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Considérations générales sur la vigne et le département de la Charente

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La vigne est un arbrisseau vivace, rustique et d’une végétation si puissante, qu’elle croît dans presque tous les climats. Elle accepte les terrains de toute origine et de toute composition, sauf à varier dans de larges limites la quantité et la qualité de ses produits.

Dans les climats chauds, près des tropiques, le raisin mûrit mal et acquiert peu de qualité, à cause de l’excès de soleil et de sécheresse qu’il supporte. Sous l’action de chaleurs trop fortes et trop prolongées, on voit, en effet, les feuilles de la vigne se faner, les grappes se flétrir, les raisins rester petits et languissants, prendre une apparence ridée et racornie, sans pouvoir atteindre leur développement normal. Dans nos climats tempérés, nous sommes parfois témoins, aux époques de chaleur et de sécheresse extrême, de ces phénomènes de végétation avortée; mais heureusement la pluie, qui survient presque toujours à temps, rafraîchit l’atmosphère embrasée, donne aux raisins l’humidité, les aliments liquides qui leur manquaient, et l’on voit alors ces fruits grossir presque à vue d’œil et arriver promptement à maturité. C’est que l’eau est l’agent nécessaire pour dissoudre et conduire aux organes de la plante les matières organiques du sol et les sels stimulants qui importent à une bonne fructification. Tels sont les phénomènes qui apparaissent dans nos climats à certaines années; mais ce que nous observons par intervalles éloignés se montre d’une manière régulière et plus intense dans les pays chauds. Voilà pourquoi, passé certaines latitudes, la vigne cesse de donner des produits d’une valeur élevée.

Si l’excès de chaleur nuit à la fructification de la vigne, le défaut de température est également contraire à son développement. D’après les recherches de M. de Gasparin, pour que cet arbrisseau amène son fruit à maturité complète, il faut qu’il reçoive, pendant sa période végétative, une somme de chaleur minima représentée par 2,600 degrés. Aussi, dans les contrées rapprochées des pôles et dans les pays insulaires, comme l’Angleterre, où les étés manquent de chaleur, la vigne végète, mais se montre impuissante à mûrir ses fruits. La culture de cette plante ne devient réellement économique et avantageuse que dans les zones placées en dehors de ces climatures extrêmes. C’est, en effet, entre le 25e et le 52e degré de latitude boréale qu’on la cultive seulement en grand, et qu’elle donne des produits abondants et estimés. Schiras, en Perse, est le point le plus méridional, et Coblentz le point le plus septentrional de notre hémisphère où l’on observe la prospérité de la vigne.

Le département de la Charente est situé dans cette région intermédiaire favorisée de la nature. Placé au sud-ouest de la France, il se trouve compris entre le 45e degré 12 minutes et le 46e degré 7 minutes de latitude septentrionale. Sa position continentale contribue encore à accroître ses propriétés vitifères. La moyenne thermale y atteint et dépasse d’ordinaire le nombre de degrés reconnu nécessaire à la bonne maturation des raisins.

Considéré au point de vue orographique, notre département présente une forme ondulée; ni pics abrupts et élevés, ni plaines vastes et uniformes ne caractérisent sa surface; seulement des collines séparées par des vallées plus ou moins profondes hérissent son écorce et varient ses aspects. Ces plissements de terrain donnent à la contrée une disposition particulièrement favorable au développement de la vigne. La bande orientale du département, qui comprend la majeure partie de l’arrondissement de Confolens, constitue toutefois un massif élevé dont l’altitude est de 200 à 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ce massif, très-accidenté, dépend des montagnes du Limousin, auxquelles il fait suite. Les vallées y sont généralement profondes et escarpées. Des ruisseaux en grand nombre coulent en serpentant des flancs des coteaux, y entretiennent une fraîcheur continue, et arrosent de vastes prairies qui servent à alimenter des troupeaux de bestiaux. Ces vallées, froides et humides, sont évidemment impropres à la bonne venue de la vigne; mais cet arbrisseau prospère sur les coteaux bien exposés aux rayons du soleil.

Indépendamment de la période moderne, le sol de la Charente procède de trois époques géologiques distinctes: formation primaire, formations secondaire et tertiaire.

La zone orientale du département, située dans l’arrondissement de Confolens, est de formation primaire. Elle est en grande partie d’origine éruptive et de nature granitique. Sa surface est boisée, ombreuse, tourmentée. De chaque découpure de ce sol gris, brun ou rougeâtre descendent des vallons plus ou moins profonds qui ne se prêtent à la culture de la vigne qu’à de certaines altitudes et à une exposition méridionale.

La formation tertiaire, les groupes crétacé et jurassique, constituent les terrains sédimentaires du département. Là domine l’élément calcaire.

Le groupe jurassique comprend la partie occidentale de l’arrondissement de Confolens, tout l’arrondissement de Ruffec, la partie septentrionale de l’arrondissement d’Angoulême et une faible bande de l’arrondissement de Cognac.

Les assises inférieures et moyennes de ce terrain sont, comme le lias, généralement formées d’un calcaire dur, sec, souvent fissuré, facilement perméable aux eaux pluviales, mais peu propre à les ramener à la surface; aussi ce sol, généralement plat, est-il avare de sources et de cours d’eau importants. La zone nord-ouest du département appartient à cette formation géologique. Les derniers étages des monts limousins expirent sur ses bords. Le sol se montre sous l’apparence d’une plaine sèche, généralement unie, dont quelques accidents de terrain rompent cà et là la monotonie des lignes. Là, les céréales prospèrent mieux que la vigne.

Par contre, le terrain jurassique supérieur, formé, dans une grande partie de son étendue, de calcaire mélangé d’argile, se montre d’une consistance faible et d’une désagrégation facile. Dans les cantons d’Aigre, de Saint-Amant-de-Boixe, de Rouillac, d’Hiersac, ce sol nourrit des vignobles nombreux et justement renommés pour leur qualité alcoolique.

Le terrain crétacé, intermédiaire au terrain jurassique et au terrain tertiaire, occupe les deux cinquièmes du département. Partout où la vigne peut pénétrer ce sol et étendre ses racines, elle se développe avec vigueur. Toutefois, des différences minéralogiques importantes caractérisent les étages de cette classe de terrain, et impriment des différences parallèles d’aspect et de fécondité.

Les étages appelés angoumien et provencien sont constitués par un calcaire dur et compacte qui, au lieu de s’altérer à l’air, prend de la consistance et fournit une pierre à bâtir d’une grande valeur. Les plateaux qui s’étendent au sud et à l’est d’Angoulême montrent, par l’aridité de leur surface et l’âpreté de leurs contours, le caractère sec et résistant de cette roche. Ce n’est que sur les lieux suffisamment pourvus de terre végétale, et là où le sol a été préalablement défoncé, que la vigne croît avec activité et donne des produits rémunérateurs.

Mais, de tous les étages du bassin crétacé de la Charente, celui qui a été désigné sous le nom de campanien occupe le premier rang par son étendue et sa fertilité. La roche qui le constitue est un calcaire argileux sensible à l’action de la gelée, facile à désagréger par les agents atmosphériques et les instruments aratoires. Ce terrain, qui se dessine aux regards en coteaux arrondis, en collines à pente douce, séparées par autant de. vallons, occupe tout l’arrondissement de Barbezieux, la partie sud de celui de Cognac et la bande méridionale de celui d’Angoulême. Cette zone possède une remarquable aptitude au développement de la vigne. C’est de son sein que le distillateur tire les eaux-de-vie les plus renommées.

Ce terrain se trouve couronné sur plusieurs points de calcaire jaune, solide, qui sert de point d’appui à un dépôt argilo-siliceux dépendant soit de la formation tertiaire, soit du diluvium. Ce dépôt, constitué surtout de cailloux roulés, de sable, d’argile plus ou moins tenace, occupe par bandes plus ou moins étendues plusieurs parties du département. Mais, quels que soient les points où il se présente, ce manteau tellurique se montre plus propice à la culture arborescente qu’à celle de la vigne elle-même. Les plantes qu’il alimente rappellent plutôt les espèces qui croissent sur les rochers granitiques que celles qui se développent sur les terrains calcaires proprement dits.

Tel est le sol de la Charente considéré dans sa position géographique, dans sa configuration, dans ses aptitudes végétatives, dans sa nature minéralogique et géologique. Il résulte de cette étude que le département offre les conditions générales les plus favorables au complet développement de la vigne, mais que la vaste zone de terrains secondaires qui constitue la plus grande partie de sa surface occupe le premier rang dans l’échelle viticole.

Ne nous étonnons pas, si avant qu’on plonge dans les annales de cette contrée, d’y trouver la vigne cultivée et ses produits recherchés par les consommateurs. Mais il est impossible, dans les temps modernes comme dans les temps anciens, d’avoir des chiffres exacts sur cette production, parce que les données numériques exigent un soin, des études et une exactitude difficiles à rencontrer. Et lorsque ce travail repose sur le concours de plusieurs, les chances d’erreur augmentent encore. Aussi, en statistique, observe-t-on des variations choquantes sur les questions en apparence les plus simples et les plus élémentaires. Lorsque, en effet, on examine les tableaux statistiques qui ont été publiés depuis quelques années sur notre département, sur sa production en liquides spiritueux, sur son mouvement commercial, on est frappé du défaut de concordance qui règne sur ces matières, soit qu’on consulte les notices publiées par Léonide Sazerac de Forge sur le commerce du département de la Charente, soit qu’on compulse le long rapport de François Tesnière, député, sur l’état de la viticulture. de la Charente en 1842; soit qu’on parcoure les données statistiques insérées par M. Coquand dans sa Description géologique de ce département. Pour prendre un exemple à la fois simple et saisissant de ce désaccord, rappelons que, tandis que François Tesnière attribue à notre département une étendue linéaire de 603,249 hectares, M. Coquand lui assigne une superficie totale de 594,513 hectares. Et cependant les limites de la circonscription sont restées invariables; elles étaient les mêmes en 1858 qu’en 1842. Tant il est vrai que le savant doit constamment se placer en sentinelle vigilante contre les nombreuses erreurs qui viennent l’assaillir, contre les jugements précipités et contre ces idées préconçues que Bacon a poursuivies de sa verve poétique et railleuse.

Quoi qu’il en soit, depuis quelques années, grâce à M. Guibert, ancien directeur des contributions indirectes de la Charente, cette administration a travaillé avec zèle et activité à recueillir, par la voie de ses nombreux agents, des documents aussi exacts que possible sur la production, la consommation et le commerce des vins et eaux-de-vie récoltés dans ce département. C’est là, c’est dans ces longues colonnes de chiffres laborieusement colligés que j’ai puisé les résultats suivants:

Voir le tableau des pages 8 et 9.

TABLEAU DE LA RÉCOLTE EN VINS DANS LE DÉPARTEMENT DE LA CHARENTE PENDANT LA PÉRIODE COMPRISE ENTRE LES ANNÉES 1848 ET 1864.



Quant au mouvement commercial des vins de la Charente, il varie beaucoup d’année en année, et suit l’importance des produits, la pénurie ou l’abondance de récoltes des autres parties de la France. En compulsant les registres des contributions indirectes, on trouve que l’année 1862 a été l’une des plus favorisées à cet égard; et comme le dossier qui la concerne est complet, je vais la prendre pour exemple et pour type. Le lecteur verra par les deux tableaux qui suivent quelles sont à la fois la destination et la direction des vins de ce département.


DÉVELOPPEMENT DES QUANTITÉS DE VINS EXPÉDIÉS PAR ACQUIT A CAUTION.


Les villes de province qui ont reçu les plus fortes quantités de vin sont Limoges, Poitiers, Guéret, Civray, Mont-morillon, Bellac, Rochechouart, Libourne, Melle, Jonzac, Versailles, Lille, Amiens, Rennes.

A côté des vins se placent les eaux-de-vie, qui en sont le produit direct. Quand elles sont pures, ces eaux-de-vie possèdent des qualités exceptionnelles qui ont fondé leur célébrité dans l’ancien et le nouveau monde. Prises à petite dose, elles sont hygiéniques; mais sophistiquées et absorbées à haute dose, elles ont le caractère noscif des liqueurs alcooliques ordinaires, et méritent la censure du moraliste. L’observation montre que dans ce département il faut en moyenne 7 hectolitres et demi de vin pour produire à la distillation 1 hectolitre d’eau-de-vie. Or, si on considère les tableaux dressés ci-dessus, et qu’on mette en regard, d’un côté, la somme de vin récoltée et livrée aux bouilleurs, et de l’autre la quantité d’eau-de-vie jetée par le commerce dans la consommation générale, on voit combien est vaste le champ de la fraude, combien est grande la part des esprits de grains et de betterave étendus d’eau dans la fabrication des eaux-de-vie dites de Charente. De là l’urgente nécessité de mettre un frein à ces coupables immixtions.

Dans son Recueil d’observations relatives à l’Angoumois, publié en 1779, Munier disait: «La principale richesse de

«l’Angoumois consiste dans le bénéfice de la vente de ses

«vins et de ses eaux-de-vie. Il est quelquefois sorti de

«l’élection d’Angoulême 35,000 barriques de vin, qui

«étaient exportées en Poitou et dans les autres provinces

«voisines... Il sortait de cette même élection environ

«7,000 barriques d’eau-de-vie qu’on embarquait pour

«l’Angleterre, la Hollande, Hambourg, Dantzic, la Suède,

«le Danemark, Cadix, etc... On en transportait aussi par

«terre pour la provision de Paris.» Depuis cette époque le courant commercial n’a pas changé, seulement il s’est agrandi. La population d’origine européenne qui habitait alors l’Amérique du Nord se composait d’un petit nombre d’hommes aux mœurs simples et austères, peu enclins à faire usage de liqueurs alcooliques. Mais, depuis, les mœurs se sont transformées, les appétits ont augmenté, la population a pris un accroissement considérable, et les États-Unis d’Amérique sont devenus un des principaux débouchés pour nos eaux-de-vie.

Il est difficile de savoir quelle était, il y a un siècle, l’étendue de nos vignobles. Mais si l’on considère, d’une part, le mouvement commercial qui existait à cette époque, l’absence de fraude des spiritueux de la contrée; de l’autre, l’étendue moindre de l’ancienne élection d’Angoulême par rapport au département actuel de la Charente, on reste convaincu que la vigne occupait alors de larges surfaces et se trouvait cultivée avec soin. Quant à nous, il est facile d’indiquer, par les documents officiels, la quantité actuelle de terrains consacrés à la vigne dans notre circonscription départementale. Voici les chiffres relevés sur les derniers tableaux statistiques:


Comme la superficie de notre département est de 594,554 hectares, il en résulte que le sixième de son étendue se trouve couvert de vignes.

Examinons maintenant les cépages d’où dérivent nos vins et nos eaux-de-vie et quelles sont les améliorations qu’il conviendrait d’y introduire.

Étude sur la viticulture et la vinification dans le département de la Charente

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