Читать книгу Le registre d'écrou de la Bastille de 1782 à 1789 - Bégis Alfred - Страница 2
I
ОглавлениеLe château de la Bastille avait été construit sous Charles VI et sous Charles VII; il avait été complété de 1553 à 1559. Il servait de forteresse pour défendre ou pour commander la ville de Paris, et en même temps de prison d'État.
La façade du château présentait quatre tours vers Paris et quatre vers le faubourg Saint-Antoine. Le dessus était une plate-forme en terrasse continuée d'une tour à l'autre. Ces tours portaient les noms de la Comté, du Trésor, de la Bazinière, de la Chapelle, de la Liberté, de la Bertaudière, du Puits et du Coin. L'intérieur était divisé en cinq étages dont le dernier, voûté, était nommé la Calotte; au pied se trouvaient des cachots.
La Bastille servait de lieu de détention pour des prisonniers d'État, lesquels étaient en très petit nombre pendant les dernières années, et pour des prisonniers de police, lesquels comprenaient: des auteurs, des libraires, des colporteurs, des graveurs d'estampes satiriques ou obscènes, et même des relieurs. Ordinairement on relâchait ces derniers après quelques mois de détention. Certains prisonniers étaient maintenus à la Bastille, par l'influence de leurs familles et à leurs frais, moyennant le payement d'une pension dont le chiffre était fixé par le gouverneur.
C'était ordinairement en fiacre qu'on était conduit dans cette prison, afin d'échapper à la curiosité publique et d'éviter le scandale. Un inspecteur de police et deux hommes armés montaient dans la voiture pour tenir le prisonnier en respect. Le fiacre s'arrêtait dans l'intérieur du château, devant la porte de l'hôtel du gouverneur. Les sentinelles et les soldats des corps de garde avaient pour consigne de mettre leurs chapeaux devant leur visage, afin de ne pas voir le prisonnier; cette précaution se renouvelait à toutes les entrées, sorties, allées et venues de tous les détenus.
Le major de la Bastille et le lieutenant du roi recevaient le prisonnier, le faisaient monter avec l'exempt à l'appartement du gouverneur, et la lettre de cachet, en vertu de laquelle l'arrestation avait eu lieu, était remise par l'exempt au gouverneur qui lui en donnait une décharge. Nous reproduisons celle relative au sieur Jacquet de la Douay, espion de police, chargé de la surveillance des hommes de lettres et des libraires, lequel avait été arrêté comme s'étant intéressé dans la publication et la vente de livres prohibés.
Le sieur Jacquet, entré une première fois à la Bastille le 30 octobre 1781, en était sorti le 19 novembre 1782, pour être conduit à Charenton, puis ramené le 7 novembre 1783, pour n'en plus sortir que le 9 juillet 1789. Lors de cette seconde incarcération, il était accompagné par le sieur Le Houx, inspecteur de police, porteur d'une lettre ainsi conçue:
Monsieur le marquis de Launay,
Je vous fais cette lettre pour vous dire de recevoir dans mon château de la Bastille le sieur Jacquet et de l'y retenir jusqu'à nouvel ordre de ma part. Sur ce, je prie Dieu, Monsieur de Launay, qu'il vous ait en sa sainte garde.
Écrit à Fontainebleau, le 3 novembre 1783.
Signé: LOUIS.
Contresigné: AMELOT.
La lettre de cachet était quelquefois remplacée provisoirement par une lettre d'anticipation, en attendant celle du roi qui devait autoriser l'emprisonnement.
Le major inscrivait sur un registre le nom et la qualité du prisonnier, avec le numéro de l'appartement qu'il allait occuper; puis escorté de deux porte-clefs, il l'emmenait à la chambre qui lui était destinée. En arrivant, le détenu était invité à remettre tout ce qu'il avait dans ses poches, sa montre, ses bagues, son argent, ses papiers, ses étuis et même ses cure-dents; le major en dressait l'inventaire qu'il faisait signer par le prisonnier. Les papiers étaient réunis en un paquet que l'on cachetait avec le cachet du prisonnier auquel il était rendu. Ce paquet devait être ouvert par le magistrat chargé de l'interrogatoire.
Les noms des détenus n'étaient jamais prononcés; ils étaient désignés par le nom de la tour dans laquelle ils étaient placés, et par le numéro de leur étage. Ils pouvaient obtenir du lieutenant de police l'autorisation d'écrire à leur famille et d'en recevoir des réponses par son intermédiaire, d'avoir un domestique ou un garde-malade, et de recevoir des visites du dehors.
Pendant ces visites, le prisonnier devait rester à une certaine distance de son visiteur, afin que celui-ci ne pût pas lui remettre ni papiers, ni armes, ni instruments dont il aurait pu abuser. On prenait en outre les plus grandes précautions pour que le visiteur ne pût être vu d'aucun autre que celui qu'il venait voir.
Plusieurs prisonniers avaient été autorisés à se promener, l'un après l'autre, sous l'escorte d'un officier ou d'un porte-clefs, dans le jardin, puis sur les plates-formes des tours donnant du côté de la rue Saint-Antoine. M. Amelot décida que ces promenades n'auraient plus lieu que dans la cour du château. Cette cour formait un carré de 30 mètres sur 20; elle était entourée de murailles qui avaient plus de 30 mètres de haut, sans aucune fenêtre. C'était un large puits où le froid était insupportable pendant l'hiver et la chaleur excessive pendant l'été. Cette cour sans abri formait le seul passage pour arriver aux cuisines. Comme il fallait surtout que le prisonnier fût invisible et qu'il ne vît personne, quand il se présentait des étrangers, pendant sa promenade, il devait se réfugier dans le cabinet, couloir de 4 mètres de long sur 65 centimètres de large, pratiqué dans l'épaisseur d'une ancienne voûte. Au moindre soupçon de curiosité, sa promenade lui était supprimée, et il était réduit à une claustration absolue.
Les prisonniers étaient interrogés dans la salle du conseil du château, quelques jours après leur arrivée, par le lieutenant de police ou par un conseiller d'État, un maître des requêtes, un conseiller ou un commissaire du Châtelet.
Lorsqu'un prisonnier avait obtenu sa liberté, on lui rendait les effets, les valeurs et les objets qu'il avait remis en entrant. On lui présentait ensuite un registre intitulé: «Livre des sorties des prisonniers du château de la Bastille», sur lequel était inscrite une formule contenant la promesse de ne jamais révéler ce qu'il avait vu ou entendu pendant son séjour à la Bastille, et on l'invitait à la signer.
Nous reproduisons l'une de ces déclarations, signée par l'abbé Lenglet du Fresnoy, enfermé plusieurs fois à la Bastille à cause de ses écrits:
«Étant en liberté, je promets, conformément aux ordres du Roy, de ne parler à qui que ce soit, ny en aucune manière que ce puisse être, des prisonniers ny d'autres choses concernant le château de la Bastille, qui auraient pu parvenir à ma connaissance. Je reconnais de plus que l'on m'a rendu tout l'or, l'argent, papiers et effets que j'ai apportés ou fait apporter audit château. En foy de quoi j'ai signé le présent. Fait au château royal de la Bastille, le 24 du mois de janvier 1752. Signé: l'abbé Lenglet du Fresnoy».
En marge du livre se trouve le nom de Lenglet du Fresnoy, et au-dessous cette mention: «L'ordre de sortie, contresigné d'Argenson, du 17 janvier 1752.»
Le major était chargé de la tenue des livres d'entrée et de sortie des prisonniers et du dépôt de leurs effets. Depuis 1774, le major Chevalier avait été chargé de la rédaction d'un livre secret, contenant toutes les particularités relatives à chacun des prisonniers; ce livre ne devait être communiqué qu'aux ministres. Tous les jours, le major rendait compte, par lettre, au lieutenant de police, des visites reçues, de ce qui s'y était dit et fait.
Le plus important des registres de la Bastille était de format in-folio; il était enfermé dans un carton ou portefeuille couvert en maroquin et fermant à clef. Les pages de ce registre étaient divisées en sept colonnes, dont chacune portait l'un de ces titres imprimés:
1º Noms et qualités des prisonniers;
2º Date des jours d'arrivée des prisonniers au château;
3º Noms des secrétaires d'État qui ont expédié les ordres;
4º Date de la sortie des prisonniers;
5º Noms des secrétaires d'État qui ont signé les ordres d'élargissement;
6º Causes de la détention des prisonniers;
7º Observations et remarques.
Le major remplissait de lui-même les cinq premières colonnes et la septième; quant à la sixième, il devait suivre les indications que lui donnait le ministre ou le lieutenant de police. Les observations et les remarques contenaient l'historique des faits et gestes, du caractère, de la vie, des mœurs et de la fin des prisonniers.
Ces mémoires secrets eussent été accueillis par le public avec la plus grande curiosité; il aurait trouvé là des renseignements sur beaucoup de points intéressants de notre histoire; mais ce précieux recueil ayant été porté en triomphe à l'hôtel de ville, le 14 juillet 1789, fut livré aux flammes immédiatement.
Étienne de Junca, écuyer, lieutenant du Roy à la Bastille depuis le 11 octobre 1690 jusqu'au 26 août 1705, avait tenu pendant la durée de ses fonctions un registre qu'il avait intitulé: «Mémoires ou agenda de Mr de Junca, lieutenant du Roy de la Bastille.» Ce registre se trouve parmi les manuscrits de la bibliothèque de l'Arsenal; il est relié en parchemin blanc et divisé en 4 volumes in-folio.
Le premier volume débute ainsi: «État de prisonniers qui sont envoyés par ordre du Roy à la Bastille, à commencer du mercredi 11 du mois d'octobre, que je suis entré en possession de la charge de Lieutenant du Roy en l'année 1690.»
Au verso du folio 37, se trouve cette constatation: «À la date du jeudi 18 septembre 1698, trois heures de l'après-midi, Mr de Saint-Mars, gouverneur de la Bastille, est arrivé pour sa première entrée, venant de l'île Sainte-Marguerite, ayant amené avec lui, dans sa litière, un prisonnier qu'il avait à Pignerol, dont le nom ne se dit pas, lequel on fait tenir toujours masqué, qui fut mis d'abord dans la tour de la Bazinière, en attendant la nuit, et que je conduisis ensuite moi-même, sur les neuf heures du soir, dans la troisième chambre de la tour de la Bertaudière, laquelle chambre j'avais eu soin de faire meubler de toutes choses, avant son arrivée, en ayant reçu l'ordre de Mr de Saint-Mars… En le conduisant dans ladite chambre, j'étais accompagné du sieur de Rosargues, que Mr de Saint-Mars avait amené avec lui, lequel était chargé de servir et de soigner le prisonnier, qui était nourri par le gouvernement.»