Читать книгу L’Or / Золото. Книга для чтения на французском языке - Блез Сандрар - Страница 4
Chapitre II
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Оглавление– Vois-tu, mon vieux, disait Paul Haberposch à Johann August Suter, moi, je t’offre une sinécure et tu seras nourri, logé, blanchi. Même que je t’habillerai. J’ai là un vieux garrick à sept collets qui éblouira les émigrants irlandais. Nulle part tu ne trouveras une situation aussi bonne que chez moi ; surtout, entre nous, que tu ne sais pas la langue ; et c’est là que le garrick fera merveille, car avec les Irlandais qui sont de sacrés bons bougres, tous fils du diable tombés tout nus du paradis, tu n’auras qu’à laisser ouvertes tes oreilles pour qu’ils y entrent tous avec leur bon dieu de langue de fils à putain qui ne savent jamais se taire. Je te jure qu’avant huit jours, tu en entendras tant que tu me demanderas à entrer dans les ordres. Un Irlandais ne peut pas se taire, mais pendant qu’il raconte ce qu’il a dans le ventre, moi, je te demande de palper un peu son balluchon, histoire de voir s’il n’a pas un double estomac comme les singes rouges ou s’il n’est pas constipé comme une vieille femme. Je te donne donc mon garrick, un gallon de Bay-Rhum (car il faut toujours trinquer avec un Irlandais qui débarque, c’est une façon de se souhaiter la bienvenue entre compatriotes) et un petit couteau de mon invention, long comme le coude, à lame flexible comme le membre d’un eunuque. Tu vois ce ressort, presse dessus, na, tu vois, il y a trois petites griffes qui sortent du bout de la lame. C’est bien comme ça, oui. Pendant que tu lui parles d’O’Connor ou de l’acte de l’Union voté par le Parlement, mon petit outil te dira si ton client a le fondement percé ou s’il est bouché à l’émeri. Tu n’auras qu’à mordre dessus pour savoir si elle est en or ou en plomb, sa rondelle. Tu as compris ? oui, eh bien, tant mieux, ça n’est pas trop tôt ! Certes, c’est de mon invention ; quand je naviguais sur les Échelles, il y avait un diable de chirurgien français à bord qui appelait ça un thermomètre. Alors je te confie le thermomètre et pas de blagues, hein ? car tu me plais, fiston, votre mère n’a pas dû s’embêter en vous fabriquant. Écoutez. Surtout n’oublie pas de bien astiquer les boutons de ton garrick, il faut qu’ils brillent comme l’enseigne d’une bonne auberge, puis tu montres le flacon de rhum, car, comme dit le proverbe : bon sang ne saurait mentir, et avec tes cheveux de radis noir, mon garrick, les boutons astiqués comme des dollars gagnés aux dés, ils te prendront pour le cocher de l’archevêque de Dublin un jour de Grand pardon, et avec leurs idées d’Europe, ils te suivront tous jusqu’ici. Fais attention, hein, ne fais pas dead-heat, ne te laisse pas souffler tes clients par le satané Hollandais d’en face ; sinon gare ! Encore un mot. Quand tu m’auras amené ici un de tes Irlandais de malheur, tâche de ne jamais plus le rencontrer dans ta vie, même pas dans cent ans ! C’est tout ce que je te souhaite. Maintenant, fous le camp, on est paré.
– Il y a des tuyaux qui sont bons ; il y a des tuyaux qui sont crevés. Moi, je vais t’apprendre comment on fait du lard avec du cochon.
C’est Hagelstroem qui parle, l’inventeur des allumettes suédoises. Johann August Suter est garçon livreur, empaqueteur et comptable chez lui. Trois mois se sont écoulés. Johann August Suter a quitté les abords immédiats du port et pénétré plus avant dans la ville. Comme toute la civilisation américaine, il se déplace lentement vers l’ouest. Depuis sa rencontre avec ce vieux corsaire d’Haberposch, il a déjà fait deux, trois métiers différents. Il s’enfonce de plus en plus en ville. Il travaille chez un drapier, chez un droguiste, dans une charcuterie. Il s’associe avec un Roumain et fait du colportage. Il est palefrenier dans un cirque. Puis maréchal-ferrant, dentiste, empailleur, vend la rose de Jéricho dans une voiture dorée, s’établit tailleur pour dames, travaille dans une scierie, boxe un nègre géant et gagne un esclave et une bourse de cent guinées, remange de la vache enragée, enseigne les mathématiques chez les Pères de la Mission, apprend l’anglais, le français, le hongrois, le portugais, le petit nègre de la Louisiane, le sioux, le comanche, le slang, l’espagnol, s’avance encore plus dans l’ouest, traverse la ville, franchit l’eau, sort en banlieue, ouvre un mastroquet dans un faubourg. À Fordham, parmi sa clientèle de rudes rouliers qui s’attardent à boire en se communiquant les mille nouvelles de l’intérieur, apparaît de temps à autre un buveur solitaire et taciturne, Edgar Allan Poe.
Deux ans se sont écoulés. Tout ce que Suter a ouï, vu, appris, entendu dire, s’est gravé dans sa mémoire. Il connaît New York, les vieilles petites rues aux noms hollandais et les grandes artères nouvelles qui se dessinent et que l’on va numéroter ; il sait quel genre d’affaires on y traite, sur quoi s’édifie la prodigieuse fortune de cette ville ; comment on s’y tient au courant de la progression des lentes caravanes de chariots dans les grandes plaines herbeuses du Middle West ; dans quels milieux se préparent des plans de conquête et des expéditions encore ignorées du Gouvernement. Il a tellement bu de whisky, de brand, de gin, d’eau-de-vie, de rhum, de caninha, de pulque, d’aguardiente avec tous les enfants perdus retour de l’intérieur, qu’il est un des hommes les mieux renseignés sur les territoires légendaires de l’ouest. Il a plus d’un itinéraire en tête, a vent de plusieurs mines d’or, est le seul à connaître certaines pistes perdues. Deux, trois fois, il risque de l’argent dans des expéditions lointaines ou mise sur la tête de tel chef de bande. Il connaît les Juifs qui financent, qui sont comme les armateurs de ces sortes d’entreprises. Il connaît aussi les fonctionnaires qu’on peut acheter.
Et il agit.
D’abord prudemment.
Il s’associe, pour le voyage seulement, à des marchands allemands et part pour Saint-Louis, capitale du Missouri.