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LES ÉMOTIONS DE GUILLEMETTE ET DE MARTINOTTE

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Table des matières

Le sculpteur Jacques Bonvarlet habitait une petite maison dans un quartier fort tranquille, en vue des prairies où la rivière d'Oise coulait nonchalamment, en bonne petite rivière prenant ses aises, aimant à s'étaler sous les saulaies et même, quelquefois, après les pluies, à s'en aller vagabonder à travers champs, jusque vers les collines de Picardie qui l'encadrent à courte distance.

Ce quartier solitaire s'éparpillait dans les anciens jardins d'un palais des rois carlovingiens, le palais de Charlemagne, comme l'appelait le populaire, abandonné ou détruit; il en restait près de la rivière une grosse tour, la tour Beauregard, qui subsiste encore aujourd'hui après dix siècles, et ruinée seulement depuis trois cents ans.


Au pied de la tour Beauregard.

Sur l'emplacement du palais de Charlemagne, il y avait alors un couvent de Jacobins; et quelques rares maisons. L'une de ces maisons était celle de Bonvarlet, ancienne dépendance du palais sans doute, bâtie sur terrain élevé. Les fenêtres de son unique étage regardaient d'un côté par-dessus le rempart, vers la tour Beauregard et le pont traversant l'Oise. De l'autre côté, c'était la ville, des toits et des toits, des pignons, des flèches d'églises et la forêt bleuissant au loin. De vieux murs croulants, encadraient le verger rempli de grands et gros arbres, poiriers, pommiers, pruniers, dont quelques-uns semblaient presque d'âge à avoir vu passer dans le palais Charlemagne et le paladin Roland, et ne portaient plus sur leurs branches tordues que les pampres d'une vigne envahissante.

En cette maison enfouie sous les arbres, Guillemette Bonvarlet, la fille du maître sculpteur, n'aurait rien appris du tumulte occasionné à cinq minutes de chemin, au parvis Saint-Corneille, par l'élève de son père, Jehan des Torgnoles, si la servante Martinotte, en rentrant du marché, ne s'était hâtée de monter en sa chambre pour lui raconter l'événement.

Guillemette était une enfant blonde et fraîche, aux traits réguliers et fins, avec un nez d'une ligne idéalement pure, des yeux de candeur profonds et doux comme un ciel de printemps, limpides et claires fenêtres de son âme. Essayer d'esquisser un portrait plus détaillé est bien inutile, Guillemette ressemblait à toutes les statues de Vierges et de saintes que son père sculptait depuis vingt-cinq ans. Elle n'était pas née que déjà son père taillait son image dans la pierre, ce qui s'explique très naturellement, car Guillemette était le vivant portrait de sa mère défunte. Vingt-cinq ans auparavant, c'était le visage de la mère que, sans le vouloir, le sculpteur reproduisait; c'était maintenant celui de la fille.


Guillemette Bonvarlet.

Assise devant une grande table sur laquelle était étalé un grand dessin de rinceaux pour une frise sculptée, Guillemette travaillait à reproduire ces rinceaux avec son aiguille et des fils de nuances diverses, sur une toile destinée à quelque somptueuse crédence. Elle leva la tête à la brusque entrée de la servante, comprenant à son allure que celle-ci devait avoir sur la langue quelque nouvelle la démangeant fortement.

—Eh bien, Martinotte, dit-elle malicieusement, que rapportez-vous du marché? Beurre frais, très cher, choux et poireaux, seulement pas encore de cerises, n'est-ce pas?

—Attendez deux mois pour les cerises, si elles osent mûrir avec ces Anglais de malédiction, qui sont par les champs! Aujourd'hui vous l'avez dit, le beurre est encore augmenté... Mais vous ne savez pas autre chose?

—Non, quoi donc?

—Un malheur! Votre père vous le dira en détail quand il va venir, moi je peux seulement vous le dire en gros...


Martinotte.

—Quel malheur? fit Guillemette épouvantée en jetant ses aiguilles.

—Un malheur arrivé au pauvre Jehan l'ymagier, au portail Saint-Corneille... Jehan des Torgnoles, le pauvre garçon qui était toujours si tant plein de gaîté... plutôt trop même... C'est bien fini!...

—Ah, mon Dieu! il est tombé du portail... il s'est tué?...

—Non, il n'est pas tombé, non, il ne s'est pas tué, vu qu'il était encore bien portant il y a cinq minutes quand j'ai quitté le marché, mais il n'en vaut guère mieux...

—Comment? Pourquoi?

—Est-ce que je sais, moi! Je me tue à vous expliquer que je n'y ai rien compris, vu que j'étais un peu loin, mais tout ce qu'il y a de certain, c'est qu'il est condamné et qu'il est à cette heure au fin fond des prisons de l'Abbaye...

—En prison?

—Au pain et à l'eau sa vie durant... ce qui ne sera pas long, car on connaît ses goûts...

—Pourquoi condamné? Pourquoi en prison?

—Quelque chose qu'on lui reproche... je ne sais quoi... Mais c'est grave et il a avoué... vous demanderez à votre père...

Les assiègés de Compiègne, 1430

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