Читать книгу Les Douze Étapes et les Douze Traditions - Anonyme - Страница 9

Deuxième Étape

Оглавление

« Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison. »

DES qu’ils lisent la Deuxième Étape des AA, la plupart des nouveaux font face à un dilemme parfois très sérieux. Que de fois en avons-nous entendu se plaindre ainsi : « Regardez ce que vous nous avez fait ! D’abord vous nous persuadez que nous sommes des alcooliques et que nous avons perdu la maîtrise de notre vie. Puis, nous ayant réduits à cet état d’impuissance absolue, vous nous annoncez que seule une Puissance supérieure peut nous délivrer de notre obsession. Or, il s’en trouve parmi nous qui refusons de croire en Dieu, d’autres qui ne le peuvent pas, et d’autres encore qui croient sans doute que Dieu existe mais doutent sincèrement qu’Il accomplira ce miracle. Oui, vraiment, vous nous avez bien eus. Mais maintenant, où va-t-on ? »

Arrêtons-nous d’abord à celui qui refuse de croire – le rebelle. Il est en furie, c’est le moins qu’on puisse dire. Toute sa philosophie de la vie, dont il était si fier, est maintenant menacée. C’est déjà bien assez pénible, se dit-il, d’admettre que l’alcool a eu le dessus sur lui. Mais voilà qu’encore blessé par cet aveu, il fait face à quelque chose de vraiment impossible. Il lui tient tellement à cœur de penser que l’être humain, sorti majestueusement d’une cellule unique du limon originel, est désormais le fer de lance de l’évolution et donc le seul dieu que connaisse son univers ! Doit-il, pour survivre, renoncer à tout cela !

À ce moment là, son parrain AA se met généralement à rire. C’est la goutte qui fait déborder le vase, se dit le nouveau, le début de la fin ! Effectivement, c’est le début de la fin de son ancienne vie et le commencement d’une vie nouvelle. Son parrain lui dira sans doute : « Cesse de t’en faire. Le cerceau dans lequel tu dois sauter est bien plus grand que tu penses. Du moins, c’est ce que j’ai constaté avec un de mes amis qui fut jadis vice-président de l’Association américaine des athées. Il est passé à travers le cerceau sans aucune difficulté. »

« Bon, dira le nouveau, je ne doute pas que tu me dises la vérité et qu’assurément, chez les AA, il y a plein de gens qui ont déjà pensé comme moi. Mais comment faire au juste pour ‘ne pas s’en faire’ dans de telles conditions ? C’est ce que je voudrais savoir. »

« Bonne question, en effet, reconnaît le parrain. Je pense que je peux te dire comment te détendre sans que tu aies pour autant à faire beaucoup d’efforts. Retiens les trois points suivants : premièrement, les Alcoo-liques anonymes n’obligent personne à croire. Chacune des Douze Étapes ne sont que des suggestions. Deuxièmement, pour devenir abstinent et le rester, il n’est pas nécessaire de s’attaquer d’un seul coup et immédiatement à la Deuxième Étape. Je me rappelle y être allé moi-même très graduellement. Troisiè-mement, il suffit vraiment d’avoir l’esprit ouvert. Oublie les matières à controverse et cesse de t’interroger pour savoir qui, de l’œuf ou de la poule, est apparu le premier. Je te le répète : tout ce qu’il te faut, c’est un esprit ouvert. »

Le parrain poursuit alors en disant : « Prends mon cas, par exemple. J’ai eu une formation scientifique. En conséquence, j’avais du respect, de la vénération, et même un culte pour la science. Je n’ai pas changé, sauf en ce qui concerne le culte. Mes professeurs m’ont souvent remis sous les yeux le principe de base de tout progrès scientifique : chercher, chercher encore et toujours, en toute objectivité. À mon premier contact avec les AA, j’ai eu tout à fait la même réaction que toi. Toute cette affaire des AA, me disais-je, n’est pas scientifique pour un sou. Je ne marche tout simplement pas. Je refuse de m’arrêter à de telles absurdités.

« Mais je me suis réveillé. J’ai dû admettre que les AA s’appuyaient sur des résultats, des résultats prodigieux. Je voyais bien que mon attitude à cet égard n’avait rien de scientifique. Ce n’étaient pas les AA mais bien moi qui manquais d’ouverture d’esprit. Dès que j’ai cessé d’argumenter, j’ai pu commencer à voir et à ressentir. Aussitôt, en douceur et petit à petit, la Deuxième Étape a commencé à s’infiltrer dans ma vie. Je ne puis préciser dans quelle circonstance ni à quel jour je me suis mis à croire en une Puissance supérieure à moi-même, mais aujourd’hui, il est certain que cette foi, je l’ai. Pour l’acquérir, il m’a suffi d’arrêter de me battre et d’appliquer le reste du programme des AA avec autant d’enthousiasme que possible.

« Bien sûr, tu n’as là que l’opinion d’un seul homme et elle ne s’appuie que sur ma propre expérience. Je dois tout de suite t’assurer que dans leur recherche de la foi, les membres des AA suivent une très grande variété de cheminements. Si celui que je t’ai suggéré ne t’intéresse pas, tu en découvriras sûrement un autre qui te convient, pourvu que tu saches écouter et regarder. Bien des gens comme toi ont commencé à solutionner leur problème par la méthode de la substitution. Si tu veux, tu peux faire du Mouvement ta « puissance supérieure ». Voici en effet un rassemblement de très nombreuses personnes qui ont surmonté leur problème d’alcool. Vu ainsi, il s’agit sûrement d’une puissance supérieure à toi, qui n’est même pas parvenu à trouver la moindre solution. Tu peux sûrement avoir foi en elles. Même ce tout petit peu de foi peut suffire. Tu vas rencontrer plusieurs membres qui ont ainsi franchi le seuil. Ils te diront tous qu’une fois qu’ils l’ont passé, leur foi a grandi et s’est approfondie. Délivrés de leur obsession d’alcool et incapables de s’expliquer la transformation de leur vie, ils en sont venus à croire en une Puissance supérieure et, dans la plupart des cas, à mentionner le nom de Dieu. »

Prenons maintenant le cas de ceux qui ont déjà eu la foi mais qui l’ont perdue. Vous en verrez qui ont glissé dans l’indifférence, d’autres qui, remplis d’autosuffisance, ont coupé tous les ponts, d’autres qui ont nourri des préjugés contre la religion, et d’autres enfin qui ont nettement adopté une attitude de défi parce que Dieu n’a pas daigné exaucer leurs vœux. Leur expérience permet-elle aux AA de dire à tous ces gens qu’ils peuvent retrouver une foi qui fonctionne ?

La méthode des AA pose parfois plus de difficultés à ceux qui ont perdu ou rejeté la foi qu’à ceux qui ne l’ont jamais eue, car les premiers ont l’impression d’avoir déjà fait l’expérience de la foi sans obtenir les résultats attendus. Ils ont vécu un temps avec la foi et un temps sans la foi. Comme les deux méthodes les ont amèrement déçus, ils en ont déduit qu’il n’y avait plus aucune place pour eux. L’indifférence, l’illusion de pouvoir se suffire à soi-même, les préjugés et l’attitude de défi construisent chez ces gens des blocages qui se révèlent parfois bien plus solides et bien plus redoutables que les objections des agnostiques indécis ou même des athées militants. La religion soutient qu’il est possible de démontrer l’existence de Dieu ; l’agnostique prétend que c’est impossible ; et l’athée affirme détenir la preuve que Dieu n’existe pas. De toute évidence, c’est un dilemme qui jette dans la plus profonde confusion celui qui s’est éloigné de la foi. Il se croit à tout jamais privé du réconfort d’avoir une quelconque conviction. Il ne peut partager la moindre parcelle de certitude ni du croyant, ni de l’agnostique, ni de l’athée. Il est désorienté.

À celui qui va ainsi à la dérive, plusieurs membres des AA pourraient dire : « Oui, nous aussi, nous nous étions beaucoup éloignés de la foi de notre enfance. C’est contre la naïve crédulité de la jeunesse que nous en avions. Évidemment, nous étions reconnaissants des valeurs que nous avaient données une bonne famille et une bonne éducation religieuse. Nous étions encore convaincus qu’il fallait être raisonnablement honnête, tolérant et juste, qu’il fallait avoir de l’ambition et travailler fort. Et nous nous sommes convaincus que ces simples règles d’honnêteté et de décence suffisaient.

« Lorsque nous avons connu le succès matériel qui n’avait d’autre base que ces qualités élémentaires, nous avons eu l’impression de bien réussir au jeu de la vie. C’était grisant, et nous en étions heureux. Pourquoi faudrait-il nous embarrasser d’abstractions théologiques et d’obligations religieuses, ou nous inquiéter de l’état de notre âme, ici ou ailleurs ? La réalité était bien suffisante pour nous. La volonté de vaincre nous soutiendrait. Mais voilà : l’alcool s’est mis de la partie. À la fin du compte, quand nos marques furent réduites et que toute nouvelle erreur menaçait de nous retirer du match à tout jamais, nous avons dû nous remettre en quête de la foi que nous avions perdue. C’est chez les AA que nous l’avons retrouvée. Tu peux en faire autant, toi aussi. »

Nous en arrivons à un autre genre de problème, celui de l’homme ou de la femme autosuffisants intellectuellement. À ceux-là, de nombreux membres des AA peuvent dire : « Oui, nous étions comme vous – trop futés pour que cela nous aide. Nous aimions passer pour des avant-gardistes. En prenant soin de ne pas le laisser paraître, nous prenions appui sur notre instruction pour nous gonfler d’orgueil. Nous avions la secrète conviction de pouvoir flotter au-dessus du reste du monde par la seule puissance de notre intelligence. Le progrès scientifique nous laissait croire que rien n’est impossible à l’homme. La connaissance était toute-puissante. L’intelligence pouvait dominer la nature. Comme nous étions plus brillants que la majorité des gens (c’était du moins notre avis), il nous suffisait de penser pour récolter les fruits du succès. Le dieu de l’intelligence avait supplanté le Dieu de nos pères. Mais la bouteille avait de tout autres vues. Nous, qui avions le succès si facile, nous retrouvions au rang des éternels perdants. Nous avons constaté qu’il nous fallait réviser nos positions ou faire face à la mort. Chez les AA, nous en avons rencontré plusieurs qui avaient déjà pensé comme nous. Ils nous ont aidés à nous ramener à notre vrai niveau. Par l’exemple, ils nous ont fait comprendre que l’intelligence et l’humilité ne sont pas incompatibles, à condition de donner à l’humilité la première place. En agissant ainsi, nous avons reçu le don de la foi, une foi qui produit des résultats. Cette foi, elle vous est offerte, à vous aussi. »

Parmi les membres, une autre catégorie pourrait s’exprimer ainsi : « Nous étions carrément dégoûtés de la religion et de son enseignement. La Bible, à notre avis, était remplie d’absurdités : nous pouvions les citer au chapitre et au verset, mais nous ne pouvions pas croire à la réalisation des Béatitudes. Sa morale était tantôt bonne ou mauvaise à l’excès. Mais c’était surtout la moralité des bigots qui nous révoltait. Nous dénoncions à hauts cris l’hypocrisie, la fausse dévotion et l’autosatisfaction imbue de supériorité de tant de ‘croyants’, même le dimanche. Combien nous aimions dénoncer le fait que des millions de ‘pieuses bonnes gens’ continuent de s’entretuer au nom de Dieu. Tout cela signifiait, bien sûr, que nous avions adopté une attitude négative plutôt que positive. Une fois arrivés chez les AA, nous avons dû reconnaître qu’une telle façon de penser flattait notre ego. En soulignant les travers de certains dévots, nous pouvions nous donner l’impression de leur être supérieurs. Pire encore, nous pouvions ainsi éviter d’examiner nos propres faiblesses. L’autosatisfaction, que nous dénoncions avec tant de mépris chez les autres, était justement notre plus grand défaut. En ce qui concerne la foi, cette fausse respectabilité fut notre perte. Mais finalement, une fois chez les AA, nous avons appris mieux.

« Comme l’ont souvent observé les psychiatres, l’attitude de défi est la caractéristique prépondérante de beaucoup d’alcooliques. Il n’est donc pas étonnant qu’un grand nombre d’entre nous en soient venus un jour à défier Dieu lui-même. Parfois c’était parce que Dieu n’avait pas daigné nous offrir toutes les douceurs de la vie que nous lui avions spécifiquement demandées, à la façon dont les enfants gâtés adressent des listes de cadeaux irréalistes au Père Noël. Le plus souvent cependant, nous avons essuyé une très dure épreuve et nous n’avons pas pu tenir le coup parce que, à nos yeux, Dieu nous avait abandonnés. La femme que nous voulions épouser avait d’autres projets : nous avons prié Dieu de la faire changer d’avis, mais elle n’en a rien fait. Nous avons demandé des enfants en bonne santé et nous en avons eu qui étaient malades, ou nous n’en avons pas eu du tout. Nous avons prié pour obtenir de l’avancement et il ne nous en est pas venu. Des êtres que nous aimions profondément nous ont été ravis par la soi-disant volonté de Dieu. Puis nous sommes devenus ivrognes et nous avons demandé à Dieu de nous arrêter de boire. Mais il ne s’est rien produit. C’était la plus grande cruauté de toutes. ‘Au diable la foi !’ avons-nous déclaré.

« Lorsque nous avons connu les AA, l’illusion de cette attitude de défi nous est apparue. Jamais nous n’avions cherché à savoir ce qu’était la volonté de Dieu pour nous ; au contraire, nous Lui avons dit ce qu’elle devrait être. Nous avons pris conscience que personne ne peut en même temps croire en Dieu et Le mettre au défi. Croire, c’est se fier, non pas défier. Chez les AA, nous avons vu les fruits de cette foi, c’est-à-dire des hommes et des femmes épargnés de la catastrophe définitive de l’alcool. Nous les avons vus affronter et surmonter leurs autres épreuves et malheurs. Nous les avons vus accepter calmement des situations impossibles sans chercher à fuir ou à récriminer. Ce n’était pas une foi superficielle ; c’était une foi agissante en toutes circonstances. Nous avons bientôt décidé que si l’humilité, à quelque degré que ce soit, était le prix à payer, nous paierions. »

Prenons maintenant le cas du croyant qui sent l’alcool à plein nez. Il se croit très pieux. En matière d’observance religieuse, il est scrupuleux. Il est certain de croire en Dieu, mais il a le vague sentiment que Dieu ne croit pas en lui. Il fait promesses sur promesses. Après, non seulement boit-il à nouveau, mais il se conduit encore plus mal que la fois précédente. Il tente vaillamment de combattre l’alcool, il implore le secours de Dieu, mais le secours ne vient pas. Qu’est-ce qui ne va pas ?

Pour les ecclésiastiques, les médecins, les amis et les proches, cette situation de l’alcoolique bien intentionné qui fait de gros efforts demeure une énigme déchirante. Ce ne l’est pas pour la plupart des AA. Il y en a trop parmi nous qui étaient dans la même situation et qui ont trouvé la solution. C’est une question de qualité de foi, plutôt que de quantité. Voilà où nous nous trompions. Nous imaginions avoir de l’humilité alors que nous n’en avions pas. Nous nous croyions très appliqués dans nos pratiques religieuses, mais après une sérieuse évaluation, nous avons constaté que nous étions seulement superficiels. Ou encore, à l’autre extrême, nous avions versé dans le sentimentalisme en le confondant avec le sentiment religieux authentique. Dans les deux cas, nous voulions obtenir quelque chose en ne donnant rien. En réalité, nous n’avions pas vraiment fait le ménage en nous pour permettre à la grâce de Dieu d’y entrer et d’en chasser l’obsession. Nous n’avions jamais fait d’inventaire personnel profond et sérieux, réparé nos torts envers les personnes que nous avions lésées, donné gratuitement à un autre être humain sans exiger de récompense. Nous n’avions même pas prié correctement. Nous avions toujours dit : « Réponds à mes désirs » au lieu de dire : « Que ta volonté soit faite ». Nous n’avions jamais rien compris à l’amour de Dieu et à l’amour du prochain. Nous étions donc toujours déçus et donc incapables de recevoir assez de grâce pour nous redonner la raison.

Ils sont rares en effet les alcooliques qui ont quelque notion de leur manque de logique, ou qui, l’ayant constaté, ont eu le courage d’y faire face. Quelques-uns se reconnaîtront comme « buveurs à problèmes », mais ne supporteront pas l’idée qu’ils soient mentalement malades. L’aveuglement de leur condition est provoqué par la société qui ne sait pas faire la distinction entre alcoolisme et consommation normale d’alcool. « Avoir la raison », c’est être « sain d’esprit ». Pourtant, aucun alcoolique ne peut se dire « sain d’esprit » quand il analyse sa conduite passée, qu’il ait détruit le mobilier de la salle à manger ou sa propre moralité.

Ainsi donc, la Deuxième Étape constitue notre point de ralliement à tous. Agnostiques, athées ou anciens croyants, nous pouvons tous nous y retrouver. L’humilité authentique et l’ouverture d’esprit peuvent nous conduire à la foi, et chaque réunion des AA nous offre l’assurance que Dieu nous rendra la raison si nous établissons avec Lui des rapports sains.

Les Douze Étapes et les Douze Traditions

Подняться наверх