Читать книгу Micah Clarke – Tome III. La Bataille de Sedgemoor - Артур Конан Дойл, Исмаил Шихлы - Страница 2
II – La Bataille dans la Cathédrale de Wells
ОглавлениеMe voici maintenant bel et bien lié aux roues du char de l'histoire, mes chers enfants, me voici tenu d'indiquer au fur et à mesure les noms, les lieux, les dates, quelque alourdissement qu'il en résulte pour mon récit.
Alors que se déroulait un pareil drame, il serait impertinent de parler de moi, si ce n'est comme le témoin ou l'auditeur de ce qui peut vous faire paraître plus vivantes ces scènes d'autrefois.
Il n'est point agréable pour moi de m'étendre sur ce sujet, mais convaincu, ainsi que je le suis, que le hasard ne joue aucun rôle dans les grandes ou les petites affaires de ce monde, j'ai la ferme croyance que les sacrifices de ces braves gens ne furent point perdus, que leurs efforts ne se dépensèrent point en pure perte, comme on le dirait peut-être à première vue.
Si la race perfide des Stuarts n'est plus maintenant sur le trône, et si la religion de l'Angleterre est encore une plante qui se développe librement, nous en sommes, selon moi, redevables à ces patauds du Comté de Somerset.
Ils furent les premiers à faire voir combien il faudrait peu de chose pour ébranler le trône d'un monarque impopulaire.
L'armée de Monmouth ne fut que l'avant-garde de celle qui marcha sur Londres, trois ans plus tard, lorsque Jacques et ses cruels ministres fuyaient, abandonnés de tous, à la surface de la terre.
Dans la nuit du 27 juin, ou plutôt dans la matinée du 28, nous arrivâmes à la ville de Frome, très mouillés, dans un état lamentable, car la pluie avait recommencé, et toutes les routes étaient des fondrières boueuses.
De là, nous partîmes le lendemain pour Wells.
On y passa la nuit et tout le jour suivant, pour donner aux hommes le temps de sécher leurs habits et de se refaire après leurs privations.
Dans l'après-midi, une revue de notre régiment du comté de Wills eut lieu dans le parvis de la cathédrale, et Monmouth nous fit des éloges, bien mérités d'ailleurs, pour les progrès accomplis en si peu de temps dans notre allure martiale.
Comme nous retournions à nos quartiers, après avoir renvoyé nos hommes, nous aperçûmes une grande foule des grossiers mineurs d'Oare et de Bagworthy rassemblés sur la place en face de la cathédrale, et écoutant l'un d'eux, qui les haranguait du haut d'un char.
Les gestes farouches et violents de cet homme prouvaient que c'était un de ces sectaires extrêmes en qui la religion court le danger de tourner à la folie furieuse.
Les bruits sourds et les gémissements qui montaient des rangs de la foule marquaient, cependant, que ses paroles ardentes étaient bien d'accord avec les dispositions de son auditoire.
Aussi nous fîmes une halte tout près de la foule, pour écouter son discours.
C'était un homme à barbe rouge, à la figure farouche, avec une toison en désordre qui retombait sur ses yeux luisants, et doué d'une voix rauque qui retentissait dans toute la place.
– Que ne ferons-nous pas pour le Seigneur, criait-il, que ne ferons-nous pas pour le Saint des Saints? Pourquoi sa main s'appesantit-elle sur nous? Pourquoi n'avons-nous pas délivré ce pays, ainsi que Judith délivra Béthulie?
Voyez-vous, nous avons attendu en paix, et il n'en est résulté rien de bon, et pour un temps de santé, nous vivons dans la peine.
Pourquoi cela, vous dis-je?
En vérité, frères, c'est parce que nous avons agi à la légère avec le Seigneur, parce que nous n'avons pas été entièrement de cœur avec lui.
Oui, nous l'avons loué en paroles, mais par nos actions, nous lui avons témoigné de la froideur.
Vous le savez bien, le Prélatisme est chose maudite, qui mérite les sifflets, une chose qui est une abomination aux yeux du Tout-Puissant.
Et cependant, qu'est-ce que nous avons fait pour lui en cette circonstance, nous, ses serviteurs?
N'avons-nous pas vu des églises prélatistes, églises des formes et des apparences, où la créature est confondue avec le Créateur?
Ne les avons-nous pas vues, dis-je, et cependant n'avons-nous pas négligé de les balayer au loin, et ainsi ne les avons-nous pas sanctionnées?
Le voilà le péché d'une génération tiède et prête à reculer!
La voilà la cause pour laquelle le Seigneur regarde avec froideur son peuple!
Voyez, à Shepton et à Frome, nous avons laissé derrière nous de pareilles églises.
À Gastonbury aussi, nous avons épargné ces murailles coupables qui furent élevées par les mains des idolâtres de jadis.
Malheur à vous, si après avoir mis la main à la charrue du Seigneur, vous tournez le dos à la besogne!
Regardez par ici…
Et sur ces mots, il se tourna vers la belle cathédrale:
– Que signifie cet amas de pierre? N'est-ce point un autel de Baal?
Ne fut-il point construit pour le culte de l'homme et non pour celui de Dieu.
N'est-ce point ici que le nommé Ken, paré de son sot rochet, de ses joyaux puérils, peut prêcher des doctrines sans âme, et menteuses, lesquelles ne sont que le vieux ragoût du Papisme servi sous un nom nouveau?
Est-ce que nous souffririons pareille chose?
Est-ce que nous, les enfants choisis du Grand Être, nous laisserons subsister cette tache pestiférée!
Pouvons-nous compter sur l'aide du Tout-Puissant, si nous n'étendons pas la main pour venir à son aide?
Nous avons laissé derrière nous les autres temples du Prélatisme, laisserons-nous aussi celui-ci debout, mes frères?
– Non, non, hurla la foule, agitée par des mouvements d'orage.
– Allons-nous le démolir jusqu'à ce qu'il n'en reste pas pierre sur pierre?
– Oui! Oui! cria-t-on.
– Maintenant? Tout de suite?..
– Oui, oui!
– Alors, à l'œuvre! cria-t-il, et s'élançant à bas de son char, il se précipita vers la cathédrale, suivi de près par la tourbe d'enragés fanatiques.
Les uns s'amassèrent, hurlant, vociférant, pour franchir les portes ouvertes.
D'autres, en essaims, grimpaient aux piliers et aux piédestaux de la façade, martelaient les ornements sculptés, se cramponnaient aux vieilles et grises statues de pierre qui occupaient chaque niche.
– Il faut mettre un terme à ce désordre, dit Saxon d'un ton bref. Nous ne pouvons laisser insulter et salir toute l'Église d'Angleterre pour plaire à une bande de braillards à la tête échauffée. Le pillage de cette cathédrale ferait plus de tort à notre cause que la perte d'une bataille rangée. Amenez votre compagnie, Sir Gervas. Pour nous, nous ferons de notre mieux pour les retenir jusque-là.
– Hé, Masterton, cria le baronnet, apercevant un de ses sous-officiers dans un groupe qui se contentait de regarder, sans aider ni empêcher les émeutiers. Courez au quartier et dites à Barker de former la compagnie, la mèche allumée. Je puis être de quelque utilité ici.
– Ah! voici Buyse, s'écria joyeusement Saxon, en voyant le colosse allemand se frayer passage à travers la foule, et, Lord Grey aussi. Il faut que nous sauvions la cathédrale, mylord. Ils la mettraient à sac et la brûleraient.
– Par ici, gentilshommes, s'écria un homme âgé, aux cheveux gris, qui accourait à nous les bras tendus, un trousseau de clef sonnant à sa ceinture. Oh! hâtez-vous, gentilshommes, si vous avez vraiment quelque autorité sur ces gens sans principes. Ils ont abattu saint Pierre, et ils finiront par démolir saint Paul, s'il n'arrive pas de secours. Il ne restera pas un Apôtre. Ils ont apporté un tonneau de bière et ils sont en train de le défoncer sur le maître-autel. Oh! Hélas! Peut-on voir chose pareille dans un pays chrétien!
Il eut un bruyant sanglot et frappa du pied dans son désespoir et sa souffrance.
– C'est le sacristain, messieurs, dit quelqu'un de la ville. Il a vieilli dans la cathédrale.
– Voilà le chemin de la Sacristie, mylords et gentilshommes, dit le vieillard en s'ouvrant courageusement passage à travers la foule. Maintenant, quel malheur, le saint Paul est tombé aussi!
Comme il parlait, un craquement multiple s'entendit à l'intérieur de la cathédrale, annonçant une nouvelle profanation des fanatiques.
Notre guide redoubla de vitesse, et parvint enfin à une porte basse en chêne qu'il ouvrit à force de faire grincer des barreaux et craquer des gonds.
Nous nous glissâmes tant bien que mal par cette ouverture et suivîmes du pas le plus rapide le vieillard dans un corridor dallé qui débouchait dans la cathédrale par une petite porte tout près du maître-autel.
Le vaste édifice était plein d'émeutiers qui couraient de tous côtés, détruisant, brisant tout ce qu'ils pouvaient atteindre.
Un grand nombre d'entre eux étaient des fanatiques sincères, disciples du prédicant que nous avions entendu dehors, mais il y en avait d'autres que leurs figures suffisaient à désigner comme des coquins et des simples voleurs, tels que toute armée en ramasse sur son passage.
Pendant que les premiers arrachaient les statues des murailles ou lançaient les livres de prières à travers les vitraux des fenêtres, les autres déracinaient les massifs candélabres de bronze, emportant tout ce qui paraissait évidemment avoir quelque valeur.
Un individu déguenillé, huché dans la chaire, s'employait à déchirer le velours cramoisi qu'il jetait dans la foule.
Un autre avait renversé le pupitre, où on lisait les livres saints, et s'évertuait à tordre la monture de bronze pour l'enlever.
Au milieu d'une des ailes, un petit groupe avait passé une corde au cou de l'évangéliste Marc et tirait avec ardeur, si bien qu'au moment même de notre entrée, la statue oscilla quelques instants et finit par s'abattre à grand bruit sur les dalles de marbre.
Les vociférations, qui accompagnaient chaque nouvelle profanation, le craquement des boiseries démolies, des fenêtres brisées, le bruit sourd de la maçonnerie qui tombait, tout cela faisait un vacarme des plus assourdissants, auquel s'ajoutait le ronflement de l'orgue, que plusieurs émeutiers firent taire enfin en crevant les soufflets.
Le spectacle qui nous frappa le plus vivement, ce fut la scène qui se passait juste en face de nous au maître-autel.
On y avait placé un tonneau de bière.
Une douzaine de bandits s'étaient groupés tout autour.
L'un d'eux, avec des gestes indécents, avait grimpé dessus et s'occupait à défoncer le tonneau à coups de hachette.
Au moment de notre entrée, il venait de réussir à l'ouvrir.
La liqueur brune sortait en moussant, pendant que la foule, avec de bruyants éclats de rire, faisait circuler des cuillers à pot et des gobelets.
Le soldat allemand lança un juron grossier, d'une voix saccadée, à ce spectacle, se frayant à coups d'épaules un passage à travers les tapageurs.
Il sauta sur l'autel.
Le meneur de l'orgie était penché sur son baril, la cruche à la main, quand la poigne de fer du soldat s'abattit sur son collet.
En un instant, ses talons battaient l'air, il avait la tête plongée d'une profondeur de trois pieds dans le tonneau, dont le contenu jaillit en écumant de tous côtés.
Par un effort vigoureux, Buyse saisit le tonneau avec le mineur à demi-noyé qui s'y trouvait et lança le tout à grand bruit sur les larges degrés de marbre qui partaient du centre de l'église.
En même temps, aidés d'une douzaine de nos hommes, qui nous avaient suivis dans la cathédrale, nous repoussâmes les camarades de l'individu et les rejetâmes derrière la grille qui séparait le chœur de la nef.
Notre attaque eut pour effet de mettre un terme à la dévastation, mais en détournant sur nous la furie des fanatiques qui, jusque là, s'exerçait sur les murs et les fenêtres.
Statues, sculptures de pierre, boiseries, tout fut abandonné par les vandales et la bande entière se précipita avec un rauque bourdonnement de rage.
Toute discipline, tout ordre disparut dans leur frénésie pieuse.
– Abattez les Prélatistes! hurlaient-ils. À bas les partisans de l'Antéchrist! Massacrons-les aux cornes mêmes de l'autel. À bas! À bas!
Ils se massèrent des deux côtés, en une cohue sauvage, à demi folle, les uns armés, les autres sans armes, mais tous, jusqu'au dernier, pleins de cette fièvre, de cette rage qui aboutissent au meurtre.
– C'est une guerre civile compliquée d'une autre guerre civile, dit Lord Grey, avec un calme sourire. Nous n'avons rien de mieux à faire que de dégainer, gentilshommes, et de défendre l'ouverture de la grille, si nous pouvons tenir bon jusqu'à ce qu'il arrive de l'aide.
Et en disant ces mots, il tira vivement sa rapière et se posta au haut des marches, entre Saxon et Sir Gervas d'un côté, Buyse, Ruben et moi de l'autre.
Il y avait juste l'espace nécessaire pour permettre à six hommes de manier efficacement leurs armes.
En conséquence, notre faible troupe d'auxiliaires se répartit le long de la grille.
Heureusement elle était assez haute et assez solide pour qu'il fût périlleux de l'escalader en présence d'adversaires.
Le désordre avait fait place à une véritable mutinerie parmi ces hommes des marais et des mines.
Les piques, les faux, les couteaux brillaient dans le demi-jour.
Les clameurs de rage étaient renvoyées en échos par les hautes voûtes du toit, comme les hurlements d'une meute de loups.
– Marchez en avant, mes frères, criait le prédicant fanatique qui avait déterminé l'explosion, marchez en avant contre eux. Peu importe qu'ils soient à une place dominante. Il y en a un qui est plus haut qu'eux. Reculerons-nous devant son œuvre à cause d'une épée nue? Souffrirons-nous que l'autel prélatiste soit sauvé par ces fils d'Amalek? En avant, en avant, au nom du Seigneur!
– Au nom du Seigneur! s'écria la foule, avec une sorte de voix haletante, accompagnée d'une sorte de sifflement, comme celui d'un homme sur le point de se lancer dans un bain glacé. Au nom du Seigneur!
Et ils arrivèrent des deux côtés, gagnant en nombre et en impulsion, si bien qu'enfin, avec un cri sauvage, ce flot se trouva devant la pointe même de nos épées.
Je ne saurais dire ce qui se passa à ma droite ou à ma gauche pendant la mêlée, car il y avait tant de gens qui nous serraient de près, et la lutte était si vive que chacun de nous ne pouvait faire plus que de se maintenir.
Le nombre même de nos agresseurs était une circonstance favorable pour nous, car il les gênait dans le maniement de l'épée.
Un gros mineur me lança un furieux coup de faux, mais il me manqua et perdit l'équilibre par suite de l'élan qu'il avait pris pour frapper, et je lui passai mon épée à travers le corps avant qu'il pût se remettre debout.
Ce fut la première fois, mes chers enfants, qu'il m'arriva de tuer un homme dans un moment de colère, et je n'oublierai jamais la figure pâle, effarée, qu'il tourna vers moi par-dessus son épaule avant de tomber.
Un autre me prit corps à corps avant que j'eusse dégagé mon arme, mais je l'écartai violemment de ma main gauche, puis j'abattis sur sa tête le plat de mon épée, et je l'étendis sans connaissance sur le pavé.
Dieu le sait, je n'avais nul désir d'ôter la vie à ces fanatiques égarés, ignorants, mais la nôtre était en jeu.
Un homme des marais, qui avait plutôt l'air d'une bête sauvage velue que d'un être humain, s'élança au dessus de mon arme et me saisit par les genoux pendant qu'un autre abattait son fléau sur mon casque, d'où le coup glissa sur mon épaule.
Un troisième me porta un coup de pique et m'atteignit à la cuisse, mais d'un coup je tranchai son arme en deux, et d'un autre je lui fendis la tête.
À cette vue, l'homme au fléau recula.
Une violente ruade me délivra de la créature sans armes, aux apparences simiesques, qui était à mes pieds, si bien que je me trouvai débarrassé de mes adversaires, sans avoir souffert de la rencontre, si ce n'est une égratignure à la cuisse et une certaine raideur dans le cou et l'épaule.
Je regardai autour de moi et je vis que mes compagnons avaient également réussi à écarter leurs agresseurs.
Saxon tenait de la main gauche sa rapière sanglante.
Le sang coulait à petites gouttes d'une blessure légère qu'il avait reçue à la main droite.
Devant lui gisaient, l'un sur l'autre, deux mineurs, mais aux pieds de Sir Gervas, il n'y avait pas moins de quatre corps entassés.
Au moment où je le regardai, il avait tiré sa tabatière et il s'inclinait devant Lord Grey, et d'un gracieux mouvement, il la lui présentait, l'air aussi insouciant que s'ils s'étaient rencontrés dans un café de Londres.
Buyse s'appuyait sur son grand sabre et considérait d'un air sombre un corps décapité, qui gisait devant lui, et qu'à ses vêtements je reconnus pour être celui du prédicant.
Pour Ruben, il était sain et sauf, mais il témoignait une vive inquiétude au sujet de ma légère entaille, malgré tout ce que je fis pour lui prouver que c'était moins grave que tant de déchirures causées par les branches ou les épines, que nous avions jadis reçues en allant ensemble cueillir les mûres.
Les fanatiques, bien qu'ils eussent été repoussés, n'étaient pas gens à s'en tenir à une première défaite.
Ils avaient perdu dix des leurs, y compris leur chef, sans arriver à forcer notre ligne, mais cet échec ne servit qu'à exaspérer leur furie.
Ils se rassemblèrent, haletants, dans une aile de l'église, pendant une ou deux minutes.
Puis, poussant un hurlement de rage, ils s'élancèrent une seconde fois et firent un effort désespéré pour se frayer un passage jusqu'à l'autel.
Cette fois, la lutte fut plus acharnée, plus prolongée que la première.
Un de nos hommes reçut un coup de poignard au cœur, à travers les barreaux et tomba sans pousser un gémissement.
Un autre fut étourdi par un bloc de maçonnerie que lança sur lui un gigantesque montagnard.
Ruben fut jeté à terre d'un coup de massue, et il aurait été traîné au dehors et haché en morceaux, si je ne m'étais pas dressé au-dessus de lui et si je n'avais pas écarté ses adversaires.
Sir Gervas perdit l'équilibre sous le flot des assaillants, mais quoique étendu à terre, il se débattait comme un chat sauvage blessé, frappant furieusement tout ce qui se trouvait à sa portée.
Buyse et Saxon, dos à dos, se tenaient debout solidement au milieu de la foule bouillonnante, qui s'élançait sur eux, et chacun de leurs coups d'épée lancés à toute volée abattait son homme.
Mais dans une pareille lutte, le nombre devait l'emporter, et pour ma part je dois reconnaître que je commençais à avoir des craintes sur le dénouement de notre querelle, quand les pas lourds d'une troupe disciplinée résonnèrent dans la cathédrale.
C'étaient les mousquetaires du baronnet qui arrivaient en hâte par la nef centrale.
Les fanatiques n'attendirent pas leur charge.
Ils s'enfuirent par-dessus les bancs, les stalles, poursuivis par nos alliés furieux de voir à terre leur bien-aimé capitaine.
Il y eut une ou deux minutes d'effarements, des bruits de pas, des coups de poignard, des plaintes sourdes, des fracas de crosses de mousquets tombant sur les dalles de marbre.
Parmi les émeutiers, quelques-uns furent tués, mais le plus grand nombre jetèrent leurs armes et furent arrêtés sur l'ordre de Lord Grey.
En même temps, une forte garde fut placée aux portes, pour s'opposer à toute nouvelle explosion de la rage sectaire.
Lorsqu'enfin la cathédrale fut vide et l'ordre rétabli, nous pûmes à loisir regarder autour de nous et nous rendre compte de ce que nous avions souffert.
Dans toutes mes pérégrinations, dans les nombreuses guerres auxquelles j'ai pris part, à côté desquelles cette affaire de Monmouth ne fut qu'une simple escarmouche, je ne vis jamais scène plus étrange ou plus émouvante.
À la faible et solennelle lueur, le tas de cadavres en avant de la grille, avec leurs membres tordus, leurs faces blêmes et contractées, avait un aspect fort mélancolique, des plus fantastiques.
La lumière du soir, passant par un des rares vitraux, qui n'avaient point été brisés, jetait de grandes taches d'un rouge vif et d'un vert livide sur l'amas de corps immobiles.
Quelques blessés étaient assis dans les stalles du premier rang ou gisaient sur les marches, demandant à boire d'une voix plaintive.
Aucun de ceux de notre petite troupe ne s'était tiré d'affaire sans égratignure.
Trois de nos hommes avaient été bel et bien égorgés; un quatrième gisait assommé.
Buyse et Sir Gervas avaient de fortes contusions, Saxon une entaille au bras droit.
Ruben avait été abattu d'un coup de gourdin et aurait été certainement massacré sans la forte trempe de la cuirasse donnée par Sir Jacob Clancing qui avait détourné un violent coup de pique.
Quant à moi, ce n'est guère la peine d'en parler, mais j'entendais dans ma tête des bourdonnements comparables au chant de la bouilloire d'une ménagère, et ma botte était pleine de sang, ce qui était peut-être un bienfait involontaire. Sneckson, notre barbier de Havant, ne cessait-il pas de me corner aux oreilles qu'après une saignée je ne m'en trouverais que mieux.
Pendant ce temps, toutes les troupes avaient été réunies et on avait écrasé la mutinerie sans retard.
Sans doute il y avait parmi les Puritains bien des gens qui ne voulaient aucun bien aux Prélatistes, mais aucun, à part les fanatiques les plus écervelés, ne pouvait se dissimuler que la mise à sac de la Cathédrale armerait toute l'Église d'Angleterre et ruinerait la cause pour laquelle ils combattaient.
En tout cas, de grands ravages avaient été commis, car, pendant que la bande du dedans s'était occupée à briser tout ce qui se trouvait sous sa main, d'autres, au dehors, avaient abattu les corniches, les gargouilles, avaient même arraché le plomb qui couvrait la toiture et l'avait jeté en grandes feuilles à ceux d'en bas.
Ce dernier forfait servit du moins à quelque chose, car l'armée n'était pas trop bien approvisionnée de munitions.
Le plomb fut donc recueilli par l'ordre de Monmouth et on en fondit des balles.
On garda à vue quelque temps les prisonniers, mais on jugea imprudent de les punir, en sorte qu'on finit par leur pardonner, en les renvoyant de l'armée.
Le second jour de notre arrivée à Wells, comme le temps était enfin redevenu beau et ensoleillé, une revue générale de l'armée fut passée dans la campagne autour de la ville.
On trouva alors que l'infanterie comptait six régiments de neuf cents hommes, en tout cinq mille quatre cents.
Sur ce nombre, quinze cents étaient armés de mousquets; deux mille étaient des piquiers, les autres armés de faux des paysans avec des fléaux et des maillets.
Quelques corps, comme le nôtre et celui de Taunton, pouvaient prétendre à passer pour des soldats, mais le plus grand nombre étaient encore des laboureurs et des artisans auxquels on aurait mis des armes à la main.
Et pourtant, mal armés, mal dressés, c'étaient toujours des Anglais pleins de vigueur et d'endurance, de courage et de zèle religieux.
Le léger et mobile Monmouth reprenait courage, en voyant leur attitude énergique, en écoutant leurs cordiales acclamations.
Comme je me trouvais à cheval près de son état-major, je l'entendis parler avec enthousiasme à ceux qui étaient à côté de lui et demander s'ils croyaient possible que ces beaux gaillards fussent battus par des mercenaires sans entrain.
– Qu'en dites-vous, Wade? s'écria-t-il. Est-ce que nous ne verrons jamais un sourire sur la figure que vous faites? Ne voyez-vous pas le sac de laine qui vous attend, lorsque vous jetez les yeux sur ces braves garçons?
– Dieu me préserve de dire un seul mot pour refroidir l'ardeur de Votre Majesté, répondit l'homme de loi, mais je me rappelle le temps où Votre Majesté, à la tête de mercenaires pareils à ceux de l'ennemi, tailla en pièces et mit en déroute des hommes aussi braves que ceux-ci au Pont de Bothwell.
– C'est vrai, c'est vrai, dit le Roi en passant la main sur son front par un geste qui lui était habituel quand il était vexé, fâché. C'étaient de vaillants hommes, les Covenantaires de l'Ouest, et pourtant ils n'ont pu résister au choc de nos bataillons. Mais ils n'étaient point dressés, tandis que ceux-ci savent combattre en ligne et exécuter un feu de file avec autant de précision qu'on peut le désirer.
– Quand même nous n'aurions ni un canon, ni un pétrinal, dit Ferguson, quand nous n'aurions pas même une épée, quand nous serions réduits à nos mains, le Seigneur nous donnerait la victoire, si cela semblait bon à ses yeux qui voient tout.
– Toutes les batailles sont affaire de chance, Votre Majesté, fit remarquer Saxon, dont le bras était entouré d'un mouchoir. Un incident heureux, une faute légère, un hasard que nul ne saurait prévoir peuvent survenir selon toute vraisemblance et faire pencher la balance. J'ai perdu alors que j'avais l'air de gagner et j'ai gagné quand j'étais sur le point de perdre. C'est une partie incertaine, et personne ne peut savoir comment elle tournera avant que la dernière carte soit abattue.
– Non, pas tant que les enjeux sont encore sur la table, dit Buyse de sa voix profonde et gutturale. Plus d'un général gagne ce que vous appelez la partie et cependant perd la belle.
– La partie, c'est la bataille, et la belle c'est la campagne, dit le Roi en souriant. Notre ami allemand est un maître en métaphores de bivouac. Mais je trouve que nos pauvres chevaux sont dans un piteux état. Que dirait notre cousin Guillaume, là-bas, à la Haye, s'il voyait un pareil défilé?
Pendant cet entretien, la longue colonne d'infanterie avait défilé jusqu'au bout, portant encore les étendards avec lesquels elle était venue à la guerre, mais fort endommagés par le vent et les intempéries.
Les remarques de Monmouth avaient été provoquées par l'aspect des dix escadrons de cavalerie qui suivaient les fantassins.
Les chevaux avaient été terriblement fatigués par le travail continuel et la pluie incessante.
Les cavaliers, ayant laissé la rouille atteindre leurs casques et leurs cuirasses, avaient l'air aussi mal en point que leurs montures.
Il était évident pour le moins expérimenté d'entre nous que, si nous voulions tenir bon, nous devions surtout compter sur notre infanterie.
Le reflet des armes, se multipliant sur les crêtes des basses collines, tout autour de nous, et brillant çà et là, quand les rayons du soleil les frappaient, nous montraient combien l'ennemi était fort sur le point même qui était le plus faible de notre côté.
Mais en somme cette revue de Wells nous ragaillardit, car elle nous fît voir que les hommes conservaient leur entrain, et qu'ils ne nous en voulaient pas de la rude façon dont nous avions traités les fanatiques de la veille.
La cavalerie de l'ennemi voltigea autour de nous, pendant ces jours-là, mais son infanterie avait été retardée par le mauvais temps et le débordement des cours d'eau.
Le dernier jour de juin, on partit de Wells et on traversa des plaines égales, couvertes de roseaux.
Puis on franchit les basses collines de Polden, pour arriver à Bridgewater, où nous attendaient quelques recrues.
Monmouth songea un instant à y faire halte et commença même à élever quelques ouvrages de terre, mais on lui fit remarquer que lors même qu'il pourrait tenir bon dans la ville, il ne s'y trouvait des provisions que pour peu de jours.
Le pays environnant avait été nettoyé si complètement qu'on ne devait guère s'attendre à en retirer davantage.
Les ouvrages furent donc abandonnés.
Ainsi donc, bel et bien réduits aux abois, sans la moindre fente pour nous échapper, nous attendîmes l'approche de l'ennemi.