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MONSIEURDE L’ARGENTIÈRE, L’ACCUSATEUR
III
MATER DOLOROSA
ОглавлениеLe portier monta dans la journée chez Apolline pour lui remettre un sac d’argent: c’était la somme que Bertholin devait lui faire parvenir incognito après son départ; car il redoutait qu’avant son retour, cette malheureuse, sans ressource, ne succombât sous le besoin.
– De quelle part? demanda Apolline.
– Je ne sais, mademoiselle, un inconnu vient de me l’apporter pour vous, sans dire plus.
– Remportez cet argent!
– Je ne puis, on m’a bien dit: pour mademoiselle Apolline.
– Remportez-le, vous dis-je!
Le bon homme était tout interdit.
Apolline, fière et noble, le repoussait d’autant plus durement, qu’elle présumait en son cœur que c’était le prix de son déshonneur, que l’homme de la nuit tarifait pour l’humilier encore et l’avilir plus bas.
Mais le portier, tout en s’excusant, jeta le sac sur la table et se retira précipitamment.
Tout le jour, Apolline fut aux aguets; elle écouta si elle n’entendrait point, au-dessous, dans l’appartement de Bertholin, quelque bruit, marcher, remuer des meubles, ouvrir les portes ou les fenêtres, mais vainement. Ainsi, elle épia plusieurs jours de suite, sans plus de succès. Enfin elle se hasarda, un soir, de descendre heurter; pas de réponse: Bertholin avait emmené ses domestiques avec lui.
L’imbroglio se compliquait, et la pauvre Apolline y perdait la tête: – A-t-il déménagé? se disait-elle, mais je l’aurais entendu; aurait-il quitté Paris? et, avant son départ, aurait-il comploté avec un de ses intimes l’affreuse fourberie … Oh non! c’est impossible. Il serait donc bien faux et bien méchant! Oh non! Bertholin est un homme sensible et vrai … Qui m’expliquera tout cela? Elle allait, dans sa perplexité, jusqu’à douter d’elle-même, et se demander si son regard ne l’avait point trompée dans les ténèbres et si ce n’était point Bertholin lui-même qui s’était offert étranger à son imagination frappée. – Pourtant ce n’étaient point ses traits; je ne rêvais pas: pourtant ce n’était pas sa voix, pourtant ce n’étaient pas ses manières élégantes; oh non! ce n’était point lui.
Une semaine environ après cette mésaventure, Apolline reçut une lettre datée du Mont-Blanc; elle était de Bertholin, et s’exprimait ainsi:
Pardon, ma belle future, si je suis parti sans vous avoir baisé les mains; j’ai voulu nous épargner des adieux pénibles. Appelé à la préfecture du Mont-Blanc, je suis allé prendre possession de mon royaume. J’espère, avant quinze jours, revoler près de vous consacrer notre union secrètement, et aussitôt repartir pour ce pays qui, je pense, ne vous déplaira point. Vous n’avez pas eu sans doute la maladroite fierté de repousser la faible somme qu’on doit vous avoir remise d’une part invisible; vous êtes mon épouse, et je souffrirais trop de vous savoir des privations.
Cette lettre ne fit qu’accroître l’embarras d’Appoline: après tant de belles démonstrations, elle n’osait plus accuser Bertholin de noire perfidie; et cependant, à l’heure dite du rendez-vous, bien informé, un autre était venu en son nom la violenter. Mystère inextricable! la raison la plus plausible était que son billet avait pu s’être égaré entre les mains d’un étranger.
Quelque temps après cette première lettre de Bertholin, elle en reçut une autre, où il lui annonçait que, surchargé de travaux imprévus, il était forcé de retarder son départ.
A cette époque, Apolline commença à ressentir un malaise général. Dégoûtée de tout aliment, il lui prenait souvent des tranchées et des vomissemens; son inquiétude devint grande. Un médecin lui conseilla l’usage du safran, qui n’eut aucun résultat; alors il la déclara tout net en grossesse. A cette nouvelle, Apolline tomba dans la consternation et le désespoir.
Nuit et jour, elle pleurait amèrement. Sa position devenait bien cruelle. Bertholin lui avait enfin annoncé son retour; et, d’heure en heure, elle s’attendait à le revoir. Que faire en cette fatale conjoncture? Lui cacher et le duper était chose difficile et malhonnête; lui déclarer tout franchement, c’était tout perdre, et cependant sa délicatesse ne lui laissait que ce parti. Aussi résolut-elle de lui confesser sans déguisement dès son arrivée, et peut-être espérait-elle que sa générosité lui pardonnerait une faute désespérante, commise pour lui et par lui.
Enfin, Bertholin reparut: dès l’abord, il remarqua un grand changement en elle, une tristesse, un air guindé à son vis-à-vis, une altération et un amaigrissement dans ses beaux traits. Il la comblait de tant de caresses et de tant d’amour, que, malgré sa résolution ferme, Apolline n’osait entamer son aveu: vingt fois le premier mot expira sur ses lèvres tremblantes; elle n’osait jeter un si grand désenchantement à un homme si grandement épris. Bertholin s’inquiétait aussi, et ne savait à quoi attribuer tant de larmes.
L’heure de frapper le coup sonna: les préparatifs et les démarches légales étaient faits; le mariage était fixé au samedi suivant; c’était à Saint-Sulpice, à minuit, que, devant deux ou trois témoins, ils devaient, en grand négligé, recevoir la bénédiction nuptiale, pour partir le matin même.
Le jeudi soir, Bertholin invita Apolline à descendre en son appartement, et joyeux, la conduisit, dans le salon: le guéridon et le sopha étaient couverts d’étoffes, de châles, de parures, de bijoux.
– Voici, ma belle, quelques présens que vous offre votre humble époux, puissent-ils vous être agréables.
Apolline se prit tout à coup à sangloter, et resta morne à l’entrée.
– Qu’avez-vous, mon amie? approchez, tout cela est à vous! Aimez-vous cette robe de velours bleu Marie-Louise, cette jeannette d’or, ces bracelets de corail, ce cachemire boiteux?..
Alors Apolline tomba de sa hauteur sur les genoux.
– O Bertholin! Bertholin! si vous saviez?..
– Qu’avez-vous, mon enfant?
– Si vous saviez combien je suis indigne de tout cela? N’est-ce pas, ô mon Dieu! qu’il faut tout lui dire? Je ne sais pas tromper, Bertholin! Oh! si vous saviez? vous chasseriez du pied celle que vous appelez votre épouse!
Il était pétrifié.
– Ecoutez! peut-être êtes-vous coupable de mon crime? Regardez!!!
Disant cela elle arrachait son châle et sa robe plissée qui voilaient sa grossesse.
– Regardez donc!.. Faudra-t-il que je dise ma honte?..
– Abomination!.. Vous enceinte, Apolline? Ah! c’est infâme que d’avoir abusé ainsi un vieillard généreux!
Voilà donc l’épouse! la vierge! que par pitié j’avais choisie! fille de rien! que je voulais grandir!.. prostituée!!!
– Mille fois mourir plutôt!.. criait Apolline se traînant à ses pieds.
Ecoutez-moi, au nom de Dieu! vous me tuerez après! Ecoutez-moi donc, ô mon père! écoutez la vérité.
– Te tairas-tu, effrontée?..
– Dieu voit mon innocence et votre crime, car j’étais pure avant de vous connaître…
– Infâme!..
– Car j’étais pure quand vous m’avez élue votre épouse, c’est vous qui m’avez perdue; écoutez!
Avant votre départ, vous me demandâtes rendez-vous, un soir, chez moi, je l’accordai. A neuf heures on heurte à ma porte, j’ouvre et reçois dans l’obscurité; je croyais que c’était vous, mon Bertholin! Ce démon contrefaisait votre voix et me trompa. Après un long combat, je succombai, croyant m’abandonner à vous… Il me viola!..
– Apolline, vous en avez menti!..
– Quand ce monstre eut consommé sur moi son attentat, lui-même il m’arracha de mon erreur. A la lueur de la lune, je distinguai ses traits: il était blême, avait les cheveux roux, les favoris rouges, les yeux caverneux; il était grand et vêtu de noir.
– Apolline, vous en avez menti!..
– O mon père, croyez-moi!..
– Vous en avez menti!
– Je le jure par ce Christ, par ma mère qui m’entend là-haut!
– Vous en avez menti!
– C’est à vous que je croyais abandonner mes caresses, et vous me traitez ainsi!.. C’est vous qui m’avez perdue!..
– Vous en avez menti…
– Vous avez égaré ma lettre: ce devait être quelqu’un de vos amis....
– Vous en avez menti!
– O mon père!
– Sortez de devant moi!
Il t’en cuit, pauvre Bertholin; à cinquante ans, de t’être dépouillé de ta haine, pour aller t’abaisser aux genoux d’une fille! Cruelle leçon! Mais c’est infâme! Quand j’y pense!.. – Va-t-en, va-t-en, ou je te foule aux pieds comme ces écrins! Va-t-en, si tu veux m’épargner un meurtre! Va-t-en, gueuse, prostituée!!!!
Apolline râlait sur le carreau.
Bertholin la saisit par les pieds, la traîna et la jeta dehors, et sur-le-champ même il repartit.