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Les poésies populaires dont le présent recueil contient un choix restreint, mais fait avec soin, et traduit uniquement sur les originaux[1], appartiennent à toute la race serbe répandue, sous divers noms, dans la principauté actuelle de Serbie (Sèrbia), la Bosnie, l'Hertzégovine, le Montenégro (Tzèrna Gora), quelques districts de la Bulgarie et de l'Albanie, la Dalmatie et les provinces méridionales de la Hongrie (Batchka, Sirmie et Banat). Elles sont encore à l'état de tradition orale, et le patriote éclairé, M. Vouk Stefanovitch Karadjitch, qui, depuis plus de quarante ans, s'occupe avec un zèle intelligent et une scrupuleuse fidélité à les recueillir de la bouche même du peuple, n'a pas encore entièrement accompli sa tâche, tant la mine où il puise est abondante, tant aussi l'accès en est parfois difficile, tant il faut de patience et de sagacité pour faire un choix parmi les matériaux qu'elle fournit[2].

Pour juger ces poésies, pour les goûter même, et surtout pour comprendre leur valeur comme documents de l'histoire littéraire générale, il est indispensable de connaître certaines circonstances qui se rattachent à leur origine et à leur composition. Les détails qui suivent, empruntés à leur savant éditeur[3], sont les plus propres à mettre le lecteur au courant de ces circonstances. J'y ajouterai ensuite quelques remarques qui me sont personnelles.

«Toutes nos poésies populaires, dit M. Vouk, se divisent en chants héroïques (pèsmè ïounatchké) que les hommes chantent (ou plutôt déclament, comme je le dirai plus loin) en s'accompagnant de la gouslé, et en poésies domestiques ou féminines (jénské), que chantent non-seulement les femmes et les jeunes filles, mais aussi les hommes, particulièrement les jeunes gens, le plus souvent à deux voix. Ceux qui chantent les poésies féminines le font pour leur propre amusement, tandis que les poésies héroïques sont destinées à des auditeurs; c'est pourquoi, dans les premières, on a surtout égard à la partie musicale, à la mélodie, et dans les secondes, à l'expression poétique.

«Aujourd'hui, c'est dans la Bosnie, l'Hertzégovine, le Montenégro et les régions montagneuses du midi de la Serbie, que le goût pour les poésies héroïques est le plus vif et le plus général. Actuellement encore, dans ces contrées, il est à peine une maison où l'on ne trouve une gouslé, qui surtout ne manque jamais dans les stations des pâtres; et il serait difficile d'y trouver un homme qui ne sût pas jouer de cet instrument, chose même que beaucoup de femmes et de jeunes filles sont en état de faire. Dans les districts inférieurs de la Serbie (ceux qui avoisinent le Danube et la Save), les gouslé deviennent déjà plus rares, bien que je pense que dans chaque village (surtout sur la rive gauche de la Morava), on en trouverait au moins une.

«Pour ce qui est de la Sirmie, de la Batchka et du Banat, les aveugles sont les seuls qui y possèdent des gouslé, et encore doivent-ils apprendre à en toucher et la plupart ne s'en servent-ils que pour accompagner des complaintes; toute autre personne regarderait comme une honte d'avoir dans sa maison un instrument d'aveugle. Aussi, dans les pays que je viens de nommer, les poésies héroïques (ou, comme on les y appelle déjà, d'aveugles) ne sont-elles chantées que par des mendiants privés de la vue, ou par des femmes qui ne font point usage de la gouslé. Cela explique pourquoi les poésies héroïques se chantent plus mal et sont plus corrompues dans la Sirmie, la Batchka et le Banat, qu'en Serbie, et en Serbie, aux environs du Danube et de la Save, plus que dans l'intérieur des terres, en Bosnie et en Hertzégovine surtout….

«La poésie domestique ou féminine, à ce que je crois, est surtout répandue là où l'autre l'est moins, et dans les villes de la Bosnie; car de même que dans les contrées qui bordent le Danube et la Save, les mœurs des hommes se sont adoucies, de même dans les autres (les villes exceptées), le caractère des femmes a conservé plus de rudesse, et la guerre, plus que l'amour, occupe la pensée de la population. Une autre raison encore, c'est que là les femmes vivent plus dans la société. Ajoutons d'ailleurs que, dans les trois provinces hongroises que j'ai nommées, les chansons populaires ne se chantent plus, et ont été remplacées par de nouvelles, que composent des gens instruits, des écoliers et des apprentis du commerce.

«Il y a un certain nombre de poésies qui appartiennent à une classe intermédiaire entre les héroïques et les domestiques. Elles se rapprochent plus d'ailleurs des premières, bien qu'il soit fort rare de les entendre chanter sur la gouslé par des hommes, et qu'en raison de leur longueur, le plus souvent on les récite.

«On compose encore aujourd'hui des poésies héroïques,…. qui ont ordinairement pour auteurs, autant que j'ai pu m'en assurer, des hommes de moyen âge et des vieillards. Dans les pays où le goût en est général, il n'y a pas un homme qui ne sache plusieurs chants, quelquefois jusqu'à cinquante ou même davantage, et pour ceux dont la mémoire est si bien garnie, il n'est pas difficile d'en composer de nouveaux. Il faut d'ailleurs savoir que, dans les contrées dont je parle, les paysans n'ont ni les mêmes soucis, ni les mêmes besoins que dans les États de l'Europe, et qu'ils mènent une vie assez semblable à celle que les poëtes décrivent sous le nom de l'âge d'or…»

L'auteur cite ensuite des exemples de pièces burlesques ou satiriques,—genre qu'il n'a point admis dans sa collection,—qui ont été composées par des gens à lui connus. Elles sont faites à l'occasion de circonstances de la vie ordinaire et manquent d'importance générale, ce qui fait qu'elles ne se répandent point au dehors et meurent bientôt là où elles sont nées. Voici quelques-unes de ces circonstances: les noces, quand il s'y produit quelque incident comique, par exemple quand les invités se prennent de querelle et rouent de coups l'un d'entre eux; quand une femme quitte son mari; surtout quand il y a brouille dans un ménage, ou que des gens mariés à la suite d'un rapt (otmitza)[4] restent sans enfants. Et M. Vouk, à propos des querelles entre gens de noce, ajoute avec quelque naïveté: «S'il y avait mort d'homme, en pareil cas, on ne ferait pas une chanson comique.» Tout cela, il faut l'avouer, nous reporte un peu loin de l'âge d'or. Mais c'est peut-être ici le lieu de faire observer que la naïveté dont je parle dans ces pages est une qualité de l'esprit, des esprits jeunes, et n'a rien à faire avec la candeur ou l'innocence des mœurs.

«Que l'on ne puisse, dit-il ailleurs, connaître les auteurs des poésies populaires, même les plus récentes, il n'y a rien là qui doive étonner; mais ce qui a lieu de surprendre, c'est que dans le peuple personne n'attache d'importance à composer des vers, et que, loin d'en tirer vanité, le véritable auteur d'un chant se défend de l'être, et prétend l'avoir appris de la bouche de quelque autre. Il en est ainsi des poésies les plus récentes, de celles dont on connaît parfaitement le lieu d'origine, et qui roulent sur un événement de fraîche date; car à peine quelques jours se sont-ils écoulés, que personne ne songe plus à leur provenance.

«Quant aux poésies domestiques, il s'en compose peu de nouvelles aujourd'hui, et elles ne se produisent plus guère que sous la forme de dialogues improvisés entre filles et garçons.»

Et plus loin: «Les poésies héroïques sont mises en circulation principalement par les aveugles, les voyageurs et les haïdouks. Les aveugles vont mendiant de porte en porte, ils fréquentent les assemblées près des monastères et des églises, ainsi que les foires, et partout ils chantent. De même, quand un voyageur reçoit l'hospitalité dans une maison, il est d'usage, le soir, de lui présenter une gouslé, en l'invitant à chanter, et dans les khans et les cabarets (méhanas), il s'en trouve pour le même usage. Quant aux haïdouks, dans leurs retraites d'hiver, ils passent la nuit à boire et à chanter, le plus souvent les exploits de leurs confrères.»

M. Vouk entre ensuite dans des détails sur la manière dont il a recueilli les pesmas. Il raconte l'étonnement et la défiance qu'il inspirait, soit aux femmes, soit surtout aux chanteurs de profession, dont la jalousie de métier, excitée par la crainte de perdre un gagne-pain, ne cédait qu'à de copieuses libations d'eau-de-vie[5]. Mais au sujet de ceux-ci, il se plaint qu'il soit si rare d'en trouver un qui fasse son métier avec un peu d'intelligence et sans gâter la pesma. Il fallait d'ordinaire l'entendre de la bouche de plusieurs pour l'avoir complète, et avec l'exactitude et dans l'ordre convenables.

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