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LIVRE SECOND
HISTOIRE DE Mme DE CHÂTILLON

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Portrait de madame de Châtillon

Madame la duchesse de Châtillon, fille de M. de Boutteville68 qui eut la tête coupée pour s'être battu en duel, contre les édits du roi père de Louis XIV, femme de Gaspard, duc de Châtillon69, avoit les yeux noirs et vifs, le front petit, le nez bien fait, la bouche rouge, petite et relevée, le teint comme il lui plaisoit; mais d'ordinaire elle le vouloit avoir blanc et rouge; elle avoit un rire charmant, et qui alloit réveiller la tendresse jusqu'au fond des cœurs; elle avoit les cheveux fort noirs, la taille grande, l'air bon, les mains longues, sèches et noires, les bras de la même couleur et carrés, ce qui tiroit à de méchantes conséquences pour ce que l'on ne voyoit pas; elle avoit l'esprit doux et accort, flatteur et insinuant; elle étoit infidèle, intéressée et sans amitié. Cependant, quelque épreuve que l'on fît de ses mauvaises qualités, quand elle vouloit plaire, il n'étoit pas possible de se défendre de l'aimer; elle avoit des manières qui charmoient; elle en avoit d'autres qui attiroient le mépris de tout le monde. Pour de l'argent et des honneurs, elle se seroit déshonorée, et auroit sacrifié père, mère et amants70.

Gaspard de Coligny, et depuis duc de Châtillon, après la mort du maréchal son père et de son frère aîné, devint amoureux de mademoiselle de Boutteville; et parceque le prince de Condé en devint amoureux aussi, Coligny le pria de se déporter de son amour, puisqu'il n'avoit pour but que la galanterie, et que lui songeoit au mariage. Le prince, parent et ami de Coligny, ne put honnêtement lui refuser sa demande, et, comme sa passion ne faisoit que de naître, il n'eut pas beaucoup de peine à s'en défaire. Il promit à Coligny que non seulement il n'y songeroit plus, mais qu'il le serviroit en cette affaire contre le maréchal son père et ses parents, qui s'y opposoient; et, en effet, malgré tous les arrêts du Parlement et tous les obstacles que le maréchal son père y pût apporter, le prince assista si bien Coligny, alors de ce nom, qu'on appela depuis Châtillon par la mort de son frère, qu'il lui fit enlever mademoiselle de Boutteville, et lui prêta vingt mille francs pour sa subsistance. Coligny mena sa maîtresse à Château-Thierry, où il consomma le mariage; de là ils passèrent outre, et s'en allèrent à Stenay, ville de sûreté que M. le Prince, à qui elle étoit, leur avoit donnée pour leur séjour. Soit que Coligny ne trouvât pas sa maîtresse aussi bien faite qu'il se l'étoit imaginé, soit que l'amour qui étoit satisfait lui donnât le loisir de faire des réflexions sur le mauvais état de sa fortune, soit qu'il craignît d'avoir donné à sa femme le mal qu'il avoit, il lui prit un chagrin épouvantable le lendemain de son mariage; et, pendant qu'il fut à Stenay, le chagrin lui continua de telle sorte qu'il ne sortoit non plus des bois qu'un sauvage. Deux ou trois jours après, il s'en alla à l'armée, et sa femme dans un couvent de religieuses à deux lieues de Paris. Ce fut là où Roquelaure71, qui sçavoit sa nécessité, lui envoya mille pistoles, et Vineuil deux mille écus, qu'on leur doit encore, quoique la duchesse soit riche et que cet argent ait été employé à son usage particulier.

Le défaut d'âge de Coligny lorsqu'il épousa sa femme rendant son mariage invalide, et se trouvant majeur à son retour, on passa un contrat de mariage, dans l'hôtel de Condé, devant tous les parents de la demoiselle, et ensuite ils furent épousés dans Notre-Dame par le coadjuteur de Paris72. Quelque temps après, madame de Châtillon, se trouvant incommodée, alla prendre des eaux, où le duc de Nemours se rencontra et devint amoureux d'elle.

Portrait de M. le duc de Nemours

Le duc de Nemours avoit les cheveux fort blonds, le nez bien fait, la bouche petite et de belle couleur et la plus jolie taille du monde; il avoit dans ses moindres actions une grâce qu'on ne pouvoit exprimer, et dans son esprit enjoué et badin un tour admirable. La liberté de se voir à toute heure, que l'usage a introduite dans les lieux où l'on prend des eaux, donna mille occasions au duc de Nemours de faire connoître son amour à sa maîtresse; mais, sçachant qu'on n'a jamais réglé d'affaires amoureuses, au moins avec les dames qu'on estime un peu, qu'en faisant une déclaration de bouche ou par écrit, il se résolut de parler, et, un jour qu'il étoit seul chez elle: «Il y a plus de trois semaines, Madame, lui dit-il, que je balance à vous dire ce que je sens pour vous; et quand, à la fin, je me détermine de vous en parler, c'est après avoir vu toutes les difficultés que je puis trouver en ce dessein. Je me fais justice, Madame, et par cette raison je ne devrois pas espérer; d'ailleurs, vous venez d'épouser un amant aimé, et c'est une difficile entreprise de l'ôter de votre cœur et de se mettre en sa place. Cependant je vous aime, Madame, et quand vous devriez, pour n'être pas ingrate, vous servir de cette raison contre moi, je vous avoue que c'est mon étoile, et non pas mon choix, qui m'oblige à vous aimer.» Madame de Châtillon n'avoit jamais eu tant de joie que ce discours lui en donna. M. de Nemours lui avoit paru si aimable73 que, si c'eût été l'usage que les femmes eussent parlé les premières de leur amour, celle-ci n'eût pas attendu si long-temps que fit son amant. Mais la peur de ne paroître pas assez précieuse l'embarrassa si fort qu'elle fut quelque temps sans sçavoir que répondre. Enfin, s'efforçant de parler pour cacher le désordre que son silence témoignoit: «Vous avez raison, Monsieur, lui dit-elle avec toutes les façons du monde, de croire qu'on aime fort son mari; mais vous voulez bien qu'on prenne la liberté de vous dire que vous avez tort d'avoir sur votre chapitre tant de modestie que vous avez. Si on étoit en état de reconnoître les bontés que vous avez pour les gens, vous verriez bien qu'ils vous estiment plus que vous ne faites. – Ah! Madame, reprit le duc de Nemours, il ne tient qu'à vous que je ne passe pour être le plus honnête homme de France.» À peine eut-il achevé ces mots, que la comtesse de Maure74 entra dans sa chambre, devant laquelle il fallut bien changer de conversation, quoique ces deux amants ne changeassent point de pensée. Leur distraction et leur embarras firent juger à la comtesse de Maure que leurs affaires étoient plus avancées qu'elles n'étoient, et cela fut cause qu'elle se préparoit à faire une visite fort courte, lorsque le duc de Nemours la prévint. Le prince, amoureux et discret, sçachant bien qu'il jouoit un méchant personnage devant une femme clairvoyante comme la comtesse de Maure, sortit et s'en alla chez lui écrire cette lettre à sa maîtresse:

LETTRE

Je sors d'auprès de vous, Madame, pour être plus avec vous que je n'étois. La comtesse de Maure m'observoit, et je n'osois vous regarder; je craignois même, comme elle est habile, que cette affectation ne me découvrît: car enfin, Madame, on sçait si bien qu'il vous faut regarder quand on est auprès de vous que l'on croit que qui ne vous regarde pas y entend finesse. Si je ne vous vois pas maintenant, Madame, au moins ne s'aperçoit-on pas que j'ai de l'amour, et j'ai la liberté de ne l'apprendre qu'à vous. Mais que je serois heureux si je pouvois vous le persuader au point qu'il est, et que vous seriez injuste en ce cas-là, Madame, si vous n'aviez pas quelque bonté pour moi!

Madame de Châtillon se trouva fort embarrassée en recevant cette lettre. Elle ne sçavoit quel parti prendre, de la douceur ou de la sévérité. Celui-ci pouvoit faire perdre le cœur de son amant, l'autre son estime, et tous les deux le rebuter. Enfin elle résolut de suivre le plus difficile, comme étant le plus honnête; et, quoi que lui dît son cœur, elle aima mieux faire ce que lui conseilla sa raison. Elle ne fit point de réponse au duc, et, comme il entra le lendemain dans sa chambre: «Venez-vous encore ici, Monsieur, lui dit-elle, me faire quelque nouvelle offense? Parceque l'on a l'humeur douce et le visage, croyez-vous qu'il n'y a qu'à entreprendre avec les gens? S'il ne faut qu'être rude pour avoir votre estime, on en fait assez de cas pour se contraindre quelque temps. Oui, Monsieur, on sera fière, et je vois bien qu'il le faut être avec vous.» Ces dernières paroles furent un coup de foudre tombé sur ce pauvre amant. Les larmes lui vinrent aux yeux, et ses larmes parlèrent bien mieux pour lui que tout ce qu'il put dire. Après avoir été un moment sans parler: «Je suis au désespoir, Madame, lui répondit-il, de vous voir en colère, et je voudrois être mort, puisque je vous ai déplu. Vous allez voir, Madame, dans la vengeance que j'ai résolu de prendre de l'offense que vous avez reçue, que vos intérêts me sont bien plus chers que les miens propres; je m'en vais si loin de vous, Madame, que mon amour ne vous importunera plus. – Ce n'est pas cela que je vous demande, interrompit cette belle; vous pourriez bien sans me fâcher demeurer encore ici. Ne sçauriez-vous me voir sans me dire que vous m'aimez, ou du moins sans me l'écrire? – Non, non, Madame, répliqua-t-il; il m'est absolument impossible. – Eh bien! Monsieur, voyez-moi donc, reprit madame de Châtillon; j'y consens, mais remarquez bien tout ce qu'on fait pour vous. – Ah! Madame, interrompit le duc en se jetant à ses pieds, si je vous ai adorée toute cruelle que vous avez été, jugez ce que je ferai quand vous aurez de la douceur! Oui, Madame, jugez-en, s'il vous plaît, car je ne sçaurois vous exprimer ce que je sens.» Cette conversation ne finit pas comme elle avoit commencé: madame de Châtillon se dispensa de garder toute la rigueur qu'elle s'étoit promise, et, si le duc de Nemours n'eut pas de grandes faveurs, au moins eut-il raison d'espérer d'être aimé. Dans cette confiance, il ne fut pas chez lui qu'il écrivit cette lettre à sa maîtresse:

LETTRE

Après m'avoir dit, Madame, que vous consentiez que je vous visse, puisqu'il m'étoit impossible de vous voir sans vous dire que je vous aime, ou du moins sans vous l'écrire, je devrois vous écrire avec confiance que ma lettre ne seroit pas mal reçue; cependant je tremble, Madame, et l'amour, qui n'est jamais sans crainte de déplaire, me fait imaginer que vous avez pu changer de sentiments depuis trois heures. Faites-moi la faveur, Madame, de m'en éclaircir par deux lignes. Si vous saviez avec quelle ardeur je les souhaite et avec quels transports de joie je les recevrai, vous ne me jugeriez pas indigne de cette grâce.

Madame de Châtillon n'eut pas reçu cette lettre qu'elle lui fit cette réponse:

RÉPONSE

Pourquoi seroit-on changée, Monsieur? Mais, mon Dieu! que vous êtes pressant! N'êtes-vous pas satisfait de connoître vos forces, sans vouloir encore triompher de la foiblesse d'autrui?

Le duc de Nemours reçut cette lettre avec une joie qui le mit quasi hors de lui-même. Il la baisa mille fois et ne pouvoit cesser de la lire. Cependant l'amour de ces deux amants augmentoit tous les jours, et madame de Châtillon, qui avoit déjà rendu son cœur, ne défendoit plus le reste que pour le rendre plus considérable par la difficulté. Enfin, le temps de prendre des eaux étant passé, il fallut se séparer; et, quoique l'un et l'autre s'en retournât à Paris, ils jugèrent bien tous deux qu'ils ne se verroient plus avec tant de commodité qu'ils avoient fait à Bourbon75. Dans la vue de ces difficultés, leur adieu fut pitoyable. Le duc de Nemours assura plus sa maîtresse par ses larmes qu'il aimeroit toujours que par les choses qu'il lui dit; et la contrainte qui parut que madame de Châtillon faisoit pour ne pas pleurer fit le même effet en son amant. Ils se quittèrent fort tristes, mais fort persuadés qu'ils s'aimeroient bien, et qu'ils s'aimeroient toujours. Le reste de l'automne ils se virent fort peu, parcequ'ils étoient observés; mais ils s'écrivirent souvent.

Au commencement de l'hiver, la guerre civile, qui commençoit de s'allumer, obligea le roi de sortir de Paris assez brusquement et se retirer à Saint-Germain76. Dans ce temps-là le maréchal, père de Coligny77, vint à mourir, et le prince de Condé, qui étoit alors le bras droit du cardinal Mazarin, obtint le brevet de duc et pair pour son cousin de Coligny. Les troupes arrivant de toutes parts, on bloqua la ville. La cour cependant ne paroissoit pas triste, et les courtisans et les gens de guerre étoient ravis du mauvais état de ces affaires. Le cardinal seul, qu'elles pouvoient ruiner, en cachoit une partie à la reine, et le tout au jeune roi, à qui on ne parloit de la guerre que pour dire les défaites des rebelles; et le reste du temps on l'amusoit à des jeux proportionnés à son âge. Entre autres personnes avec qui il aimoit à jouer, la duchesse de Chastillon tenoit le premier rang, et ce fut sur cela que Benserade78 fit ce couplet de chanson sous le nom de son mari:

Châtillon, gardez vos appas

Pour une autre conquête.

Si vous êtes prête,

Le roi ne l'est pas;

Avec vous il cause,

Mais, en vérité,

Il faut bien autre chose

Pour votre beauté

Qu'une minorité.


Dans tous ces petits jeux, le duc de Nemours ne perdit pas son temps. Il n'y en avoit guère où la duchesse et lui ne se donnassent des témoignages de leur amour; et, à mesure que la passion de ces amants croissoit, leur prudence faisoit le contraire. On remarquoit, à la bohémienne, qu'ils se mettoient toujours vis-à-vis l'un de l'autre et en état de se pouvoir dire le secret; à colin-maillard, que, quand l'un avoit les yeux bouchés, l'autre se venoit livrer à lui, afin que la main, en cherchant à connoître celui qu'elle avoit pris, eût le prétexte de tâter partout; enfin il n'y avoit point de jeu où l'amour ne leur fît trouver moyen de se faire des tendresses.

Le duc de Châtillon, que la connoissance de l'humeur de sa femme obligeoit à l'observer, vit quelque chose de l'intelligence du duc de Nemours et d'elle. La gloire plus que l'amour lui fit recevoir ce déplaisir avec une impatience extrême. Il en parla à un de ses bons amis, qui, prenant à son chagrin toute la part qu'il y devoit prendre, en alla parler à la duchesse. «Le service que j'ai voué, dit-il, à la maison de monsieur votre mari, m'oblige à vous venir donner un avis qui vous est de conséquence. Belle comme vous êtes, Madame, il n'est pas possible que vous ne soyez aimée, et comme assurément, vos intentions étant bonnes, vous ne prenez pas assez garde à vos actions, la plupart des femmes qui vous envient et des hommes jaloux de la gloire de monsieur votre mari donnent un méchant jour à tout ce que vous faites. Monsieur votre mari, lui-même, s'est aperçu que vous avez une conduite qui, bien qu'elle fût plus imprudente que criminelle, ne laisseroit pas de vous faire tort dans le monde et de lui donner du chagrin. Vous sçavez comme il est glorieux, Madame, et combien il craindroit le ridicule sur cette matière. Je vous en donne avis et vous supplie très humblement d'y prendre garde: car, si, vous reposant sur la netteté de votre conscience, vous négligez trop votre réputation, monsieur votre mari pourroit se porter à des violences contre vous qui ne vous laisseroient pas en état de lui faire voir votre innocence. – Ce que vous me dites, Monsieur, lui répliqua madame de Châtillon, ne me doit pas surprendre; monsieur le duc m'a de bonne heure accoutumée à ses caprices. Dès le lendemain qu'il m'eut épousée, il prit une si furieuse jalousie de Roquelaure, qui l'avoit servi en mon enlèvement, qu'il ne la put cacher, et cependant on ne lui en peut pas donner moins de sujet que nous avions fait. Aujourd'hui le voici qui recommence à prendre des soupçons. Je ne sçaurois encore deviner sur qui ils tombent; tout ce que je vous puis dire, c'est que je doute qu'il eût là-dessus l'esprit en repos quand je serois à la campagne et que je ne verrois que mes domestiques. – Je n'entre pas, Madame, reprit cet ami, dans un plus long détail avec vous; je ne sçais même si monsieur votre mari regarde quelqu'un, quand il me témoigne de n'être pas satisfait de vous; mais vous pouvez, sur ce que je vous dis, prendre des mesures pour votre conduite.» Et là-dessus, ayant pris congé d'elle, il la laissa dans des inquiétudes épouvantables. D'abord elle en avertit le duc de Nemours, avec qui elle résolut qu'ils se contraindroient plus qu'ils n'avoient fait par le passé.

Cependant monsieur le Prince, qui ne songeoit qu'à réduire le peuple de Paris par la faim, à livrer le Parlement, qui avoit mis la tête du Cardinal à prix, crut qu'une des choses qui pouvoient le plus avancer ce succès étoit la prise de Charenton, que Clanleu79 gardoit avec cinq ou six cents hommes. Il rassembla une partie des quartiers, et avec mille hommes, à la tête desquels voulut se mettre Gaston de France80, oncle du roi, lieutenant général de la Régence, il vint attaquer Charenton par trois endroits. Comme il n'y avoit que des retranchements assez mauvais aux avenues, il ne fut pas difficile aux troupes du roi de les forcer; mais le duc de Châtillon, qui commandoit les attaques sous monsieur le Prince, poussant vigoureusement les ennemis, fut blessé au bas-ventre d'une mousquetade dans le bourg, dont il mourut la nuit d'après. Monsieur le Prince le regretta fort, et sa douleur fut si violente qu'elle ne put pas durer. Par ce qui s'est passé on peut juger que la duchesse ne fut que médiocrement affligée, et on le jugera encore mieux par ce qui arrivera ensuite; cependant elle pleura, elle s'arracha les cheveux, et fit voir les apparences du plus grand désespoir du monde. Le public fut tellement trompé que l'on fit ce sonnet sur cette mort:

SONNET

Châtillon est donc mort au moment où la cour

Lui préparoit l'honneur que méritoient ses armes!

Mars vient de le ravir au milieu des alarmes,

Et, malgré la victoire, il a perdu le jour.


Quand on vous eut ôté l'espoir de son retour,

Quels furent vos transports, beauté pleine de charmes!

Quiconque les a vus et les a vus sans larmes,

Il faut qu'il ait le cœur insensible à l'amour.


En un pareil état, en pareille surprise,

Alcione jamais, ni jamais Artemise,

N'eurent tant de raison de se plaindre du sort.


Ô discorde funeste, en misères féconde,

Que ne feras-tu point, si ton premier effort

A déjà fait pleurer les plus beaux yeux du monde?


Le duc de Nemours, qui étoit mieux averti que le reste du monde, ne s'étonna point de l'affliction de madame de Châtillon. Il prit si bien le temps que l'excès de la douleur avoit altéré cette pauvre désespérée, et la pressa si fort de lui accorder des faveurs que la crainte qu'elle avoit eue de son mari l'avoit empêchée de lui faire pendant sa vie, qu'elle lui donna rendez-vous le jour de son enterrement. Bordeaux81, l'une de ses demoiselles, qui croyoit que la mort du duc ruineroit la fortune de Ricoux, qui la recherchoit en mariage, étoit en une véritable affliction: de sorte que, lorsqu'elle vit le duc de Nemours sur le point de recevoir les dernières faveurs de sa maîtresse un jour que les plus emportés se contraignent, l'horreur de cette action redoubla sa douleur, et, sans sortir de la chambre, elle troubla le plaisir de ces amants par des soupirs et par des larmes. Le duc, qui vit bien que, s'il n'apaisoit cette femme, il n'auroit pas à l'avenir dans son amour toute la douceur qu'il souhaitoit, prit soin de la consoler en sortant, et lui dit qu'il sçavoit bien la perte qu'elle faisoit au feu duc, mais qu'il vouloit être son ami et prendre soin de sa fortune, ainsi que le défunt; qu'il avoit autant de bonne volonté que lui et peut-être plus de pouvoir, et qu'en attendant qu'il pût faire quelque chose de considérable pour elle, il la prioit de recevoir quatre mille écus qu'il lui enverroit le lendemain. Ces paroles eurent tant de vertu que Bordeaux essuya ses larmes, promit au duc d'être toute sa vie dans ses intérêts, et lui dit que sa maîtresse avoit toutes les raisons du monde de ne rien ménager pour lui donner des marques de son amour. Le lendemain Bordeaux eut les quatre mille écus que le duc lui avoit promis: aussi le servit-elle depuis préférablement à tous ceux qui ne lui en donnèrent pas tant.

Au commencement du printemps, la paix étant faite, la cour revint à Paris. Monsieur le Prince, qui venoit de tirer monsieur le Cardinal82 d'une méchante affaire, lui vendoit bien chèrement les services qu'il lui avoit rendus dans cette guerre. Non seulement le Cardinal ne pouvoit fournir aux grâces qu'il lui demandoit tous les jours, mais il ne pouvoit supporter l'insolence avec laquelle il les demandoit. Le Pont-de-l'Arche, que le prince lui avoit arraché pour son beau-frère le duc de Longueville83; le mariage du duc de Richelieu, qu'il avoit fait hautement avec mademoiselle de Pons84 contre l'intention de la cour, et l'audace avec laquelle il avoit exigé de la reine qu'elle vît Jarzay, après la hardiesse que celui-ci avoit eue d'écrire à Sa Majesté une lettre d'amour, fit enfin résoudre le Cardinal de se délivrer de la tyrannie où il étoit, sous prétexte de venger le mépris qu'on faisoit à l'autorité royale. Il communiqua ce dessein à monsieur le duc d'Orléans, qui se souvenoit du bâton rompu de son exempt par le prince, et qui, pour cela et pour la jalousie de son grand mérite, avoit des raisons de le haïr; et parceque monsieur le Cardinal fit connoître à Monsieur que la Rivière85, qui le gouvernoit, étoit pensionnaire du prince, il tira parole de lui qu'il cacheroit cette affaire à son favori. On arrêta au palais, où logeoit pour lors le roi, messieurs le prince de Condé, le prince de Conti, et le duc de Longueville, leur beau-frère. Cependant monsieur de Turenne86, qui, par les liaisons qu'il avoit avec monsieur le Prince, pouvoit craindre d'être pris, et qui d'ailleurs étoit enragé contre la cour pour la principauté de Sedan, qu'on avoit ôtée à sa maison, se retira à Stenay, où madame de Longueville87 arriva bientôt après, et les officiers du prince se jetèrent dans Bellegarde. Madame de Châtillon s'attacha auprès de madame la Princesse douairière88, et mit dans ses intérêts le duc de Nemours, son amant.

Quelque temps après que les princes furent en prison, madame la Princesse douairière eut permission d'aller demeurer chez sa cousine madame de Châtillon. Un prêtre nommé Cambiac89, qui s'étoit introduit chez madame de Boutteville par le moyen de madame de Brienne90, fut envoyé à madame de Châtillon par sa mère. Il n'y fut pas longtemps qu'il se rendit maître de son esprit, en telle sorte qu'il se mit entre elle et le duc de Nemours; ce commerce lui donnant lieu d'avoir de grandes familiarités avec madame de Châtillon, il en devint amoureux, et jusqu'au point de s'en évanouir en disant la messe. Madame la Princesse douairière étant tombée malade de la maladie dont elle mourut91, Cambiac, qui s'étoit acquis beaucoup de crédit sur son esprit, l'employa en faveur de madame de Châtillon: il lui fit donner pour cent mille écus de pierreries et la jouissance sa vie durant de la seigneurie de Marlou92, qui valoit vingt mille livres de rente. Le duc de Nemours, que les soins de Cambiac pour madame de Châtillon avoient un peu alarmé, fut tout à fait jaloux de la nouvelle du testament de la princesse; il ne crut pas qu'il fût aisé de résister à des services si considérables, et, quoiqu'il ne pût blâmer sa maîtresse de les avoir reçus, il étoit enragé qu'elle les tînt de la main d'un homme qu'il regardoit comme son rival. Il n'avoit pas tort: ce qu'avoit fait Cambiac avoit coûté des faveurs à cette belle, car, quoiqu'elle aimât mieux le duc de Nemours, elle aimoit le bien encore davantage. Cependant, comme elle n'eut plus affaire de Cambiac après la mort de madame la Princesse, il ne lui fut pas difficile de guérir l'esprit de son amant en chassant le pauvre prêtre.

Le coadjuteur de Paris et madame de Chevreuse, qui avoient été du complot d'arrêter les princes, trouvant que le cardinal devenoit trop insolent, firent entrer monsieur le duc d'Orléans dans cette considération, et lui représentèrent que, s'il contribuoit à la liberté des princes, non seulement il se réconcilieroit avec eux, mais il les mettroit tout à fait dans ses intérêts. Outre le dessein d'affoiblir l'autorité du cardinal, qui donnoit de l'ombrage au parti qu'on appeloit la Fronde, chacun avoit encore son intérêt particulier. Madame de Chevreuse vouloit que monsieur le prince de Conti93, pour qui la cour avoit demandé à Rome le chapeau de cardinal, épousât sa fille, et le coadjuteur vouloit être subrogé à la nomination du prince. Ce fut sur cette promesse, que les princes de Condé et de Conti donnèrent signée de leurs mains à madame de Chevreuse, qu'elle et le coadjuteur travaillèrent à les faire sortir de prison. La chose ayant réussi comme ils l'avoient projeté, et le cardinal même ayant été contraint de sortir hors de France, monsieur le Prince n'eut pas de modération dans sa nouvelle prospérité, et cela obligea la cour de faire de nouveaux desseins sur sa personne. Il se retira d'abord en sa maison de Saint-Maur, et quelque temps après à Monrond, et de là à son gouvernement de Guienne. Le duc de Nemours le suivit, et madame de Longueville, qui étoit avec son frère, s'étant éprise du mérite du duc, lui fit tant d'avances, que ce prince, quoique fort amoureux d'ailleurs, ne lui put résister; mais il se rendit par la fragilité de la chair plutôt que par l'attachement du cœur. Le duc de La Rochefoucauld94, qui étoit depuis trois ans amant aimé de madame de Longueville, vit l'infidélité de sa maîtresse avec toute la rage qu'on peut avoir en de pareilles occasions. Elle, qui étoit remplie d'une grande passion pour le duc de Nemours, ne se mit guère en peine de ménager son ancien amant. La première fois qu'elle vit le duc de Nemours en particulier, dans le moment le plus tendre du rendez-vous, elle lui demanda comme il avoit été avec madame de Châtillon. Le duc ayant répondu qu'il n'en avoit jamais eu aucune faveur: «Ah! je suis perdue, lui dit-elle, et vous ne m'aimez guère, puisqu'en l'état où nous sommes à présent, vous avez la force de me cacher la vérité!» Ce commerce ne dura guère, et le duc de Nemours ne pouvoit se contraindre à témoigner de l'amour qu'il ne sentoit pas; et l'on peut croire que la princesse, qui étoit malpropre et qui sentoit mauvais, ne pouvoit pas cacher ses méchantes qualités à un homme qui aimoit ailleurs éperdument. Ces dégoûts ne retardèrent pas aussi le voyage que le duc de Nemours devoit faire en Flandre pour amener au parti du prince un secours d'étrangers; mais la véritable cause de son impatience étoit le désir de revoir madame de Châtillon, qu'il aimoit toujours plus que sa vie. Il vint donc passer à Paris, où il la revit et la mit dans le malheureux état que l'on peut appeler l'écueil des veuves. Lorsqu'elle s'aperçut de son malheur, elle chercha du secours pour s'en délivrer. Desfougerets95, célèbre médecin, entreprit cette cure, et ce fut dans le temps qu'il la traitoit de cette maladie que monsieur le Prince revint de Guienne à Paris, et amena avec lui La Rochefoucauld.

Portrait de monsieur le prince de Condé 96

Monsieur le Prince avoit les yeux vifs, le nez aquilin et serré, les joues creuses et décharnées, la forme du visage longue, la physionomie d'un aigle, les cheveux frisés, les dents mal rangées et malpropres, l'air négligé et peu de soin de sa personne, et la taille belle. Il avoit du feu dans l'esprit, mais il ne l'avoit pas juste; il rioit beaucoup et désagréablement; il avoit le génie admirable pour la guerre, et particulièrement pour les batailles; le jour du combat il étoit doux aux amis, fier aux ennemis. Il avoit une netteté d'esprit, une force de jugement, une facilité de s'exprimer sans égale. Il étoit né fourbe, mais il avoit de la foi et de la probité aux grandes occasions; il étoit né insolent et sans égard, mais l'adversité lui avoit appris à vivre.

Ce prince se trouvant quelque disposition à devenir amoureux de la duchesse, La Rochefoucauld l'échauffa encore davantage par le grand désir qu'il avoit de se venger du duc de Nemours. La Rochefoucauld le persuada de lui donner la propriété de Marlou, dont elle n'avoit que l'usufruit, lui disant que madame de Châtillon étoit plus jeune que lui, et que ce présent ne faisoit tort qu'à sa postérité, et qu'une terre de vingt mille livres de rente de plus ou moins ne la rendoit ni plus pauvre ni plus riche.

Lorsque le prince devint amoureux de madame de Châtillon, elle étoit entre les mains de Desfougerets, qui se servoit de vomitifs pour la tirer d'affaire. Le prince, qui étoit sans cesse auprès de son lit, lui demandoit quelle étoit sa maladie; elle lui dit qu'elle croyoit être empoisonnée. Cet amant, désespéré de voir sa maîtresse en danger de la vie, disoit à l'apothicaire qui la servoit qu'il le feroit pendre; celui-ci, qui n'osoit se justifier, alloit dire à Bordeaux, qui avoit épousé Ricoux, que, si on le pressoit trop, il diroit tout. Enfin les remèdes firent l'effet qu'on s'étoit promis, et ce fut peu de temps après cette guérison que, le prince ayant fait la donation de Marlou, madame de Châtillon n'en fut pas ingrate97

68

Quel duelliste que Boutteville, le père de madame de Châtillon! Il alloit provoquer quiconque étoit devant lui cité comme une fine lame. Chaque matin, chez lui, dans une salle basse, il y avoit assaut de braves; le vin et le pain étoient en permanence sur la table avec les fleurets (Amelot de la Houssaye, t. 2, p. 262). On sait quelle fut sa mort. Avant de monter sur l'échafaud, Cospean l'amena à se convertir (La Houssaye, t. 1, p. 518).

Sa fille, madame de Châtillon, ne sera que trop souvent sur la scène. Boutteville laissa aussi un fils posthume, né en 1627, François-Henri de Montmorency, qui devint Luxembourg. Dans sa tendre jeunesse, il ne paroît pas si bravache que son père: le chevalier de Roquelaure lui donne un soufflet qu'il accepte (Tallem., chap. 202, t. 6, p. 178). Il est assidu auprès de Condé, son parent. En 1649 il fait partie de la confédération des nobles contre les tabourets de quelques duchesses (Mottev., t. 3, p. 375); il figure chez Renard à côté de Jarzay (La Rochefoucauld, p. 431) et provoque Beaufort, qui refuse de se battre avec lui, le 23 janvier 1650. Il aimoit alors la belle et jeune marquise de Gouville; mais le temps des amours tranquilles étoit passé: il faut qu'il combatte pour Condé. Il s'enferme alors dans Bellegarde avec Tavannes. La ville est dégarnie; qu'importe? «Ils arborent sur le rempart (Désormeaux, Vie de Condé, t. 2, p. 351) un drapeau blanc, semé de têtes de morts, pour annoncer qu'ils étoient bons François, mais qu'ils se défendroient jusqu'au dernier soupir.» C'est là l'apprentissage du futur tapissier de Notre-Dame. Il partage la fortune de Condé chez les Espagnols; il est fait prisonnier après l'engagement de Furnes (Montglat, p. 331). Il se marie, le 17 mars 1661, avec l'héritière de Piney-Luxembourg.

Sa jeunesse, si agitée, ne ressemble pas entièrement à celle des langoureux Guiche et Candale; d'ailleurs, il avoit le malheur d'être contrefait. On a toutefois écrit avec beaucoup d'abondance l'Histoire des amours du maréchal de Luxembourg (1695).

Saint-Simon, qui ne l'a point connu jouvenceau et qui ne peut lui pardonner ce qu'il a fait pour passer du dix-huitième rang des pairs au second (chap. 9, 1694), a plus d'une fois taillé pointue sa plume pour dire de lui le mal qu'il en pensoit. Ce n'en fut pas moins, lorsque l'heure arriva, l'un de nos plus habiles capitaines. Saint-Simon l'avoue, au reste (t. 1, p. 144): «Rien de plus juste que le coup d'œil de M. de Luxembourg, rien de plus brillant, de plus avisé, de plus prévoyant que lui devant les ennemis ou un jour de bataille, avec une audace, et en même temps un sang-froid qui lui laissoit tout voir et tout prévoir au milieu du plus grand feu et du danger du succès le plus imminent; et c'étoit là où il étoit grand. Pour le reste, la paresse même.»

Luxembourg est mort le 4 janvier 1695 (V. Dangeau). Sa mère227, également mère de madame de Châtillon, lui survit; elle meurt à 91 ans, en 1696, après avoir (Saint-Simon, t. 1, p. 215) vécu «toute sa vie retirée à la campagne».

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Gaspard IV de Coligny, marquis d'Andelot, puis duc de Châtillon, promettoit d'être un jour un général. Dès 1641 il est nommé maître de camp du régiment (Daniel, t. 2, p. 381) de Piémont, quoique son père vînt de perdre la bataille de la Marfée.

En 1644, le père de mademoiselle de Vigean, que Condé aimoit, s'entend avec le maréchal de Châtillon pour marier sa fille à son fils (Mottev., t. 2, p. 129). C'est alors que Condé pousse le fils à aimer passionnément et à enlever mademoiselle de Montmorency. Châtillon s'attache de plus en plus à son protecteur; il combat près de lui à Lens. Condé l'envoie raconter sa victoire et demande pour lui le bâton de maréchal (Mottev., t. 3, p. 3); il n'obtient qu'un brevet de duc (t. 3, p. 117) à la fin de l'année 1648 (et non 1646. – Saint-Simon, t. 1, chap. 8). Saint-Simon l'appelle «bon et paisible mari». Pourquoi cela?

Quoi qu'il en soit, c'est lui qui commence la réputation de Ninon (V. Saint-Evremont); il étoit beau et vraiment aimable. Le coup de canon ou la balle qui le tua à Charenton, en 1649, fut détesté dans les deux partis (Guy Joly, p. 20). Chavagnac a raconté cette triste mort (9 février). Diverses pièces, publiées alors, contiennent son panégyrique; elles sont numérotées 22706, 22707, 22708, dans la Bibliothèque du P. Lelong. Châtillon ne laissa aucuns biens (Omer Talon, 331). «Il étoit beau», avons-nous dit déjà, «bien fait de sa personne et brave au dernier point.» Au moment où il mourut, il aimoit mademoiselle de Guerchy. «Dans le combat (Montp., t. 2, p. 47) il avoit une de ses jarretières (bleues) nouée à son bras.»

Son frère aîné, Coligny, a été, avec le duc de Guise, le héros du duel romanesque de la place Royale, que M. V. Cousin a raconté dans son Histoire de madame de Longueville; mais il en a été le héros malheureux.

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Nécessité sera de s'y prendre à deux et à trois fois pour dire ce que je puis avoir à dire de madame de Châtillon. Ce ne fut pas seulement une dame galante, comme madame d'Olonne; ce fut aussi une femme politique, une Aspasie, une Impéria. Mais je n'ai pas à l'encenser, car elle n'a été que belle et n'a pas été aimable.

Les notes que nous consacrerons à éclaircir ou à garantir l'histoire que Bussy a faite de madame de Châtillon ne peuvent avoir la prétention de former un ensemble chronologique: ce sont les traits épars d'un tableau qui ne diffère pas de celui qu'il a peint. M. Walckenaer, dans le premier volume de ses Mémoires, a d'ailleurs étudié avec soin toute cette histoire.

On ne doit pas se fier éperdument à l'Histoire véritable de la duchesse de Châtillon, Cologne, Pierre Marteau (Hollande, à la Sphère), 1699, petit in-12 (catalogue Le Ber, nº 2224). Madame de Châtillon est née en 1626; elle a été mariée à Coligny en 1645; elle est devenue veuve en 1649; elle s'est remariée en 1664 au duc de Mecklembourg; elle est morte le 24 janvier 1695. Boutteville avoit laissé trois enfants: madame de Châtillon (Isabelle-Angélique), Marie-Louise, qui fut madame la marquise de Valençay, et enfin François-Henri, qui devint le maréchal de Luxembourg. On voit dans les Prétieuses de Somaize (t. 1, p. 191) cette prédiction, qui s'applique à madame de Châtillon sous le nom de Camma (1661): «L'amour se deffera de sa puissance entre les mains de Camma et luy donnera tout ce qu'il possède, ce qui s'appellera du nom de Métamorphose galante

Presque partout nous citons Somaize: c'est que tout notre monde a vécu de la vie précieuse, c'est que tous ces libertins et toutes ces femmes légères ont filé dans les ruelles le parfait amour avant de passer si chaleureusement à la réalité. Les lettres et les dialogues de Bussy, s'ils ne sont pas authentiques, sont parfaitement vraisemblables. Ainsi s'exprimoit la galanterie la plus hardie. Madame de Châtillon «faisoit la prude (Conrart, p. 231) et la sévère plus qu'aucune autre dame.» Elle étoit Montmorency, elle étoit Coligny elle avoit du sang d'azur dans les veines; elle se sentoit duchesse et bel-esprit. Mademoiselle Desjardins a écrit pour elle le Triomphe d'Amarillis; elle y passe divinité et y trône sur les nuages. Nous sommes loin des gourgandines de Régnier avec ce monde beau parleur; nous sommes loin aussi des vigoureuses passions de l'Italie ou de l'Espagne. Peu s'en faut que madame de Châtillon ne figure parmi les dévotes. Parmi les pièces justificatives de l'Histoire de madame de Longueville par M. V. Cousin, il y a quelques lettres de Madame de Longueville, de la princesse douairière et de Madame de Châtillon: ce sont des mères de douleur, des colombes chrétiennes; elles parlent le mielleux langage de saint François de Sales. On a quelque peine à tenir ses lèvres pincées lorsqu'on voit madame de Châtillon déposer solennellement en faveur de la sainteté de la mère Magdelaine de Saint-Joseph (1655), religieuse carmélite dont on poursuivoit à Rome la béatification.

Parlons d'abord de son second mari, de celui qui lui donna le nom de Meckelbourg, pour qu'il n'y ait plus qu'à songer librement à madame de Châtillon. C'est en février 1664, à trente-huit ans, qu'elle l'épousa. Christian-Louis de Meckelbourg (Mecklembourg) – Schwerin, chevalier de l'ordre le 4 novembre 1663, étoit veuf et avoit à peu près le même âge qu'elle. Il est mort à La Haye en 1692 (Saint-Simon, Notes à Dangeau, t. 2, p. 273). Il étoit rêveur, et sa femme lui donna de quoi rêver. Madame de Sévigné nous apprend (30 décembre 1672) qu'on se moquoit de lui volontiers. Madame (28 août 1719) dit: «C'étoit un singulier personnage que ce prince. Il étoit bien élevé, il apprécioit fort bien les affaires, il raisonnoit avec justesse; mais, dans tout ce qu'il faisoit, il étoit plus simple qu'un enfant de six ans.»

Et le reste.

Il y avoit une chanson ainsi tournée:

Ventadour et Mecklembourg

Sont toujours tout seuls au cours;

Ce n'est pas que l'amour

Leur tracasse la cervelle,

Mais c'est qu'à la cour

On les fuit comme des ours.

Laissons ce malheureux, qui n'a pas mérité son sort, et qu'après tout il ne faut pas plaindre s'il a tenu absolument à posséder la brillante madame de Châtillon.

De très bonne heure, mademoiselle de Boutteville s'étoit montrée encline à l'amour. D'abord elle s'imagine que Condé l'adore (1644). Condé faisoit semblant de l'aimer par ordre de mademoiselle du Vigean, qu'il aimoit en réalité (Motteville, t. 2, p. 130). Elle n'a que dix-neuf ans quand Coligny l'enlève. Ce fut une scène de mélodrame: un suisse de madame de Valençay, sa sœur, y périt vertueusement. La mère poussoit des cris de Rachel désespérée. Un amant évincé, Brion, faisoit chorus. Voiture n'y vit pas de mal (Œuv., t. 2, p. 174), et dit du ravisseur, dans un rondeau que nous approuvons:

Il a bien fait, s'il faut que l'on m'en croye.

On parloit beaucoup alors de la beauté de mademoiselle de Guerchy. Madame de Châtillon apprit avec une grande joie que le jeune prince de Galles la jugeoit plus belle que sa rivale (Montp., t. 2, p. 1, 1647); mais M. de Châtillon devoit, au jour de sa mort, avoir la jarretière de cette rivale nouée autour de son bras.

Je sais bien que les Mémoires de M. de *** ne peuvent pas être considérés comme des mémoires d'une grande valeur et qu'ils ressemblent à une compilation; je les appellerai toutefois en témoignage. Ce qu'ils disent nous fait faire un grand pas dans notre histoire, et, aux louanges méritées en 1648 par la beauté de la duchesse, ils ajoutent déjà quelque chose des critiques sévères que sa conduite postérieure va attirer sur elle.

«Élisabeth de Montmorency étoit de belle taille; son air et son port étoient nobles et pleins d'agréments; ses traits étoient réguliers, et son teint avoit tout l'éclat que peut avoir une brune; mais sa gorge et ses mains ne répondoient pas à la beauté de son visage. Son esprit vif et plein de feu rendoit sa conversation agréable, et elle avoit des manières douces et flatteuses dont il étoit impossible de se défendre. Elle avoit de la vanité et aimoit la dépense; mais, comme elle n'avoit pas assez de bien pour la soutenir, elle obligeoit ceux qui s'attachoient auprès d'elle à fournir à ses profusions. Bien qu'elle eût beaucoup de discernement, après avoir vu à ses pieds un prince aussi grand par ses belles qualités que par sa naissance, elle s'abaissoit souvent à des complaisances indignes d'elle pour des personnes qui lui étoient inférieures en toutes choses, mais qui pouvoient être utiles à ses desseins.» (Mém. de M. de ***, Collect. Michaud, p. 469.)

Mais il faut d'abord que la dame soit veuve; mariée elle est contrainte; Châtillon expire donc dans l'une des premières journées sérieuses de la Fronde.

«Ce jeune seigneur fut regretté publiquement de toute la cour à cause de son mérite et de sa qualité, et tous les honnêtes gens eurent pitié de sa destinée. Sa femme, la belle duchesse de Châtillon, qu'il avoit épousée par une violente passion, fit toutes les façons que les dames qui s'aiment trop pour aimer beaucoup les autres ont accoutumé de faire en de telles occasions; et comme il lui étoit déjà infidèle et qu'elle croyoit que son extrême beauté devoit réparer le dégoût d'une jouissance légitime, on douta que sa douleur fût aussi grande que sa perte.» (Mott., t. 3, p. 183.)

Voilà la veuve en campagne. Un prêtre que nous reverrons, Cambiac, M. de Nemours, Condé et d'autres de ci et de là, lui enlèvent son cœur, qu'elle expose fort aux surprises, peu par amour sincère, si ce n'est pour Nemours, beaucoup par intérêt. Cambiac lui servit à conquérir un pouvoir absolu sur la princesse douairière, qu'il dirigeoit, et qui lui légua des rentes considérables (Lenet, p. 219). On verra ce que signifia l'intrigue qu'elle eut avec Condé. En 1652, au moment de la bataille Saint-Antoine, elle ne lui plaît pas encore beaucoup, car il lui fait une rude grimace chez Mademoiselle (Montp., t. 2, p. 269). Le canon avoit tonné tout le jour. À dîner, «elle faisoit des mines les plus ridicules du monde, et dont l'on se seroit bien moqué si l'on eût été en humeur de cela». Un peu plus tard, la même année (Montp., t. 2, p. 326), elle «mouroit d'envie de donner dans la vue à M. de Lorraine. Elle vint un soir chez moi, dit Mademoiselle, parée, ajustée, la gorge découverte», etc. «Dès qu'elle fut partie, M. de Lorraine nous dit: Voilà la plus sotte femme du monde; elle me déplaît au dernier point.» – La veille ou l'avant-veille, elle avoit fait venir un joaillier, lui présent, et avoit en vain essayé de se faire offrir quelque bijou.

En même temps elle aime Nemours, et la guerre n'y fait rien. Mademoiselle est toujours bonne à interroger (t. 2, p. 214); elle nous dira comment les amoureux couroient alors les grands chemins au travers des mousquetades. Belle époque! et qu'un écrivain a récemment eu raison (M. Feillet, dans la Revue de Paris) de traiter mal. Les seigneurs mettent tout en révolution; ils jouent à la bataille, ils écrivent des billets doux pendant que les campagnes succombent sous une effroyable misère.

«Madame de Nemours partit aussitôt pour le venir trouver. Madame de Châtillon vint avec elle jusqu'à Montargis; elle disoit qu'elle alloit pour conserver sa maison de Châtillon. Mais comme elle fut arrivée à Montargis, elle jugea que de là elle conserveroit bien ses terres, et qu'il y avoit plus de sûreté pour elle à se mettre dans les filles de Sainte-Marie, d'où elle ne sortoit que deux ou trois fois pour aller voir M. de Nemours, quoique des officiers qui vinrent à Orléans en ce temps-là me dirent qu'elle alloit tous les jours voir M. de Nemours toute seule avec une écharpe; qu'elle croyoit être bien cachée, mais qu'il n'y avoit pas un soldat dans l'armée qui ne la connût.»

Peut-être sera-t-il à propos de placer ici une relation qu'on est tout étonné, tant elle entre dans le détail des choses, de trouver dans les Mémoires de M. de *** (p. 533. – 1652): «M. le Prince étoit plus amoureux que jamais de la duchesse de Châtillon, et sa jalousie pour le duc de Nemours avoit augmenté depuis qu'il n'avoit plus été le médiateur de l'accommodement du parti avec la cour. Le prince de Condé avoit prié cette duchesse de ne plus voir son rival, et, comme elle crut que la guerre, si elle duroit, éloigneroit bientôt ce prince, elle lui promit tout ce qu'il voulut, ce qui ne l'empêcha pas néanmoins de chercher les moyens de voir le duc de Nemours sans que Son Altesse en eût connoissance. Madame de Châtillon, ayant su que le prince de Condé étoit retenu au lit par quelque incommodité, en avertit le duc de Nemours et lui manda de la venir voir à dix heures du soir. Cet amant ne manqua pas à l'assignation, et, pour ne point faire d'affaire à la duchesse, il laissa son carrosse dans une rue détournée, d'où il prit à pied le chemin de la maison, le nez enveloppé dans un manteau.

«L'obscurité et le soin qu'il prenoit de se cacher lui firent manquer la porte. Il entra dans une autre, qu'il trouva ouverte, et une fille le conduisit sans lumière à une chambre où, après lui avoir dit que sa maîtresse l'attendoit au lit, elle le laissa seul, tirant sur elle la porte, qu'elle ferma à clef. Le duc de Nemours s'aperçut bientôt de la méprise, parcequ'il ne s'attendoit pas à un traitement si favorable. Il voyoit bien qu'il n'étoit pas loin de la maison de la duchesse, et il savoit que dans celle qui touchoit à la sienne il logeoit une fort jolie femme, qu'il avoit vue plusieurs fois chez madame de Châtillon; il avoit même appris que le mari de cette femme étoit sorti de la maison pour aller poser une sauvegarde que M. le Prince lui avoit donnée, à la prière de la duchesse, pour une assez belle maison qu'il avoit en Brie. Il résolut de profiter de l'occasion que la fortune lui offroit, et se coucha auprès de cette dame. Elle lui fit la guerre sur sa paresse, et il s'en excusa en termes généraux, pour ne rien dire qui pût découvrir la méprise. Il comprit par la suite que c'étoit pour moi qu'elle le prit et que le voisinage avoit fait notre connoissance. J'avois l'honneur d'être connu de lui, et il savoit que mon père avoit un beau château à un quart de lieue de La Queue, en Brie. Ainsi il lui fut plus aisé de répondre juste à ses questions. J'y vins un quart d'heure après, et, trouvant la porte fermée, je crus que le mari étoit revenu, et je m'en retournai sans hésiter. Le duc passa la nuit avec la dame, qui ne s'aperçut de son erreur que par le retour de la lune. Elle alloit s'exhaler en reproches contre celui qui venoit de la tromper d'une manière si peu civile; mais, ayant reconnu le duc de Nemours, elle se contenta de le prier de lui garder le secret.

«M. le Prince, qui vouloit être éclairci si la duchesse de Châtillon lui tenoit exactement parole, avoit mis des espions en campagne pour investir la maison. Ils vinrent lui dire qu'ils avoient vu le carrosse du duc de Nemours dans une rue voisine. Alors, oubliant ses incommodités, il s'habilla et se fit porter en chaise chez la duchesse. Elle fut surprise de sa visite, et craignit autant l'arrivée du duc de Nemours qu'elle l'avoit désirée un moment auparavant. Le prince de Condé demeura avec elle jusqu'à minuit, et il s'en alla sans lui rien témoigner de ses soupçons. Le lendemain, après dîner, le duc de Nemours envoya un page pour s'informer de ce que faisoit la duchesse de Châtillon, et il apprit qu'elle étoit allée à la promenade. Il se douta qu'elle étoit au Jardin des Simples, parcequ'elle cherchoit les promenades éloignées. Il s'y rendit aussitôt, et, ayant vu son carrosse à la porte, il la chercha partout. Après avoir parcouru le parterre et le bois, il monta jusqu'en haut en tournant, et il l'aperçut entre deux palissades seule avec le duc de Beaufort. Il prêta l'oreille, et il entendit que madame de Châtillon disoit à ce duc qu'elle n'avoit jamais aimé que lui, et que ses seuls intérêts l'avoient empêchée de conclure le traité de M. le Prince avec la cour. Il alloit sauter les palissades pour suivre les transports de sa jalousie, lorsqu'il vit faire la même chose au prince de Condé, qui, sans rien dire au duc de Beaufort, accabla la duchesse de reproches et jura de ne la voir jamais.»

Le lendemain, duel de Nemours et sa mort.

Elle se console (Montp., t. 2, p. 292), et voici, pour cette fois, un dernier texte invoqué en preuve: «Son Altesse Royale et M. le Prince entrèrent et s'approchèrent; elle leva son voile et se mit à faire une mine douce et riante. Je crus voir une autre personne sous cette coiffe: elle étoit poudrée et avoit des pendants d'oreilles; rien n'étoit plus ajusté. Dès que M. le Prince alloit d'un autre côté, elle rabaissoit sa coiffe et faisoit mille soupirs. Cette farce dura une heure et réjouit bien les spectateurs.»

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Celui-ci, c'est Gaston Jean-Baptiste, né en 1615, et marquis de son nom. Il étoit fils d'Antoine, baron de Roquelaure, maréchal de France, né en 1543, mort en 1625, après avoir donné le jour à dix-huit enfants: 1º du premier lit, à cinq filles et à un fils mort en 1610; 2º du second lit, à quatre filles et à huit fils, dont Gaston est le troisième.

Voici la notice que consacre à notre Roquelaure le livret intéressant du Musée de Versailles (t. 2, p. 630), livret qui a la valeur d'un ouvrage sérieux et qui fait honneur à M. Eudoxe Soulié: «Fils du maréchal Antoine de Roquelaure, né en 1615, il porta d'abord le nom de marquis de Roquelaure, servit dans les armées du roi comme capitaine de chevau-légers, puis comme colonel d'un régiment d'infanterie, et fut fait deux fois prisonnier, en 1641, au combat de la Marfée; en 1642, à la bataille d'Honnecourt. Maître de la garde-robe du roi, il combattit à Rocroy en 1643, fut fait maréchal de camp, fit les campagnes de Flandre et de Hollande, et devint lieutenant général en 1650. Louis XIV érigea sa terre de Roquelaure en duché-pairie en 1652 et le fit chevalier de l'ordre du Saint-Esprit en 1661. Il se trouva à la conquête de la Franche-Comté en 1668, à celle de Hollande en 1672, fut gouverneur général de Guyenne en 1676, et mourut à Paris le 11 mars 1683.» Tels sont les états de service de l'homme.

On voit à Bordeaux, en 1650, un chevalier de Roquelaure (Lenet, p. 381) dans le parti de Condé. Le marquis appartient au parti de la cour, et va, cette année-là même, à Bordeaux (Mott., t. 4, p. 77) avec le maréchal de la Meilleraye. Il ne se gênoit pas d'ailleurs pour garder des intelligences dans le camp ennemi, ce qui, un moment, en 1649 (Mott., t. 3, p. 267), le fait éloigner par Mazarin. Il étoit «hardi, grand parleur et gascon». Peut-être voudroit-on que dans cette note un pareil personnage fût moins officiellement décrit, car le nom de Roquelaure a le privilège, au temps des lectures sournoises du collége, de tenir en éveil notre gaîté; mais c'est surtout le fils de notre Roquelaure qui a été friand de scandale. Celui-ci, déjà doué d'une langue de hâbleur, n'a pas aussi hardiment sauté par dessus les bornes. Ce fut, d'ailleurs, un maréchal de France in petto (Monglat, p. 287).

N'allons pas jusqu'à réduire la vérité: il fatigua plus d'une fois ses contemporains. Dans le Ballet des Noces de Thétis et de Pelée, en 1654, Benserade lui fit chanter malignement, sous le costume d'une dryade:

Il n'est point de forêt qui ne soit indignée

Du fracas ennuyeux que j'ai fait tant de fois,

Et, sitôt que je hante une souche de bois,

Il vaudroit tout autant qu'on y mît la cognée.

Lorsque Lauzun fut disgracié, Roquelaure demanda, sans vergogne, ses lods et ventes à Louis XIV (La Place, t. 3, p. 216), qui lui répondit: «Il ne faut pas profiter de la disgrâce des malheureux.» Attrape, camarade! Tallemant lui a consacré son chapitre 234; il le taxe d'impertinence, doute de sa bravoure, mais reconnoît qu'il étoit «bon abatteur de bois». Nous savons ce que parler veut dire.

Tallemant parle aussi de sa femme, Charlotte-Marie de Daillon, fille du comte du Lude, «une des plus belles, pour ne pas dire la plus belle de la cour». Loret (septembre 1653) n'a pas oublié ce mariage. Roquelaure étoit riche; il donne à sa fiancée douze bourses parfumées contenant 6,000 pièces d'or de 11 livres 10 sous: cela faisoit 69,000 livres, et feroit quelque chose comme 200,000 livres. Lorsqu'elle fut accouchée deux fois, Loret la trouve encore

Plus fraîche et plus belle que Flore.

«Assurément, c'est une belle créature», dit Mademoiselle. Quant à madame de Sévigné, elle déclare que madame de Roquelaure battoit toutes les autres à plate couture. Elle aimoit Vardes lorsqu'elle se maria, et ne put jamais s'habituer à se plaire en son état de femme mariée. Douce, rêveuse, plaintive, elle fut peut-être touchée, vers la fin, de l'amour que témoignoit pour elle le duc d'Anjou. Elle mourut en 1657. Le lendemain de sa mort, le duc d'Anjou va à confesse, communie et fait dire mille messes (Montp., t. 3, p. 268).

Roquelaure ne fut jamais duc vérifié. En 1663 Louis XIV lui fit défendre de soumettre son brevet au Parlement (Mott., t. 5, p., 196).

La Bibliothèque nationale possède (Catal., t. 2, nº 3668) une affiche faite au sujet du ban et arrière-ban de Normandie, le 21 août 1674, au nom de Roquelaure, commandant en chef des troupes de la province.

Son fils, Biran, voluptueux sans scrupule (Saint-Simon, t. 5, p. 77), épouse mademoiselle de Laval, fille d'honneur de la dauphine et maîtresse du roi. Une fille lui arrive trop vite: «Mademoiselle, dit-il, soyez la bienvenue; je ne vous attendois pas si tôt.» Il se rua dans le bas comique et accepta cavalièrement son rôle de mari avantagé (V. Caylus, V. les Lettres de Madame, t. 1, p. 236). On voit dans les États du comptant pour 1685 (Pierre Clément, le Gouvernement de Louis XIV, p. 283): «Au sieur duc de – , pour le parfait paiement de ce que Sa Majesté a donné à ladite duchesse par son contrat de mariage, 40,000 livres.»

Lui aussi, ce Roquelaure, fut un duc à brevet; il étoit ami intime de Vendôme. Saint-Simon (t. 1, p. 150) a raconté une scène terrible que lui fit au jeu, en 1695, cet ami redoutable. L'affront fut digéré, et les plaisanteries, interrompues un instant, rejaillirent de plus belle.

Roquelaure le fils est mort en 1734. Dès 1718 on avoit publié en Hollande le Momus françois, ou les Aventures divertissantes du duc de Roquelaure. C'est un recueil de sottises et d'ordures.

72

Tout le monde a lu ses mémoires. Il est né en 1614 et fut élève de saint Vincent de Paul. Tallemant des Réaux l'a peint: «Petit homme noir qui ne voit que de fort près, mal fait, laid, et maladroit de ses mains à toute chose. Il n'avoit pourtant pas la mine d'un niais; il y avoit quelque chose de fier dans son visage.»

Nous ne mettrons ici qu'un trait de son histoire: son amour et ses projets pour madame de la Meilleraye. «Cela est bien fou!» dit un fou, l'abbé de Choisy (p. 565, collect. Michaud). C'est Saint-Simon (t. 8, p. 187) qui parle: «La maréchale de la Meilleraye (morte en 1710, à quatre-vingt-huit ans) avoit été parfaitement belle et de beaucoup d'esprit. Elle tourna la tête au cardinal de Retz, jusqu'à ce point de folie de vouloir tout mettre sens dessus dessous en France, à quoi il travailla tant qu'il put, pour réduire le roi en tel besoin de lui qu'il le forçât d'employer tout Rome pour obtenir dispense pour lui, tout prêtre et évêque sacré qu'il étoit, d'épouser la maréchale, dont le mari étoit vivant, fort bien avec elle, homme fort dans la confiance de la cour, du premier mérite, dans les plus grands emplois. Une telle folie est incroyable et ne laisse pas d'avoir été.»

Que voulez-vous? Cet homme avoit une âme de feu quand l'amour lui mettoit martel en tête.

Retz, quelque jugement qu'on porte sur sa vie politique, a fait une fin qui ne manque pas de grandeur. Madame de Sévigné l'a aimé et admiré fidèlement. Il est mort le 24 août 1679. Nous lui saurons gré, avec le Valesiana (p. 293), de sa constante sympathie pour les gens de lettres.

73

Henri II de Savoie avoit épousé, le 22 mars 1657, Marie d'Orléans-Longueville, fille de Henri II de Longueville, née le 5 mars 1625, morte bien tard, en 1707, le 16 juin. Elle figure parmi les précieuses sous le nom de Nitocris (Prét., t. 2, p. 308). Elle aimoit les romans de chevalerie. C'est à elle que l'abbé Cotin a dédié le sonnet célèbre:

Votre prudence est endormie, etc.

Elle a laissé des Mémoires. Nemours (1624-1652) avoit un frère aîné, Charles-Amédée, beau, brave, spirituel, ami de Condé (Lenet, p. 455). Retz le juge sévèrement; «Moins que rien (p. 214) pour la capacité.» Nemours est l'un des héros de la Fronde (Mottev., t.3, p. 103), et dès le début. Il reçoit treize blessures à la bataille Saint-Antoine (Mottev., t. 4, p. 340): il avoit ses prétentions comme un autre (Montp., t. 2, p. 251). Nous avons dit comment on le rendit amoureux de madame de Longueville, sa belle-mère, ma foi.

Il faut le regarder comme l'un des plus doux et des plus honnêtes coureurs d'aventures de ce temps. Sa vie l'ennuyoit; il en étoit presque honteux. Madame de Mottevile dit de lui quelque chose qui lui fait honneur (t. 4, p. 348, – 1648):

«Il avoit mandé au ministre que ses prétentions n'empêcheroient point la paix, et qu'il renonçoit de bon cœur à tous ses avantages pour rentrer dans son devoir, dont il ne s'étoit écarté que par malheur et par l'engagement d'amitié où il s'étoit trouvé avec M. le Prince.»

La triste querelle de Nemours et de Beaufort (V. Conrart, p. 143) a été racontée en détail par Mademoiselle (t. 2, p. 192, 288). Elle coûta la vie à l'agresseur.

Chacun différemment témoigne son regret,

dit Benserade;

Les hommes en public, les femmes en secret.

De très nombreuses pièces de la Bibliothèque nationale (Catal., t. 2, nos 2869-2878) s'y rapportent.

On peut lire avec intérêt l'ouvrage dont voici le titre (nº 2232 du Catalogue Leber): Le duc de Guise et le duc de Nemours, Cologne, chez Clou Neuf (Hollande, à la Sphère), 1684, petit in-12.

Pierre Coste (p. 60) dit bien que c'est aux eaux que Nemours aima madame de Châtillon, depuis peu mariée. «On peut dire, remarque-t-il, qu'il n'a eu de véritable inclination que pour cette duchesse. Ajoutons ici quelques lignes tirées des Mémoires de Mademoiselle (t. 2, p. 51; 1649); elles confirment le témoignage de notre texte:

«M. de Nemours commençoit alors à faire le galant de madame de Châtillon; cet amour avoit commencé dès le premier voyage de Saint-Germain, et la galanterie de son mari qui avoit commerce en ce temps-là pour Guerchy fit que celle de M. de Nemours lui déplut moins. Auparavant rien n'étoit égal à leurs amours… etc.

«… L'on remarqua que, le jour que l'on l'alla consoler de la mort de son mari, elle étoit fort ajustée dans son lit.»

74

Anne Doni, fille d'Octavien Doni, baron d'Attichy, et de Valence de Marillac, morte en 1663.

«Elle passoit, quand elle estoit fille, pour la plus desreiglée personne du monde en fait de repas et de visites, mais ce n'estoit rien au prix de ce que c'est à cette heure, car elle a trouvé un homme qui lui dame bien le pion. Il fait tout le contraire des autres.»

«Avec soixante mille livres de rente, et pas un enfant, ils n'ont jamais un quart d'escu.» (Tallem. des R., t. 3, p. 160.)

Son mari étoit Louis de Rochechouart, comte de Maure, frère du duc de Mortemart.

«Le désordre de ses affaires, dit Tallemant, autant que le bien public, l'engagea dans le party de Paris.» Condé s'en moqua beaucoup d'abord. On connoît les beaux triolets:

Buffle à manches de velours noir

Porte le grand comte de Maure,

qui sont de Bachaumont et de Condé lui-même.

Mademoiselle d'Attichy, fille d'honneur de la reine-mère, n'avoit permis à personne de lui conter fleurette (Tallem., t. 2, p. 316).

Bautru lui disoit: «Vous n'êtes pas mal fine avec vostre sévérité. Vous avez si bien fait que vous pourrez, quand vous voudrez, vous divertir deux ans sans qu'on vous soupçonne.»

La Mesnardière (p. 437, édit. in-4 de 1656) atteste son esprit en un style fort alambiqué. C'est un triste poète lyrique que M. de La Mesnardière.

Attichy, dont l'esprit est brillant et solide,

Aime les chants du chœur qui sur Pinde réside,

Et veut que l'air facile et la sublimité

Y marquent la Naissance et la Capacité.

D'après un bon juge, madame de Motteville (t. 3, p. 249; 1649), madame la comtesse de Maure, «nièce du maréchal de Marillac, étoit une dame dont la beauté avoit fait autrefois beaucoup de bruit. Elle avoit une vertu éclatante et sans tache, de la générosité avec une éloquence extraordinaire, une âme élevée, des sentiments nobles, beaucoup de lumière et de pénétration.»

M. V. Cousin, l'historien de madame de Sablé, l'a représentée en son logis de la place Royale, à côté de son amie, toutes deux en leur chambre isolée, cloîtrées, couchées, craintives d'un courant d'air, effarouchées d'un bruit, les volets fermés, la lampe allumée à midi au mois de mai, restant trois mois sans se voir et s'écrivant dix fois par jour. Jamais épicuriennes n'ont raffiné plus voluptueusement les délicatesses de l'amour de la vie et de la crainte de la douleur. (Tallem., t. 3, p. 137.)

Voici un extrait de La Princesse de Paphlagonie: «Il n'y avoit point d'heure où la princesse Parthénie (madame de Sablé) et la reine de Misnie (madame de Maure) ne conférassent des moyens de s'empescher de mourir et de l'art de se rendre immortelles.»

Ce sont là les précieuses, non plus de l'amour et du beau langage, mais de la philosophie préservatrice et conservatrice. Elles inventent des pâtes reconfortantes, des sirops veloutés, des élixirs de vie perpétuelle.

Achevons le portrait avec La Princesse de Paphlagonie:

«La reine de Mysie estoit une femme grande, de belle taille et de bonne mine; sa beauté estoit journalière par ses indispositions, qui en diminuoient un peu l'éclat. Elle avoit un air distrait et resveur qui lui donnoit une élévation dans les yeux et qui faisoit croire qu'elle mesprisoit ceux qu'elle regardoit; mais sa civilité et sa bonté raccommodoient ce que les distractions pouvoient avoir gâté. Elle avoit de l'esprit infiniment.»

Le réduit de madame la comtesse de Maure, Madonte (Prét., t. 1, p. 206) s'appeloit le Palais Nocturne.

La connoissant telle qu'elle étoit, nous pouvons nous étonner de la voir en visite.

75

J'ai déjà parlé des eaux de Forges. – Expilly leur consacre toute une page. C'est, dit-il, d'un voyage que Louis XIII y fit avec Anne d'Autriche que date leur fortune. Saint-Simon (t. 6, p. 104; 1707) les regarde comme bien inutiles.

Il y avoit aussi les eaux d'Aix-la-Chapelle (Saint-Simon, t. 5, p. 36), qui jouissoient d'une grande vogue. Ici il est question des eaux de Bourbon, non pas de Bourbon-l'Ancy, (Expilly, t. 1, p. 729), dans l'Autunois, qui avoit des sources minérales assez estimées, mais de Bourbon l'Archambault (Expilly, p. 731), près de Moulins.

76

À la fête des Rois, en janvier 1649.

77

Bussy a servi sous le maréchal de Châtillon (Mémoires, t. 1, p. 65). Né en 1584, le 26 juillet, il est mort le 4 janvier 1646. C'étoit le petit-fils de l'amiral. Bon François et courageux, mais général médiocre, bon homme au fond, mais brutal, débauché et prodigue, il avoit épousé le 13 août 1615 Anne de Polignac, belle et vertueuse personne, qui fut toute sa vie une protestante zélée et mourut en 1651.

78

Pendant que Benserade étoit jeune, il étoit fort plein de lui-même et se piquoit d'être homme à bonnes fortunes. Un jour, certaine jalousie l'ayant porté à faire des couplets de chansons fort médisants contre des filles de la reine-régente, il fut chassé de la cour pour ce sujet. Mais, comme la reine l'aimoit et le trouvoit réjouissant, elle fit sa paix et obtint de ses filles qu'il seroit rappelé. Une d'entre elles, qui n'y consentoit pas de bon cœur, ne pouvant résister à une semblable intercession, prit le parti de se venger par les armes dont elle avoit été attaquée, et fit ce quatrain contre lui:

Revenez, revenez, beau faiseur de chansons;

La reine a commandé que l'on vous les pardonne,

Pourvu que votre rousse et suante personne

Change pendant l'été plus souvent de chaussons.

(Sénecé, éd. elzev., t. 1, p. 313.)

Ce bel esprit eut trois talents divers

Qui trouveront l'avenir peu crédule:

De plaisanter les grands il ne fit point scrupule,

Sans qu'ils le prissent de travers;

Il fut vieux et galant sans être ridicule,

Et s'enrichit à composer des vers.

(Sénecé, t. 1, p. 254.)

Benserade demeuroit au Louvre au moment où nous en sommes (Prét., t. 1, p. 46).

79

Walckenaër (t. 1, p. 190) l'appelle le marquis de Chaulieu. Il avoit été le compagnon d'armes de Bussy en 1638 (Mém., t. 1, p. 54) et avoit été à Monsieur, comme on disoit (Montp., t. 2, p. 47). Il se vit entraîné dans la Fronde, combattit et mourut à Charenton en 1649 (février).

«Clanleu, qui la commandoit, y fut tué, se défendant vaillamment, refusant la vie qu'on lui voulut donner, et disant qu'il étoit partout malheureux et qu'il trouvoit plus honorable de mourir en cette occasion que sur un échafaud.» (Mott., t. 1, p. 181.)

Les pièces 679, 680, 681, 682, 683, 691, du tome 2 du catalogue de la Bibl. nat., ont rapport à cette mort regrettable. La dernière (nº 691) lui donne le titre de baron.

80

Gaston d'Orléans «a toujours eu l'esprit un peu page» (Tallem. des R., t. 2, p. 290). On cite vingt plaisanteries de ce prince qui ressemblent à de grosses malpropretés. «Les princes sont des animaux qui ne s'échappent que trop.» C'est Tallemant (t. 2, p. 49) qui le dit, et il y aura du monde pour le croire. Gaston fut un animal plein de la plus cruelle vanité. C'est celui-là qui tenoit à l'étiquette chez lui; c'est celui-là qui parle à chaque instant de faire jeter le monde par les fenêtres. Et il n'étoit pas méchant.

«Il étoit aimable de sa personne. Il avoit le teint et les traits du visage beaux; sa physionomie étoit agréable, ses yeux étoient bleus, ses cheveux noirs.» (Mott., t. 2, p. 233.)

Gaston étoit même assez bon prince quelquefois. À quoi bon rappeler la triste figure qu'il a faite en politique? Ses amours et ses amourettes sont nombreux.

81

Quelle est encore cette demoiselle de Bordeaux et quel est ce monsieur de Ricoux? Je vois Mademoiselle (t. 3, p. 54) qui parle d'une dame de Ricousse, coiffeuse de madame de Châtillon. Évidemment c'est notre demoiselle mariée à son ami.

En fait de Bordeaux, il y a madame de Bordeaux, mère de madame Fontaine-Martel:

Bordeaux dispute à la Cornu

Le glorieux et bel avantage

De faire les maris cocus,

dit une chanson médiocre (Nouv. Siècle de Louis XIV, p. 97). Il y a une dame de Bordeaux qui prend part à la fête donnée à Saint-Maur par M. le Duc le 2 avril 1672. Il y a la femme de Bordeaux, intendant des finances (Tallem., chap. 221) ou receveur général à Tours (Tallem., chap. 354); il y a aussi la femme du fils de ce Bordeaux, qui étoit Bordeaux elle-même et d'une autre famille; il y en a d'autres encore. Je n'ai pas de lumières pour les classer entre elles.

Pour ce qui est de l'époux de notre demoiselle, le même embarras subsiste. Je vois un abbé de Richou ou Richoux, amant de madame de Montglat (V. Montglat, p. 40). Est-ce un parent? Je vois un Ricous au passage du Rhin (Relation de Guiche, Coll. Michaud, p. 338). Qui est ce Ricous? Je vois un Ricousse que La Roche Foucauld prie de tuer le cardinal de Retz (Retz, p. 298). Cela se rapproche. Et un M. de Ricousse, que Condé donne à Gourville en 1653 pour leurs affaires (Gourville, p. 509). Nous brûlons sans doute.

82

Mazarin donna l'abbaye de Doudeauville à l'abbé Cl. Quillet, qui lui avoit dédié le poème latin de la Callipædia, dont le début n'a rien de trop élégant:

Quid faciat lætos thalamos, quo semine felix

Exsurgat proles…

Je ne prétends pas dire que c'est là le plus beau trait de sa vie et l'action la plus utile à la France qu'il ait faite; mais cela ne laisse pas de montrer qu'il entendoit la gaudriole. Ah! si l'on en croyoit les Mazarinades! Si même on en croyoit La Porte, le valet de chambre de Louis XIV! Voici au moins l'incontestable vérité: «Le cardinal Mazarin avoit été soupçonné de n'avoir pas eu beaucoup de religion; sa jeunesse étoit déshonorée par une mauvaise réputation qu'il avoit eue en Italie, et il n'avoit jamais témoigné assez de vénération pour les mystères les plus sacrés.» (Motteville, 5e p., t. 5, p. 94.)

Giulio Mazarini est né à Piscina228, dans l'Abruzze, le 14 juillet 1602; il est mort à Vincennes le 9 mars 1661. Ce fut un grand homme d'État, un homme d'esprit et un homme de cœur dans son genre. Il paroît démontré qu'il fut l'heureux amant de la reine-mère (V. ses lettres, Société de l'histoire de France, 1836, édit. Ravenel, in-8).

On l'a raillé pour les travers de son humeur; on a fait de lui un Harpagon: il achetoit des tableaux, il avoit une bibliothèque admirable, il dépensoit un argent fou pour des machines d'opéra. En 1658 il monte une loterie gratuite (Montp., t. 3, p. 304) de cinq cent mille livres! Et puis il aima les lettres et les gens de lettres sans appareil de mécénat.

Nous ne songeons pas à le canoniser, pas même à l'absoudre du mal qu'il a laissé faire dans l'administration du royaume; mais il faut être juste pour sa mémoire, qui a été, comme sa vie, si agitée.

83

Henri d'Orléans, descendant de Dunois, né le 27 avril 1595, marié: 1. en 1617, à Louise de Bourbon, fille du comte de Soissons, morte en 1637; 2. le 2 juin 1642, à Anne-Geneviève de Bourbon-Condé, née le 27 août 1619. Il est mort le 11 mars 1663. Le duc de Longueville, en sa jeunesse, étoit galant et brave. On lui connoît une fille naturelle, l'abbesse de Maubuisson, morte en 1664. Somaize a trouvé joli (t. 1, p. 187) de l'appeler Léonidas.

84

Anne Poussart, fille de François Poussart, sieur de Fors (Faure) et marquis du Vigean, et d'Anne de Neubourg, dame d'honneur de la reine, puis de madame la Dauphine, épousa: 1. François d'Albret, sire de Pons, comte de Marennes; 2. Armand-Jean du Plessis.

Il ne faut pas la confondre avec Judith de Pons, fille de Jean-Jacques de Pons, marquis de La Caze, et de Charlotte de Parthenay, dame de Genouillé, qui fut l'une des maîtresses, l'une des victimes du duc de Guise (Motteville, t. 2, p. 202), qui étoit fille d'honneur de la reine-mère (Tallem. des Réaux, 2e édit., chap. 232) et qui mourut fille en 1688. Madame de Motteville dit qu'elle étoit «gloutonne de plaisirs». Voyant que Guise ne se pressoit pas de se faire roi de Naples et de la faire reine (Mottev., t. 2, p. 348), elle se livra à Malicorne, son écuyer.

Deux nièces éloignées du maréchal d'Albret ont aussi porté le nom de Pons. Mademoiselle de Pons l'aînée épousa le frère du maréchal (François-Amanieu), s'appela madame de Miossens, et mourut en 1714, sans enfants. Saint-Simon (chap. 22, t. 1, p. 367) dit qu'elle faisoit peur par la longueur de sa personne. La cadette, «belle comme le jour», fut mariée à un Sublet, qui devint d'Heudicourt, grand louvetier.

Le roi avoit failli aimer cette seconde mademoiselle de Pons, qui s'y seroit prêtée et auroit peut-être prévenu La Vallière, si la reine-mère et le maréchal (1661) ne l'avoient fait enlever. Elle revint tard à la cour et déjà sans jeunesse: aussi se maria-t-elle avec joie. Vive, enjouée et badine, madame d'Heudicourt a paru aussi un peu folle.

85

«Il étoit de basse naissance, et, parmi quelques bonnes qualités, il en avoit aussi de mauvaises.» (Mott., t. 3, p. 373.)

Louis Barbier de la Rivière, fils d'Antoine Barbier, sieur de la Rivière, commissaire de l'artillerie en Champagne, est né en 1695 à Montfort-l'Amauri (Amel. de la Houssaye, t. 1, p. 367). D'abord régent de philosophie au collège du Plessis et de Navarre, il dut à l'évêque de Cahors, Pierre Habert, d'être introduit auprès de Gaston, et à son esprit agréable de lui plaire. Amelot de la Houssaye dit que Gaston, qui aimoit Rabelais passionnément, fut bien content de trouver quelqu'un qui le sût par cœur. Successivement premier aumônier de Monsieur, abbé de quinze abbayes, ministre d'État pendant la Fronde, chancelier des ordres, il est disgracié tout à coup pour s'être attaché à Condé, malgré le duc d'Orléans. Néanmoins, il meurt (30 janvier 1670) évêque de Langres, c'est-à-dire duc et pair. Le château de Petit-Bourg a été rebâti par lui. Il en a fait un château remarquable, et y mena une vie assez douce (Omer Talon, p. 381) pour se consoler de n'être pas devenu cardinal. L'abbé de la Rivière avoit eu de nombreuses intrigues: il aima, entre autres, la présidente Lescalopier (Tallem. des Réaux, ch. 202).

Dans les Honny soit-il de Maurepas il y a celui-ci en son honneur:

S'advancer et se mesconnoître,

Vendre deux ou trois fois son maître,

Trahir son pays par argent,

Mépriser avec insolence

Ceux qui l'ont veu estre indigent:

Honny soit-il qui mal y pense!

86

Turenne a aimé beaucoup et long-temps les femmes. C'est ce que ne disent ni l'abbé Raguenet, ni Ramsay, ni les diverses histoires de Turenne approuvées par les archevêques de Tours et de Rouen.

Personne n'ignore qu'il fut très épris de madame de Longueville. Pierre Coste (p. 87) ne le cache point, tout en affirmant que Turenne n'étoit pas d'un naturel impétueux:

«Quoique le vicomte de Turenne ne fût pas fort porté à l'amour, le commerce continuel qu'il eut alors avec cette belle princesse l'ayant rendu plus sensible qu'à son ordinaire, il tâcha de s'en faire aimer. La duchesse de Longueville non seulement ne répondit point à son amour, mais le sacrifia à La Moussaye, qui étoit alors gouverneur de Stenay.»

Ramsay (t. 2, p. 155) explique l'histoire à sa manière. C'est comme dans les panégyriques ou dans les oraisons funèbres: tout est sagesse, mouvement de l'esprit, politique profonde. Le cœur humain, la nature, ne paroît point.

«Quoique madame de Longueville fût dans une dévotion si grande qu'elle ne se mêloit d'aucune cabale, néanmoins son esprit avoit tant d'ascendant sur les personnes qu'elle les faisoit pencher du côté où elle avouoit bien que son inclination la portoit, c'est-à-dire du côté de Monsieur son frère.»

Turenne «aimoit naturellement la joie». (Mém. de Grammont, ch. 4.) Avec la joie il aima extrêmement, jusqu'à la compromettre, madame de Sévigné. Il avoit soixante ans quand il soupiroit aux pieds de madame de Coaquin (Choisy, p. 354), et se laissoit arracher le secret de l'État. En 1650, tenant campagne contre le parti de la cour, il entretenoit à Paris, dans la rue des Petits-Champs, une jolie grisette (V. les Mémoires de Retz).

87

Bussy doit une fameuse chandelle à madame de Longueville. Aussitôt après l'apparition de l'Histoire amoureuse des Gaules, les officiers et jusqu'aux valets de Condé poussent des cris, s'empressent autour du maître, demandent à tuer l'auteur de cette histoire. Condé n'est apaisé que par sa sœur. (Recueil de la Place, t. 7, p. 88.) Plus tard, elle travailla en vain à protéger celui qui l'avoit flattée si peu.

Nous pourrions tout uniment renvoyer le lecteur au livre de M. Cousin, qui est un ardent panégyrique; du moins nous ne traînerons pas la note en longueur.

L'affaire dramatique, dans cette vie si occupée, c'est, en 1643, le duel de Maurice, comte de Coligny, frère de notre Châtillon, contre le duc de Guise. Madame de Motteville (t. 2, p. 44) en a parlé suffisamment.

Tallemant des Réaux (Historiette de Sarrazin) dit que madame de Longueville aima Charles de Bourdeilles, comte de Mastas en Saintonge: c'est le Matha des Mémoires de Grammont, mort en 1674. Je ne sais si on peut dire qu'elle aima son frère Conti. Celui-ci, du moins, a conçu pour elle une passion très vive. M. de Longueville, à qui d'autres sont plus favorables, «avoit la mine basse», si l'on en croit M. de *** (p. 470), «et n'avoit dans sa personne aucun des agréments qui peuvent plaire aux femmes.» Ce même M. de *** dit de madame de Longueville: «Le duc de Châtillon avoit eu ses premières inclinations, et comme ce duc, après son mariage, n'eut plus pour elle les mêmes empressements, elle conserva toujours contre la duchesse une haine secrète.»

Et M. Cousin (2e édit., p. 28): «Elle a pu être touchée du dévoûment de Coligny, qui donna son sang pour la venger des outrages de madame de Montbazon; elle prêta un moment une oreille distraite aux galanteries du brave et spirituel Miossens; plus tard, elle se compromit un peu avec le duc de Nemours; mais elle n'a aimé véritablement qu'une seule personne: La Rochefoucauld; elle s'est donnée à lui tout entière; elle lui a tout sacrifié, ses devoirs, ses intérêts, son repos, sa réputation. Pour lui elle a joué sa fortune et sa vie; elle est entrée dans les conduites les plus équivoques et les plus contraires. C'est La Rochefoucauld qui l'a jetée dans la Fronde.»

Madame de Longueville, née le 27 août 1619, a été réellement une femme d'une très grande beauté. En 1647, madame de Motteville (t. 2, p. 240) fait son portrait avec un certain enthousiasme: «Quoiqu'elle eût eu la petite vérole depuis la régence et qu'elle eût perdu quelque peu de la perfection de son teint, l'éclat de ses charmes attiroit toujours l'inclination de ceux qui la voyoient; et surtout elle possédoit au souverain degré ce que la langue espagnole exprime par ces mots de donayre brio y bizaria (bon air, air galant); elle avoit la taille admirable, et l'air de sa personne avoit un agrément dont le pouvoir s'étendoit même sur notre sexe. Il étoit impossible de la voir sans l'aimer et sans désir de lui plaire. Sa beauté, néanmoins, consistoit plus dans les couleurs de son visage que dans la perfection de ses traits. Ses yeux n'étoient pas grands, mais beaux, doux et brillants, et le bleu en étoit admirable: il étoit pareil à celui des turquoises. Les poètes ne pouvoient jamais comparer aux lis et aux roses le blanc et l'incarnat qu'on voyoit sur son visage, et ses cheveux blonds et argentés, et qui accompagnoient tant de choses merveilleuses, faisoient qu'elle ressembloit beaucoup plus à un ange que non pas à une femme.»

On a une lettre de mademoiselle de Vandy (Manuscrits de Conrart, t. 8, p. 145) où il est dit qu'elle a un «teint de perle, l'esprit et la douceur d'un ange». Le mot ange se retrouve ailleurs encore. Félicitons-en M. de La Rochefoucauld.

Madame de Longueville a été précieuse. C'est tantôt Léodamie (Somaize, t. 1, p. 241), tantôt Ligdamire (t. 1, p. 141): «Du temps de Valère (Voiture), lorsqu'elle donnoit un peu plus de son temps à la galanterie, c'estoit chez elle que la parfaite se pratiquoit, et, à présent qu'elle a d'autres pensées, c'est chez elle que l'on apprend les plus austères vertus.»

88

Charlotte-Marguerite de Montmorency, née en 1593, mariée le 3 mars 1609 à Henri II de Bourbon-Condé, est morte le 2 décembre 1650. Son extraordinaire beauté fit faire à Henri IV bien des folies. Toute jeune qu'elle étoit, et mariée, elle y trouva de l'agrément. On croit qu'elle espéroit, à la suite d'un double divorce, arriver jusqu'au trône de son admirateur. Cela aussi étoit bien fantastique.

Elle montra de la tête, au temps de la Fronde, lorsqu'il fallut soutenir Condé. Alors elle est chef du parti, elle délibère. Désormeaux (Vie de Condé, t. 2, p. 354) en donne un exemple: «La nuit venue, la princesse douairière assembla un petit conseil, où elle n'admit que la princesse sa bru, la duchesse de Châtillon, sa parente et sa favorite, la comtesse de Tourville, Lenet, conseiller d'État, l'abbé de La Roquette et quatre gentilshommes.»

Le Père Lelong (n. 22,711 et n. 23,096) et le catalogue de la Bibliothèque nationale (Histoire, t. 2, n. 1682) indiquent diverses pièces mises alors sous son nom par les fabricants de livres politiques. Mais plus qu'habile elle avoit été et elle étoit restée belle. Croyons-en Voiture:

La belle princesse n'est pas

Du rang des beautés d'ici-bas,

Car une fraischeur immortelle

Se voit en elle.

M. Cousin (Longueville, 2e édit., p. 180) cite des vers de fête qui lui furent adressés. Le titre en est un peu bien pompeux: La Vie et les miracles de sainte Marguerite-Charlotte de Montmorency, princesse de Condé, mis en vers à Liancourt.

Jamais sainte ne fut canonisée si facilement. Madame la Princesse douairière étoit d'abord la fierté en personne. Madame de Motteville (t. 4, p. 91) est bien informée: «Cette princesse étoit dans un âge qui pouvoit encore lui faire espérer une longue suite d'années; elle paroissoit saine, elle avoit encore de la beauté, et l'on peut croire que l'amertume de sa disgrâce contribua beaucoup à sa fin. Elle étoit un peu trop fière, haïssant trop ses ennemis et ne pouvant leur pardonner. Dieu voulut sans doute l'humilier avant sa mort pour la prévenir de ses graces et la faire mourir plus chrétiennement.»

Passe pour l'arrogance. Madame la princesse étoit une Madeleine non repentie, et quelle Madeleine pour la grace, pour la pénitence, pour la béatification! Dans l'Église ce n'est pas l'Église elle-même, l'épouse du doux Jésus, qu'elle avoit aimée. Madame de Motteville (t. 4, p. 94) garantira ce qu'on avance: «Madame la Princesse avoit été fortement occupée de l'amour d'elle-même et des créatures. Je lui ai ouï dire, un jour qu'elle railloit avec la reine sur ses aventures passées, parlant du cardinal Pamphile, devenu pape, qu'elle avoit regret de ce que le cardinal Bentivoglio, son ancien ami, qui vivoit encore lors de cette élection, n'avoit point été élu en sa place, afin, lui dit-elle, de se pouvoir vanter d'avoir eu des amants de toutes conditions, des papes, des rois, des cardinaux, des princes, des ducs, des maréchaux de France, et même des gentilshommes.»

Amelot de la Houssaye (t. 2, p. 405) entre dans le détail: «Le cardinal de La Valette aimoit éperdûment la princesse de Condé, Charlotte de Montmorency, et elle, à ce qu'on disoit alors, l'aimoit réciproquement, parceque, outre qu'il étoit bien fait, il lui donnoit beaucoup.»

Je recommande tous ces textes religieux au benoît M. Louis Veuillot et à Monseigneur Parisis.

89

Cambiac étoit un «ecclésiastique de Toulouse, dit Lenet (p. 379, en 1650), doux, modeste, beau, propre et fort intrigant». Sauval, mauvaise source quelquefois (Walck., t. 2, p. 445), le fait chanoine d'Alby et de Montauban. Le même Sauval donne Bouchu pour amant à madame de Châtillon en même temps que Cambiac.

Cambiac étoit tout à fait attaché à la famille des Condé: c'étoit l'un de leurs conseillers intimes.

90

Il y a madame de Brienne la mère (Louise de Béon, fille de Bernard, seigneur du Massés), mariée en 1623, morte le 2 septembre 1667; mademoiselle de Brienne (madame de Gamaches), et madame de Brienne la jeune, mariée en 1656, morte en 1664.

«La reine estimoit» la mère «pour son mérite (Mottev., t. 4, p. 293) et sa piété». C'étoit l'amie de madame de Motteville (t. 5, p. 234). Elle soigna avec dévoûment la reine-mère dans sa longue et triste maladie.

Madame de Brienne la jeune étoit fille du comte de Chavigny:

Pour mettre leur pouvoir au jour,

Le ciel, la nature et l'amour,

De corail, d'ivoire et d'ébène

Firent Brienne,

Firent Brienne.

Elle étoit donc belle. Elle étoit sage aussi:

Un prélat à Pont-sur-Seine

Adresse souvent ses pas

Pour voir la chaste Brienne,

Pleine de divins appas;

Mais c'est pour lui chose vaine

S'il y va crotter ses bas.

Somaize la désigne, à ce qu'il paroît, sous le nom de la précieuse Bérélise (t. 1, p. 38, 228). Mais arrêtons-nous. Le destin de ce livre veut que quand les gens sont sages nous n'en parlions pas beaucoup.

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À la fin de 1650.

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«Merlou, autrefois Mello, bourg avec un château, une église collégiale, un prieuré, une maison religieuse de filles, etc., dans le Beauvoisis, élection de Clermont, à deux lieues ouest-nord-ouest de Creil. C'est une ancienne baronnie qui relève du roi et appartient à la maison de Luxembourg. Elle avoit donné le nom à une illustre maison, éteinte il y a environ trois cents ans, et de laquelle étoit Dreux de Mello, connétable de France sous Philippe-Auguste. Celles de Nesle, d'Offemont, de Montmorency et de Bourbon-Condé, l'ont possédée successivement.

«Le château est sur une hauteur; c'est un bâtiment très ancien.» (Expilly.)

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Cinquième fils de Henri II de Bourbon-Condé, né le 11 octobre 1629, mort le 21 février 1666 à Pézenas, où il eut une cour très littéraire. Molière y fut son poète favori, ce qu'il ne faut pas oublier pour son honneur.

Conti avoit la tête foible. Destiné d'abord à l'Église, abbé de Saint-Denis et de Cluny, puis renégat de dévotion (en 1646), général, et général médiocre; dévot une seconde fois; puis libertin, amoureux; puis dévot de rechef, prétendant au chapeau rouge, et encore renégat; irrésolu enfin, rebelle, sujet dévoué, enthousiaste, sceptique, girouette des plus aisées, il a une physionomie à lui.

Armand de Conti avoit passé sa thèse en Sorbonne; ce fut l'occasion d'une querelle qu'Amelot de La Houssaye (t. 1, p. 37) a indiquée. Le goût de ces exercices, des discours, des oraisons, des petites pièces pompeuses, lui demeura. Le plus curieux de ses écrits est assurément ce vœu explicite (V. Amelot de La Houssaye, t. 2, p. 143), qui fut trouvé dans les papiers de sa très chère sœur, madame de Longueville.

«Parmi les lettres et les papiers de feue madame la duchesse de Longueville se trouve la copie d'un vœu que M. le prince de Conty avoit fait en 1653 à Bordeaux d'entrer et de mourir dans la compagnie de Jésus. Le voici en la forme qu'il étoit écrit:

Jesus, Maria, Joseph, Angelus custos,

Beatus Pater Ignatius.

Omnipotens, sempiterne Deus, ego Armandus de Bourbon, licet undecumque divino tuo conspectu indignissimus, fretus tamen pietate ac misericordia infinita, et impulsus tibi serviendi desiderio, voveo coram sacratissima Virgine Maria et curia cœlesti universa, divinæ majestati tuæ castitatem perpetuam, et propono firmiter Societatem Jesu me ingressurum, in qua vivere et mori ad majorem tuam gloriam ardentissime cupio. A tua ergo immensa bonitate et clementia infinita per Jesu Christi sanguinem peto suppliciter ut hoc holocaustum in odorem suavitatis admittere digneris, et, ut largitus es ad hoc desiderandum et offerandum, sic etiam ad explendum gratiam uberem largiaris. Amen. Datum Burdigalæ die 2 Februari, purificationi B. Mariæ Virginis consecrata, et sanguine meo subsignatum, anno Domini 1653, ætatis meæ 23 cum quatuor mensibus.

«Armandus de Bourbon.

«Sancta Maria, mater Dei et virgo, ego te in dominam, patronam et advocatam eligo, rogoque enixe ut me adjuves ad servandum votum meum et ad executioni mandandum propositum meum. Amen.»

Latin médiocre, vœu de maniaque, que la sainte Vierge n'a point exaucé. Cette pièce n'en a pas moins son agrément.

Nous avons vu que ce jésuite aimoit Bussy, qu'il cultivoit le vers badin et la prose salée. Au besoin il faisoit un sermon et anathématisoit les spectacles.

Allons aux sources, interrogeons Choisy d'abord: «Conti avoit une sorte d'esprit indécis, voulant et ne voulant pas, changeant d'avis, alternativement dévot et voluptueux, d'une santé médiocre, d'une taille très contrefaite».

Un peu plus loin (p. 625), le vénérable Choisy contrecarre M. Cousin et ses douces légendes: «Chacun sait comme quoi ce prince s'abandonna à la passion éperdue qu'il eut pour madame de Longueville.»

Ne criez pas haro sur Choisy; Lenet (p. 474) dit bien la même chose: «Ce jeune prince avoit pris une folle passion pour la duchesse de Longueville, sa sœur, quelques années avant sa prison, et se l'étoit mise si avant dans le cœur, qu'il ne songeoit qu'à faire des choses extrêmes pour lui en donner des marques.»

Il dit même que la manie du vœu l'avoit déjà pris dans sa prison. Cette fois, ce n'étoit pas jésuite qu'il vouloit être: il se donnoit au diable corps et âme. L'homme se doit d'être moins prodigue de son moi, d'où qu'il vienne. En attendant Dieu ou le diable, Conti se donnoit volontiers et souvent aux dames, qu'il aimoit, et auxquelles son rang, sa figure et son esprit plaisoient, malgré les défauts de sa taille. Condé le railloit; Conti le provoqua (Saint-Simon, t. 1, p. 16).

Laigues lui voulut faire épouser mademoiselle de Chevreuse (Mottev., t. 4, p. 182), en 1651; lui-même courtisoit madame de Sévigné. Enfin il arriva (V. les Mém. du marq. de Chouppes et de Gourville), poussé par Cosnac, par Sarrazin et d'autres, à épouser une fille de madame Martinozzi, qui avoit de la beauté et de la vertu. Condé ne fut pas flatté de voir son frère neveu du cardinal.

Il y a ceci de remarquable dans l'histoire de Conti que Louis XIV, malade en 1663, jeta les yeux sur lui, préférablement à tout autre, pour lui confier le gouvernement après sa mort (Motteville, t. 5, p. 187).

Madame de La Fayette le dit aussi.

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François VI de La Rochefoucauld n'a rien oublié pour se faire bien connoître. Il a laissé un petit livre, cinquante pages immortelles, et des Mémoires: en 1658, il écrit: «Je suis d'une taille médiocre, libre et bien proportionnée; j'ai le teint brun, mais assez uni; le front élevé et d'une raisonnable grandeur; les yeux noirs, petits et enfoncés, et les sourcils noirs et épais, mais bien tournés. Je serois fort empêché de dire de quelle sorte j'ai le nez fait, car il n'est ni camus, ni aquilin, ni gros, ni pointu, au moins à ce que je crois; tout ce que je sçais, c'est qu'il est plutôt grand que petit et qu'il descend un peu trop bas. J'ai la bouche grande, les lèvres assez rouges d'ordinaire et ni bien ni mal taillées. J'ai les dents blanches et passablement bien rangées. On m'a dit autrefois que j'avois un peu trop de menton; je viens de me regarder dans le miroir pour savoir ce qui en est, et je ne sçais pas trop bien qu'en juger. Pour le tour du visage, je l'ai ou carré ou en ovale; lequel des deux? Il me seroit fort difficile de le dire. J'ai les cheveux noirs, naturellement frisés; et avec cela assez épais et assez longs pour pouvoir prétendre à une belle tête.

«J'ai quelque chose de chagrin et de fier dans la mine: cela fait croire à la plupart des gens que je suis méprisant, quoique je ne le sois point du tout. J'ai l'action fort aisée, et même un peu trop, et jusqu'à faire beaucoup de gestes en parlant. Voilà naïvement comme je pense que je suis fait au dehors, et l'on trouvera, je crois, que ce que je pense de moi là-dessus n'est pas fort eloigné de ce qui en est.»

En 1648, il étoit encore prince de Marcillac; madame de Motteville dit: «Ce seigneur étoit peut-être plus intéressé qu'il n'étoit tendre (Mottev., t. 3, p. 128). Il avoit beaucoup d'esprit et l'avoit fort agréable, mais il avoit encore plus d'ambition» (t. 3, p. 154).

En 1643, elle ajoutoit à son nom (t. 2, p. 9) cette phrase: «Ami de madame de Chevreuse et de la dame de Hautefort, qui étoit fort bien fait, avoit beaucoup d'esprit et de lumière, et dont le mérite extraordinaire le destinoit à faire une grande figure dans le monde.»

Il n'est pas nécessaire d'être diffus lorsqu'il s'agit d'une personne que tout le monde connoît si bien.

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Son affaire est bonne. C'est le Desfonandrès de Molière. Il avoit de la réputation; on le consulte lorsque Mazarin va mourir. «Charlatan, dit Guy Patin, charlatan s'il en fut jamais; homme de bien, à ce qu'il dit, et qui n'a jamais changé de religion que pour faire fortune et mieux avancer ses enfants.»

Il fit avorter en effet, lorsqu'elle eut occasion de le désirer, madame de Châtillon. Un petit Nemours, qui eût peut-être été un hardi capitaine ou un brillant abbé, disparut ainsi.

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Bossuet a tout dit pour sa gloire. Ce fut un grand général et un grand esprit. Le petit portrait que Bussy lui consacre n'est pas une si mauvaise chose pour n'être pas une oraison funèbre.

C'est sur la dénonciation catégorique de Condé (Guy Patin, lettre du 18 août 1665) que Bussy fut arrêté. Condé ne lui pardonna jamais ce qu'il avoit écrit de sa sœur, ni sans doute sa conduite en Berry au temps de la Fronde.

Le père de Condé se croyoit de temps en temps oiseau, et chantoit; sanglier, et donnoit des coups de boutoir. Son fils se crut tour à tour, et avec délices, lièvre, mort, chauve-souris, salade. Il y a de la folie dans la substance cérébrale de la race. C'est cette folie qu'il faut accuser de certains travers de Condé (Lett. de Madame, 5 juin 1719): «Il alla à l'armée et il s'habitua à de jeunes cavaliers; quand il revint, il ne pouvoit plus souffrir les dames.»

De ce temps (1643) date une chanson fine, qu'il y a quelque agrément à se rappeler, lorsqu'on voit plus tard (en 1652, à Paris) Condé baiser en pleine rue la châsse de sainte Geneviève. Le dialogue a pour interlocuteurs Condé et son ami de La Moussaye (un Goyon). Les deux improvisateurs descendent le Rhône en bateau sous un bel orage:

Carus amicus Mussæus,

Ah! Deus bone! quod tempus!

Landerirette!

Imbre sumus perituri,

Landeriri.

– Securæ sunt nostræ vitæ;

Sumus enim Sodomitæ,

Landerirette,

Igne tantum perituri,

Landeriri.

Le père de Condé avoit aussi, dit-on, ces défauts-là; son page, Hocquetot ou Hecquetot (un Beuvron), lui étoit, à ce qu'il paroît, trop dévoué, et l'on disoit, toujours en latin (Tall., ch. 2, p. 441):

Crimina sunt septem, sunt crimina Principis Octo.

La chansonnette de Condé et de son ami, toute réserve faite, vaut mieux que cet affreux calembour. Condé troussoit le vers gaillardement; on en a la preuve en françois dans les rondeaux du comte de Maure. Il ne faudroit pas oublier ces poésies dans un recueil des vers de la maison de Bourbon.

Condé se permettoit, à l'occasion, des entreprises plus humaines. Revenant ivre de chez la Duryer, cabaretière à Saint-Cloud, il rencontre madame d'Ecquevilly près Boulogne; elle avoit une suite, il en avoit une; en un clin d'œil il n'y eut qu'une bande, qui disparut dans les fourrés du bois (V. Tallem., deuxième édit., chap. 212). Humaines, ai-je dit; je voulois dire: mieux appropriées à un homme. Mais là encore il y a bien du prince chimérique.

Quelques petits témoignages ne peuvent nuire maintenant: «Dans sa jeunesse il avoit connu toutes les dames de la cour et de la ville dont la beauté avoit fait quelque bruit, sans s'attacher à pas une. Comme il n'y cherchoit que les agréments du corps, il n'avoit pas pour elles tous les égards et toutes les honnêtetés que la noblesse françoise a coutume d'avoir pour les femmes.

«… Le cœur volage de ce prince se fixa cependant à la fin en faveur de la duchesse de Châtillon, sa parente, pour laquelle il eut de la complaisance et de la soumission.» (Mém. de M. ***, p. 469; 1648.)

Mademoiselle (t. 2, p. 241), parlant de cette intrigue (1652), flaire juste: «La suite des choses a bien fait connoître que M. le Prince n'étoit point amoureux.»

Cette affaire-là ne prouve donc pas beaucoup. Il y auroit à citer le passage de Condé chez Ninon, qu'il protégea toujours; il y auroit à parler de mademoiselle du Vigean (V. M. Cousin) et à rappeler mademoiselle de Toussy (Louise de Prie), plus tard maréchale de La Mothe-Houdancourt.

Tout cela même ne fait pas un cœur bien tendre. Madame de Motteville jugera l'homme en dernier ressort (Motteville, t. 2, p. 221; 1647): «Il faisoit le fanfaron contre la galanterie, et disoit souvent qu'il y renonçoit, et même au bal, quoique ce fût le lieu où sa personne paroissoit davantage. Il n'étoit pas beau: son visage étoit d'une laide forme, il avoit les yeux bleus et vifs, et dans son regard se trouvoit de la fierté. Son nez étoit aquilin, sa bouche étoit fort désagréable, à cause qu'elle étoit grande et ses dents trop sorties; mais dans toute sa physionomie il y avoit quelque chose de grand et de fier, tirant à la ressemblance de l'aigle. Il n'étoit pas des plus grands, mais sa taille en soi étoit toute parfaite.»

Coligny-Saligny a dit tout le mal possible de Condé (V. ses Mémoires). Une de ses phrases est grave, mais n'étonne pas:

«Il s'est voulu servir de son esprit pour ôter la couronne de dessus la tête du roi; je sçais ce qu'il m'en a dit plusieurs fois, et sur quoi il fondoit ses pernicieux desseins.»

Condé échoua; il se repentit même. Sa fin retirée a encore de la grandeur. Il ne faut pas lire exclusivement Désormeaux pour le bien connoître; nul n'a poussé plus loin les vices et les vertus de la jeune noblesse du XVIIe siècle. Et puis, c'est le vainqueur de Rocroy!

M. Cousin a cru devoir le placer, comme capitaine, au dessus de Bonaparte. On voit pourquoi, mais M. Cousin ne doit pas avoir mis tout le monde de son avis.

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Plus haut j'ai oublié, à propos de Beaufort, de dire qu'il faisoit à madame de Châtillon la gracieuseté de lui demander d'être aimé d'elle (Conrart, Mémoires imprimés, p. 58), «même de bricole». Le mot est simple et n'a rien d'affecté.

Faisons une halte pour recueillir quatre ou cinq fragments de Mémoires qui nous permettent de pousser en avant notre glose, et qui sont d'utiles éclaircissements.

Marigny (16 juin 1652) dit dans une lettre que M. Louis Pâris a imprimée dans le Cabinet historique (décembre 1854, p. 109): «Le soir, je vis S. A., et, bien qu'elle fust retournée après minuit de chez madame de Chastillon, où elle est assez assidue, je demeurai, etc.»

Voilà l'intimité démontrée. Madame de Motteville (t. 4, p. 330) explique décemment les choses; mais que le panégyriste Désormeaux (t. 3, p. 258) prenne d'abord la parole. (La paix) «paraissoit désespérée lorqu'une dame jugea qu'un si grand bien devoit être l'ouvrage de la beauté et des grâces: d'autres femmes s'étoient rendues célèbres par des cabales et des passions redoutables. Les malheurs de la France étoient le fruit odieux et amer de leurs intrigues, de leurs caprices, de leurs rivalités. La duchesse de Châtillon aspiroit à une gloire plus pure: heureuse si l'amour seul de l'État l'eût guidée; mais la vanité, le ressentiment, l'intérêt, n'eurent pas moins de part à un projet d'ailleurs si noble que le patriotisme. Elle brûloit d'envie de faire voir aux yeux de l'Europe l'empire que ses charmes, soutenus de l'art le plus séducteur, lui avoient acquis sur l'âme d'un héros si long-temps indocile au joug de l'amour. Elle vouloit en même temps se venger de la duchesse de Longueville, qui avoit tenté de lui enlever la conquête du duc de Nemours, en privant la sœur de la confiance du frère et en dictant un traité qui la réduisît à passer le reste de ses jours avec un époux qu'elle haïssoit.»

Voici, madame de Motteville à son tour, et son style soutenu: «Dans cet état, une dame voulut avoir la gloire de la destinée d'un grand prince et d'avoir part à la plus éclatante affaire de l'Europe, qui étoit alors cette paix de la cour, qui paroissoit devoir être suivie de la générale, c'est-à-dire s'il eût été possible de la faire aux conditions qui avoient été proposées. Madame de Châtillon haïssoit madame de Longueville: l'émulation de leur beauté et du cœur du duc de Nemours, qu'elles vouloient posséder l'une et l'autre, faisoit leur haine. Madame de Châtillon avoit vengé le duc de la Rochefoucauld, en ce qu'elle avoit emporté sur madame de Longueville l'inclination de ce prince, qui s'étoit donné entièrement à elle. Cette belle veuve ne haïssoit pas le duc de Nemours, cette conquête lui plaisoit; mais, ayant toujours eu quelques prétentions sur les bonnes grâces de M. le Prince, elle n'étoit pas fâchée non plus de conserver quelque domination sur l'esprit de ce héros, que toute l'Europe estimoit: si bien qu'elle fit dessein de l'engager à laisser conduire cette négociation par elle. Son dessein fut de faire la paix sans que madame de Longueville y eût aucune part, ni par la gloire, ni par ses intérêts; et, ne voulant pas faire de perfidie au duc de Nemours, elle le lui fit trouver bon et l'engagea de rompre tout commerce avec madame de Longueville. Elle se servit du duc de la Rochefoucauld et de ses passions pour faire approuver sa conduite au duc de Nemours et pour presser M. le Prince de se confier à elle et de vouloir écouter ses conseils. Le duc de la Rochefoucauld m'a dit que la jalousie et la vengeance le firent agir soigneusement et qu'il fit tout ce qu'elle voulut. Comme cette dame désiroit aussi se faire riche, elle sut tirer alors un présent de M. le Prince, qui, poussé à cette libéralité par son jaloux négociateur, lui donna, en qualité de parent, la terre de Marlou, et surtout un pouvoir très ample de traiter la paix avec le cardinal Mazarin. Elle alla donc à la cour, et y parut avec l'éclat que lui devoit donner une si grande apparence de crédit sur l'esprit de M. le Prince; mais le cardinal ne crut pas possible qu'elle pût être si absolue maîtresse de son sort. Il s'imagina, selon la raison, que M. le Prince avoit voulu lui complaire, mais que de tels traités ne se pouvoient pas faire de cette sorte, ou plutôt il ne voulut pas faire la paix dans des temps où il ne l'auroit pas faite avantageusement pour le roi et pour lui; mais, agissant à son ordinaire, il gagna du temps et amusa le prince de Condé pendant qu'il faisoit la guerre tout de bon en Guienne, et que partout les armes du roi étoient victorieuses. Madame de Châtillon revint à Paris pleine d'espérances et de promesses; et le cardinal, plus habile et plus fin que ses ennemis, tira de sa négociation un plus solide bien qu'il n'en auroit reçu alors de l'accommodement.»

Madame de Châtillon (Montp., t. 5, p. 251) espéroit réellement qu'on lui paieroit son traité 100,000 écus (un million).

Deux ans après (Mottev., t. 4, p. 36) elle fut accusée d'avoir voulu attaquer sa vie (celle du cardinal Mazarin) par d'autres armes que celles de ses yeux; il y eut des hommes roués pour avoir été convaincus de ce dessein: il parut qu'elle y avoit eu quelque petite part, et l'heureuse destinée du cardinal le sauva de tous ces maux. L'intrigue a fait nommer cette dame en plusieurs occasions; mais, comme sa gloire se trouveroit un peu flétrie par cette narration, je n'en parle point… Cette dame étoit belle, galante et ambitieuse, autant que hardie à entreprendre et à tout hasarder pour satisfaire ses passions…

«Elle savoit obliger de bonne grâce et joindre au nom de Montmorency une civilité extrême qui l'auroit rendue digne d'une estime toute extraordinaire, si on avoit pu ne pas voir en toutes ses paroles, ses sentiments et ses actions, un caractère de déguisement et des façons affectées, qui déplaisent toujours aux personnes qui aiment la sincérité.»

Mademoiselle (t. 3, p. 55), qui confond parfois les dates, parle aussi de toutes ces aventures. Elle étoit allée à Marlou comme une simple mortelle, en 1656, disent ses mémoires. «Rien n'étoit plus pompeux que madame de Châtillon ce jour-là: elle avoit un habit de taffetas aurore, bordé d'un cordonnet d'argent; elle étoit plus blanche et plus incarnate que je l'aie jamais vue; elle avoit force diamants aux oreilles, aux doigts et aux bras; elle étoit dans une dernière magnificence. Qui voudroit conter toutes les aventures qui lui sont arrivées, on ne finiroit jamais: ce seroit un roman où il y auroit plusieurs héros de différentes manières. On disoit que M. le Prince étoit toujours amoureux d'elle, comme aussi le roi d'Angleterre, milord Digby, Anglois, et l'abbé Fouquet. On disoit qu'elle étoit bien aise de donner de la jalousie à M. le Prince du roi d'Angleterre, et que les deux autres étoient utiles à ses affaires et à sa sûreté. On roua deux hommes, un nommé Bertaut et l'autre Ricousse, frère d'un homme qui est à M. le Prince et dont la femme est à madame de Châtillon, pour des menées contre l'État, où on disoit que madame de Châtillon avoit beaucoup de part, et que c'étoit pour le service de M. le Prince. Dans le même temps j'ai ouï dire qu'il ne sçavoit ce que c'étoit. Madame de Châtillon se sauva de sa maison de Marlou; elle fut cachée en beaucoup d'endroits, puis elle alla à l'abbaye de Maubuisson. Il y avoit un ecclésiastique, nommé Cambiac, mêlé dans tout cela, de qui l'on dit que l'on trouva force lettres données à madame de Châtillon, et les réponses; ce fut Digby qui les prit et les montra. On disoit encore que c'étoit elle qui avoit découvert à l'abbé Fouquet l'affaire de ces deux hommes roués. On s'étonnoit comment ce commerce de l'abbé Fouquet s'accommodoit avec celui de M. le Prince, lequel avoit fait pendre deux hommes qui étoient allés en Flandre pour l'assassiner; qu'à la question ils déposèrent qu'il y étoient allés par ordre de M. l'abbé Fouquet. Je ne me souviens pas bien en quelle année ce fut, je me souviens que des gens qui venoient d'auprès de M. le Prince me le contèrent.

«L'habitude de Digby avec madame de Châtillon étoit venue ce qu'il étoit gouverneur de Mantes et de Pontoise pendant la guerre, où il demeura quelque temps après. Il n'étoit pas éloigné de Marlou: il alloit visiter madame de Châtillon; il jouoit à la boule et aux quilles avec elle, et on dit qu'à ces jeux-là elle lui avoit gagné vingt-cinq ou trente mille livres. On tenoit de beaux discours, et les histoires que l'on racontoit étoient difficiles à débrouiller. Tout ce que j'en puis dire, c'est qu'elle me fit grand' pitié quand tous ces bruits-là coururent, et j'admirai, quand je la vis si belle à Chilly, qu'elle eût pu conserver tant de santé et de beauté parmi de tels embarras.»

Nous voyons là que Charles II, roi en exil, aima la duchesse. Elle s'imaginoit qu'il vouloit l'épouser et demanda à Anne d'Autriche (Montp., t. 4, p. 239) si on la traiteroit en reine, le cas échéant. La pauvre Majesté, en attendant sa gloire, étoit la très humble sujette de l'abbé Fouquet; ce qui arrache à mademoiselle de Montpensier (t. 3, p. 298) des soupirs multipliés. «Je ne comprends pas qu'une femme née de la maison de Montmorency et femme d'un Coligny soit capable de s'être embarquée avec un homme comme celui-là. Ce qui justifie madame de Châtillon, c'est qu'il s'est toujours plaint de ses cruautés dans ses plus grandes colères, et ne s'est jamais vanté d'en avoir eu les moindres faveurs. Tout ce qui m'a déplu, c'est qu'il s'est vanté qu'elle n'a refusé aucun présent de lui.»

À une autre note d'autres observations.

Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I

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