Читать книгу Mesdames Nos Aïeules: dix siècles d'élégances - Albert Robida - Страница 6
III
MOYEN AGE
ОглавлениеLes Gauloises teintes et tatouées.—Premiers corsets et premières fausses-nattes.—Premiers édits somptuaires.—Influence byzantine.—Bliauds, surcots, cottes hardies.—Les robes historiées et armoriées.—Les ordonnances de Philippe le Bel.—Hennins et Escoffions.—La croisade de frère Thomas Connecte contre les Hennins.—La dame de Beauté.
Il faut avoir le courage de l'avouer, ici même, dans ce Parisis qui porte et fait triompher partout l'étendard de l'élégance, les aïeules de Mesdames les Parisiennes, il y a quelque deux mille ans, se promenaient un peu attifées à la mode des élégantes Néo-Zélandaises d'aujourd'hui, dans la grande et sombre forêt qui des bords de la Seine remontait aux rives de l'Oise et s'en allait toucher aux Ardennes en un vaste et inextricable bois de Boulogne.
Ces Gauloises, belles et rudes, allant épaules découvertes et bras nus, étaient peinturlurées et probablement tatouées; dans tous les cas il est certain qu'elles se teignaient les cheveux.
Les nombreux bijoux parvenus jusqu'à nous, fibules, torques ou colliers, bracelets, agrafes en bronze et quelquefois en argent ou en or, témoignent que ces demi-sauvagesses primitives connaissaient un certain luxe. Tous ces objets présentent dans leur style une grande analogie avec le style d'ornementation qui s'est perpétué jusqu'à nos jours dans la Bretagne actuelle.
La vieille Gaule barbare devenue la Gaule romaine, les Gauloises se montrèrent vite, à l'imitation des Romaines, très raffinées en civilisation et en luxe. Le corset, mesdames, date de cette époque, corselet d'étoffe moulant le corps plutôt qu'instrument de torture violentant les lignes.
Le goût primitif pour la peinture éclatante ne se perdit pas tout à fait, la teinture devint du simple fard; déjà les essences pour entretenir la fraîcheur du visage étaient inventées et aussi les fausses nattes. Ces tresses d'un blond ardent,—couleur dès longtemps à la mode, on le voit,—étaient achetées aux paysannes de la Germanie, aux Gretchens du temps d'Arminius.
Un retour à la barbarie et à la simplicité suivit les invasions de ces Francs, dont les femmes, rudes gaillardes, étaient vêtues pour tout luxe d'une simple chemise à bandes de pourpre.
Les modes romaines, mélangées aux modes gauloises et franques, les modes mérovingiennes, dont quelques statues raides et hiératiques peuvent nous donner l'idée, se transformèrent peu à peu.
Au milieu de sa cour, parmi les femmes de ses ducs et de ses comtes, qui montraient le goût le plus effréné pour la parure, les étoffes somptueuses et les bijoux, le grand Empereur à la barbe fleurie, Charlemagne, affectait pour lui-même au contraire, une grande simplicité de vêtements, comme d'autres grands empereurs ou rois, Frédéric II et Napoléon. Choqué par le déploiement de faste des femmes de sa famille, Charlemagne dut édicter les premières lois somptuaires, lesquelles ne furent suivies naturellement que par les simples bourgeoises, par les bonnes dames qui n'avaient que faire de défenses et de prohibitions pour se priver de somptuosités qu'elles ne pouvaient songer à s'acheter, faute d'argent.
La société de ce temps-là, nous la voyons figée en grandes figures hiératiques, sculptées sous les porches romans de nos plus vieilles églises. Rangées de rois et de reines, raides et sévères, encadrés sous les vieilles arcatures, princes et princesses couchés sur les dalles funéraires, vieux spectres de pierre, taillés d'un rude et barbare ciseau, qui nous dira ce que vous étiez vraiment, ce qu'était, dans le mouvement et la vie, ce monde que vous dirigiez?
Vous vous taisez, vous gardez votre secret, fronts mystérieux de fantômes sculptés, debout aux façades que vous avez fondées, ou couchés dans les musées qui vous ont recueillis.
Nos villes où les gracieuses Françaises, filles de ces aïeules de pierre, se promènent dans le tourbillon pressé des foules, devant les brillants magasins de notre siècle vivant d'une vie si intense, nos vieilles cités existaient déjà toutes, mais combien de fois ont-elles fait peau neuve! Des vestiges de ces temps tout a disparu, les dernières pierres sont ensevelies sous les fondations des plus anciens monuments.
Nous en savons presque aussi peu, des façons de vivre d'alors, que de la civilisation des villages de l'ère des dolmens, et c'est dans les premiers et plus anciens poèmes ou romans chevaleresques qu'il nous faut chercher çà et là à travers coups de lance ou de hache, quelques détails intimes sur la vie sociale d'alors.
Le Surcot à garde-corps.
Voici le moyen âge. L'influence byzantine de la Rome transplantée sur le Bosphore, règne d'abord dans le vêtement des femmes comme dans celui des hommes et domine vers l'époque des premières croisades.
C'est alors le temps des longues robes à plis très fins, des doubles ceintures, une à la vraie taille et une sur les hanches, des voiles transparents.
Coiffure de cérémonie. XIVe siècle.
C'est bien une époque de transition, on voit la mode tâtonner, retourner en arrière et reprendre, avec quelques modifications, des formes oubliées; le costume romain, modifié d'abord par Byzance, arrangé, rendu semi-oriental, revient presque au jour.
Puis soudain, à l'aurore du XIIIe siècle, quand les temps nouveaux commencent à sortir du crépuscule de la vieille barbarie, les modes nouvelles se dessinent, nettement, franchement.
C'est la vraie naissance de la mode française, du costume purement français, français comme l'architecture dégagée aussi des imitations, des emprunts et des souvenirs de Rome et de Byzance, français comme l'art ogival jaillissant de notre sol.
La statuaire, les vitraux et les tapisseries du moyen âge vont nous fournir les meilleurs documents. Ces figures sculptées en grand costume sur leurs tombeaux, sont de véritables évocations de nobles châtelaines, des portraits extrêmement remarquables avec tous les détails des ajustements, des robes et de la coiffure nettement indiqués, et quelquefois portant encore des traces de peinture qui nous donnent les couleurs du costume.
Les vitraux sont encore plus intéressants, on trouve là des représentations de toutes les classes de la société, depuis la grande dame noble jusqu'à la femme du peuple: dans les vitraux commémoratifs, dans les vitraux des chapelles seigneuriales ou des chapelles de corporations des villes, dans les grandes compositions qui nous présentent si souvent, au bas des fenestrages, les portraits des donataires,—les dames nobles à opulents costumes, agenouillées en face de bons chevaliers en armures, les riches bourgeoises en face de leurs maris échevins ou notables.
Les tapisseries sont quelquefois plus sujettes à caution comme vérité, l'artiste introduisant parfois des fantaisies décoratives dans ses compositions; néanmoins, que de figures donnant des indications précises et venant corroborer les autres renseignements et s'ajouter aux innombrables et merveilleuses illustrations des manuscrits.
Sur la robe de dessous, sur la jupe ou la cotte, la femme du XIe siècle portait le bliaud ou bliaut, espèce de robe parée, de fine étoffe, serrée par une ceinture. Confectionné tout d'abord d'étoffe simplement gaufrée, le bliaut s'enrichit bientôt de dessins et d'ornements d'un joli style.
On se perd dans les transformations du bliaut et de la cotte. La robe de dessous devient la cotte hardie et le surcot remplace le bliaud. Cette robe de dessous, très ajustée, est lacée par derrière ou par devant, et dessine bien les formes et contours du corps.
Dans le costume paré, un garde-corps, ou devant de corsage de fourrure s'ajoute au surcot et lui donne un supplément de somptuosité. Mais la forme générale se modifie par mille dispositions particulières, cottes et surcots varient de toutes les façons, suivant les fantaisies du jour, le goût particulier, suivant la mode des provinces ou des petites cours princières ou ducales, isolées par circonstances ou situation.
ROBE ET HOUPPELANDE HISTORIÉES XVe SIÈCLE.
Elles sont superbes, les élégantes du moyen âge, avec leurs longues robes collantes, dont les dessins se répètent régulièrement, rosaces semées sur toute l'étoffe, carreaux alternés de couleurs différentes, faisant comme un damier de tout le corps, fleurs et ramages en larges dispositions, souvent tissées d'or ou d'argent. Ces étoffes font des plis superbes et drapent naturellement d'une façon sculpturale, des échantillons nous en restent dans les musées, nous pouvons juger de l'effet qu'elles devaient faire, coupées en belles robes traînantes.
Noble Châtelaine.
Les armoiries, nées avec les premières organisations sociales, avec les premiers chefs de clan ou chefs de guerre, mais régularisées plus tard, paraissent sur les robes des dames, timbrées comme les pavois des maris, d'écussons symétriquement disposés. Cet usage se développe, cette mode prend, comme nous dirions maintenant, et bientôt les armoiries s'étalent plus largement sur les robes dites cottes historiées.
Voyons aux fêtes de la cour ou des châteaux, dans ces vastes salles ouvertes aujourd'hui aux vents des quatre points cardinaux, et hantées par les seuls corbeaux, derniers habitants des nobles ruines; voyons aux tables des festins d'apparat, entre les hautes cheminées et les tribunes des musiciens, ou bien encore sur les estrades ou eschaffaux, autour des lices où les chevaliers tournoient, ces nobles dames, aux robes du haut en bas armoriées et timbrées aux armes de leurs maris ou de leurs familles, arborant, ainsi que de superbes panonceaux vivants, toutes les belles inventions du blason, toutes les bêtes de la ménagerie héraldique, les lions et les léopards, les chimères et les griffons, les loups et les cerfs, les cygnes et les corbeaux, les sirènes et les dragons, les poissons et les licornes, tous d'allure fantastique, tous ailés, onglés, griffus, dentus et cornus, issant, passant ou rampant sur les champs les plus étincelants, gueules, azur, or ou sinople.
Et les robes non armoriées ne sont pas moins riches ni moins brillantes, semées de grandes fleurs contournées ou d'ornements d'un très large sentiment décoratif.
Les formes, en apparence très variées, dérivent cependant toutes du même principe. Le surcot n'a pas de manches, il est ouvert plus ou moins largement sur le côté depuis l'épaule jusqu'à la hanche pour laisser paraître la robe de dessous, d'une autre couleur s'harmonisant bien avec celle du dessus et semée de dessins, ou plus, ou moins que le surcot, de telle façon qu'il n'y ait pas égalité d'ornementation.
Un garde-corps ou devant de corsage d'hermine garnit le haut du surcot; la fourrure est échancrée sur les épaules pour laisser voir, bien et chaudement encadré, le haut de la poitrine garni de joyaux et, surtout dans les robes d'apparat, très libéralement décolleté. Une bande d'hermine borde ainsi toute l'échancrure du surcot sur les épaules et les hanches.
Grande variété dans les formes des corsages, des cottes ou des surcots, grande variété dans l'ornementation des épaules, dans l'encadrement du cou. Certains décolletages manquent de modestie, les prédicateurs tonnent en chaire contre l'immoralité de la mode et les conteurs des vieux fabliaux, qui ne sont pas prudes, s'en égayent largement.
Lors de l'invention de la toile de lin, les femmes non contentes de se décolleter pour montrer leurs gorgerettes de lin ou le haut des chemises, inventèrent, pour montrer un peu mieux ces chemises de lin, de fendre leurs robes sur le côté, faisant ainsi de l'épaule à la hanche, de longues ouvertures lacées.
Il y avait déjà,—il y a eu toujours,—des élégantes exagérées qui outraient les fantaisies de la mode. Ainsi certaines se montraient en robes si étroites et si collantes qu'elles semblaient cousues dedans; ou bien les surcots étaient beaucoup plus longs que ces dames, et il fallait porter ce qui dépassait au moyen de poches placées sur le devant des robes, dans lesquelles on passait les mains, ou bien relever la jupe et la rattacher à la ceinture, ce qui après tout était fort gracieux et faisait ces admirables plis cassés que nous voyons aux robes des statues.
Le petit hennin.
Les manches de ces longs surcots, à traîne en queue de serpent, que les grandes dames pouvaient faire porter par un page, s'allongèrent aussi. Les manches de la robe de dessous descendent jusqu'au poignet, avec un évasement qui recouvre souvent une partie de la main. Par-dessus, les manches du surcot, plus larges, sont ouvertes quelquefois depuis l'épaule et tombent presque jusqu'à terre, parfois fendues du coude au poignet ou pourvues seulement d'une ouverture par laquelle passe l'avant-bras.
Il y a cent modifications différentes aux manches: les manches longues, amples ou serrées, les manches coupées et boutonnées en dessous du haut en bas, les manches échancrées ou renflées au coude, on voit même les manches dites à mitons, dont l'extrémité peut se relever en formant mitaines fermées, et les manches-poches fermées au bout, toutes inventions gracieuses ou commodes après tout.
Il y a enfin les grandes manches en ailes tailladées et découpées en dents de scie, en feuilles de chêne, ou bordées d'une mince ligne de fourrure.
La joaillerie prend une grande importance. Grandes dames ou bourgeoises, toutes les femmes enrichissent leurs costumes de joyaux et de bijoux plus ou moins coûteux: colliers, cercles de tête ornés de pierres précieuses joyaux sur le couvre-chef, gros bijoux en agrafes, ceintures de passementerie et d'orfèvrerie.
A la ceinture est attachée l'aumônière ou escarcelle, de riche étoffe bordée d'or, à fermoir et ornements dorés. Les grandes dames éblouissent, elles étincellent... Les lois somptuaires n'y peuvent rien. Philippe le Bel en 1194 a eu beau décréter et réglementer, interdire aux bourgeoises le vair et l'hermine, les ceintures d'or ornées de perles et de pierreries, il a eu beau arrêter que:
«Nulle damoiselle, si elle n'est chastelaine ou dame de deux mille livres de rente, n'aura qu'une paire de robbes par an, et si elle l'est, en aura deux paires et non plus.»
«De même que les ducs, comtes et barons de six mille livres de rente pourront faire faire quatre paires de robbes par an et non plus, et à leurs femmes autant.....»
Philippe le Bel a eu beau fixer un maximum du prix de l'aune d'étoffe pour les robes, en échelle descendante pour toutes les conditions, depuis vingt-cinq sols tournois l'aune pour les grands barons et leurs femmes, jusqu'à sept sols pour les écuyers, et—ce qui est assez remarquable et montre bien, même en ces temps lointains, la richesse des bourgeois et gros commerçants des Villes,—permettant aux femmes des bourgeois d'aller jusqu'à seize sols l'aune, Philippe le Bel a eu beau tout prévoir et tout réglementer, rien n'y a fait, pas même la menace des amendes. Grandes dames et riches bourgeoises ont bravé les défenses du roi tout aussi bien que les remontrances de messieurs les maris et les admonestations que le clergé se fatiguait de leur adresser à l'église.
C'est vainement que les prédicateurs s'attaquent à toutes les parties du costume, qualifiant de portes d'enfer, les crevés, parfois bien inconvenants du surcot, traitant les souliers à la poulaine d'outrages au créateur, et faisant surtout aux coiffures, hennins, cornes ou escoffions, une guerre acharnée; les femmes laissent dire et gardent imperturbablement les modes attaquées.