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XIXE NUIT

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Sire, reprit Scheherazade, après que la magicienne eut donné cent coups de nerf de bœuf au roi son mari, elle le revêtit du gros habillement de poils de chèvre et de la robe de brocart par-dessus. Elle alla ensuite au Palais des Larmes; et, en y entrant, elle renouvela ses pleurs, ses cris et ses lamentations; puis s'approchant du lit où elle croyait que le noir était toujours: Quelle cruauté, s'écria-t-elle, d'avoir ainsi tranché le cours d'une si belle vie! O toi! qui me reproches que je suis trop inhumaine quand je te fais sentir les effets de mon ressentiment, cruel prince! ta barbarie ne surpasse-t-elle pas celle de ma vengeance? Hélas! ajouta-t-elle en adressant la parole au sultan, croyant parler au noir, garderez-vous toujours le silence? Êtes-vous résolu à me laisser mourir sans me donner la consolation de me dire encore que vous m'aimez? Mon âme, dites-moi au moins un mot, je vous en conjure.

Alors le sultan, feignant de sortir d'un profond sommeil et contrefaisant le langage des noirs, répondit à la reine, d'un ton grave: Il n'y a de force et de pouvoir qu'en Dieu seul, qui est tout-puissant. A ces paroles, la magicienne, qui ne s'y attendait pas, fit un grand cri pour marquer l'excès de sa joie. Mon cher seigneur, s'écria-t-elle, ne me trompé-je pas? est-il bien vrai que je vous entends, et que vous me parlez? Malheureuse, reprit le sultan, es-tu digne que je réponde à tes discours? Et pourquoi, répliqua la reine, me faites-vous ce reproche? Les cris, repartit-il, les pleurs et les gémissements de ton mari, que tu traites tous les jours avec tant d'indignité et de barbarie, m'empêchent de dormir nuit et jour. Il y a longtemps que je serais guéri, et que j'aurais recouvré l'usage de la parole, si tu l'avais désenchanté: voilà la cause de ce silence que je garde, et dont tu te plains. Eh bien! dit la magicienne, pour vous apaiser je suis prête à faire ce que vous me commanderez; voulez-vous que je lui rende sa première forme? Oui, répondit le sultan, et hâte-toi de le mettre en liberté, afin que je ne sois plus incommodé de ses cris.

La magicienne sortit aussitôt du Palais des Larmes. Elle prit une tasse d'eau, et prononça dessus des paroles qui la firent bouillir comme si elle eût été sur le feu. Elle alla ensuite à la salle où était le jeune roi son mari; elle jeta de cette eau sur lui en disant: Si le Créateur de toutes choses t'a formé tel que tu es présentement, ou s'il est en colère contre toi, ne change pas; mais si tu n'es dans cet état que par la vertu de mon enchantement, reprends ta forme naturelle, et redeviens tel que tu étais auparavant. A peine eut-elle achevé ces mots, que le prince, se retrouvant dans son premier état, se leva librement, avec toute la joie qu'on peut s'imaginer, et il en rendit grâce à Dieu. La magicienne, reprenant la parole: Va, lui dit-elle, éloigne-toi de ce château, et n'y reviens jamais, ou bien il t'en coûtera la vie.

Le jeune roi, cédant à la nécessité, s'éloigna de la magicienne sans répliquer, et se retira dans un lieu écarté, où il attendit impatiemment le succès du dessein dont le sultan venait de commencer l'exécution avec tant de bonheur.

Cependant la magicienne retourna au Palais des Larmes; et en entrant, comme elle croyait toujours parler au noir: Cher ami, lui dit-elle, j'ai fait ce que vous m'avez ordonné: rien ne vous empêche de vous lever, et de me donner par là une satisfaction dont je suis privée depuis si longtemps.

Le sultan continua de contrefaire le langage des noirs. Ce que tu viens de faire, répondit-il d'un ton brusque, ne suffit pas pour me guérir; tu n'as ôté qu'une partie du mal, il en faut couper jusqu'à la racine. Mon aimable noiraud, reprit-elle, qu'entendez-vous par la racine? Malheureuse, repartit le sultan, ne comprends-tu pas que je veux parler de cette ville et de ses habitants, et des quatre îles que tu as détruites par tes enchantements? Tous les jours à minuit, les poissons ne manquent pas de lever la tête hors de l'étang, et de crier vengeance contre moi et contre toi. Voilà le véritable sujet du retardement de ma guérison. Va promptement rétablir les choses en leur premier état, et à ton retour, je te donnerai la main, et tu m'aideras à me lever.

La magicienne, remplie de l'espérance que ces paroles lui firent concevoir, s'écria, transportée de joie: Mon cœur, mon âme, vous aurez bientôt recouvré votre santé, car je vais faire ce que vous me commandez. En effet, elle partit dans le moment, et lorsqu'elle fut arrivée sur le bord de l'étang, elle prit un peu d'eau dans sa main, et en fit une aspersion dessus...

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