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LE DRAGON D'ALCA

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«Nous allâmes ensuite visiter le cabinet d'histoire naturelle…. L'administrateur nous montra une espèce de paquet empaillé qu'il nous dit renfermer le squelette d'un dragon: preuve, ajouta-t-il, que le dragon n'est pas un animal fabuleux.» (Mémoires de Jacques Casanova. Paris, 1843, t. IV, pp. 404, 405.)

Cependant les habitants d'Alca exerçaient les travaux de la paix. Ceux de la côte septentrionale allaient dans des barques pêcher les poissons et les coquillages. Les laboureurs des Dombes cultivaient l'avoine, le seigle et le froment. Les riches Pingouins de la vallée des Dalles élevaient des animaux domestiques et ceux de la baie des Plongeons cultivaient leurs vergers. Des marchands de Port-Alca faisaient avec l'Armorique le commerce des poissons salés. Et l'or des deux Bretagnes, qui commençait à s'introduire dans l'île, y facilitait les échanges. Le peuple pingouin jouissait dans une tranquillité profonde du fruit de son travail quand, tout à coup, une rumeur sinistre courut de village en village. On apprit partout à la fois qu'un dragon affreux avait ravagé deux fermes dans la baie des Plongeons.

Peu de jours auparavant la vierge Orberose avait disparu. On ne s'était pas inquiété tout de suite de son absence parce qu'elle avait été enlevée plusieurs fois par des hommes violents et pleins d'amour. Et les sages ne s'en étonnaient pas, considérant que cette vierge était la plus belle des Pingouines. On remarquait même qu'elle allait parfois au devant de ses ravisseurs, car nul ne peut échapper à sa destinée. Mais cette fois, ne la voyant point revenir, on craignit que le dragon ne l'eût dévorée.

Aussi bien les habitants de la vallée des Dalles s'aperçurent bientôt que ce dragon n'était pas une fable contée par des femmes autour des fontaines. Car une nuit le monstre dévora dans le village d'Anis six poules, un mouton et un jeune enfant orphelin nommé le petit Elo. Des animaux et de l'enfant on ne retrouva rien le lendemain matin.

Aussitôt les Anciens du village s'assemblèrent sur la place publique et siégèrent sur le banc de pierre pour aviser à ce qu'il était expédient de faire en ces terribles circonstances.

Et, ayant appelé tous ceux des Pingouins qui avaient vu le dragon durant la nuit sinistre, ils leur demandèrent:

—N'avez-vous point observé sa forme et ses habitudes?

Et chacun répondit à son tour:

—Il a des griffes de lion, des ailes d'aigle et la queue d'un serpent.

—Son dos est hérissé de crêtes épineuses.

—Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes.

—Son regard fascine et foudroie. Il vomit des flammes.

—Il empeste l'air de son haleine.

—Il a une tête de dragon, des griffes de lion, une queue de poisson.

Et une femme d'Anis, qui passait pour saine d'esprit et de bon jugement et à qui le dragon avait pris trois poules, déposa comme il suit:

—Il est fait comme un homme. À preuve que j'ai cru que c'était mon homme et que je lui ai dit: «Viens donc te coucher, grosse bête.»

D'autres disaient:

—Il est fait comme un nuage.

—Il ressemble à une montagne.

Et un jeune enfant vint et dit:

—Le dragon, je l'ai vu qui ôtait sa tête dans la grange pour donner un baiser à ma soeur Minnie.

Et les Anciens demandèrent encore aux habitants:

—Comment le dragon est-il grand?

Et il leur fut répondu:

—Grand comme un boeuf.

—Comme les grands navires de commerce des Bretons.

—Il est de la taille d'un homme.

—Il est plus haut que le figuier sous lequel vous êtes assis.

—Il est gros comme un chien.

Interrogés enfin sur sa couleur, les habitants dirent:

—Rouge.

—Verte.

—Bleue.

—Jaune.

—Il a la tête d'un beau vert; les ailes sont orange vif, lavé de rose; les bords d'un gris d'argent; la croupe et la queue rayées de bandes brunes et roses, le ventre jaune vif, moucheté de noir.

—Sa couleur? Il n'a pas de couleur.

—Il est couleur de dragon.

Après avoir entendu ces témoignages, les Anciens demeurèrent incertains sur ce qu'il y avait à faire. Les uns proposaient d'épier le dragon, de le surprendre et de l'accabler d'une multitude de flèches. D'autres, considérant qu'il était vain de s'opposer par la force à un monstre si puissant, conseillaient de l'apaiser par des offrandes.

—Payons-lui le tribut, dit l'un d'eux qui passait pour sage. Nous pourrons nous le rendre propice en lui faisant des présents agréables, des fruits, du vin, des agneaux, une jeune vierge.

D'autres enfin étaient d'avis d'empoisonner les fontaines où il avait coutume de boire ou de l'enfumer dans sa caverne.

Mais aucun de ces avis ne prévalut. On disputa longuement et les Anciens se séparèrent sans avoir pris aucune résolution.

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