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IV

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CE même dimanche, lorsque Simon Fontenac vit, à dix heures du matin, ses deux «geais» partir pour Paris en compagnie de Monique, il ne put s'empêcher de pousser un soupir de soulagement. Ce voyage mensuel lui assurait une tranquillité parfaite pendant une bonne partie de la journée, et il se promit de la mettre à profit pour commencer la lecture des Oiseaux chanteurs, des frères Müller. La prévoyante et consciencieuse Limousine lui avait servi un déjeuner froid dans la salle à manger. Il installa, sur la nappe, le livre broché. Tout en avalant une tranche de pâté, une salade aux œufs durs, une poire fondante de son verger, il s'interrompait pour couper les feuillets vierges de l'ouvrage. Après avoir préparé lui-même et dégusté le café bouillant au sortir de la cafetière russe, il mit sous son bras les Oiseaux chanteurs et fit, dans le jardin, une courte promenade hygiénique. Sous le ciel de septembre, pommelé de légers nuages blancs, on respirait le souffle tiède de l'automne; des haleines de pétunias montaient mollement d'une corbeille qu'ombrageait un robuste cerisier aux feuilles déjà rougissantes; les angélus de midi tintaient aux églises des villages prochains et leurs notes argentines se croisaient dans l'air assoupi. Il y avait, dans la quiétude ambiante, comme une invitation à l'étude et à la méditation.

—Quelle chance, songeait Fontenac, d'avoir à soi cet après-midi de dimanche, pour lire et prendre des notes, sans l'appréhension d'être dérangé...

Il rentra dans son «laboratoire», s'installa commodément dans un fauteuil et étala, sur sa table, le livre des Oiseaux chanteurs. Mais il avait à peine tourné les premières pages que la cloche de la grille carillonna et le fit sursauter. Des pas traînants grincèrent sur le sable; la tête de Firmin, le jardinier, s'encadra dans la baie de la fenêtre ouverte.

—Monsieur, dit-il, c'est notre voisin, M. Gerdolle, qui demande à vous parler.

Le pépiniériste Gerdolle était le collègue de Fontenac au Conseil municipal de Fresnes. La première pensée de l'ancien magistrat fut d'envoyer le fâcheux à tous les diables; puis, il réfléchit que le pépiniériste venait, sans doute, l'entretenir de quelque affaire communale et qu'on risquerait une brouille en lui défendant la porte. Il rejeta son livre avec un mouvement d'humeur et répondit en maugréant:

—C'est bon, priez-le d'entrer...

Une demi-minute après, la porte du laboratoire livrait passage au visiteur.

Cyrille Gerdolle avait, à peu près, l'âge de Fontenac. C'était un petit homme trapu, hirsute et rageur. Avec ses sourcils broussailleux, sa barbe mal plantée, sa bouche maussade et ses yeux roux méfiants, il réalisait à merveille le type du «Paysan du Danube». Son caractère ombrageux et agressif, son esprit de contradiction, ses interpellations pareilles à des aboiements de dogue, terrorisaient le Conseil municipal, où il représentait le parti radical socialiste.

Il s'arrêta à quelques pas de la porte refermée par le jardinier, jeta sur un meuble son feutre gris cabossé, et grogna:

—Je vous salue bien, monsieur Fontenac!

—Bonjour, mon cher collègue, répondit distraitement Simon. Quoi de nouveau au Conseil?... J'ai eu le regret de ne pouvoir assister à la dernière séance...

—Pardon, interrompit le pépiniériste, je ne viens pas vous parler des affaires municipales; je sais d'avance que nous ne nous entendrions pas sur ce chapitre-là... Non, au jour d'aujourd'hui, c'est une plainte personnelle que j'ai à vous adresser...

—Une plainte?... A propos de quoi?...

—A propos de vos deux enfants, qui ont le diable au corps... Ils passent des journées sur le mur qui sépare nos propriétés... Ils y mettent tout à sac et se moquent de moi, par-dessus le marché!...

Encore vexé d'avoir été troublé dans sa lecture, Simon Fontenac n'était pas d'humeur endurante, et il répliqua d'un ton impatient:

—Permettez!... Le mur n'est point mitoyen, n'est-ce pas?... Il m'appartient en entier, ainsi que l'établit la disposition du chaperon, qui tombe de mon côté...

—Le mur vous appartient, possible... Mais ce n'est pas une raison pour que vos enfants en fassent un lieu de promenade et de vagabondage, aux dépens des voisins.

—Mon cher monsieur, reprit sèchement Simon, je ne me mêle pas des divertissements de mes enfants; je les ai élevés à agir librement, à leurs risques et périls...

—Beaux principes!... Ils profitent de leur liberté en dévastant mes pruniers... Pourtant, vous qui êtes à cheval sur la loi, vous n'ignorez pas que les parents sont responsables des méfaits de leur progéniture...

—Il suffit, monsieur, déclara l'ancien juge en se levant: si Landry et Clairette ont commis quelque acte répréhensible, je les interrogerai à leur retour et je saurai les punir, au besoin, de leurs fredaines.

—Voler mes quoiches, vous appelez ça une fredaine!... s'écria le pépiniériste furieux; vous avez la manche large!... En tout cas, si le pillage de mes pruniers vous laisse indifférent, peut-être serez-vous plus touché en apprenant comment se conduit votre demoiselle!

—Qu'entendez-vous par cette insinuation? interrogea sévèrement Fontenac.

—J'entends que Mlle Clairette est fort avancée pour son âge et qu'elle est très tendre avec mon garçon... Je vous en avertis charitablement pour votre gouverne... Quant à moi, je m'en soucie peu et je ne suis pas en peine de mon gars: je me contente de vous rappeler le proverbe: «Gare à vos poules, mon coq est lâché!...»

Il ramassa son feutre gris, pirouetta sur ses talons et ajouta d'un ton goguenard, en saisissant le bouton de la porte:

—A bon entendeur, salut! monsieur Fontenac, tant pis pour vous si les choses tournent mal...

Il s'esquiva là-dessus, laissant son interlocuteur tout rêveur et quinaud. Simon était maintenant trop agité pour continuer sa lecture avec fruit. Ce coup de boutoir, lancé au départ par le pépiniériste, l'avait blessé à l'endroit sensible. Le fait signalé par Cyrille Gerdolle corroborait de vagues accusations déjà recueillies et rapportées par Monique. L'ancien juge arpentait nerveusement son cabinet de travail; il constatait de nouveau, avec une plus cruelle déception, que les enfants ne ressemblent ni aux plantes ni aux oiseaux des bois, qu'il ne suffit pas pour les élever, de les laisser pousser à la bonne aventure, et qu'en ce qui concerne les filles surtout, la sollicitude d'une mère tendre et prudente est impossible à remplacer.

—Mais, songeait-il tristement, pour que cette surveillance maternelle soit efficace, elle doit être exercée par une femme dévouée, pourvue de qualités morales solides, et tel n'était point le cas de Mme Gabrielle Cormery... En somme, le divorce n'a remédié à rien, et je me trouve acculé à une impasse...

Tandis qu'il ruminait ces pénibles réflexions, un discret coup de sonnette tinta de rechef à la grille, et le jardinier reparut sur le seuil du cabinet.

—Qu'est-ce encore? demanda l'ornithologue.

—Mme Miroufle désire avoir un entretien avec monsieur.

—Miroufle?... Connais pas.

—C'est la dame qui habite le premier pavillon à main gauche.

—Tous les gens du pays se sont donc donné rendez-vous pour me déranger!... Enfin!... Introduisez-la...

Mme Miroufle fit son entrée. Simon vit s'avancer une dame entre deux âges, de taille moyenne, replète, mais encore agréable à contempler, malgré un embonpoint envahissant. Les yeux bruns, notamment, gardaient une limpidité lumineuse et une flamme provocante; la bouche, petite, découvrait en souriant des dents très blanches. Les traits avaient été jolis, mais ils s'empâtaient, et un maquillage habile ne dissimulait qu'imparfaitement la fanure du teint. Les cheveux paraissaient trop noirs pour que leur couleur fût naturelle. Sanglée dans son corset, elle s'était mise en frais de toilette. Une blouse de soie rouge enveloppait les opulents contours du buste; une jupe de satin noir à longs plis la grandissait; un chapeau de paille, empanaché de plumes cramoisies, sortait de chez la bonne faiseuse et la coiffait très artistement. Elle avait la tournure jeune, et cette assurance, ces mines aguichantes, qui restent comme une marque professionnelle chez les femmes dont la jeunesse s'est passée à galantiser. Elle possédait aussi les mignardes façons, l'aménité un peu banale, l'obséquiosité câline, particulières aux commerçantes parisiennes. En effet, elle avait tenu pendant vingt ans, sur la rive gauche, un magasin de modes fort achalandé, et elle s'était retirée depuis un an, après fortune faite. Prise d'une toquade pour la campagne, elle avait acheté l'un des pavillons de l'avenue de Chanteraine; elle y vivait en compagnie d'une fillette de quinze ans, qu'elle nommait «sa nièce». Elle se disait veuve; mais personne n'avait jamais connu M. Miroufle.

—Prenez la peine de vous asseoir, madame, murmura Fontenac après avoir salué froidement la nouvelle venue, et veuillez m'apprendre ce qui me vaut l'honneur de votre visite.

Mme Miroufle se jeta dans un fauteuil, abattit du doigt les plis de sa jupe, puis, dépliant un éventail de poche et l'agitant devant ses joues poudrerizées:

—Monsieur, commença-t-elle d'une voix embobelineuse, pardonnez ma démarche, qui peut vous sembler incorrecte de la part d'une étrangère... Nous sommes voisins, car j'habite tout près de vous...

—Oui, madame, je sais...

—Permettez-moi, en ce cas, de me présenter moi-même... Mme Alicia Miroufle, ancienne propriétaire de la maison Alicia et Cie: «Modes et Confections...» Le magasin fait le coin de la rue du Dragon et du boulevard Saint-Germain, et vous devez le connaître...

—Parfaitement, répondit Fontenac avec le soupir mélancolique d'un homme qui avait réglé plus d'une facture portant l'en-tête de la maison: «Alicia et Cie...» Mais cela ne m'indique pas le motif de votre démarche...

—Je vais vous le dire, monsieur... A condition, ajouta l'ancienne modiste en minaudant, que vous me promettrez de ne pas vous moquer de moi... J'ai, ou plutôt j'avais, un oiseau dont je raffole... Une tourterelle... Une jolie bête, très bien apprivoisée et à laquelle je suis particulièrement attachée, parce qu'elle me vient de mon pauvre mari. Il me l'avait apportée le jour de ma fête, quelques mois seulement avant de mourir. La chère mignonne me rappelle mon bon temps et un excellent homme, qui m'a beaucoup aimée. Figurez-vous que, depuis hier, ma tourterelle a disparu. Sa fuite m'a tourné les sangs; ce matin, des voisins m'ont affirmé qu'elle s'était envolée dans votre clos, et je vous supplie de m'autoriser à la chercher sous vos arbres; quand elle me verra, bien sûr qu'elle reviendra se percher sur mon épaule, comme elle en a l'habitude...

—C'est entendu, madame, répondit laconiquement Simon...

Il sonna Firmin et lui ordonna de conduire la dame au jardin, et de l'aider dans ses recherches. Celle-ci, après avoir prodigué ses remerciements et ses révérences, s'éloigna sous l'escorte du jardinier. L'ornithologue était resté près de la fenêtre, regardant machinalement le corsage rouge de Mme Alicia paraître, disparaître, puis se remontrer entre les verdures. En même temps, il entendait la voix flûtée de la modiste en train d'appeler la fugitive: «Bébelle! Bébelle!» Mais Bébelle ne donnait aucun signe de sa présence. Au bout d'un grand quart d'heure, Mme Miroufle, lasse et enrouée, surgit d'un massif. Comme elle passait devant la fenêtre, Fontenac s'informa.

—Hélas! monsieur, gémit Alicia, elle ne m'a pas répondu et j'en suis pour ma peine... Enfin, ajouta-t-elle avec un sourire sur ses lèvres peintes et une flamme dans l'œil, à quelque chose malheur est bon, puisque cela m'aura valu l'avantage de faire la connaissance d'un aimable voisin...

—Ne vous désolez pas, répliqua poliment l'ancien juge, mon jardinier continuera les recherches, et, s'il y a du nouveau, il vous en avertira... Vous entendez, Firmin; reconduisez madame...

Il se renfonça dans son laboratoire et reprit sa lecture. Une bonne heure s'écoula dans un parfait recueillement, puis la silhouette du jardinier se profila dans l'embrasure de la fenêtre. Il tenait l'une de ses mains dans la poche de son tablier de toile bleue et souriait d'un air mystérieux.

—Comment?... Encore! s'écria Simon, furieux.

—Pardon!... J'apporte quelque chose à monsieur... C'est pas étonnant, continua-t-il, goguenard, si la tourterelle ne répondait pas aux vipements de la grosse dame... La pauvre bête était morte... Je viens de trouver son corps sous une trochée de fusains...

Il tira de son tablier l'oiseau aux plumes ébouriffées et au bec pendant.

—Elle a déjà des fourmis sur le corps, ajouta-t-il en tendant la bête à son maître, et le coup a dû être fait dès hier...

Fontenac, examinant curieusement le petit cadavre, remarqua, au milieu du poitrail, une place où les plumes manquaient et où apparaissait une éraflure sanguinolente.

—Elle n'est pas morte d'une balle, murmura-t-il, elle a dû être assommée par une pierre...

Tandis que Firmin se retirait, il revint à son bureau, y jeta la tourterelle, se rassit et demeura pensif, le front barré par un pli chagrin.

S'apitoyait-il sur la mort violente de cette inoffensive bestiole qui égayait seule la solitude de Mme Alicia? Faisait-il un retour sur lui-même et sentait-il avec une recrudescente tristesse son propre esseulement? Ou bien, repris par les habitudes de son ancien métier de juge instructeur, se demandait-il quel pouvait être le meurtrier de la tourterelle?

Dans le «laboratoire» assombri, un profond silence régnait; le jardin également demeurait assoupi dans son recueillement dominical. Le soleil couchant commença de teinter de pourpre les hautes branches des marronniers. Un rouge-gorge modula sa courte et délicate mélodie, comme un adieu du soir au verger... Soudain, des voix tapageuses résonnèrent dans le couloir et réveillèrent la maison endormie...

C'était Landry et Clairette que Monique ramenait.

Chanteraine

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