Читать книгу Micah Clarke – Tome I. Les recrues de Monmouth - Артур Конан Дойл, Исмаил Шихлы - Страница 5

III-Sur deux amis de ma jeunesse

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Je crains, mes enfants, que vous ne trouviez le prologue trop long pour la pièce; mais il faut poser les fondations, avant d'élever l'édifice, et un récit de cette sorte serait bien piteux, bien stérile, si vous ne saviez rien des gens qui y figurent.

Ainsi donc, patientez, pendant que je vous parlerai de mes vieux amis de jeunesse, dont quelques-uns se retrouveront dans mon histoire, dont les autres restèrent au village natal, en exerçant toutefois sur mon caractère, dès cette époque, une influence dont les traces pourraient encore se retrouver.

Au premier rang parmi les meilleurs de ceux que j'ai connus, était Zacharie Palmer, le charpentier du village, dont le corps vieilli et déformé par le travail cachait l'âme la plus simple et la plus pure qui fût.

Mais sa simplicité n'était pas le moins du monde le résultat de l'ignorance, car il y avait peu de systèmes qu'il n'eût étudiés et pesés, depuis les leçons de Platon jusqu'à celles de Hobbes.

À l'époque de mon enfance, les livres étaient bien plus rares que de nos jours, les charpentiers étaient moins bien payés, mais le vieux Palmer n'avait ni femme ni enfant.

Il dépensait peu pour sa nourriture ou son entretien.

Ce fut ainsi qu'il arriva à avoir sur l'étagère, au-dessus de son lit, une collection de livres plus choisis – car ils étaient peu nombreux – que ceux du squire ou du curé.

Et ces livres, il les avait lus si bien qu'il était non seulement en état de les comprendre, mais encore de les expliquer aux autres.

Ce vénérable philosophe villageois à la barbe blanche, s'asseyait souvent par les soirs d'été devant la porte de sa chaumière, et n'était jamais plus content que quand quelques jeunes gens désertaient le jeu de boules ou des anneaux pour venir s'asseoir sur l'herbe, à ses pieds, et lui faire des questions sur les grands hommes d'autrefois, leurs paroles et leurs actions.

Mais parmi les jeunes gens, moi et Ruben Lockarby, le fils de l'aubergiste, nous étions ceux qu'il préférait, car nous étions les premiers à venir écouter les propos du vieillard et les derniers à le quitter.

Jamais père n'eut pour ses enfants plus d'affection qu'il ne nous en témoignait.

Il n'épargnait aucune peine pour pénétrer jusqu'à nos intelligences primitives et porter la lumière dans ce qui nous embarrassait ou nous troublait.

Ainsi que tous les êtres qui grandissent, nous donnâmes de la tête contre le problème de l'univers.

Nous avions épié, guetté de nos regards d'enfants dans ces abîmes infinis où les yeux les plus clairvoyants de la race humaine n'avaient pas vu de fond.

Et pourtant quand nous regardions ce qui nous entourait dans le monde de notre village, devant l'amertume et l'aigreur dont étaient pénétrées toutes les sectes, nous ne pouvions manquer de nous dire qu'un arbre qui portait de tels fruits devait avoir quelque tare.

C'était une des pensées que nous n'énoncions point à nos parents, mais que nous soumettions au vieux Zacharie.

Il avait à dire sur ce point bien des choses pour nous encourager et nous réconforter.

– Les querelles, ces chamailleries, disait-il, ne sont que superficielles. Elles ont une source dans l'infinie variété de l'esprit humain, toujours enclin à modifier une doctrine pour l'adapter à ses habitudes de pensée. Ce qui importe, c'est le noyau poli qui se trouve au fond de toute croyance chrétienne. Si vous pouviez revivre parmi les Romains ou les Grecs, avant l'époque où fut prêchée, cette nouvelle doctrine, vous reconnaîtriez alors le changement qu'elle a accompli dans le monde. Qu'on donne tel ou tel sens à un texte, cela ne signifie rien. Ce qui est d'une importance capitale, c'est que tout homme ait une bonne, une solide raison pour mener une vie simple et pure. C'est là ce que nous a donné la foi chrétienne.

«Je ne voudrais pas vous voir vertueux par crainte, dit-il une autre fois. L'expérience d'une longue vie m'a cependant appris que le péché est toujours puni en ce monde, quoi qu'il puisse en être dans l'autre monde. Il n'est pas de faute qu'on ne paie de sa santé, de son confortable, de sa tranquillité d'esprit. Il en est des nations comme des individus. Voyez comme les luxurieux Babyloniens furent détruits par les Perses aux mœurs frugales, et comme les mêmes Perses succombèrent sous l'épée des Grecs, lorsqu'ils eurent appris les vices de la prospérité. Lisez encore, et remarquez que les Grecs sensuels furent écrasés sous les pieds des Romains plus robustes, plus durs à la peine, et enfin que les Romains, après avoir perdu leurs vertus viriles, furent soumis par les nations du Nord. Le vice et la ruine vont toujours de compagnie. C'est ainsi que la Providence les emploie tour à tour pour châtier par l'un les folies de l'autre. Ces choses-là n'arrivent point par hasard. Elles font partie d'un grand système qui agit jusqu'en notre propre existence. Plus vous avancerez dans la vie et mieux vous verrez que le péché et la souffrance ne sont jamais loin l'un de l'autre, et qu'on dehors de la vertu, il ne peut y avoir de véritable prospérité.

Un maître bien différent de celui-là, le loup de mer, Salomon Sprent, qui habitait l'avant-dernier cottage sur la gauche, dans la grande rue du village!

Il appartenait à la génération des vieux marins, qui avait combattu sous le pavillon à croix rouge, contre Français, Espagnols, Hollandais, Maures, jusqu'au jour où un boulet lui avait emporté un pied et avait mis fin pour toujours à ses exploits.

Il était maigre de corps, dur, brun, aussi leste, aussi vif qu'un chat.

Il avait le corps court, des bras extrêmement longs, dont chacun était terminé par une grande main toujours à moitié fermée, comme si elle serrait un câble.

Il était couvert de la tête aux pieds, des plus merveilleux tatouages, tracés en couleurs bleue, rouge et verte.

Elle commençait par la création, sur son cou et se terminait par l'Ascension, sur sa cheville gauche.

Jamais je n'ai vu pareille œuvre d'art ambulante.

Il disait souvent que s'il avait été noyé, et que son corps eût été rejeté à la côte, dans quelque pays sauvage, les indigènes auraient pu apprendre tout le Saint Évangile, rien qu'en étudiant sa carcasse.

Et pourtant je suis désolé d'avoir à dire que toute la religion du marin semblait bornée à sa peau, en sorte qu'il ne lui en restait guère pour l'usage interne.

Elle avait fait éruption à la surface, comme la fièvre pourprée, mais sans laisser de trace dans le reste de son organisation.

Il savait jurer en huit langues et vingt-trois dialectes, et il ne laissait pas rouiller, faute d'exercice, ses grandes facultés.

Il jurait quand il était triste, ou quand il était content, quand il était en colère ou en disposition affectueuse, mais ses jurons n'étaient qu'une forme de langage, sans méchanceté ni amertume, au point que mon père lui-même ne pouvait se montrer bien sévère envers ce pécheur.

Mais avec le temps, le vieillard s'assagit, et dans les dernières années de sa vie, il revint aux simples croyances de son enfance.

Il apprit à combattre le diable avec la même fermeté, le même courage dont il avait fait preuve contre les ennemis de son pays.

Le vieux Salomon était une source inépuisable d'amusement et d'intérêt pour mon ami Lockarby et pour moi.

Aux grands jours, il nous invitait à dîner cher lui et nous régalait d'un hachis, d'un salmigondis, ou de quelque plat étranger, du pilau, une olla podrida, du poisson grillé comme on le fait aux Açores, car il s'entendait merveilleusement à la cuisine et savait préparer les plats favoris de toutes les nations.

Et pendant tout le temps que nous passions en sa compagnie, il nous contait les histoires les plus extraordinaires au sujet du Prince Rupert, sous lequel il avait servi, comment il lançait de la poupe l'ordre à son escadre de faire volte-face ou de charger, suivant la circonstance, comme s'il commandait encore son régiment de cavalerie.

Il avait aussi bien des histoires au sujet de Blake. Mais le nom de Blake lui-même n'était pas aussi cher à nos marins de jadis que celui de Sir Christophe Mings.

Salomon avait été quelque temps son maître d'équipage, et en savait, à n'en plus finir, sur les vaillants exploits par lesquels il s'était distingué depuis le jour où il était entré dans la marine comme mousse du poste, jusqu'à celui où il tomba sur le pont de son navire avec le grade d'amiral des Rouges, et fut porté en terre par son équipage en pleurs dans le cimetière de Chatham.

– S'il est bien vrai qu'il y a là-haut une mer de jaspe, disait le vieux marin, je parie que sir Christophe aura soin d'y faire respecter comme il faut le pavillon anglais, et que les étrangers ne viendront pas nous narguer. J'ai servi sous ses ordres dans ce monde, et je ne demande rien de plus que d'être son maître d'équipage dans l'autre, si par hasard l'emploi se trouvait vacant.

Ces réminiscences aboutissaient toujours à la préparation d'un nouveau bol de punch, que l'on vidait solennellement en mémoire du défunt.

Si animés que fussent les récits de Salomon Sprent à propos de ses anciens chefs, ils ne nous faisaient pas autant d'effet que quand, après son second ou son troisième verre, s'ouvraient les écluses de ses souvenirs.

Alors c'étaient de longues histoires sur les pays qu'il avait visités, sur les peuples qu'il avait vus.

Appuyés aux dossiers de nos chaises, le menton dans notre main, nous, les adolescents, nous restions là pendant des heures, les yeux fixés sur le vieil aventurier, buvant ses paroles, pendant que, flatté de l'intérêt qu'il excitait, il tirait de sa pipe de lentes bouffées, et déroulait un à un les récits des choses qu'il avait vues ou faites.

En ce temps-là, mes chers enfants, il n'y avait pas un Defoe pour nous raconter les merveilles de l'univers, pas de Spectateur à notre portée sur la table du déjeuner, pas de Gulliver pour contenter notre amour des aventures en nous parlant d'aventures qui n'avaient point eu lieu.

Il se passait plus d'un mois sans qu'une Feuille de Nouvelles tombât entre nos mains.

Les relations fortuites avaient donc une importance plus grande qu'elles n'en ont de nos jours, et la conversation d'un homme, tel que le vieux Salomon, était à elle seule une bibliothèque.

Pour nous, tout cela était réel.

Sa voix enrouée, ses mots mal choisis, étaient comme la voix d'un ange, et nos esprits alertes ajoutaient les détails et comblaient les lacunes des récits.

En une soirée, nous avons fait franchir à un corsaire de Sallee les Colonnes d'Hercule, nous avons louvoyé le long des côtes du continent africain, nous avons vu les grandes vagues de la mer espagnole se briser sur les sables jaunes, nous avons dépassé les nègres marchands d'ivoire avec leurs cargaisons humaines, nous avons tenu tête aux terribles ouragans qui soufflent constamment autour du Cap de Bonne-Espérance; et pour finir, nous avons fait voile sur le vaste Océan qui s'étend au-delà parmi les îles de corail couvertes de palmiers, avec la certitude que les royaumes du Prêtre Jean commencent quelque part de l'autre côté de la brume dorée qui s'entrevoit à l'horizon.

Après un vol de cette étendue, lorsque nous revenions à notre village du Hampshire, parmi les monotones réalités de la vie champêtre, nous nous sentions comme des oiseaux sauvages que l'oiseleur a pris au piège et enfermés brusquement dans d'étroites cages.

C'était alors que me revenaient à la pensée les paroles de mon père: «Un jour vous sentirez que vos ailes ont poussé» et cela me jetait dans des dispositions si inquiètes, que tous les sages propos de Zacharie Palmer étaient impuissants à me calmer.

Micah Clarke – Tome I. Les recrues de Monmouth

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