Читать книгу Monographie des greffes - André Thouin - Страница 4
ОглавлениеOBSERVATIONS GÉNÉRALES.
HISTORIQUE. LA découverte de l’art de la greffe remonte à la plus haute antiquité ; on n’en connaît point l’inventeur. Les Phéniciens l’ont transmis aux Carthaginois et aux Grecs; les Romains l’ont reçu de ces derniers, et l’ont répandu en Europe, où il est devenu ce qu’il est aujourd’hui. Quoique les limites de cet art aient été beaucoup reculées, et qu’il ait subi d’importantes modifications, il est cependant encore susceptible d’être perfectionné, tant dans sa théorie que dans sa pratique.
Théophraste, Aristote et Xénophon chez les Grecs; Magon parmi les Carthaginois; Varron, Pline, Virgile, Columelle et Constantin César chez les Romains; Kuffner, Agricola et Sickler en Allemagne; Miller, Bradeley et Forsyth en Angleterre; Olivier de Serres, Laquintinie, Duhamel, Rozier, Cabanis, et récemment le baron Tschoudy parmi les Français, sont les auteurs qui, jusqu’à présent, ont traité de l’art de la greffe avec quelque étendue.
DÉFINITION. La greffe est une partie végétale vivante, qui, unie à une autre, s’identifie et croît avec elle, comme sur son propre pied, lorsque l’analogie entre les individus est suffisante.
BUTS D’AGRÉMENT ET D’UTILITÉ. Les avantages de cette voie de multiplication sont entre autres: 1°. de conserver et de multiplier des variétés, des sous-variétés et des races d’arbres provenues de graines dues aux hasards de la fécondation, et qui ne se propagent point par la voie des semences. Elle est aussi la plus sûre et la plus prompte pour se procurer un grand nombre de végétaux très-intéressans, qui se multiplient difficilement par tout autre moyen.
2°. De perpétuer des monstruosités remarquables, suites de maladies ou d’accidens; telles sont les panachures, les laciniures, les fleurs doubles et pleines, et les fruits irréguliers. Le rosier à feuille de céleri, l’érable lacinié, les arbres panachés et maculés, les cerisiers à fruits en bouquets, et les orangers dits hermaphrodites, offrent des exemples de ces singularités.
3°. D’accélérer de plusieurs années la fructification.
4°. D’embellir les fleurs de beaucoup de variétés d’arbres et arbustes d’ornement.
5°. Enfin, de bonifier les fruits d’arbres économiques, d’en hâter la maturité, et d’augmenter le bénéfice du cultivateur, du propriétaire, et les ressources du consommateur .
Physique et Théorie de la Greffe.
Toutes les personnes qui se sont occupées de physiologie végétale savent que les arbres dicotylédons s’accroissent chaque année d’une lame de bois, ou plutôt d’aubier, et d’une lame d’écorce, qui se forment l’une et l’autre intérieurement entre l’aubier et l’écorce de l’année précédente. Mon intention n’est point de m’étendre sur les causes qui concourent à la formation de ces couches végétales; il me suffira de faire remarquer seulement deux faits démontrés par l’expérience: l’un, que c’est sous la couche corticale la plus intérieure que se fait la végétation d’accroissement des arbres ; l’autre, que l’écorce verte d’un jeune individu, lors de l’ascension et de la descente de la sève? est susceptible de se souder avec une autre écorce dans le même état ; mais que le bois et l’aubier sont incapables de s’unir ainsi.
Considérons en outre que les gemma sont les rudimens des bourgeons comme les graines le sont des individus parfaits; que celles-ci donnent naissance à des êtres qui subsistent par eux-mêmes, et que ceux-là peuvent croître soit aux dépens de la branche sur laquelle ils se trouvent naturellement, soit en s’assimilant les sucs d’une branche étrangère, sur laquelle on les place conformément à certains principes.
Ces trois faits reconnus servent de base à l’art de la greffe: déjà nous en pouvons conclure,
1°. Que c’est au moyen d’un ou de plusieurs gemma que l’on peut multiplier de greffe un arbre quelconque;
2°. Qu’il faut que cet arbre soit une variété de la même espèce, une espèce du même genre, ou, par extension, un genre de la même famille que celui sur lequel on veut le greffer, parce qu’il faut nécessairement de l’analogie entre la sève des deux individus et les époques de son mouvement, de la conformité dans le temps de la durée ou de la chute des feuilles, et dans les qualités des sucs propres;
3°. Qu’il est nécessaire de choisir, pour greffer, le moment où la sève est en mouvement, et d’avoir égard même à sa marche ascendante ou descendante, pour la prompte réussite de l’opération;
4°. Qu’on doit unir exactement les parties incisées de l’écorce de la greffe, quelle qu’elle soit, aux parties également incisées de l’écorce de l’arbre sur lequel on greffe, pour faciliter la reprise de ces deux écorces et la circulation des fluides montans et descendans;
5°. Enfin, qu’il faut mettre beaucoup de célérité dans l’opération, pour que le contact de l’air ne dessèche pas les parties incisées.
Le cultivateur instruit et actif saura aussi choisir les circonstances météorologiques les plus favorables à la réussite des greffes, et empêcher autant que possible les effets de celles qui pourraient leur être contraires.
CHANGEMENS QU’OPÈRENT LES GREFFES. Les sujets ne changent pas le caractère essentiel des arbres dont ils reçoivent les greffes; mais ils le modifient souvent. Nous allons citer quelques exemples de ces modifications: elles se font plus particulièrement remarquer,
1°. Dans la grandeur. Ainsi les pommiers qui, greffés sur franc, s’élèvent à 7 ou 8 mètres, greffés sur paradis, atteignent à peine la hauteur de 2 mètres .
Le sorbier des chasseurs, venu de graines dans nos jardins, s’élève à la hauteur d’un arbrisseau; lorsqu’il est enté sur l’aubépine, il forme un petit arbre de 8 mètres de haut.
L’érable à semences velues (acer eriosperma, Desf.), greffé sur sicomore, devient un arbre touffu de 16 mètres de hauteur, tandis que, provenu de ses semences, il ne s’élève qu’à 10 mètres.
2°. Dans le port. Ainsi le ragouminier (prunus pumila, L.), produit par ses graines, est un arbuste qui rampe sur la terre et s’élève rarement au-dessus de 6 décimètres: greffé sur prunier, ses tiges droites, réunies en faisceau, parviennent à la hauteur de plus d’un mètre.
Le cytise à feuilles sessiles (cytisus sessilifolius, L. ), venu de semences, est un sous-arbrisseau d’un port étalé et grêle. Greffé sur le cytise des Alpes, il forme un buisson touffu, arrondi, et de 15 décimètres de haut.
Le robinia pygmée, franc de pied, se couche sur terre, et ses rameaux se relèvent par leur extrémité. Lorsqu’il est greffé en tige sur le caragana, il forme une touffe arrondie et pendante vers le sol.
3°. Dans la robusticité. Ainsi le néflier du Japon, greffé sur l’épine blanche, a passé au Muséum plusieurs de nos hivers en pleine terre, parce qu’on a eu la précaution de le couvrir de paille; tandis que la gelée a fait périr, pendant les mêmes années, plusieurs individus francs de pied, quoiqu’ils eussent été couverts de la même manière.
Le vrai pistachier, greffé sur le térébinthe, est moins sensible au froid que les individus provenus de semences, apportés de l’Asie mineure. Les premiers résistent à nos gelées de 10 degrés, tandis que les seconds périssent à 6 degrés, toutes choses égales d’ailleurs.
Un individu de chêne à feuille de saule (quercusphellos, L.), greffé sur l’yeuse, a supporté, sans abri, pendant cinq jours consécutifs, 16 à 17 degrés de froid, et des individus de la même espèce, venus de graines, sont morts à 7 degrés et demi de gelée.
4°. Dans la fructification plus ou moins abondante. Les robinia roses, satinés et visqueux, greffés sur d’autres espèces du même genre, donnent rarement des graines, et n’en donnent jamais qu’en très-petit nombre, tandis que, francs de pied, ils en produisent souvent une assez grande quantité.
Au contraire les sorbiers des oiseleurs et de Laponie, les pommiers hybride et à bouquets se chargent d’une quantité de fruits deux fois plus considérable, étant greffés, les premiers sur aubépine et les seconds sur pommier sauvageon, que lorsqu’ils sont provenus de leurs semences.
5°. Dans la grosseur des fruits. Beaucoup de fruits charnus, et particulièrement ceux à pépins, sont plus volumineux souvent d’un cinquième, d’un quart, quelquefois même d’un tiers sur les arbres qui ont été greffés, que sur les arbres de la même variété provenus de semences.
6°. Dans la qualité des graines. Le grossissement du péricarpe influe rarement sur la grosseur des semences; au contraire, elles sont, en général, mieux nourries, plus nombreuses et plus fertiles sur les individus provenus de graines que sur ceux qui ont été greffés. Cette différence est d’autant plus sensible que les arbres sont cultivés depuis plus long-temps et s’éloignent davantage de leur état sauvage. On en trouve des exemples dans diverses variétés de pommiers, de poiriers et autres arbres fruitiers.
7°. Dans la saveur des fruits. Si le sol, le climat, les saisons, l’humidité, la sécheresse, la lumière, et sur-tout la chaleur, influent sur la qualité des légumes et des fruits, comme cela n’est pas douteux; à plus forte raison les sujets soumis à toutes ces influences, et dont la sève, élaborée par leurs organes, sert d’aliment aux greffes, doivent-ils modifier la saveur des productions de celles-ci. Ils ne pourront pas transformer une prune, une cerise, une pêche, un abricot, une pomme, etc. en fruits d’un autre genre, comme l’ont pensé quelques personnes; mais ils influeront certainement d’une manière sensible sur leur goût. Ainsi le prunier de reine-claude greffé indistinctement sur différentes variétés de sauvageons de son espèce, produit des fruits insipides sur les uns et délicieux sur les autres; les cerisiers greffés sur le mahaleb, sur le laurier-cerise ou sur le merisier des bois, donnent des fruits dont les saveurs sont très-différentes.
8°. Enfin, dans la durée de leur existence. La plupart des arbres fruitiers, et sur-tout ceux de la division des fruits à noyaux, vivent moins long-temps lorsqu’ils ont été greffés que lorsqu’ils sont venus de semences. Parmi les arbres à fruits à pépins, dans le genre du pommier par exemple, le maximum de la longévité des individus greffés sur paradis est de 15 à 25 années; les individus entés sur franc vivent jusqu’à 120 ans; et ceux qui, provenus de semences, n’ont été ni greffés ni soumis à la taille, peuvent vivre 200 ans et au-delà.
Cependant l’effet contraire se présente quelquefois parmi les arbres d’autres séries, et particulièrement parmi les arbres étrangers: ceux-ci, greffés sur des espèces indigènes robustes, vivent plus long-temps que les individus de même espèce provenus de leurs graines; tels sont les pavia rouge et jaune greffés sur marronnier d’Inde, les sorbiers des chasseurs et de Laponie entés sur l’épine blanche, etc., etc.