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V.

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Non, ce n'est pas a son laboratoire que s'est arrêté l'oncle Anthime.

Il a traversé rapidement cette officine où achèvent de souffrir les six rats. Que ne s'attarde-t-il sur la terrasse qu'inonde une occidentale lueur? Le séraphique éclairement du soir, apaisant son âme rebelle, l'inclinerait peut-être... Mais non: il échappe au conseil. Par l'incommode escalier tournant, il a gagné la cour, qu'il traverse. Cette hâte infirme est tragique par nous qui connaissons aux prix de quel effort il achète chaque enjambée, au prix de quelle douleur chaque effort. Quand verrons-nous dépenser pour le bien une aussi sauvage énergie? Parfois un gémissement échappe à ses lèvres tordues; ses traits se convulsent. Où le mène sa rage impie?

La Madone — qui, de ses mains offertes laissant couler la grâce et le reflet des célestes rayons sur le monde, veille sur la maison et peut-être intercède même pour le blasphémateur — n'est pas une de ces statues modernes comme on fabrique de nos jours, avec le carton-romain plastique de Blafaphas, la maison d'art de Fleurissoire-Lévichon. Image naïve, expression de l'adoration populaire, elle n'en sera que plus belle et plus éloquente à nos yeux. éclairant la face exsangue, les rayonnantes mains, le manteau bleu, une lanterne, en face de la statue, mais assez loin en avant d'elle, pend à un toit de zinc qui déborde la niche et abrite à la fois les ex-voto accrochés aux côtés des murs. A portée de la main du passant, une petite porte de métal, dont le bedeau de la paroisse a la clef, protège l'enroulement de la corde au bout de quoi, la lanterne pend. En plus, deux cierges brûlent jour et nuit devant la statue, qu'a portés tantôt Véronique. A la vue de ces cierges, qu'il sait brûler pour lui, le franc-maçon sent se ranimer sa fureur. Beppo qui, dans le retrait du mur où il niche, achevait de croquer un croûton et quelques griffes de fenouil, est accouru à sa rencontre. Sans répondre à son accorte salutation, Anthime l'a saisi par l'épaule; penché sur lui, que dit-il, qui fasse tressaillir l'enfant? — Non! non! le petit proteste. De la poche de son gilet, Anthime sort un billet de cinq lires; Beppo s'indigne... Plus tard il volera peut-être; il tuera même; qui sait de quelle éclaboussure sordide la misère tachera son front? Mais lever la main contre la Vierge qui le protège, vers qui, chaque soir, avant de s'endormir, il soupire, à qui chaque matin, au premier réveil, il sourit!... Anthime peut essayer de l'exhortation, de la corruption, du rudoiement, de la menace, il n'obtiendra de lui que refus.

Au demeurant ne nous y méprenons pas. Anthime n'en veut point précisément à la Vierge; c'est spécialement aux cierges de Véronique qu'il en a. Mais l'âme simple de Beppo ne consent pas à ces nuances; et, du reste, ces cierges à présent consacrés, nul n'a le droit de les souffler...

Anthime que cette résistance exaspère a repoussé l'enfant. Il agira tout seul. Accoté contre la muraille, il empoigne sa béquille par le bas, prend un terrible élan en balançant le manche en arrière et, de toutes ses forces, il la lance contre le ciel. Le bois carambole contre la paroi de la niche, retombe à terre avec fracas, entraînant il ne sait quel débris, quel platras. Il ramasse sa béquille et recule pour voir la niche... Par l'enfer! les deux cierges brûlent toujours. Mais qu'est-ce à dire? La statue, à la place de la main droite, ne présente plus qu'une tige de métal noir.

Il contemple un instant, dégrisé, le triste résultat de son geste: aboutir à ce dérisoire attentat... Ah! fi donc! Il cherche des yeux Beppo; l'enfant a disparu. La nuit se clôt; Anthime est seul; il avise sur le pavé le débris que tout à l'heure avait décroché sa béquille, le recueille: c'est une petite main de stuc, qu'avec un haussement d'épaules il glisse dans la poche de son gilet.

La honte au front, la rage au coeur, l'iconoclaste à présent remonte à son laboratoire; il voudrait travailler, mais cet effort abominable l'a brisé; il n'a plus de coeur qu'à dormir.

Certes, il va se mettre au lit sans souhaiter bonsoir à personne... A l'instant d'entrer dans sa chambre, un bruit de voix pourtant l'arrête. La porte de la chambre voisine est ouverte; dans l'ombre du couloir il se glisse...

Semblable à quelque angelet familier, la petite Julie, en chemise, est sur son lit, agenouillée; au chevet du lit, baignant dans la clarté de la lampe, Véronique et Marguerite à genoux toutes deux; un peu reculé, debout au pied du lit, Julius, une main sur son coeur, l'autre couvrant ses yeux, dans une attitude à la fois dévote et virile: ils écoutent l'enfant prier. Un grand silence enveloppe la scène et tel qu'il fait souvenir le savant de certain soir tranquille et d'or, au bord du Nil, où, comme cette prière enfantine s'élève, s'élevait une fumée bleue, toute droite vers un ciel tout pur.

Sans doute, la prière touche à sa fin; l'enfant, à présent, laissant les formules apprises, prie d'abondance, selon la dictée de son coeur; elle prie pour les petits orphelins, pour les malades et pour les pauvres, pour sa soeur Geneviève, pour sa tante Véronique, pour son papa; pour que l'oeil de sa chère maman soit vite guéri... Cependant le coeur d'Anthime se contracte; du pas de la porte, très haut, sur un ton qu'il voudrait ironique, on l'entend à l'autre bout de la pièce qui dit:

— Et pour l'oncle, on ne lui demande rien, au bon Dieu?

L'enfant alors, d'une voix extraordinairement assurée, reprend, au grand étonnement de chacun:

— Et je Vous prie également, mon Dieu, pour les péchés de l'oncle Anthime.

Ces mots atteignent l'athée en plein coeur.

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