Читать книгу Dostoïevsky (Articles et Causeries) - Андре Жид - Страница 4
II
ОглавлениеHomme d'aucun parti, craignant l'esprit de faction qui divise, il écrivait: «La pensée qui m'occupe le plus, c'est en quoi consiste notre communion d'idées, quels sont les points sur lesquels nous pourrions nous rencontrer, tous, de n'importe quelle tendance. Profondément convaincu que, «en la pensée russe, se concilient les antagonismes» de l'Europe, lui, «vieil Européen russe», comme il se nommait, il travaillait de toutes les forces de son âme à cette unité russe, où dans un grand amour du pays et de l'humanité devaient se fondre tous les partis. «Oui, je partage votre opinion, que la Russie achèvera l'Europe, de par sa mission même. Cela m'est évident depuis longtemps», écrit-il de Sibérie. Ailleurs, il parle des Russes comme d'une nation vacante, capable de se mettre à la tête des intérêts communs de l'humanité entière». Et si, par une conviction, peut-être seulement prématurée, il s'illusionnait sur l'importance du peuple russe (ce qui n'est nullement ma pensée), ce n'était point par infatuation chauvine mais par l'intuition et l'intelligence profonde qu'il avait lui-même, en tant que Russe, croyait-il, des raisons et des passions diverses des partis qui divisent l'Europe. Parlant de Pouchkine, il se loue de sa «faculté de sympathie universelle», puis ajoute: Cette aptitude-là, il la partage précisément avec notre peuple, et c'est par là surtout qu'il est national.» Il considère l'âme russe comme «un terrain de conciliation de toutes les tendances européennes», et va jusqu'à s'écrier: «Quel est le vrai Russe qui ne pense pas avant tout à l'Europe! «jusqu'à prononcer cette étonnante parole: «Le vagabond russe a besoin du bonheur universel pour s'apaiser.»
Convaincu que «le caractère de la future avidité russe doit être au plus haut degré pan-humain, que l'idée russe sera peut-être la synthèse de toutes les idées que l'Europe développe avec tant de persévérance et de courage dans ses diverses nationalités», il tourne constamment vers l'étranger ses regards; ses jugements politiques et sociaux sur la France et sur l'Allemagne sont pour nous les plus intéressants passages de cette correspondance. Il voyage, s'attarde en Italie, en Suisse, en Allemagne, attiré par le désir de connaître d'abord, retenu des mois durant par la continuelle question pécuniaire, soit qu'il n'ait pas assez d'argent pour continuer son voyage, payer les dettes nouvelles, soit qu'il craigne de retrouver en Russie d'anciennes dettes et de regoûter de la prison... «Avec ma santé, dit-il à quarante-neuf ans, je ne supporterais pas même six mois dans un lieu d'emprisonnement, et, surtout, je ne pourrais travailler.»
Mais, à l'étranger, l'air de la Russie, le contact avec le peuple russe, tout aussitôt lui manquent: il n'est pour lui ni de Sparte, ni de Tolède, ni de Venise; il ne peut s'acclimater, se plaire même un instant nulle part.» Ah! Nicolas Nicolaïevitch, écrit-il à Strakhov, comme il m'est insupportable de vivre à l'étranger, je ne saurais vous l'exprimer! «Pas une lettre d'exil qui ne contienne la même plainte: il faut que j'aille en Russie: ici, l'ennui m'écrase...» Et comme s'il puisait à même, là-bas, l'aliment secret de ses œuvres, comme si la sève, sitôt arraché de son sol, lui manquait: «Je n'ai pas de goût à écrire, Nicolas Nicolaïevitch, ou bien j'écris avec une grande souffrance. Qu'est-ce que cela veut dire, je ne saurais le comprendre. Je pense seulement que c'est le besoin de la Russie. Il faut revenir coûte que coûte.» Et ailleurs: «J'ai besoin de la Russie, pour mon travail et pour mes œuvres... J'ai senti avec trop de netteté que n'importe où que nous vivions, ce serait indifférent, à Dresde ou ailleurs, je serai partout dans un pays étranger, détaché de ma patrie.» Et encore: «Si vous saviez jusqu'à quel point je me sens tout à fait inutile et étranger!... Je deviens stupide et borné et je perds l'habitude de la Russie. Pas d'air russe, ni de personnes russes. Enfin, je ne comprends pas du tout les émigrants russes. Ce sont des fous.»
C'est pourtant à Genève, à Vevey qu'il écrit l'Idiot, l'Éternel Mari, les Possédés; n'importe! «Vous dites des paroles d'or à propos de mon travail ici; en effet, je resterai en arrière, non pas au point de vue du siècle, mais au point de vue de la connaissance de ce qui se passe chez nous (je le sais certainement mieux que vous, car journellement! je lis trois journaux russes jusqu'à la dernière ligne et je reçois deux revues), mais je me déshabituerai du cours vivant de l'existence; non pas de son idée, mais de son essence même; et comme cela agit sur le travail artistique!»
De sorte que cette «sympathie universelle» s'accompagne, se fortifie d'un nationalisme ardent qui, dans l'esprit de Dostoïevsky, en est le complément indispensable. Il proteste, sans lassitude, sans trêve contre ceux qu'on appelait alors là-bas les «progressistes», c'est-à-dire (j'emprunte cette définition à Strakhov), «cette race de politiciens qui attendaient les progrès de la culture russe, non point d'un développement organique du fonds national, mais d'une assimilation précipitée de l'enseignement occidental».—«Le Français est avant tout Français, et l'Anglais Anglais, et leur but suprême est de rester eux-mêmes. C'est là qu'est leur force.» Il s'insurge «contre ces hommes qui déracinent les Russes», et n'attend pas Barrès pour mettre en garde, l'étudiant qui, en «s'arrachant à la société et en l'abandonnant, ne va pas au peuple, mais quelque part, à l'étranger, dans l'européisme, dans le règne absolu de l'homme universel qui n'a jamais existé et, de cette façon, rompt avec lé peuple, le méprise et le méconnaît». Tout comme Barrès à propos du «kantisme malsain», il écrit, dans la préface de la revue qu'il dirige[11]: «Quelque fertile que soit une idée importée de l'étranger, elle ne pourra prendre racine chez nous, s'acclimater et nous être réellement utile que si notre vie nationale, sans aucune inspiration et poussée du dehors, faisait surgir d'elle-même cette idée naturellement, pratiquement, par suite de sa nécessité, de son besoin reconnu pratiquement par tous. Aucune nation du monde, aucune société plus ou moins stable ne s'est formée sur un programme de commande, importé du dehors...» Et je ne connais pas dans Barrès déclaration plus catégorique ni plus pressante.
Mais tout à côté voici ce que je regrette de ne point trouver chez Barrès: La capacité de s'arracher pour un moment de son sol afin de se regarder sans parti pris est l'indice d'une très forte personnalité, en meme temps que la capacité de regarder l'étranger avec bienveillance est un des dons les plus grands et les plus nobles de la nature. Et d'ailleurs Dostoïevsky ne semblait-il pas prévoir l'aveuglement jusqu'où devait nous entraîner cette doctrine: «Il est impossible de détromper le Français et de l'empêcher de se croire le premier homme de l'univers. D'ailleurs, il ne sait que très peu de l'univers... De plus il ne tient pas à savoir. C'est un trait commun à toute la nation et très caractéristique.»
Il se sépare plus nettement, plus heureusement encore, de Barrès, par son individualisme. Et, en regard de Nietzsche, il nous devient un admirable exemple pour montrer de combien peu d'infatuation, de suffisance, s'accompagne parfois de cette croyance en la valeur du moi. Il écrit: «Le plus difficile dans ce monde, c'est de rester soi-même»; «et, «il ne faut gâcher sa vie pour aucun but»; car pour lui, non plus que sans patriotisme, sans individualisme il n'est nul moyen de servir l'humanité. Si quelques barrésistes lui étaient acquis par les déclarations que je citais tout à l'heure, quel barrésiste les déclarations que voici ne lui aliéneraient-elles pas?
De même, en lisant ces paroles:» Dans l'humanité nouvelle, l'idée esthétique est troublée. La base morale de la société, prise dans le positivisme, non seulement ne donne pas de résultats, mais ne peut pas se définir elle-même, s'embrouille dans les désirs et dans les idéals. Se trouve-t-il donc encore trop peu de faits pour prouver que la société ne se fonde pas ainsi, que ce ne sont pas ces chemins qui conduisent au bonheur et que le bonheur ne provient pas de là comme on le croyait jusqu'à présent? Mais alors d'où provient-il? On écrit tant de livres et on perd de vue le principal: à l'occident on a perdu le Christ... et l'occident tombe à cause de cela, uniquement à cause de cela.» Quel catholique français n'applaudirait... s'il ne se heurtait point devant l'incidente, que d'abord j'omettais: «On a perdu le Christ,—par la faute du catholicisme.» Quel catholique français dès lors oserait se laisser émouvoir par les larmes de piété dont cette correspondance ruisselle? En vain Dostoïevsky voudra-t-il «révéler au monde un Christ russe, inconnu à l'univers et dont le principe est contenu dans notre orthodoxie»,—le catholique français, de par son orthodoxie à lui, se refusera d'écouter,—et c'est en vain, pour aujourd'hui du moins, que Dostoïevsky ajoutera: «À mon avis, c'est là que se trouve le principe de notre future puissance civilatrice et de la résurrection par nous de toute l'Europe, et toute l'essence de notre future force.»
De même encore si Dostoïevsky peut offrir à M. de Vogüé de quoi voir en lui «de l'acharnement contre la pensée, contre la plénitude de la vie,» une «sanctification de l'idiot, du neutre, de l'inactif», etc., nous lisons d'autre part dans la lettre à son frère, non donnée par Bienstock: «Ce sont des gens simples, me dira-t-on. Mais un homme simple est bien plus à craindre qu'un homme compliqué.»—À une jeune fille qui désirait «se rendre utile» et lui avait exprimé sa volonté de devenir infirmière ou sage-femme: «... en s'occupant régulièrement de son instruction on se prépare à une activité cent fois plus utile...», écrit-il; et plus loin: «ne serait-il pas mieux de s'occuper de votre instruction supérieure?... La plupart de nos spécialistes sont des gens profondément peu instruits... et la plupart de nos étudiants et étudiantes sont tout à fait sans aucune instruction. Quel bien peuvent-ils faire à l'humanité!» Et certes je n'avais pas besoin de ces paroles pour comprendre que M. de Vogüé se trompait, mais tout de même on pouvait se méprendre.
Dostoïevsky ne se laisse pas plus facilement enrôler pour ou contre le socialisme; car, si Hoffmann est en droit de dire: «Socialiste, dans le sens le plus humain du mot, Dostoïevsky n'a jamais cessé de l'être», ne lisons-nous pas dans la correspondance; «Déjà le socialisme a rongé l'Europe; si on tarde trop, il démolira tout.»
Conservateur, mais non traditionaliste; tsariste, mais démocrate; chrétien, mais non catholique romain; libéral, mais non «progressiste», Dostoïevsky reste celui dont on ne sait comment se servir. On trouve en lui de quoi mécontenter chaque parti. Car il ne se persuada jamais qu'il eût trop de toute son intelligence pour le rôle qu'il assumait—ou qu'en vue de fins immédiates, il eût le droit d'incliner, de fausser cet instrument infiniment délicat. «À propos de toutes ces tendances possibles, écrit-il,—et les mots sont soulignés par lui,—qui se sont confondues en un souhait de bienvenue pour moi (9 avril 1876), j'aurais voulu écrire un article sur l'impression causée par ces lettres... Mais, ayant réfléchi à cet article, je me suis soudain aperçu qu'il était impossible de l'écrire en toute sincérité; alors, s'il n'y a pas de sincérité, est-ce que cela vaut la peine de l'écrire?» Que veut-il dire? Sans doute ceci: que pour écrire cet article opportun d'une manière qui plaise à tous et en assure le succès, il lui faudrait forcer sa pensée, la simplifier outre mesure, pousser enfin ses convictions au delà de leur naturel. C'est là ce qu'il ne peut consentir.
Par un individualisme sans dureté et qui se confond avec la simple probité de pensée, il ne consent à présenter cette pensée qu'en son intégrité complexe. Et son insuccès parmi nous n'a pas de plus forte ni de plus secrète raison.
Et je ne prétends pas insinuer que les grandes convictions emportent d'ordinaire avec elles une certaine improbité de raisonnement; mais elles se passent volontiers d'intelligence; et tout de même M. Barrès est trop intelligent pour n'avoir pas vite compris que ce n'est pas en éclairant équitablement une idée sur toutes ses faces qu'on lui fait faire un rapide chemin dans le monde—mais en la poussant résolument d'un seul côté.
Pour faire réussir une idée, il faut ne mettre en avant qu'elle seule, ou, si l'on préfère: pour réussir, il faut ne mettre en avant qu'une idée. Trouver une bonne formule ne suffit pas; il s'agit de n'en plus sortir. Le public, devant chaque nom, veut savoir à quoi s'en tenir et ne supporte pas ce qui lui encombrerait le cerveau. Quand il entend nommer: Pasteur, il aime à pouvoir penser aussitôt: oui, la rage; Nietzsche? le surhomme; Curie? le radium; Barrès? la terre et les morts; Quinton? le plasma; tout comme on disait: Bornibus? sa moutarde. Et Parmentier, si tant est qu'il ait «inventé» la pomme de terre, est plus connu, grâce à ce seul légume, que si nous lui devions tout notre potager.
Dostoïevsky faillit connaître en France le succès, lorsque M. de Vogüé inventa de nommer «religion de la souffrance» et de clicher ainsi en une formule portative la doctrine qu'il trouvait incluse dans les derniers chapitres de Crime et châtiment. Qu'elle y soit, je le veux croire, et que la formule en soit heureusement trouvée... Par malheur, elle ne contenait pas son homme; il débordait de toutes parts. Car s'il était pourtant de ceux pour qui «une seule chose est nécessaire: connaître Dieu», du moins, cette connaissance de Dieu, voulait-il la répandre à travers son œuvre dans son humaine et anxieuse complexité.
Ibsen non plus n'était pas facile à réduire; non plus qu'aucun de ceux dont l'œuvre demeure plus interrogative qu'affirmative. Le succès relatif des deux drames: Maison de poupée et l'Ennemi du peuple, n'est point dû à leur précellence, mais cela vient de ce qu'Ibsen y livre un semblant de conclusion. Le public est mal satisfait par l'auteur qui n'aboutit pas à quelque solution bien saillante; c'est pécher par incertitude, croit-il, paresse de pensée ou faiblesse de conviction; et le plus souvent, goûtant fort peu l'intelligence, cette conviction il ne la jauge qu'à la violence, la persistance et l'uniformité de l'affirmation.
Désireux de ne point élargir encore un sujet déjà si vaste, je ne chercherai pas aujourd'hui à préciser sa doctrine; je voulais seulement indiquer ce qu'elle renferme de contradictions pour l'esprit occidental, peu accoutumé à ce désir de conciliation des extrêmes. Dostoïevsky reste convaincu que ces contradictions ne sont qu'apparentes entre le nationalisme et l'européisme, entre l'individualisme et l'abnégation; il pense que, pour ne comprendre qu'une des faces de cette question vitale, les partis opposés restent également distants de la vérité. Qu'on me permette encore une citation; elle éclairera sans doute mieux la position de Dostoïevsky qu'un commentaire ne pourrait faire[12]: «Faut-il donc être impersonnel pour être heureux? Le salut est-il dans l'effacement? Bien au contraire, dis-je, non seulement il ne faudrait pas s'effacer, mais il faudrait encore devenir une personnalité, même à un degré supérieur qu'on ne le devient dans l'Occident. Comprenez-moi: le sacrifice volontaire, en pleine conscience et libre de toute contrainte, le sacrifice de soi-même au profit de tous, est selon moi l'indice du plus grand développement de la personnalité, de sa supériorité, d'une possession parfaite de soi-même, du plus grand libre arbitre... Une personnalité fortement développée, tout à fait convaincue de son droit d'être une personnalité, ne craignant plus pour elle-même, ne peut rien faire d'elle-même, c'est-à-dire ne peut servir à aucun autre usage que de se sacrifier aux autres, afin que tous les autres deviennent exactement de pareilles personnalités arbitraires et heureuses. C'est la loi de la nature: l'homme normal tend à l'atteindre.»
Cette solution, le Christ la lui enseigne; «Qui veut sauver sa vie la perdra; qui donnera sa vie pour l'amour de moi la rendra vraiment vivante.»
Rentré à Pétersbourg dans l'hiver de 71-72, à cinquante ans, il écrit à Ianovsky: «Il faut l'avouer, la vieillesse arrive; et cependant on n'y songe pas, on se dispose encore à écrire de nouveau (il préparait les Karamazov), à publier quelque chose qui puisse contenter enfin; on attend encore quelque chose de la vie et cependant il est possible qu'on ait tout reçu. Je vous parle de moi; eh bien! je suis parfaitement heureux.» C'est ce bonheur, cette joie par delà la douleur, qu'on sent latente dans toute la vie et l'œuvre de Dostoïevsky, joie qu'avait parfaitement bien flairée Nietzsche, et que je reproche en toutes choses à M. de Vogüé de n'avoir absolument pas distinguée.
Le ton des lettres de cette époque change brusquement. Ses correspondants habituels habitant avec lui Pétersbourg, ce n'est plus à eux qu'il écrit, mais à des inconnus, des correspondants de fortune qui s'adressent à lui pour être édifiés, consolés, guidés. Il faudrait presque tout citer; mieux vaut renvoyer au livre; je n'écris cet article que pour y amener mon lecteur.
Enfin, délivré de ses horribles soucis d'argent, il s'emploie de nouveau, durant les dernières années de sa vie, à diriger le Journal d'un homme de lettres, qui ne parut que de manière intermittente. «Je vous avoue, écrit-il au célèbre Aksakov, en novembre 1880, c'est-à-dire trois mois avant sa mort—je vous avoue, en ami, qu'ayant l'intention d'entreprendre dès l'année prochaine l'édition du Journal, j'ai souvent et longuement prié Dieu, à genoux, pour qu'il me donne un cœur pur, une parole pure, sans péché, sans envie, et incapable d'irriter.»
Dans ce Journal où M. de Vogüé ne savait voir que des «hymnes obscurs, échappant à l'analyse comme à la controverse», le peuple russe heureusement distinguait autre chose et Dostoïevsky put, autour de son œuvre, sentir se réaliser à peu près ce rêve d'unité des esprits, sans unification arbitraire.
À la nouvelle de sa mort, cette communion et confusion des esprits se manifesta de manière éclatante, et si d'abord «les éléments subversifs projetèrent d'accaparer son cadavre», on vit bientôt, «par une de ces fusions inattendues dont la Russie a le secret, quand une idée nationale l'échauffe, tous les partis, tous les adversaires, tous les lambeaux disjoints de l'empire rattachés par ce mort dans une communion d'enthousiasme». La phrase est de M. de Vogüé, et je suis heureux, après toutes les réserves que j'ai faites sur son étude, de pouvoir citer ces nobles paroles. «Comme on disait des anciens tsars qu'ils «rassemblaient» la terre russe, écrit-il plus loin, ce roi de l'esprit avait rassemblé là le cœur russe.»
C'est ce même ralliement d'énergies qu'il opère à présent à travers l'Europe, lentement, mystérieusement presque,—en Allemagne surtout où les éditions de ses œuvres se multiplient, en France enfin où la génération qui s'élève reconnaît et goûte, mieux que celle de M. de Vogüé, sa vertu. Les secrètes raisons qui différèrent son succès seront celles mêmes qui l'assureront plus durable.