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Introduction.

Table des matières

L’HISTOIRE qu’on va lire a été recueillie par un Français qui parcourait le nord de l’Italie au commencement du printemps de l’année 1815. Il venait de voir mourir l’objet de ses plus chères affections, une femme qu’il avait adorée. Ce chagrin, dont il croyait que rien ne peut consoler, l’avait détaché du monde et entraîné dans un pays lointain: mais un voyage sans but était sans intérêt. Il errait dans les solitudes des Alpes sans les voir, sans entendre le sublime langage que parle une nature toujours primitive, puisque l’homme et la civilisation n’y peuvent rien changer. Il s’étonnait lui-même de son indifférence, en contemplant des scènes si nouvelles, et il croyait avoir perdu pour toujours la faculté de sentir. Toutes les sources d’émotion: l’admiration, l’amour, la crainte, lui paraissaient taries au fond de son cœur, à qui rien ne répondait, parce qu’il ne savait plus rien demander: un reste de foi, sans l’attacher à la vie, l’empêchait seulement de se donner la mort.

C’est dans cette disposition d’esprit, qu’un soir il suivait péniblement les sinuosités du défilé, par où l’on gravit du fond de la vallée d’Aoste jusqu’au passage du mont Saint-Bernard.

On donne le nom de montagnes, dans ce pays, à des cols très-élevés, et pourtant dominés encore de tous côtés par des pics inaccessibles. Il n’était plus qu’à peu de distance de l’hospice. Le temps était calme, quoique très-froid, à cause de la prodigieuse élévation du sol; les derniers murmures de la Doire, qui se précipite vers le Piémont, expiraient au loin dans les régions inférieures de l’air; les ombres du soir grandissaient les rochers, dont les masses bizarres ressemblaient à des géans enchaînés; et, près de voir disparaître le soleil, la seule image de la vie dans ces lieux déserts, la terre semblait attendre la nuit avec un respect silencieux.

Des tableaux si solennels auraient inspiré une sorte de terreur au jeune voyageur s’il eût été moins malheureux; mais, ayant perdu lui-même le charme de la vie, il contemplait l’image de la destruction avec une insouciance sinistre. Il éprouva cependant un désir, le seul qui, depuis bien des mois, eût réveillé son âme de cette léthargique indifférence: il voulut s’arrêter pour admirer la solitude. Il ordonna donc à ses guides de le précéder à l’hospice, leur promettant de les y rejoindre en peu de temps. Sans tenir compte de l’expérience de ces hommes, qui lui prédisaient une soirée orageuse, il exigea qu’on le laissât seul: il s’assit contre un quartier de rocher, dont la pointe aiguë s’élevait au-dessus de la neige qui couvrait encore la route et les pentes du défilé.

A peine fut-il resté un quart-d’heure près de cette pierre, que le ciel se couvrit subitement de nuages rapides; d’autres vapeurs s’élevaient plus lentement du fond des vallées, et, rasant les flancs de la montagne, elles semblaient en assiéger la cime; cette voûte mobile coupait les pans de rochers à la moitié de leur hauteur, et l’on voyait des cascades tomber comme par magie du milieu de ces nuages qui dérobaient aux regards la vraie source des eaux. Un vent formidable, soufflant par intervalles, faisait monter jusqu’au ciel des tourbillons de neige, et la nature désolée disparaissait sous cette poussière glacée comme sous un linceul. En vain le tonnerre de l’avalanche, les craquemens des glaciers, les sifflemens de la tempête, avertissaient le jeune voyageur de fuir le danger; il ignore encore ce qu’il a pensé, ce qu’il a éprouvé , jusqu’au moment où, réveillé d’un profond évanouissement, il se sentit soulever par un inconnu. La nuit était sombre, la vitesse du vent s’était ralentie, mais un engourdissement insurmontable ôtait à l’étranger l’usage de ses membres. Un des moines de l’hospice, qui avait été guidé par les chiens jusqu’auprès du mourant, agitait une cloche pour appeler du secours.

«— Pourquoi me rendre une

» existence si douloureuse, s’écria le

» voyageur? je ne sentais plus rien.

» — Je vous ai réveillé du sommeil de

» la mort, répondit le moine, vous étiez

» enseveli sous la neige.

» — Que ne m’y laissiez-vous!

» — J’ai fait mon devoir; le vôtre est

» d’user pour la gloire de Dieu de la vie

» qu’il vous rend.

» — Qu’est-ce que la vie pour moi?»

Dans ce moment un second religieux rejoignit son compagnon, et ils parvinrent tous deux à transporter jusqu’à l’hospice l’imprudent jeune homme, dont on avait cherché la trace depuis le commencement de la tourmente.

Sa santé fut parfaitement rétablie en deux jours, mais les douleurs de son âme paraissaient incurables! Son cœur était devenu incapable même de reconnaissance, et l’existence lui paraissait un tel fardeau, qu’à peine pouvait-il adresser un remercîment au religieux qui la lui avait conservée en risquant la sienne.

Cependant il ne paraissait pas songer à quitter l’hospice; il ne recherchait ni ne fuyait la société de son libérateur; il s’étonnait de l’élégance du langage de ce moine qui, Français comme lui, n’avait que vingt-sept ans, et vivait depuis trois ans dans cette maison. Ne pouvant s’empêcher d’admirer tant de patience à cet âge, il devint enfin curieux d’apprendre par quelle voie une âme qui semblait avoir souffert, avait été conduite à cette ineffable paix, inconnue aux habitans du monde.

Le religieux hésita quelques instans; mais bientôt, élevé au-dessus de lui-même par un motif de charité, il pensa que ses douleurs étaient plus amères que celles de l’infortuné qui l’interrogeait, et qu’il se rendrait coupable s’il refusait de lui montrer comment il avait été amené dans ce port où l’attendait la ré signation.

Le prieur du couvent se joignit à l’étranger pour vaincre la résistance de son disciple; ce respectable supérieur, le seul homme auquel le jeune religieux eût confié ses chagrins, l’avait dès longtemps exhorté à écrire l’histoire de sa conversion; le moine sortit pour aller chercher son manuscrit, qu’il rapporta à l’instant; il y lut ce qui suit:

Aloys, ou Le religieux du mont Saint-Bernard

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