amie travaillait pour elle, veillait sur elle, lui préparait encore de beaux jours.

Une aurore de bonheur semblait naître pour elle du sein des ténèbres; c’était l’amour fraternel qui la faisait briller dans son cœur, qui le dilatait et lui faisait sentir le contentement d’elle-même, quoiqu’elle ne pût rien faire encore pour Hélène; mais elle l’aimait, elle accomplissait ainsi le précepte du Seigneur, le devoir de la nature. Cela dit tout.

Enfin arriva le temps où la cataracte put lui être enlevée. L’opérateur le plus habile fut appelé ; grâce à son adresse comme aux soins dont elle fut entourée, la jeune aveugle recouvra la vue. Jugez de son bonheur! Son esprit, dégagé aussi des nuages qui l’assombrissaient, lui permit de tout considérer sous un jour nouveau. Avec quel plaisir elle contempla les traits bien aimés de sa mère et de sa sœur! comme ils lui semblaient porter l’empreinte de la joie et de la tendresse en la considérant! Avec quelle satisfaction elle vit comme le troupeau de sa sœur s’était accru! Quelle espérance elle en conçut pour la propagation d’un art qu’elle aimait et qui allait la rendre bonne à quelque chose dans la maison!

Mais surtout ce qui l’enchanta, ce qui lui prouva la généreuse affection d’Hélène, ce fut l’aimable attention que celle-ci avait eue d’embellir son petit appartement durant le temps que, pour recevoir plus de soins, il lui avait fallu coucher près de sa mère. Il était fraîchement peint, nouvellement tapissé ; des rideaux artistement posés y modéraient les feux du jour et le lui rendaient plus doux; des vases garnis de fleurs embellissaient ces lieux et y répandaient un suave parfum; des oiseaux, dans une volière, faisaient entendre leur joyeux ramage; enfin tout dans cette délicieuse chambrette était réuni pour la charmer.

Des exclamations de joie marquèrent sa surprise, sa reconnaissance, et ce fut en pressant Hélène dans ses bras qu’elle acheva l’inspection de son agréable asile et qu’elle en prit possession.

Leur mère, qui les suivait, rendait grâces à Dieu de cet heureux changement, et pleurait de joie en voyant l’affection mutuelle de ses filles.

Cependant Angélique s’arrêta, et porta ses yeux sur deux objets qui provoquèrent encore une plus tendre émotion; c’étaient les portraits de son père et de sa mère, qu’Hélène avait suspendus de chaque côté de la cheminée, juste en face du lit de sa sœur. «Oh! que de bontés! s’écria celle-ci en versant de douces larmes; quoi! c’est moi, la moins bonne de nous deux, qui obtiens ces images chéries! — N’es-tu pas notre aînée, dit madame Aubert, et ne faut-il pas que toi, qui as été si longtemps privée du plaisir de la vue, n’aies maintenant sous les yeux que de doux objets?

«— Oh! que mon réveil ici aura de charme! s’écria Angélique; ma bonne sœur, il ne me manque plus que ton portrait pour y avoir tous les biens réunis! Mais que dis-je? tes traits enchanteurs sont désormais gravés dans mon âme d’une manière ineffaçable: l’amitié la plus vive, la reconnaissance la plus vraie les y a tracés pour toujours.»

Jugez avec quel plaisir madame Aubert rendit compte de cette scène à son mari, et lui écrivit que lui seul maintenant manquait au bonheur de la famille.

Un jour, c’était celui de la distribution des prix des élèves de ses filles, tout avait pris un air de fête au logis; il y avait grande réunion dans le salon, les récompenses venaient d’être distribuées, et les jeunes filles, tour à tour au piano, donnaient à leurs parents un échantillon du talent auquel Angélique les avait initiées avec zèle. Elle-même avait la figure radieuse du plaisir que lui faisaient éprouver les progrès de ses élèves. Elle était redevenue belle comme dans ses jeunes années, non pas de cette beauté enfantine qui ne tirait sa grâce que de la nature et des dons physiques qu’elle lui avait donnés, mais de ce calme, de cette satisfaction de l’âme qui entretient la fraîcheur, la santé, et donne au visage la sérénité de la vertu.

Sa sœur, qui avait prétendu que vu son âge et son talent elle devait briller plus que toute autre à cette fête, lui avait fait faire en secret une robe charmante, dont elle avait exigé qu’elle se parât. Elle était au piano à son tour, enchantant chacun par son jeu brillant et savamment modulé. Des applaudissements s’entendaient de toutes parts, et répandaient sur sa figure les couleurs brillantes que cause la satisfaction de faire plaisir aux autres et la modeste confusion de montrer son talent. Son morceau était fini; elle cherchait de quel côté était sa mère pour se retirer auprès d’elle, quand dans la foule elle aperçoit, le cou tendu et les yeux dirigés vers elle, un monsieur qu’elle ne peut prendre pour aucun des parents de ses élèves; elle regarde de nouveau, et reconnaît... qui?... son père, son digne père, enchanté de ses succès, et qui, arrivé justement à l’instant où la nombreuse assemblée était tout œil et tout oreille pendant qu’elle jouait, avait retenu son empressement d’embrasser sa famille, pour ne pas troubler le plaisir et l’admiration générale.

S’élancer dans ses bras, y être bientôt rejointe par sa mère et sa sœur, tout eut lieu comme l’éclair du moment, mais eut des suites autrement douces et durables.

La foule, une fois écoulée, l’heureuse famille put se livrer à ses tendres épanchements. «Mes amies, dit M. Aubert, je suis des vôtres pour toujours, non pas riche comme je l’aurais désiré, mais du moins sans inquiétude pour ma vieillesse, qui va s’écouler calme et douce auprès de vous.

«Me promettez-vous de vous chérir toujours comme deux sœurs, comme deux amies? — Dites, mon père, comme les deux moitiés de nous-mêmes, s’écria Hélène, nous ne saurions vivre l’une sans l’autre: n’est-ce pas, Angélique?

«— Tu pourrais peut-être le faire sans moi, reprit sa sœur; mais toi, tu es nécessaire à ma vie comme l’air que je respire, comme la lumière qui brille à mes yeux et que je te dois.

«— Heureux père! heureuse mère! s’écrièrent leurs bons parents en pressant leurs filles dans leurs bras; si notre existence a eu ses moments d’amertume, votre douce union va nous rendre tous les beaux jours du matin de notre vie, où tout était amour, espoir et bonheur.»

Cette aimable prédiction s’accomplit. Angélique et Hélène furent toujours inséparables, se soutinrent de leur travail, s’étayèrent de leur amour, et prouvèrent que l’union entre sœurs est l’une des plus grandes félicités de ce monde.

Veillées d'une mère de famille

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