Читать книгу Contes - Alfred de Musset - Страница 6

III

Оглавление

Table des matières

La petite fille devenait grande; la nature remplissait tristement sa tâche, mais fidèlement. Camille n’avait que ses yeux au service de son âme; ses premiers gestes furent, comme l’avaient été ses premiers regards, dirigés vers la lumière. Le plus pâle rayon de soleil lui causait des transports de joie.

Lorsqu’elle commença à se tenir debout et à marcher, une curiosité très-marquée lui fit examiner et toucher tous les objets qui l’environnaient, avec une délicatesse mêlée de crainte et de plaisir, qui tenait de la vivacité de l’enfant, et déjà de la pudeur de la femme. Son premier mouvement était de courir vers tout ce qui lui était nouveau, comme pour le saisir et s’en emparer; mais elle se retournait presque toujours à moitié chemin en regardant sa mère, comme pour la consulter. Elle ressemblait alors à l’hermine, qui, dit-on, s’arrête et renonce à la route qu’elle voulait suivre, si elle voit qu’un peu de fange ou de gravier pourrait tacher sa fourrure.

Quelques enfants du voisinage venaient jouer avec Camille dans le jardin. C’était une chose étrange que la manière dont elle les regardait parler. Ces enfants, à peu près du même âge qu’elle, essayaient, bien entendu, de répéter des mots estropiés par leurs bonnes, et tâchaient, en ouvrant les lèvres, d’exercer leur intelligence au moyen d’un bruit qui ne semblait qu’un mouvement à la pauvre fille. Souvent, pour prouver qu’elle avait compris, elle étendait les mains vers ses petites compagnes, qui, de leur côté, reculaient effrayées devant cette autre expression de leur propre pensée.

Madame des Arcis ne quittait pas sa fille. Elle observait avec anxiété les moindres actions, les moindres signes de vie de Camille. Si elle eût pu deviner que l’abbé de l’Épée allait bientôt venir et apporter la lumière dans ce monde de ténèbres, quelle n’eût pas été sa joie! Mais elle ne pouvait rien, et demeurait sans force contre ce mal du hasard, que le courage et la piété d’un homme allaient détruire. Singulière chose qu’un prêtre en voie plus qu’une mère, et que l’esprit, qui discerne, trouve ce qui manque au cœur, qui souffre.

Quand les petites amies de Camille furent en âge de recevoir les premières instructions d’une gouvernante, la pauvre enfant commença à témoigner une très-grande tristesse de ce qu’on n’en faisait pas autant pour elle que pour les autres. Il y avait chez un voisin une vieille institutrice anglaise qui faisait épeler à grand’peine un enfant et le traitait sévèrement. Camille assistait à la leçon, regardait avec étonnement son petit camarade, suivant des yeux ses efforts, et tâchant, pour ainsi dire, de l’aider; elle pleurait avéc lui lorsqu’il était grondé.

Les leçons de musique furent pour elle le sujet d’une peine bien plus vive. Debout près du piano, elle roidissait et remuait ses petits doigts en regardant la maîtresse de tousses grands yeux, qui étaient très-noirs et très-beaux. Elle semblait demander ce qui se faisait là, et frappait quelquefois sur les touches d’une façon en même temps douce et irritée.

L’impression que les êtres ou les objets extérieurs produisaient sur les autres enfants ne paraissait pas la surprendre. Elle observait les choses et s’en souvenait comme eux. Mais lorsqu’elle les voyait se montrer du doigt ces mêmes objets et échanger entre eux ce mouvement des lèvres qui lui était inintelligible, alors recommençait son chagrin. Elle se retirait dans un coin, et, avec une pierre ou un morceau de bois, elle traçait presque machinalement sur le sable quelques lettres majuscules qu’elle avait vu épeler à d’autres, et qu’elle considérait attentivement.

La prière du soir, que le voisin faisait faire régulièrement à ses enfants tous les jours, était pour Camille une énigme qui ressemblait à un mystère. Elle s’agenouillait avec ses amies et joignait les mains sans savoir pourquoi. Le chevalier voyait en cela une profanation: Otez-moi cette petite, disait-il; épargnez-moi cette singerie. — Je prends sur moi d’en demander pardon à Dieu, répondit un jour la mère.

Camille donna de bonne heure des signes de cette bizarre faculté que les Écossais appellent la double vue, que les partisans du magnétisme veulent faire admettre, et que les médecins rangent, la plupart du temps, au nombre des maladies. La petite sourde et muette sentait venir ceux qu’elle aimait, et allait souvent au-devant d’eux, sans que rien eût pu l’avertir de leur arrivée.

Non-seulement les autres enfants ne s’approchaient d’elle qu’avec une certaine crainte, mais ils l’évitaient quelquefois d’un air de mépris. Il arrivait que l’un d’eux, avec ce manque de pitié dont parle La Fontaine, vînt lui parler longtemps en la regardant en face et en riant, lui demandant de répondre. Ces petites rondes des enfants, qui se danseront tant qu’il y aura de petites jambes, Camille les regardait à la promenade, déjà à demi jeune fille, et quand venait le vieux refrain:

Entrez dans la danse,

Voyez comme on danse...

seule à l’écart, appuyée sur un banc, elle suivait la mesure, en balançant sa jolie tête, sans essayer de se mêler au groupe, mais avec assez de tristesse et de gentillesse pour faire pitié.

L’une des plus grandes tâches qu’essaya cet esprit maltraité fut de vouloir compter avec une petite voisine qui apprenait l’arithmétique. Il s’agissait d’un calcul fort aisé et fort court. La voisine se débattait contre quelques chiffres un peu embrouillés. Le total ne se montait guère à plus de douze ou quinze unités. La voisine comptait sur ses doigts. Camille, comprenant qu’on se trompait, et voulant aider, étendit ses deux mains ouvertes. On lui avait donné, à elle aussi, les premières et les plus simples notions; elle savait que deux et deux font quatre. Un animal intelligent, un oiseau même, compte d’une façon ou d’une autre, que nous ne savons pas, jusqu’à deux ou trois. Une pie, dit-on, a compté jusqu’à cinq. Camille, dans cette circonstance, aurait eu à compter plus loin. Ses mains n’allaient que jusqu’à dix. Elle les tenait ouvertes devant sa petite amie avec un air si plein de bonne volonté, qu’on l’eût prise pour un honnête homme qui ne peut pas payer.

La coquetterie se montre de bonne heure chez les femmes: Camille n’en donnait aucun indice. C’est pourtant drôle, disait le chevalier, qu’une petite fille ne comprenne pas un bonnet! A de pareils propos, madame des Arcis souriait tristement.—Elle est pourtant belle! disait-elle à son mari; et en même temps, avec douceur, elle poussait un peu Camille pour la faire marcher devant son père, afin qu’il vît mieux sa taille, qui commençait à se former, et sa démarche encore enfantine, qui était charmante.

A mesure qu’elle avançait en âge, Camille se prit de passion, non pour la religion, qu’elle ne connaissait pas, mais pour les églises, qu’elle voyait. Peut-être avait-elle dans l’âme cet instinct invincible qui fait qu’un enfant de dix ans conçoit et garde le projet de prendre une robe de laine, de chercher ce qui est pauvre et ce qui souffre, et de passer ainsi toute sa vie. Il mourra bien des indifférents et même des philosophes avant que l’un d’eux explique une pareille fantaisie, mais elle existe.

«Lorsque j’étais enfant, je ne voyais pas Dieu, je ne voyais que le ciel,» est certainement un mot sublime, écrit, comme on sait, par un sourd-muet. Camille était bien loin de tant de force. L’image grossière de la Vierge, badigeonnée de blanc de céruse, sur un fond de plâtre frotté de bleu, à peu près comme l’enseigne d’une boutique; un enfant de chœur de province, dont un vieux surplis couvrait la soutane, et dont la voix faible et argentine faisait tristement vibrer les carreaux, sans que Camille en pût rien entendre; la démarche du suisse, les airs du bedeau — qui sait ce qui fait lever les yeux à un enfant? Mais qu’importe, dès que ces yeux se lèvent?

Contes

Подняться наверх