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KOMM L'ATRÉBATE

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I

Les Atrébates étaient établis sur une terre brumeuse, le long d'un rivage battu par une mer toujours agitée et dont les sables se soulevaient aux vents du large comme les lames de l'Océan. Leurs tribus habitaient, aux bords mouvants d'une large rivière, des enclos formés par des abatis d'arbres, au milieu des étangs, dans des forêts de chênes et de bouleaux. Ils y élevaient des chevaux à grosse tête et de courte encolure, dont le poitrail était large, la croupe belle, la jambe nerveuse, et qui faisaient d'excellentes bêtes de trait. Ils entretenaient, à l'orée des bois, des porcs énormes, aussi sauvages que des sangliers. Ils chassaient avec des dogues les bêtes féroces dont ils clouaient la tête sur les parois de leurs maisons de bois. Ces animaux, ainsi que les poissons de la mer et des fleuves, faisaient leur nourriture. Ils les grillaient et les assaisonnaient de sel, de vinaigre et de cumin. Ils buvaient du vin et, dans leurs repas de lions, s'enivraient autour des tables rondes. Il y avait parmi eux des femmes qui, connaissant la vertu des herbes, cueillaient la jusquiame, la verveine et la plante salutaire nommée selage, qui croît dans les creux humides des rochers. Elles composaient un poison avec le suc de l'if. Les Atrébates avaient aussi des prêtres et des poètes qui savaient ce que les autres hommes ignorent.

Ces habitants des forêts, des marécages et des grèves étaient de haute taille; ils ne coupaient point leurs chevelures blondes et couvraient leurs grands corps blancs d'une saie de laine qui avait les couleurs de la vigne empourprée par l'automne. Ils étaient soumis à des chefs établis au-dessus des tribus.

Les Atrébates savaient que les Romains étaient venus faire la guerre aux peuples de la Gaule, et que des nations entières avaient été vendues, corps et biens, sous la lance. Ils étaient avertis très vite de ce qui se passait au bord du Rhône et de la Loire. Les signes et les paroles volent comme l'oiseau. Et ce qui se disait à Genabum des Carnutes au lever du soleil était entendu sur les sables de l'Océan à la première veille de nuit. Mais ils ne s'inquiétaient point du sort de leurs frères, ou plutôt, jaloux de leurs frères, ils se réjouissaient des maux que leur infligeait César. Ils ne haïssaient pas les Romains, puisqu'ils ne les connaissaient pas. Ils ne les craignaient point, parce qu'il leur semblait impossible qu'une armée pût pénétrer à travers les bois et les marais qui entouraient leurs habitations. Ils n'avaient point de villes, bien qu'ils donnassent ce nom à Némétocenne, vaste enclos fermé par des palissades, qui servait d'abri, en cas d'attaque, aux guerriers, aux femmes et aux troupeaux. Nous venons de dire qu'ils avaient encore, sur toute l'étendue de leur territoire, beaucoup d'autres abris de cette sorte, mais plus petits. On les appelait aussi des villes.

Ils ne comptaient point sur ces abatis d'arbres pour résister aux Romains, qu'ils savaient habiles à prendre les cités défendues par des murs de pierre et par des tours de bois. Ils s'assuraient plutôt sur ce qu'il n'y avait point de chemins par tout leur territoire. Mais les soldats romains faisaient eux-mêmes les routes par lesquelles ils passaient. Ils remuaient la terre avec une force et une rapidité que ne concevaient pas les Gaulois de la forêt profonde, chez qui le fer était plus rare que l'or. Et les Atrébates apprirent un jour, non sans une profonde stupeur, que la longue voie romaine, avec sa belle chaussée de pierres et ses bornes posées de mille en mille, s'avançait vers leurs halliers et leurs marécages. Ils firent alors alliance avec les peuples répandus dans la forêt qu'on nommait la Profonde et qui opposaient à César une ligue de tribus nombreuses. Les chefs atrébates poussèrent le cri de guerre, ceignirent leur baudrier d'or et de corail, se coiffèrent du casque à cornes de cerf, de buffle ou d'élan, et tirèrent leur épée, qui ne valait pas le glaive romain. Ils furent vaincus et, comme ils avaient du cœur, ils se firent battre deux fois.

Or il y avait parmi eux un chef très riche, nommé Komm. Il gardait dans ses coffres un grand nombre de colliers, de bracelets et d'anneaux. Il y gardait aussi des têtes humaines trempées d'huile de cèdre. C'étaient celles des chefs ennemis tués par lui-même ou par son père ou par le père de son père. Komm jouissait de la vie en homme fort, libre et puissant.

Suivi de ses armes, de ses chevaux, de ses chars, de ses dogues bretons, de la foule de ses hommes de guerre et de ses femmes, il allait, selon son envie, sur ses domaines illimités, dans la forêt, le long de la rivière, et s'arrêtait dans quelqu'un de ces abris sous bois, de ces métairies sauvages, qu'il possédait en grand nombre. Là, tranquille, entouré de ses fidèles, il chassait les bêtes féroces, pêchait les poissons, faisait l'élève des chevaux, remémorait ses aventures de guerre. Et il s'en allait plus loin, dès qu'il lui en prenait envie. C'était un homme violent, rusé, d'un esprit subtil, excellent dans l'action, excellent par la parole. Quand les Atrébates poussèrent le cri de guerre, il ne coiffa pas le casque à cornes d'auroch. Mais il demeura tranquille dans une de ses maisons de bois pleines d'or, de guerriers, de chevaux, de femmes, de porcs sauvages et de poissons fumés. Après la défaite de ses compatriotes, il alla trouver César et mit au service des Romains son intelligence et son crédit. Il reçut un accueil favorable. Jugeant avec raison que ce Gaulois habile et puissant saurait pacifier le pays et le maintenir dans l'obéissance des Romains, César lui donna de grands pouvoirs et le nomma roi des Atrébates. Ainsi le chef Komm devint Commius Rex. Il porta la pourpre et fit frapper des monnaies où se voyait, de profil, sa tête ceinte du diadème à pointes aiguës des rois hellènes et des rois barbares, qui tenaient leur couronne de l'amitié du Peuple romain.

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