Читать книгу La Collection Intégrale de Sherlock Holmes - Arthur Conan Doyle - Страница 42

S

Оглавление

– Pas le moindre doute. C’est Neville qui a écrit ces mots-là.

– Et ils ont été mis à la poste de Gravesend aujourd’hui. Eh bien, Madame Saint-Clair, les nuages s’éclaircissent, bien que je ne me risquerais pas à dire que le danger soit passé !

– Mais il doit être vivant, Monsieur Holmes.

– A moins que ce ne soit là un faux très habile pour nous lancer sur une fausse piste. La bague, après tout, ne prouve rien. On peut la lui avoir prise.

– Non, non ! c’est bien, absolument bien, son écriture.

– D’accord ! Pourtant ce billet a pu être écrit lundi et mis à la poste aujourd’hui seulement.

– C’est possible.

– S’il en est ainsi, bien des choses ont pu survenir depuis.

– Oh ! il ne faut pas me décourager, Monsieur Holmes. Je sais qu’il ne court aucun danger. Il y a entre nous tant d’affinités que s’il lui arrivait malheur je le saurais, je le sentirais. Le jour même où je l’ai vu pour la dernière fois, il s’est coupé. Il était dans la chambre à coucher et moi, de la salle à manger où j’étais, je me suis sur-le-champ précipitée au premier, car j’étais certaine que quelque chose venait de lui arriver. Croyez-vous que j’aurais été sensible à une telle bagatelle et que, malgré cela, j’ignorerais sa mort ?

– J’ai vu trop de choses pour ne pas savoir que les impressions d’une femme peuvent être de plus de poids que les conclusions analytiques d’un logicien. Et vous avez certainement, en cette lettre, une preuve importante pour corroborer votre façon de voir. Mais Si votre mari est vivant et s’il peut écrire, pourquoi resterait-il loin de vous ?

– Je ne saurais l’imaginer. C’est inconcevable.

– Et lundi, avant de vous quitter, il n’a fait aucune remarque ?

– Non.

– Et vous avez été surprise de le voir dans Swandam Lane ?

– Très surprise.

– La fenêtre était-elle ouverte ?

– Oui.

– Alors il aurait pu vous appeler ?

– C’est vrai.

– Et, d’après ce que je sais, il a seulement poussé un cri inarticulé ?

– Oui.

– C’était, pensiez-vous, un appel au secours.

– Oui, il a agité les mains.

– Mais ce pouvait être un cri de surprise. L’étonnement en vous voyant de façon inattendue a pu lui faire jeter les bras en l’air.

– C’est possible.

– Et vous avez pensé qu’on le tirait en arrière.

– Il a disparu si brusquement.

– Il a pu faire un bond en arrière. Vous n’avez vu personne d’autre dans la pièce ?

– Non, mais cet homme horrible a avoué qu’il y était, et Lascar était au pied de l’escalier.

– Exactement. Votre mari, autant que vous avez pu voir, portait ses vêtements ordinaires ?

– A l’exception de son col ou de sa cravate. J’ai vu nettement sa gorge nue.

– Avait-il jamais parlé de Swandam Lane ?

– Jamais.

– Vous avait-il jamais laissé percevoir à certains signes, qu’il avait fumé de l’opium ?

– Jamais.

– Merci, Madame Saint-Clair ; ce sont là les points principaux sur lesquels je désirais être absolument renseigné. Nous allons maintenant souper légèrement et nous nous retirerons, car nous aurons peut-être demain une journée très occupée.

On avait mis à notre disposition une grande et confortable chambre à deux lits et je fus rapidement entre mes draps, car je me sentais fatigué après cette nuit d’aventures. Sherlock Holmes, cependant, était un homme qui, quand il avait en tête un problème à résoudre, passait des jours et même une semaine sans repos, à tourner et retourner son problème, à réarranger les faits, à les considérer sous tous les points de vue, jusqu’à ce qu’il en eût complètement pris la mesure ou qu’il se fût convaincu que ses données étaient insuffisantes. Pour moi, il fut bientôt évident qu’il se préparait en vue d’une veillée qui durerait toute la nuit. Il enleva son habit et son gilet, endossa une ample robe de chambre bleue, puis erra dans la pièce pour rassembler les oreillers du lit, et les coussins du canapé et ceux des fauteuils. Il en construisît une sorte de divan oriental sur lequel il se percha, les jambes croisées, avec, devant lui, un paquet de tabac ordinaire et une boîte d’allumettes. Dans la vague lumière de la lampe, je le voyais là, assis, une vieille pipe de bruyère entre les dents, les yeux perdus attachés à un coin du plafond, la fumée bleue montant au-dessus de lui et la lumière mettant en relief ses traits aquilins. Tel il était, silencieux et immobile, quand je m’endormis, tel je le retrouvai quand un cri subit m’éveilla. Le soleil d’été brillait dans notre chambre. Sherlock Holmes avait toujours sa pipe entre les dents, la fumée montait toujours en volutes et la chambre était pleine d’un intense brouillard de tabac ; il ne restait d’ailleurs plus rien du paquet de tabac que j’avais vu la veille.

– Réveillé, Watson ? demanda-t-il.

– Oui.

– Dispos pour une course matinale ?

– Certainement.

– Alors, habillez-vous.

– Personne ne bouge encore, mais je sais où couche le garçon d’écurie et nous aurons bientôt la voiture.

Ce disant, il riait sous cape, ses yeux pétillaient et il avait l’air d’un homme totalement différent du sombre penseur de la veille.

Tout en m’habillant, j’ai regardé ma montre. Il n’y avait rien de surprenant que personne ne bougeât. Il était quatre heures vingt-cinq. J’avais à peine fini que Holmes revenait et m’annonçait que le garçon était en train d’atteler.

– Je vais mettre à l’épreuve une de mes théories, dit-il en enfilant ses chaussures. Je crois, Watson, que vous êtes en ce moment en présence d’un des plus parfaits imbéciles de l’Europe. Je mérite un coup de pied qui m’enverrait à tous les diables ; mais je crois que je tiens maintenant la clé de l’affaire.

– Et où est-elle ? demandai-je en souriant.

– Dans la salle de bains. Vraiment, je ne plaisante pas, continua-t-il devant mon air d’incrédulité. J’en viens et je l’ai prise, et je l’ai là, dans mon sac de voyage. Venez, mon cher, et nous verrons si elle va dans la serrure.

Nous sommes descendus aussi doucement que possible et nous sommes sortis dans l’éclatant soleil du matin. Le cheval et la carriole étaient sur la route, avec, à la tête de la bête, le garçon d’écurie à moitié habillé. Nous avons sauté en voiture et à toute vitesse nous avons pris le chemin de Londres. Quelques charrettes seulement, chargées de légumes pour la capitale, s’avançaient sur la route, mais les villas qui la bordent de chaque côté étaient silencieuses et mortes comme celles d’une ville de rêve.

– Sous certains rapports, dit Holmes, en touchant du fouet le cheval pour lui faire prendre le galop, j’avoue que j’ai été aussi aveugle qu’une taupe, mais quand il s’agit d’apprendre la sagesse, mieux vaut tard que jamais.

En ville les tout premiers levés, encore à demi endormis, commençaient tout juste à mettre le nez à la fenêtre, que nous roulions déjà le long des rues du côté du Surrey. Suivant la route du pont de Waterloo, nous avons traversé la rivière et, tournant brusquement à droite par Wellington Street, nous nous sommes trouvés dans Bow Street. Sherlock Holmes était bien connu au commissariat central et les deux agents à la porte le saluèrent. L’un d’eux tint la bride du cheval pendant que l’autre nous faisait entrer.

– Qui est de service ? demanda Holmes.

– L’inspecteur Bradstreet, Monsieur.

– Ah ! Bradstreet, comment allez-vous ?

– Un fonctionnaire grand et corpulent s’était avancé dans le couloir dallé. Il avait sur la tête un calot pointu et était vêtu d’un habit à brandebourgs.

– Je voudrais vous dire deux mots, Bradstreet.

– Certainement, Monsieur Holmes. Entrez dans ma pièce, ici.

C’était une petite pièce qui avait des airs de bureau avec un énorme registre sur la table et un téléphone à demi encastré dans le mur. L’inspecteur s’assît à son pupitre.

– Et que puis-je pour vous, Monsieur Holmes ?

– C’est à propos de ce mendiant Boone, celui qui est impliqué dans la disparition de M. Neville Saint-Clair, de Lee.

– Oui, on l’a amené ici hier et on le garde à notre disposition pour plus ample informé.

– C’est ce qu’on m’a dit. Vous l’avez ici ?

– En cellule.

– Est-il calme ?

– Oh ! il ne donne aucun embarras. Il est seulement d’une saleté !

– Sale ?

– Oui, c’est tout ce que nous pouvons faire que de le faire se laver les mains, et son visage est aussi noir que celui d’un ramoneur. Ah ! une fois son affaire réglée, on lui fera prendre quelque chose comme bain, je vous le promets et je crois que si vous le voyiez, vous seriez d’accord avec moi pour dire qu’il en a besoin.

– Je voudrais bien le voir.

– Vraiment ? C’est facile. Venez par ici. Vous pouvez laisser votre sac.

– Non, je crois que je vais le prendre.

– Très bien. Venez par ici, s’il vous plaît.

Il nous guida le long d’un couloir, ouvrît une porte barricadée, descendit un escalier tournant et nous amena dans un corridor blanchi à la chaux avec une rangée de portes de chaque côté.

– La troisième à droite, c’est la sienne ! dit l’inspecteur. C’est ici !

Il fit sans bruit glisser un panneau dans la partie supérieure de la porte et regarda à l’intérieur.

– Il dort, dit-il. Vous pouvez très bien le voir.

Nous regardâmes tous les deux par le grillage. Le prisonnier était couché, le visage tourné vers nous, il dormait d’un sommeil très profond ; il respirait lentement, et avec bruit. C’était un homme de taille moyenne. Pauvrement habillé comme il convenait à sa profession, il portait une chemise de couleur qui sortait par une déchirure de son vêtement en guenilles. Il était, comme le policier nous l’avait dit, extrêmement sale ; toutefois la saleté qui couvrait son visage ne pouvait cacher sa laideur repoussante. Une large couture, résultant d’une vieille cicatrice, courait de l’œil au menton et, par sa contraction, avait retourné une partie de la lèvre supérieure de telle sorte que trois dents qui restaient perpétuellement visibles lui donnaient un air hargneux. Une tignasse de cheveux d’un rouge vif descendait sur ses yeux et sur son front.

– C’est une beauté, hein ? dit l’inspecteur.

– Il a certainement besoin qu’on le lave, observa Holmes. Je m’en doutais et j’ai pris la liberté d’en apporter avec moi les moyens.

Tout en parlant, il ouvrit son sac de voyage et en sortit, à mon grand étonnement, une très grosse éponge de bain.

– Hi ! Hi ! vous êtes un rigolo ! dit l’inspecteur en riant à demi.

– Maintenant, Si vous voulez bien avoir la grande amabilité d’ouvrir cette porte tout doucement, nous lui ferons bientôt prendre une figure beaucoup plus respectable.

– Pourquoi pas, je n’y vois pas d’objection. Il ne fait pas honneur aux cellules de Bow Street, hein ?

Il glissa sa clé dans la serrure et, sans bruit, nous pénétrâmes dans la cellule. Le dormeur se retourna à demi et tout de suite se remit à dormir profondément. Holmes se pencha sur la cruche à eau, y mouilla son éponge, puis, à deux reprises, en frotta avec vigueur le visage du prisonnier de haut en bas et de droite à gauche.

– Permettez-moi de vous présenter, cria-t-il, M. Neville Saint-Clair, de Lee, dans le comté de Kent !

Jamais de ma vie je n’ai vu pareil spectacle. Le visage de l’homme pela sous l’éponge comme l’écorce d’un arbre. Disparurent également l’horrible cicatrice qui couturait ce visage et la lèvre retournée qui lui donnait son hideux ricanement. Une légère secousse détacha les cheveux roux emmêlés et, assis devant nous, dans son lit, il ne resta plus qu’un homme pâle, au visage morose et à l’air distingué, qui se frottait les yeux et regardait autour de lui, abasourdi et encore endormi. Puis, se rendant tout à coup compte qu’il était démasqué, il poussa un cri perçant et se rejeta sur le lit, le visage contre l’oreiller.

– Bon Dieu s’écria l’inspecteur, en effet, c’est bien le disparu. Je le reconnais par sa photo.

Le prisonnier se retourna, avec l’air insouciant d’un homme qui s’abandonne à son destin.

– D’accord, dit-il, mais, je vous en prie, de quoi m’accuse-t-on ?

– D’avoir fait disparaître M. Neville Saint… Oh ! au fait, on ne peut pas vous accuser de ça, à moins qu’on ne vous poursuive pour tentative de suicide, dit l’inspecteur avec une grimace. Eh bien, il y a vingt-sept ans que je suis dans la police, mais ça, en vérité, ça décroche la timbale !

– Si je suis M. Neville Saint-Clair, il est évident alors qu’il n’y a pas eu de crime et que, par conséquent, on me détient illégalement.

– Il n’y a pas eu de crime, dit Holmes, mais une grosse erreur a été commise. Vous auriez mieux fait d’avoir confiance en votre femme.

– Ce n’était pas pour ma femme, c’était à cause des enfants… grommela le prisonnier. Seigneur ! Je ne voulais pas qu’ils eussent honte de leur père. Mon Dieu ! être ainsi démasqué ! Que faire ?

Sherlock Holmes s’assit à côté de lui sur la couchette et avec bonté lui tapa sur l’épaule.

– Si vous laissez un tribunal débrouiller la chose, dit-il, vous ne pourrez, bien entendu, éviter la publicité. D’autre part, si vous persuadez la police qu’il n’y a pas lieu d’intenter une action contre vous, il n’y a pas, que je sache, la moindre raison pour que les détails soient communiqués aux journaux. L’inspecteur Bradstreet, j’en suis sûr, prendrait note de tout ce que vous pourriez nous dire et le soumettrait aux autorités compétentes. En ce cas, votre affaire n’irait jamais devant un tribunal.

– Dieu vous bénisse ! s’écria le prisonnier avec véhémence. J’aurais enduré la prison, et davantage, la pendaison même, plutôt que de laisser mon misérable secret devenir une tare familiale aux yeux de mes enfants.

« Vous serez les premiers à connaître mon histoire. Mon père était maître d’école à Chesterfield où j’ai reçu une excellente éducation. J’ai voyagé dans ma jeunesse, j’ai fait du théâtre et finalement je suis devenu reporter dans un journal du soir de Londres. Un jour, mon rédacteur en chef désira avoir une série d’articles sur la mendicité dans la capitale, et je m’offris pour les faire. Ce fut le point de départ de toutes mes aventures. Ce n’était qu’en essayant de mendier en amateur que je pouvais entrer en possession des faits sur lesquels je bâtissais mes articles. Au temps que j’étais acteur, j’avais naturellement appris tous les secrets de l’art de se grimer, et mon habileté m’avait rendu célèbre dans la profession. Je me peignis donc le visage et pour me rendre aussi pitoyable que possible, je me fis une belle cicatrice tout en immobilisant un des côtés de ma lèvre, retroussée au moyen d’une petite bande de taffetas couleur de chair. Et puis, avec une perruque rousse et des vêtements de circonstance, je me suis installé dans le coin le plus fréquenté de la Cité, avec l’air de vendre des allumettes, mais en fait, en demandant la charité. Pendant sept heures j’exerçai mon métier et quand je rentrai le soir chez moi, je découvris, à ma grande surprise, que je n’avais pas reçu moins de vingt-six shillings et quatre pence.

« J’écrivis mes articles et je ne pensais plus guère à cette aventure quand, un peu plus tard, après avoir endossé une traite pour un ami, je reçus une assignation d’avoir à payer trente-cinq livres. Je ne savais que faire ni où me procurer l’argent, quand une idée me vint. J’ai demandé un délai de quinze jours à mon créancier et un congé à mon journal et j ‘ai passé ce temps à mendier dans la Cité, déguisé comme vous savez. En dix jours j’avais l’argent et la dette était payée.

« Vous pouvez imaginer qu’il était dur de se remettre à un travail fatigant pour deux livres par semaine quand je savais que je pouvais gagner autant en une seule journée rien qu’en me barbouillant la face avec un peu de couleur, et en demeurant tranquillement assis à côté de ma casquette posée par terre. Il y eut un long débat entre mon orgueil et l’argent, mais les livres l’emportèrent en fin de compte. Je renonçai au reportage et, jour après jour, dans le coin que j’avais choisi d’emblée, je m’assis, inspirant la pitié par mon lugubre visage et remplissant mes poches de sous. Un seul homme connaissait mon secret. C’était le tenancier du bouge où je logeais dans Swandam Lane. Je pouvais chaque matin en sortir sous l’aspect d’un mendiant crasseux et, le soir, m’y transformer en un monsieur bien habillé. Cet individu – un certain Lascar – je le payais si largement pour sa chambre, que je savais que mon secret ne risquait rien en sa possession.

« J’ai bientôt constaté que je mettais de côté des sommes considérables. Je ne prétends pas que n’importe quel mendiant des rues de Londres peut gagner sept cents livres par an – et c’est là moins que je ne me faisais en moyenne – mais j’avais des avantages exceptionnels, grâce à ma science du maquillage et aussi grâce à une facilité de repartie qui devint plus grande par l’habitude et qui fit de moi un type bien connu de la Cité. Toute la journée une pluie de sous, agrémentée de piécettes d’argent, tombait sur moi et c était une bien mauvaise journée que celle où je ne recueillais pas mes deux livres.

« A mesure que je devenais plus riche, je devenais plus ambitieux ; je pris une maison à la campagne et un beau jour je me suis marié sans que personne soupçonnât mon véritable métier. Ma chère femme savait que j’étais occupé dans la Cité ; elle ne savait guère à quoi.

« Lundi dernier, j’avais fini ma journée et je m’habillais dans ma chambre au-dessus de la fumerie d’opium quand je regardai par la fenêtre et je vis, avec horreur et surprise, que ma femme était là, dans la rue, les yeux en plein fixés sur moi. J’ai poussé un cri de surprise, j’ai levé les bras pour cacher mon visage et, me précipitant vers mon confident, vers Lascar, je l’ai supplié d’empêcher qui que ce fût de monter dans ma chambre. J’ai entendu en bas la voix de ma femme, mais je savais qu’elle ne pourrait pas monter. Rapidement j’ai enlevé mes vêtements, j’ai endossé ceux du mendiant, j’ai mis mes fards et ma perruque. Même les yeux d’une épouse ne pouvaient pas percer un déguisement aussi complet. Mais il me vint alors à la pensée qu’on pourrait fouiller la pièce et que mes vêtements risquaient de me trahir. J’ai vivement ouvert la fenêtre – mouvement violent qui fît se rouvrir une petite coupure que je m’étais faite dans notre chambre à coucher ce matin-là. Là-dessus, j’ai saisi mon habit qui était alourdi par les sous que je venais d’y mettre, en les déversant du sac de cuir dans lequel je fourrais mes gains. Je l’ai lancé par la fenêtre et il a disparu dans la Tamise. Les autres vêtements auraient suivi, mais à ce moment-là les agents grimpaient l’escalier quatre à quatre et, quelques minutes plus tard, je constatai – ce qui me fit plutôt plaisir, je l’avoue – qu’au lieu d’identifier en moi M. Neville Saint-Clair, on m’arrêtait comme son assassin.

« Je ne crois pas qu’il y ait autre chose à vous expliquer. J’étais bien résolu à garder mon déguisement aussi longtemps que possible, ce qui explique ma répugnance à me laver. Sachant que ma femme serait en proie à une terrible anxiété, j’ai enlevé ma bague et je l’ai confiée à Lascar à un moment où aucun agent ne me surveillait. J’ai griffonné en même temps quelques mots pour lui dire qu’il n’y avait aucune raison d’avoir peur.

– Ce billet ne lui est parvenu qu’hier, dit Holmes.

– Grand Dieu ! Quelle semaine elle a dû passer !

– La police surveillait Lascar, dit l’inspecteur Bradstreet, et je comprends sans peine qu’il ait trouvé quelque difficulté à expédier cette lettre sans qu’on le voie. Peut-être l’a-t-il passée à un de ses clients, à un marin qui l’aura complètement oubliée pendant quelques jours.

– C’est bien cela, dît Holmes, approuvant d’un signe de tête. Je n’en doute point. Mais vous n’avez donc jamais été poursuivi pour mendicité ?

– Que si ! maintes fois ; mais qu’était-ce qu’une amende pour moi ?

– Il va pourtant falloir que ça cesse, dit Bradstreet. Pour que la police consente à faire le silence sur cette affaire, il faudra qu’il n’y ait plus de Hugh Boone.

– Je l’ai juré par le serment le plus solennel que puisse faire un homme.

– En ce cas, je crois que ça n’ira probablement pas plus loin. Mais Si on vous y reprend, alors tout se saura. Pour sûr, Monsieur Holmes, que nous vous sommes fort obligés d’avoir éclairci cette affaire. Je voudrais bien savoir comment vous obtenez ces résultats-là !

– J’ai obtenu celui-ci, dit mon ami, en restant assis sur cinq coussins et en brûlant un paquet de tabac. Je crois, Watson, que si nous rentrons à Baker Street en voiture, nous y serons juste à temps pour le déjeuner.

La Collection Intégrale de Sherlock Holmes

Подняться наверх