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NOTE SUR L’INVASION DES SARRASINS DANS LE LYONNAIS

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.... Au surplus, le fait de l’incendie se déduit si naturellement de la présence des Sarrasins, constatée par la nomenclature locale, que l’on pourrait déjà se rendre à cette évidence lors même que la légende latine ne nous y autoriserait pas. Tout le pays est couvert de noms mauresques.

Désiré Monnier, Annuaire du Jura, 1842.

La tradition elle-même n’a recueilli que des contes sur les conquêtes et les talents des Sarrasins.

Chambeyron, Recherches historiques sur la ville de Rive-de-Gier.

Un des évènements les plus graves de l’histoire de France, dont les conséquences ont failli changer non-seulement la face de notre pays, mais de la chrétienté tout entière, l’envahissement du pays des Visigoths et des Francs par les conquérants arabes a été si peu ou si mal décrit qu’on ne sait aujourd’hui où s’enquérir des détails de cette épopée, et que tout manque à l’investigation du savant.

Un samedi de la fin d’octobre 732, dit M. Henri Martin, le 3 octobre 732, disent quelques autres écrivains, Abdérame fut vaincu, dans les plaines de Poitiers, par le célèbre chef austrasien Charles-Martel; la déroute des Arabes fut affreuse; leur camp, rempli de richesses, fut pillé, et eux-mêmes eurent une peine infinie à regagner Narbonne ou à traverser les Pyrénées; pour ce premier fait, c’est à peu près tout. Arabes et chrétiens gardent sur cette défaite un prudent silence. Et cependant la France était sauvée, le christianisme restait possesseur du continent européen, et la fortune du Prophète avait reçu un échec dont la honte ne devait jamais s’effacer.

On sait encore vaguement que Lyon, Mâcon, Autun furent pris et ravagés, que la ville d’Auxerre eut le même sort; que sa citadelle résista; enfin que l’archevêque de Sens repoussa et mit en fuite les envahisseurs; mais là aussi les dates précises et les détails nous font défaut. D’ailleurs le vaillant prélat n’eut-il affaire qu’à une troupe de fourrageurs traversant la France par l’Aquitaine et l’Orléanais avant le désastre de Poitiers, et venue, par hasard, se heurter aux murs de sa petite cité, comme l’avance M. Henri Martin1, ou eut-il à repousser cette armée formidable d’Athim et d’Amorrhée2, venue, quatre ans plus tard, par la vallée du Rhône, pour attaquer les Francs au centre de leur puissance, comme le soutiennent nos vieux chroniqueurs bourguignons? les Arabes, qui devaient atteindre bientôt à une si haute civilisation, vinrent-ils en conquérants ou en ravageurs? voulaient-ils piller ou coloniser? détruisirent-ils dès leur premier choc toutes les cités qu’ils trouvèrent sur leur passage ou ne s’attaquèrent-ils qu’aux biens du clergé? les avis sont partagés, ou plutôt l’histoire moderne n’a pas d’avis. Nul écrivain ne paraît attacher quelque importance à ces détails. Moins dédaigneux, nous allons essayer de nous prononcer, et dès l’abord nous ne cacherons point nos sympathies pour nos vieux chroniqueurs, et cela uniquement parce qu’ils habitaient le pays où ces terribles événements se sont passés.

L’histoire écrite au fond d’une bibliothèque, avec l’aide de copistes et de collectionneurs qui cherchent des dates et vous préparent vos matériaux, pourra bien briller par un plan vaste, une philosophie sévère, un style magique et des qualités d’ensemble qui assurent la vogue à votre ouvrage et l’immortalité à votre nom; mais si les grands faits sont rapportés d’une manière satisfaisante, combien de détails vous échappent! combien d’erreurs vous répétez avec vos devanciers3! Aujourd’hui la science commence à vouloir visiter elle-même les lieux qu’elle décrit. Elle suit pas à pas la marche des armées, cherche le gué des rivières, tourne le flanc des montagnes et voit pourquoi telle invasion s’est arrêtée. Des hommes spéciaux font l’histoire d’une cité ou d’une province et, en face d’un champ de bataille, comprennent le choc des bataillons, voient fuir les vaincus, campent ou marchent avec les vainqueurs. La chronique du château explique celle de la contrée, la tradition vient en aide aux documents écrits; l’histoire provinciale se forme, et, sous le contrôle de l’homme du pays qui a vu, l’histoire générale se complète ou se rectifie, l’obscurité se dissipe, et le savoir patient trouve enfin la vérité.

Pour connaître ce qu’a été le séjour des Sarrasins dans nos contrées, il faut, non pas consulter les érudits, surtout ceux qui ont écrit loin de nous, mais aller de chaumière en chaumière, des marécages de la Dombes aux flancs escarpés du Jura. Là, tout vous rappellera le passage, les triomphes ou les défaites de ces guerriers que le fanatisme amena du fond des déserts de l’Asie, et dont la grande histoire a si bien perdu les traces qu’elle ne sait plus où les trouver. Une lettre de Leidrade à Charlemagne nous apprend qu’il relève les monastères détruits par les Sarrasins; la Chronique de l’abbaye d’Ambronay atteste que le monastère, fondé par saint Maur, l’église consacrée à la Sainte-Vierge et la statue, objet de la vénération des fidèles, ont été renversés par les païens. Ces païens n’étaient pas les Hongrois venus deux siècles plus tard, puisque saint Barnard avait déjà, en 803, reconstruit la chapelle et le couvent. L’histoire de Lyon nous apprend que les recluseries de la Platière et de Saint-Clair, les églises de Saint-Georges et de Saint-Paul, les abbayes déjà célèbres de Saint-Pierre et de l’Ile-Barbe étaient tombées sous les coups des sectateurs du Coran, mais ni M. Henri Martin ni nos autres historiens ne nous disent quel fut le sort des armées musulmanes après les derniers triomphes de Charles-Martel; M. Reinaud ne croit pas que des tribus sarrasines aient pu rester parmi nous, et M. Pilot met au nombre des fables la prise de Grenoble par les Maures et la présence de bandes sarrasines dans les montagnes du Dauphiné.

Quant à nous qui, au fond de nos vallées, avons vu ces familles au teint brun, aux coutumes bizarres, au nom sans contredit oriental, et qui se disent elles-mêmes d’origine arabe, nous croyons qu’on pourrait compléter ce que l’histoire ne dit pas ou rectifier ce qu’elle avance d’erroné. Les tribus arabes n’ont pas regagné l’Espagne, et cependant elles n’ont pas été anéanties par les Francs. Poursuivies par un ennemi supérieur, elles ont traversé la Saône et se sont réfugiées dans les marécages de la Dombes, les forêts de la Bresse ou les gorges escarpées du Jura et du Dauphiné; la preuve, c’est qu’elles y sont encore. Si l’homme qui écrit l’histoire d’un peuple ne peut approfondir tous les faits, si l’écrivain systématique nie, de parti pris, ce qui lui paraît singulier ou bizarre, c’est aux esprits moins vastes ou moins entiers à descendre dans ces infiniment petits qui auront peut-être aussi un jour leur utilité et leur importance.

Battus à Poitiers, qu’ils traversaient en allant s’emparer du trésor de Saint-Martin, et bien avant d’avoir atteint cette Neustrie qu’on leur avait dite si opulente et si bonne à ravager4, les Arabes et les Bérébères, âpres à la conquête, avides de pillage et ardents à se venger, après avoir, pendant quatre ans, réparé les désastres de leur défaite, attaquèrent le pays des Francs par la partie orientale, plus facile à envahir. D’immenses renforts accourus de l’Afrique et de l’Asie avaient couvert l’Espagne, franchi les Pyrénées et s’étaient répandus dans cette Septimanie où déjà plus d’une fois les Visigoths leur avaient tendu la main5. Organisés en vue de toutes les prévisions; accompagnés de leurs femmes et de leurs troupeaux comme pour coloniser6, mais surtout fiers d’une cavalerie nombreuse et sans égale, les Arabes remontèrent le cours du Rhône sans presque livrer de combats7. La Bourgogne, écrasée par le despotisme et l’avidité des Francs, ouvrit ses portes aux musulmans qu’elle reçut presque comme des libérateurs8. Le clergé seul protesta contre les propagateurs d’une religion nouvelle, et le clergé seul eut à subir les lois de la guerre avec une impitoyable rigueur. Les juifs surtout firent cause commune avec les musulmans, et leur influence, puissante dans toutes les cités, ne contribua pas peu à faciliter l’envahissement du pays9. A Loudun, comme ils appelaient Lyon, les musulmans s’emparèrent des biens de l’Église, renversèrent les couvents10, mais respectèrent la population; le culte extérieur fut seul défendu, les mœurs et les lois furent conservés11. Suivant leur tactique, et pour ne pas affaiblir leur armée, les Arabes confièrent la garde de la cité aux juifs et à quelques seigneurs bourguignons, et, comme force morale, laissèrent un poste de cavaliers autour du drapeau musulman. Ici, particulièrement, l’histoire est muette, mais la tradition parle, et grâce à elle on peut encore suivre le fil des événements.

Lyon était déjà une ville puissante qui, en se soulevant, aurait pu écraser même une forte garnison. Il n’eût pas été prudent de confier à son incertaine amitié la vie ou la liberté des soldats laissés à la garde du drapeau; mais Lyon est arrosé par deux larges fleuves; des collines l’entourent: sur quel point dut s’établir le poste arabe qui devait maintenir la paix de la cité, assez près pour savoir les nouvelles, assez loin pour ne pas être envahi par la révolte? les livres ne le savent pas, mais les gens de la campagne le savent, et c’est d’eux que nous l’avons appris.

1

Hist. de France, tome 2.

2

«L’émir Othman, l’Adthima des chroniqueurs.... l’émir Omar, l’Amor de nos chroniqueurs.» (Henri Martin, Hist. de France, tom. 2; Reinaud, Invasions des Sarrazins).

3

«Le P. Berthaud et le P. Perry placent l’irruption des Sarrasins en Bourgogne en 719 et 720. Ces dates sont certainement inexactes.» (Fouque, Hist. de Châlon-sur-Saône).

C’est, à son tour, victime d’une profonde erreur que Victor Fouque, dans son Histoire de Châlon-sur-Saône, prétend que la Bourgogne fut envahie de toutes parts par les Sarrasins, commandés par leur roi Abdérame.

4

«L’Espagne fut donnée pour la seconde fois à Abdoulrahman-Ben-Abdoullah-el-Gafiki, l’année de l’hégire 113, et la neuvième du califat d’Accham (731)… Dès que cette révolte fut dissipée, Abdoulrahman résolut de porter la guerre au dehors et d’occuper les Arabes… il se jette dans l’Aquitaine, passe la Garonne et s’empare de Bordeaux… Il traverse le Périgord, la Saintonge, le Poitou… Il pénètre jusqu’à Tours… Eudes implore le secours de Charles-Martel. Ce prince, justement alarmé du danger commun, marche contre les Arabes avec toutes les forces de la Germanie, de l’Austrasie, de la Bourgogne et de la Neustrie.» (Cardonne, Hist. de l’Afr. et de l’Esp. sous la domination des Arabes.)

«Les Barbares essayèrent même de se venger sur les provinces de Charles-Martel de la défaite que ce grand capitaine leur avait fait essuyer quelques années auparavant. Leurs détachements, occupant de nouveau Lyon, envahirent la Bourgogne.« (Reinaud, Invasions des Sarrazins.)

On voit que l’envahissement de la Bourgogne suivit la bataille de Poitiers et ne la précéda pas.

5

«Entreprenans la guerre d’un grand cœur (les Visigoths) appellerent en leur ayde les Sarrazins, encores ennemys des François, pour raison de la perte qu’ils avoient receu devant Tours. Ainsi tous ensemble viennent passer le Rhône… et tirant outre prindrent quasi toute la Bourgongne.» (Guillaume Paradin, Annales de Bourgogne.)

«Alhatan… leur avoit commandé… de venger Abdérame et de se souvenir incessamment de la bataille de Tours. Les chefs qu’il leur donna furent Athin et Amorrhée qu’il jugea capables d’un si grand employ..... Nulle esglise ne fut espargnée. Lyon, Mascon, Auxerre et toutes les villes de la Bourgogne, jusqu’à Sens, furent saccagées.» (Chorier, Hist. du Dauphiné.)

6

«Le témoignage des plus anciennes chroniques nous assure que les Arabes, en franchissant les Pyrénées, entraînaient après eux leurs femmes et leurs enfants, comme s’ils eussent eu le dessein formé de s’établir sur ce sol nouveau pour eux.» (Noël Desvergers, L’Arabie, p. 342.)

«Sarraceni cum uxoribus et parvulis venientes…» (Warnefrid, Hist. Longobard.)

7

«Au moment de ce vaste choc, les Arabes, encore dans la première ferveur de l’Islam, avaient plus d’humanité, de moralité, de lumières que les Franks.» (Henri Martin, Hist. de France, tom. 2.)

8

«La Bourgogne paya chèrement sa résistance aux prétentions de Charles; ce royaume fut partagé entre ses partisans les plus dévoués. Les Bourguignons furent exclus de toutes les magistratures et subirent les conséquences d’une invasion étrangère.» (Fouque, Hist. de Châlon-s.-Saôn.)

«Les bandes teutoniques commirent sans doute, dans cette expédition, de bien grandes violences, et les leudes franks ou germains, qui avaient dépossédé les comtes romains ou burgondes, exercèrent une bien brutale tyrannie, car il s’alluma contre le règne des Franks des haines qui ne tardèrent pas à éclater de la manière la plus étrange.» (H. Martin, Hist. de Fr., t. 2.)

«737.—Comme Martel estoit usurpateur, chaque gouverneur croyoit avoir droit de lui désobéir et trenchoit du souverain. Mauronte, gouverneur de Marseille, afin d’establir son indépendance, appella le secours des Sarrazins et leur livra la ville d’Avignon, d’où ils s’espandirent dans le Dauphiné, le Lyonnois et, s’il est croyable, même jusqu’à Sens.» (Mezeray, Hist. de France, t. I, p. 131.)

«Les chefs des Bourguignons se flattèrent de recouvrer leur indépendance en favorisant l’invasion des Sarrasins.» (Lateyssonnière, Recherches hist. sur le départ. de l’Ain).

9

«Les Juifs étaient très-nombreux, très-riches et très-forts dans les villes septimaniennes, et ils secondaient partout la conquête arabe de leurs intrigues en représailles des lois tyranniques portées contre eux.» (Henri Martin, Hist. de France, tom. 2.)

«L’évêque Agobard écrivait à l’archevêque de Narbonne Nibridius: Dieu mercy, il n’y a plus de païens en ce pays, mais il y a quantité de juifs qui demeurent en cette ville et sont répandus dans tous les lieux circonvoisins.» (Menestrier, Hist. cons., p. 216.)

10

«Les Sarrasins, dans leurs invasions, avaient dévasté la plupart des églises et des couvents et avaient aliéné les biens affectés à ces établissements.» (Reinaud, Invasions des Sarrazins.)

«L’an 732? Les Sarrasins entrent en Bourgogne, ruinent Autun jusques dans ses fondements. L’église de Saint-Nazaire fut brûlée avec tous les titres et papiers. Le monastère de Saint-Martin, fondé par la reine Brunehaut et où elle reçut la sépulture, fut pillé et détruit; celui de Saint-Jean-le-Grand eut le même sort.» (Edme Thomas, Hist. d’Autun.)

11

«Les villes qui avaient capitulé conservèrent leurs comtes goths ou romains, leurs lois nationales et l’exercice de leur culte dans l’intérieur des églises, mais à condition de recevoir des garnisons musulmanes, de payer le kharad, tribut annuel qui variait du dixième au cinquième des revenus fonciers, et peut-être de livrer leurs chevaux et leurs armes, ainsi que les trésors de l’Église. Les domaines de la couronne et des citoyens morts en combattant les musulmans furent confisqués, probablement avec la majeure partie des biens de l’Église.» (Henri Martin, Hist. de France, tom. 2.)

«L’exercice libre de la religion chrétienne était garanti dans l’intérieur des églises. Toute église existante devait être conservée; mais il n’en pouvait point être bâti de nouvelles sans l’autorisation du chef musulman.—Les lois anciennes du pays étaient maintenues.» (Hugo, France monument., p. 232.)

«Les conditions imposées par les généraux musulmans aux villes conquises n’étaient ni trop onéreuses ni trop humiliantes, comparées au sort qui, à cette époque de barbarie, pesait sur les habitants des villes tombées au pouvoir d’ennemis chrétiens comme eux.» (Hugo, France monument., p. 232.)

«Dans les cérémonies publiques, à Messine, on déployait deux étendards. Le premier, qui appartenait aux Sarrasins, représentait une tour de couleur noire sur un champ vert; le second, qui servait aux Chrétiens, portait une croix d’or brodée sur un champ rouge.» (Ebn-Khaldoun, Hist. de l’Afrique…)

«Abdoulah, conformément à la loi mahométane, et pour éviter l’effusion du sang, offrit la paix à Grégoire en lui donnant à choisir d’embrasser l’islamisme ou de se rendre tributaire du calife.» (Cardonne, Hist. de l’Afrique et de l’Espagne sous la domination des Arabes.)

«On sait que de tout temps l’islamisme offrait aux vaincus deux partis: embrasser la foi musulmane ou payer tribut aux vainqueurs.» (Ebn-Khaldoun.)

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