Читать книгу Les Huguenots: Cent ans de persécution, 1685-1789 - Baron de Janzé - Страница 5
Оглавление«En Poitou, dit Jurieu, de son côté, certains marchandèrent, et tel, à qui l'on ne voulait donner qu'une pistole, tint ferme et finit par obtenir quatre écus pour se convertir; mais quelques- uns n'eurent que sept sols, enveloppés dans un petit papier.»
Pour grossir, leurs listes, les convertisseurs usaient en outre de fraudes pieuses.
La liste des convertis ayant été signifiée à plusieurs consistoires, dit Élie Benoît, on put constater que les mêmes personnes étaient portées deux fois, que plusieurs indiqués comme ayant abjuré, avaient toujours été catholiques, etc.
M. Paulin Paris, qui a retrouvé aux archives nationales deux listes de convertis _parisiens _pour les années de 1677 et 1679, a constaté:
1° Que la liste de 1677, indiquée comme contenant 515 convertis français, n'en comprend en réalité que 214, parmi lesquels on trouve cinq Anglais, huit Belges et treize Suisses ou Hollandais.
2° Que la liste de 1679, indiquée comme portant plus de douze cents noms, n'en contient que 526, que la moitié de ces 526 noms avaient déjà figuré dans la liste de 1677, enfin que, parmi ces convertis français, il y a des Allemands, des Danois, des Piémontais et des Russes.
Des catholiques, pour empocher deux ou trois écus payés pour les abjurations, se dirent huguenots et touchèrent la prime.
Quant aux huguenots peu honnêtes, qui, pour toucher la prime d'abjuration, mettaient leur signature ou leur croix au bas d'une quittance, ils retournaient ensuite tranquillement au prêche comme auparavant.
Le scandale des rechutes devient si grand que le roi est obligé d'édicter de terribles peines contre les relaps, en motivant ainsi sa décision: «Nous avons été informé que, dans plusieurs provinces de notre royaume, il y en a beaucoup, qui, après avoir abjuré la religion prétendue réformée, dans l'espérance de contribuer aux sommes que nous faisons distribuer aux nouveaux convertis, y retournent bientôt après.»
Nul ne se fait illusion d'ailleurs sur la valeur des conversions obtenues à prix d'argent, et Fénelon reconnaît que dès qu'on abandonne les nouveaux convertis à eux-mêmes, leurs bonnes dispositions s'évanouissent en deux jours. «Si, par hasard, dit un intendant, on en voit paraître quelques-uns à l'église, ce sont ceux qui espèrent se conserver, par là, leur emploi ou office, et les pensions qu'ils ont du roi, et d'autres pour tâcher d'attraper quelque bon sur les biens de ceux qui ont quitté le royaume, et encore n'y vont-ils que par grimace.»
Pour que Louis XIV crût à la sincérité des conversions obtenues au rabais par la caisse de Pélisson, il fallait qu'il y mît une grande complaisance; cependant Rulhières dit: «De cette caisse, comparée par les huguenots à la boite de Pandore, sortirent en effet, tous les maux dont ils ont à se plaindre. Il est aisé de sentir que l'achat de ces prétendues conversions dans la lie des calvinistes, les surprises, les fraudes pieuses qui s'y mêlèrent, et tous ces comptes exagérés rendus par des commis infidèles, persuadèrent faussement au roi que les réformés n'étaient plus attachés à leur religion, et que le moindre intérêt suffisait pour les engager à la sacrifier.»
Que le roi ait pu croire que tout ses sujets huguenots étaient prêts à trafiquer de leur foi religieuse pour quelques écus, c'est déjà difficile à admettre, mais ce qui passe l'imagination, c'est de voir que pas un seul des convertisseurs ne semble soupçonner combien est odieux et immoral, le trafic des consciences auquel il se livre.
Quelques-uns vont plus loin encore, ils spéculent sur la faim, pour faire des prosélytes à la religion catholique.
On lit dans la correspondance des contrôleurs généraux, à la date du 20 octobre 1685: «Grâce aux exhortations de l'intendant (aidé par les dragons) et aux aumônes du roi, la ville d'Aubusson a abjuré presque tout entière, mais il faudra y répandre encore de l'argent pour compenser le départ de plusieurs manufacturiers.»
Quelques mois auparavant, à Paris, le commissaire Delamarre apprenant que quelques ministres interdits s'y trouvent dans une si grande nécessité qu'on les prendrait pour des insensés, demande leur adresse pour voir s'il ne serait pas possible de les faire aborder par quelque endroit, pour les convertir en secourant leur misère.
Fénelon envoyé en Saintonge pour reconvertir les huguenots un peu trop sommairement convertis par les dragons, conseille des moyens de _persuasion _analogues. Il écrit à Seignelai: «Pour les pauvres, ils viendront facilement si on leur fait les mêmes _aumônes _qu'ils recevaient chaque mois du Consistoire… on ne donnerait qu'à ceux qui feraient leur devoir. Si on joint toujours exactement à ces secours, ajoute-t-il, des gardes pour empêcher des déserteurs et la rigueur de peines (les galères et la confiscation), il ne restera plus que de faire trouver aux peuples autant de douceur à demeurer dans, le royaume que de péril à entreprendre d'en sortir.»
On voit dans la correspondance des évêques, qu'on refuse des secours à une veuve jusqu'à ce que ces enfants aient abjuré. Qu'on agit de même avec les membres d'une famille qui sont si pauvres qu'ils vont tout nus, la mère ayant mieux aimé demeurer nue, que d'accepter un habit qu'on lui donnait, à condition qu'elle viendrait une fois à la messe, etc.
De son côté, le terrible proconsul du Languedoc, Bâville, écrit: «Les douze mille livres que le roi a eu la bonté de m'envoyer, pour faire des aumônes dans les missions, font un effet merveilleux, et gagnent tous les pauvres à la religion. Bien que ce motif ne soit, pas d'abord très pur, les missionnaires savent très bien le rectifier, et ils engagent, par ce moyen, une infinité de personnes à s'instruire et à fréquenter les sacrements. Elles (les aumônes) sont d'autant plus utiles qu'il y a une misère extrême cette année dans les Cévennes, parce que le blé et les châtaignes ont manqué, et beaucoup de paysans ne vivent à présent que de glands et d'herbes… — _Cette grande nécessité _m'a fait penser qu'il serait très utile d'établir, dans le fond des Cévennes, quatre ou cinq missions après Pâques dans lesquelles je ferais distribuer le pain, ainsi les pauvres recevraient en même temps ce secours pour le temporel et l'instruction.»
Ces missions ambulantes pour la conversion des hérétiques, payées sur la cassette du roi, avaient commencé sous Louis XIII, elles continuèrent sous les règnes de Louis XIV, de Louis XV et de Louis XVI; des gratifications en argent, données aux convertis, ajoutaient du poids aux discours des missionnaires. Voici une ordonnance de comptant signée de Louis XVI, et portant la date du 1er janvier 1783: «Garde de mon trésor royal, M. Joseph Micault d'Harvelay, payez comptant, au sieur évêque de Luçon, la somme de quatre cents livres, pour aider à la subsistance des missionnaires du Bas Poitou qui travaillent à la conversion des protestants, et ce pour la présente année.»
Il est bon de se rappeler que, depuis les dernières années du règne de Louis XIV, il n'y avait plus légalement un seul protestant en France, tout huguenot, ayant abjuré ou non, étant, de par la volonté du roi, _réputé catholique! _On conservait cependant les missions travaillant à la conversion des protestants.
Ce n'était pas seulement à prix d'argent qu'on achetait les conversions, c'était encore, on le sait, à l'aide de faveurs de toute nature accordées aux huguenots dociles: une de ces faveurs était la surséance du paiement des dettes; un édit accordait, à tous les huguenots qui feraient abjuration, un terme et délai de trois ans pour le paiement du capital de leurs dettes; «il est défendu à leurs créanciers, était-il dit, de faire aucune poursuite contre eux pendant ledit temps, à peine de nullité, cassation de procédures et tous dépens».
Cet étrange édit apporta un trouble si profond dans le commerce qu'on fut bientôt obligé de décider que cette surséance du paiement des dettes ne pourrait être invoquée ni entre les nouveaux convertis, ni par les marchands convertis, pour les affaires qu'ils avaient avec l'étranger.
Les conversions mercenaires, obtenues, soit à prix d'argent, soit par des faveurs, n'avaient cependant pas sensiblement diminué le nombre des huguenots, en sorte que le plan conçu par Louis XIV pour ramener, sans violence, son royaume à l'unité religieuse menaçait d'échouer misérablement.
Par malheur, une des faveurs promises aux huguenots dociles, l'exemption des logements militaires, fut l'occasion de la jacquerie militaire qui a reçu le nom de dragonnades, et que suivirent les emprisonnements, les confiscations et toutes les odieuses mesures de violence que nous aurons à signaler au cours de ce travail. Dans un des chapitres de ce livre je ferai le récit détaillé des dragonnades, des violences exercées par les soldats pour arracher une abjuration à deux millions de victimes qui n'opposaient à leurs bourreaux d'autre résistance, que leur constance résignée, leurs larmes et leurs gémissements.
Les suites de cette jacquerie militaire furent choquantes, dit Michelet; le niveau de la moralité publique sembla baisser, Le contrôle mutuel des deux partis n'existant plus, l'hypocrisie ne fut plus nécessaire, le dessous des moeurs apparut. Cette succession immense d'hommes vivants, qui s'ouvrit tout à coup, fut une proie. Le roi jeta par les fenêtres; on se baissa pour ramasser. Scène ignoble! … La vie de cour ruinait la noblesse. On n'osait sonder les fortunes; on n'eût vu dessous que l'abîme. Le Roi, obligeamment interdit la publicité des hypothèques, qui eût mis à jour cette gueuserie des grands seigneurs. Ruinés par le jeu, les loteries, la plupart attendaient un coup du sort pour remonter. Plusieurs faisaient le sort au lieu d'attendre, ou en volant au jeu, ou par la poudre de succession. Les plus hauts mendiaient, du lever, au coucher, dévalisaient le roi de tout ce qui venait, office ou bénéfice. Mais tout cela, des bribes, des miettes! Ils périssaient, s'il ne tombait d'en haut une grande manne imprévue, quelque vaste confiscation.
«Le miracle apparut au ciel en 1685. Six cents temples ayant été détruits, leurs biens, celui des pauvres, des maisons de charité, devaient passer aux hôpitaux catholiques… La cour visait ce morceau. Les jésuites crurent prudent de demander et faire décider que ces biens revinssent, non aux hôpitaux, mais au roi, autrement dit à ceux qu'il favoriserait ou qui mériteraient en poussant à la persécution… Après les biens des temples, ceux des particuliers suivirent; chacun fut ardent à la proie. Ce fut un gouffre ouvert, une mêlée où l'on se jeta pour profiter du torrent qui passait, ramasser les lambeaux sanglants.»
Avant Louis XIV, Anne d'Autriche avait déjà endetté le trésor public par ses magnificences, les privilèges, les monopoles qu'elle accordait à son entourage de hauts mendiants; à une dame de sa cour elle avait donné un droit d'impôt sur toutes les messes dites à Paris; à sa première femme de chambre, la Beauvais; elle avait un jour, inconsidérément, donné les cinq grosses fermes, c'est-à-dire tous les impôts productifs faisant vivre la cour, et cela en croyant ne lui faire cadeau que d'une ferme appelée les Cinq fermes. Et, dit Madame, mère du régent, on a sur la régence d'Anne d'Autriche bien d'autres historiettes de ce genre.
Tandis que le peuple, décimé par des famines périodiques, mourait de faim sur les grands chemins, Louis XIV jetait l'argent par les fenêtres, à l'exemple de sa mère; et les courtisans avaient soin de se trouver sous ce qu'il jetait: à Mme d'Harcourt, le bien d'un suicidé; au comte de Marsan, la succession d'un bourgeois de Paris, bâtard mort sans enfants; à de Guiche, le produit de la confiscation des biens possédés par les Hollandais, en Poitou, pour prix de la dénonciation qu'il avait faite; à de Grammont, deux cent mille livres pour l'avis qu'il a donné au contrôleur général, des malversations commises par les fournisseurs des troupes d'Alsace. Monsieur, frère du roi, reçoit plus d'un million pour avoir demandé la poursuite des trésoriers de l'extraordinaire, à qui l'on fait rendre gorge; c'étaient chaque jour de grosses gratifications aux courtisans, à l'occasion du mariage de leurs filles, ou sous tout autre prétexte; les dettes de jeu de Monsieur, ou de la Montespan, à payer; celle-ci, en une seule nuit, perdait neuf millions de livres… Les plus impatients réalisaient leurs espérances de succession en donnant à leurs parents, ainsi qu'on le disait alors, un coup de pistolet dans un bouillon. C'était chose commune pour les grands seigneurs de vivre aux dépens de leurs vieilles maîtresses, et Tallemant des Réaux dit, comme une chose toute simple: le comte d'Harcourt fut longtemps aux gages de la femme du chancelier Séguier; Richelieu, le modèle du genre, dit Michelet, ne prenait pas moins de douze louis de chacune de ses maîtresses.
Les plus hauts seigneurs, des prélats même, avaient des mignons comme Henri III, mais ne se flagellaient plus comme lui en public. Un jour que le roi oublie son chapeau sur un siège, la boucle de diamants qui ornait le couvre-chef royal disparaît. Un autre jour, à Saint-Germain, les vases sacrés de la chapelle royale sont volés par un seigneur de la cour. Grandes dames et grands seigneurs trichaient au jeu; plus d'un gentilhomme fut envoyé aux galères comme faux monnayeur, etc.
Tous ces grands seigneurs et ces abbés et évêques Benoiton, qui composaient la cour, sous l'ancien régime, étaient avant tout des mendiants besoigneux[4] et insatiables, et voici le portrait que fait Paul-Louis Courrier de cette réunion de truands de haute volée: «Quand le gouverneur d'un roi enfant dit à son élève jadis: Maître, tout est à vous, ce peuple vous appartient, corps et biens, bêtes et gens, faites-en ce que vous voudrez, cela fut remarqué. La chambre, l'antichambre et la galerie répétaient: Maître, tout est à vous, ce qui, dans la langue des courtisans; voulait dire tout est pour nous, car la cour donne tout aux princes, comme les prêtres tout à Dieu; et ces domaines, ces apanages, ces listes civiles, ces budgets ne sont guère autrement pour le roi, que le revenu des abbayes n'est pour Jésus- Christ…».
À la cour, tout le monde sert ou veut servir. L'un présente la serviette, l'autre le vase à boire, chacun reçoit ou demande salaire, tend la main, se recommande, supplie… mendier n'est pas honte à la cour, c'est toute la vie du courtisan… Aucun refus, aucun mauvais succès ne lui fait perdre courage. Il n'est affront, dédain, outrage, ni mépris qui le puissent rebuter. Éconduit il insiste, repoussé il tient bon, qu'on le chasse, il revient, qu'on le batte, il se couche à terre. — Frappe, mais écoute, et donne; on est encore à inventer un service assez vil, une action assez lâche, pour que l'homme de cour, je ne dis pas s'y refuse, chose inouïe, impossible, mais n'en fasse point gloire et preuve de dévouement.
Mais le trésor royal de Louis XIV avait fini par s'épuiser par suite de ses folles dépenses et des largesses faites aux courtisans, et au moment où tomba la manne des confiscations huguenotes, on ne pouvait plus répéter après Mme de Sévigné «il ne faut pas désespérer, quoique on ne soit pas le valet de chambre du roi, il peut arriver, qu'en faisant sa cour, on se trouve sous ce qu'il jette.»
Il était temps pour tous ces mendiants titrés, tonsurés ou mitrés, que le roi les appelât à la curée protestante, digne couronnement des dragonnades. Ce fut un spectacle écoeurant, et, quelque bas que fût déjà le niveau de la moralité publique, il baissa encore à la suite de cette curée; des moines, des évêques, des gentilshommes se disputent la succession des consistoires; les capucins de Corbigny demandent, non seulement les matériaux du temple, mais, les vases d'argent et les deniers appartenant au consistoire. À Marennes, les capucins demandent la cloche du temple. L'évêque de la Rochelle demande pour son chapitre, les biens de M. de la Forest. L'évêque de Laon obtient sur les biens des fugitifs trois mille livres pour les maîtresses d'école de son diocèse. L'évêque de Gap qui veut achever son palais épiscopal, écrit: «Je n'ose pas vous importuner de mes bâtiments, cependant, si, par le moyen des biens confisqués, vous trouviez le moyen de loger un évêque sur le pavé, je vous en aurais beaucoup d'obligations.» L'évêque de Meaux demande le produit de la démolition des temples de Nanteuil et de Morcerf, pour l'hôtel- Dieu et l'hôpital général de Meaux.
L'abbé de Polignac reçoit en don du roi les biens du fils de Ruvigny, devenu duc de Galloway. La fortune du marquis d'Harcourt est donnée à l'abbé Feuquières, neveu de Madeleine Arnaud. Un officier de marine, la Gacherie, demande les biens d'un protestant qu'il prétend être mort relaps; la même demande avait été faite antérieurement par les religieuses de la visitation et avait été repoussée, en présence d'un certificat de médecin constatant que le défunt, quelques jours avant sa mort, était tombé dans une paralysie générale.
Il n'y a pas jusqu'au cocher de Madame qui ne vienne demander le bien d'un huguenot dont le fils est ministre en Angleterre.
Quant à l'intègre de Harlay, voici comment il sut se faire donner par le roi, la somme que son ancien ami de Ruvigny, lui avait confiée avant de partir pour l'Angleterre.
«Le vieux Ruvigny, dit Saint-Simon, était ami d'Harlay, lors procureur général, et, depuis, premier président, et lui avait laissé un dépôt entre les mains, dans la confiance de sa fidélité. Il le lui garda tant qu'il n'en put abuser; mais quand il vit l'éclat, il se trouva modestement embarrassé entre le fils de son ami et son maître à qui il révéla humblement sa peine. Il prétendit que le roi l'avait su d'ailleurs. Mais le fait est qu'il le dit lui-même, et que, pour récompense, le roi le lui donna comme bien confisqué, et que cet hypocrite de justice et de vertu, de désintéressement et de rigorisme, n'eut pas honte de se l'approprier et de fermer les yeux et les oreilles au bruit qu'excita cette perfidie.»
De Louville, gentilhomme de l'Anjou qui devait dix mille livres à de Vrillac, trouve cet honnête prétexte pour ne pas rembourser son créancier, que de Vrillac pourrait employer cette somme à préparer son évasion à l'étranger.
De Marsac, enseigne de vaisseau, présente un placet au roi pour demander la remise d'une rente due par lui au sieur Boisrousset, pour ce motif que les parents de son créancier ne font pas leur devoir de catholiques.
Les parents des réfugiés ne sont pas moins âpres à la curée que les étrangers; de la Corte, officier de marine, signale son oncle comme fugitif et demande ses biens; Mme Jaucourt de la Vaysserie gagne la prime promise aux délateurs, en dénonçant son mari et ses filles qui cherchaient à sortir du royaume; Mlle Vaugelade se fait allouer une pension sur les biens séquestrés d'une de ses parentes.
Henri de Ramsay, pour prix de sa conversion s'était fait donner les biens de son père, de sa mère et de ses oncles de Rivecourt passés à l'étranger et était ainsi devenu un des seigneurs les plus riches du bas Poitou. Cependant il laissait son père et sa mère mourir dans le dénuement, et refusait même de rembourser à son oncle 35 louis, que celui-ci avait avancés pour faire sortir son père, de la prison pour dettes de Maëstrich.
Le fils de Mme de Saintenac qui avait, grâce à la loi des confiscations, hérité, par avance, de l'immense fortune de sa mère, laissait celle-ci sans secours à l'étranger, et à sa mort il refusa de payer les dettes qu'elle avait laissées.
Fontaine, réfugié en Angleterre, met sa signature au bas d'une feuille de papier timbré et l'envoie à un de ses parents restés en France, pour qu'il pût vendre ou louer son domaine. (Je lui faisais observer, dit Fontaine, qu'il serait nécessaire de dater cet acte d'une époque antérieure à mon départ de France, cette condition étant indispensable pour empêcher de confisquer ma propriété). Ce bon parent suivit ces instructions pour son propre compte, il s'établit dans la maison de Fontaine devenue sa propriété en vertu d'un acte de vente en bonne forme et le pauvre réfugié n'entendit plus jamais parler de lui.
Le testament d'Alice de Cardot, léguant tous ses biens à son neveu de Vignolles, ayant été cassé et sa fortune confisquée, ce fut alors parmi les parents, nouveaux convertis de la défunte, à qui se salirait de plus de turpitudes pour se faire adjuger cette riche proie. — Bien qu'un des concurrents eût obtenu de Fléchier un certificat constatant qu'il était digne des bontés du roi, Bâville mit fin à ce combat de vautours autour d'un cadavre, en faisant décider que, provisoirement, l'héritage serait adjugé à l'hôpital général de Nîmes.
Il serait facile de multiplier les exemples de cette nature, ceux que j'ai cités suffisent pour édifier mes lecteurs.
La politique de l'ostracisme des faveurs, suivie contre les huguenots par Louis XIV, après Mazarin et Richelieu, politique dont l'habileté est moins contestable que l'honnêteté, avait eu, du moins, un résultat heureux au point de vue de la tranquillité du royaume; elle avait ramené au catholicisme toutes les grandes familles, la noblesse de cour, tous les ambitieux de pouvoir et d'honneurs, tous ceux, en un mot, pour qui la question religieuse n'avait été considérée que comme un moyen de parvenir; quant à la bourgeoisie protestante, voyant toutes les carrières publiques se fermer peu à peu devant elle, elle s'était consacrée aux professions libérales, au commerce, l'industrie et à l'agriculture, et s'était désintéressée de la politique. Les pasteurs qui avaient succédé aux seigneurs dans la direction du parti protestant, non seulement n'avaient rien de l'esprit turbulent de la noblesse, mais encore avaient fait accepter par leurs co-religionnaires cette dangereuse doctrine que désobéir au roi c'était désobéir à Dieu même.
La transformation du parti protestant, autrefois si remuant, en une pacifique secte religieuse explique comment, depuis la prise de la Rochelle, le roi de France avait toujours trouvé dans les réformés ses sujets les plus fidèles et les plus sûrs. Les huguenots avaient refusé de s'associer à la révolte du catholique Montmorency, et vingt ans plus tard, lors des troubles de la Fronde, ils étaient restés sourds aux appels de l'ancien chef du parti protestant, le prince de Condé.
Louis XIV, en confirmant l'édit de Nantes, disait: «Nos sujets de la religion réformée nous ont donné des preuves de leur affection et fidélité, notamment dans les circonstances présentes»; et en 1666, écrivant à l'électeur de Brandebourg, il affirmait encore ses bonnes dispositions en faveur des réformés «pour leur témoigner, disait-il, la satisfaction que j'ai eue de leur obéissance et de leur zèle pour mon service depuis la dernière pacification de 1660».
Mais, moins les protestants devenaient dangereux pour la tranquillité du royaume, plus chacun croyait pouvoir tenter contre eux.
Le clergé n'étant plus contenu par la crainte d'une révolte possible des réformés, pressait de plus en plus vivement chaque jour le roi de prendre les mesures nécessaires pour faire périr le plus promptement possible le protestantisme.
«Si vous cherchez, dit Rulhières, dans la collection du clergé cette longue suite de lois, toujours plus sévères contre les calvinistes, que, de cinq ans en cinq ans, à chaque renouvellement périodique de ses assemblées, il achetait du Gouvernement, vous y observerez que ses demandes avaient quelque modération tant que les calvinistes pouvaient être redoutés, mais qu'elles tendirent vers une persécution ouverte aussitôt qu'ils devinrent des citoyens paisibles.»
Les cléricaux sont donc mal fondés à prétendre que, par leur esprit remuant et indiscipliné, les protestants ont mis Louis XIV dans la nécessité de tenter la réalisation de cette utopie: le retour du royaume à l'unité de foi religieuse.
C'est une erreur tout aussi injustifiable que commet le fouriériste Toussenel quand il déclare que Louis XIV s'est montré grand homme d'État, en voulant supprimer le protestantisme, ami de la féodalité et constituant un insurmontable obstacle à l'unité de la France.
Les protestants, depuis la prise de la Rochelle, ne constituaient plus un État dans l'État, et Louis XIV les persécuta, non par politique, puisqu'ils étaient devenus ses plus fidèles sujets, mais pour raisons purement religieuses.
«Louis, le modèle des rois, dit Paul-Louis Courier, vivait, c'est le mot, à la Cour, avec la femme Montespan, avec la fille La Vallière, avec toutes les femmes et les filles que son bon plaisir fut d'ôter à leurs maris, à leurs parents. C'était le temps alors des moeurs, de la religion, et il communiait tous les jours. Par cette porte entrait sa maîtresse le soir, et le matin son confesseur.»
La besogne était rude pour le confesseur, dit Michelet, car le roi possédait publiquement à la fois trois femmes; la reine, La Vallière et la Montespan, elles communièrent ensemble, _à _Notre-Dame de Liesse, la reine récemment accouchée, La Vallière grosse de six mois, la Montespan dans les premiers troubles d'une grossesse. Il fallut remplacer le père Amat qui avait des scrupules, par le père Ferrier, puis par le père Lachaise, deux jésuites qui trouvèrent tout naturel que le roi prononçât la séparation de corps et de biens entre M. de Montespan et sa femme, qu'il fît légitimer ses bâtards du vivant de la reine, etc., et surent, pendant vingt ans, concilier les exigences de l'Église avec celles des passions du roi.
Pour mettre sa conscience en tranquillité, Louis XIV qui avait beaucoup de péchés à expier établissait une sorte de compensation entre le bien qu'il obligeait ses sujets à faire et le mal qu'il faisait lui-même. C'est ainsi que ce prince, doublement adultère, rendait une ordonnance portant mutilation du nez et des oreilles pour les filles de mauvaise vie et motivait ainsi une déclaration contre les blasphémateurs: «Considérant qu'il n'y a rien qui puisse davantage attirer la bénédiction du ciel sur notre personne et sur notre État que de garder et faire garder par tous nos sujets inviolablement ses saints commandements et faire punir avec sévérité ceux qui s'emportent à cet excès de mépris que de blasphémer, jurer et détester son saint nom, ni proférer aucune parole contre l'honneur de la très sacrée vierge, voulons et nous plaît, etc.»
C'est l'application du commode système en vertu duquel le compagnon d'un enfant royal est fouetté toutes les fois que son auguste camarade a fait une faute, du système en vertu duquel, font pénitence, par délégation, les deux vieilles galantes repenties dont Dangeau conte ainsi l'histoire: «La duchesse d'Olonne et la maréchale de la Ferté sa soeur, célèbres toutes deux par leurs galanteries, devenues vieilles et touchées par un sermon qu'elles venaient d'entendre un jour de mercredi des cendres, songeaient sérieusement à l'oeuvre de leur salut… «Ma soeur, dit la maréchale, que ferons-nous donc? Car il faut faire pénitence.» Après beaucoup de raisonnements et de perplexités: «Ma soeur, reprit, l'autre, tenez, voilà ce qu'il faut faire: faisons jeûner nos gens!»
De même, Louis XIV croyait racheter ses péchés, en provoquant par tous les moyens la conversion des huguenots de son royaume, en faisant pénitence sur le dos de ses sujets hérétiques.
Rulhières constate que cette préoccupation d'intérêt personnel est bien le motif déterminant de la croisade à l'intérieur, entreprise par Louis XIV. «Il avait, dit-il, formé le dessin de convertir les huguenots, comme trois siècles plus tôt et du temps de Philippe- Auguste et de Saint-Louis, il eût, en expiation de ses péchés, fait voeu d'aller conquérir la Terre Sainte.»
Quant à possibilité de trouver une justification de l'édit de révocation, on ne saurait trouver de témoignage moins suspect que celui de Saint-Simon, puisque c'est lui qui déconseilla le régent du rappel des huguenots et qu'il dit, dans ses mémoires, que Louis XIV avait fait la faute de révoquer l'édit de Nantes, beaucoup plus dans la manière de l'exécution que dans la chose même.
Or, Saint-Simon reconnaît qu'il n'y avait nulle raison, nul prétexte même, de déchirer le contrat passé entre les catholiques et les protestants sous la garantie de la signature royale, et il apprécie ainsi la faute commise par Louis XIV dans l'exécution de la révocation de l'édit de Nantes: «Qui eût su un mot de ce qui ne se délibérait que entre le confesseur, le ministre alors comme unique et l'épouse nouvelle et chérie, et qui de plus, eût osé contredire? C'est ainsi que sont menés à tout, par une voie ou par une autre, les rois qui… ne se communiquent qu'à deux ou trois personnes, et bien souvent à moins, et qui mettent, entre eux et tout le reste de leurs sujets, une barrière insurmontable.»
La révocation de l'édit de Nantes, sans le moindre prétexte et sans aucun besoin, et les diverses déclarations qui la suivirent furent les fruits de ce complot affreux, qui dépeupla un quart du royaume, qui ruina son commerce; qui l'affaiblit dans toutes ses parties, qui le mit si longtemps au pillage public et avoué des dragons, qui autorisa les tourments et les supplices dans lesquels ils firent réellement mourir tant d'innocents de tout sexe, et par milliers, qui ruina un peuple si nombreux, qui déchira un monde de familles, qui arma les parents contre les parents pour avoir leurs biens et les laisser mourir de faim, qui fit passer nos manufactures aux étrangers, fit fleurir et regorger leurs États aux dépens du nôtre et leur fit bâtir de nouvelles villes, qui donna le spectacle d'un si prodigieux peuple, proscrit, nu, fugitif, errant, sans crime, cherchant asile loin de sa patrie; qui mit nobles, riches, vieillards, gens souvent très estimés pour leur piété, leur savoir, leur vertu, des gens aisés, faibles, délicats, à la rame et sous le nerf très effectif du comité pour cause unique de religion: enfin qui, pour comble de toutes horreurs, remplit toutes les provinces du royaume de parjures et de sacrilèges, où tout retentissait des hurlements de ces infortunées victimes de l'erreur pendant que tant d'autres sacrifiaient leur conscience à leurs biens et à leur repos, et achetaient l'un et l'autre par des abjurations simulées, d'où, sans intervalle, on les traînait à adorer ce qu'ils ne croyaient point et à recevoir réellement le divin corps du saint des saints, tandis qu'ils demeuraient persuadés qu'ils ne mangeaient que du pain qu'ils devaient encore abhorrer.
Presque tous les évêques se prêtèrent à cette pratique subite et impie, beaucoup y forcèrent, la plupart animèrent les bourreaux, forcèrent les conversions: Le roi s'applaudissait de sa puissance et de sa piété. Il se croyait au temps de la prédication des apôtres et il s'en attribuait tout l'honneur. Les évêques lui écrivaient des panégyriques, les jésuites en faisaient retentir les chaires et les missions. Toute la France était remplie d'horreur et de confusion et jamais tant de triomphes et de joie, jamais tant de profusions de louanges… nos voisins exultaient de nous voir ainsi nous affaiblir et nous détruire nous-mêmes, profitaient de notre folie, et bâtissaient des desseins sur la haine que nous nous attirions de toutes les puissances protestantes.
Quelles que pussent être les désastreuses conséquences de cette cruelle persécution religieuse, elles n'étaient pas de nature à arrêter Louis XIV dans la voie déplorable où il s'était engagé. On lit, en effet, dans les mémoires du duc de Bourgogne, que dans le conseil où fut décidée la révocation de l'édit de Nantes, le Dauphin ayant observé que, en admettant que la paix ne fût pas troublée, un grand nombre de protestants sortiraient du royaume, ce qui nuirait au commerce et à l'industrie et, par là même, affaiblirait l'État, le roi trouva la _question d'intérêt peu digne de considération _comparée aux avantages d'une mesure qui rendrait à la religion sa splendeur, à l'État sa tranquillité et à l'autorité tous ses droits.
Il n'y a donc pas à s'étonner si Louis XIV refusa obstinément de revenir sur ses pas, quand il vit que la conversion de ses sujets huguenots n'était qu'une vaine apparence et que son ardeur inconsidérée à ramener, coûte que coûte, la France à l'unité religieuse, avait ruiné le royaume.
Il ne s'obstina que davantage à poursuivre un but impossible par le viol journalier des consciences, et la collection des édits qu'il fit contre ses sujets huguenots, faits par force catholiques, ou légalement réputés catholiques sans avoir jamais abjuré, est un monument monstrueux d'iniquité et de déraison.